Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

26 avril 2006

Gènes du développement : la segmentation


Continuons notre petite balade dans le monde merveilleux du développement. L'un des points communs de nombreux bilatériens est qu'ils sont segmentés. En clair, cela signifie que le plan d'organisation de leur corps est composé de modules, les segments. Ainsi, nous connaissons tous les segments des insectes, que nous avons appris à l'école. Les segments peuvent être spécialisés (par exemple, un segment peut porter des ailes ou des pattes) ou non. Regardez par exemple la structure des mille-pattes, constituée d'unités répétées à l'identique... En fait, cette segmentation se produit très tôt au cours de l'embryogénèse. Sur l'illustration ci-contre, vous pouvez voir un motif typique d'expression génétique dans l'oeuf de la drosophile. L'image n'est pas truquée : on a juste mis un marqueur fluorescent sur certaines protéines. Chaque bande fluorescente correspondra dans l'animal adulte à un segment bien particulier. Le point important est donc qu'à un segment donné est associé un gène du développement, exprimé localement dès la formation de l'embryon.
Notez que cette segmentation donne une grande souplesse quant à l'organisation du plan du corps. Ainsi, on connaît des mutations qui peuvent dupliquer une catégorie de segment, changer leur place, transformer un segment en un autre (on sait faire pousser des pattes à la place des antennes !), etc... Pour en revenir à l'évolution, par exemple, on pense maintenant que les mandibules que les crustacés utilisent pour manger sont en fait d'anciennes pattes, qui se sont progressivement modifiées au cours de l'évolution.
J'ai essentiellement parlé des invertébrés, mais ceci reste vrai pour les vertébrés. Les segments prennent la forme... de vertèbres, identiquement répétées tout le long de la colonne vertébrale! Mais les mécanismes moléculaires précis, s'ils impliquent bien souvent des gènes similaires -en particulier les voies Notch/delta- semblent néanmoins un peu différents. La suite au prochain épisode !

Image tirée de Dissecting the Transcriptional Control of Body Patterning. PLoS Biol 2(9): e319.

25 avril 2006

Mais pourquoi donc la biologie intéresse-t-elle les physiciens ?

C'est la deuxième question qu'on me pose assez souvent. Et oui, quand j'explique que je suis docteur en physique théorique, mais que je travaille sur les réseaux génétiques, cela fait bien rigoler tout le monde... (entre parenthèses, cela fait rire jaune certains physiciens qui prennent les gens dans mon domaine pour des charlatans, mais je m'égare...). Concrètement, la biologie est selon moi un champ d'investigation nouveau et passionnant pour les physiciens. Après tout, le but premier de la physique est de modéliser mathématiquement les phénomènes naturels. Et qu'y a-t-il de plus naturel que la vie elle-même ?
Là où le bât blesse est que la physique de la matière vivante est loin d'être aussi polie et nettoyée que la physique classique. Il n'y a aucune théorie mathématique propre ou unifiée de la biologie, pour l'instant, on se contente de petits modèles, où on "plaque" en quelque sorte des modèles physiques existant à des objets biologiques... Mais je suis sûr que l'apport d'une vision plus quantitative à des problèmes biologiques peut vraiment nous apprendre beaucoup, et amener l'émergence de nouveaux concepts, voire de nouvelles sciences ! Et je compte bien y contribuer !

Mais qu'est-ce donc que la physique non linéaire ?


Avis aux physiciens lecteurs de ce blog : répondre en quelques phrases à cette question que l'on m'a posée plusieurs fois ces derniers temps.

Voici ma définition : la physique du non-linéaire est la physique des phénomènes ne pouvant pas se décrire par des équations différentielles linéaires. Je sais, c'est trop simple, mais c'est à peu près cela non ?
Maintenant comment caractériser la physique non-linéaire ? Pas évident, non... Mawashi peut peut-être nous en dire plus...
En tous cas, pour Gonéri, futur climatologue, un bon bouquin (qui se lit presque comme un roman, mais avec quelques bonnes mathématiques) pour en savoir plus sur le chaos, la turbulence, la théorie des bifurcations est le Pomeau, Bergé, Vidal, ci-contre. Après, pour ceux qui veulent faire des calculs un peu plus hardcore et se pencher sur les subtilités des calculs de couche limite ou de la méthode WKB, pourquoi ne pas se pencher sur le Bender & Orszag ?

18 avril 2006

Mère patrie 2

Je retourne une nouvelle fois en France, toujours pour passer quelques auditions, et finir quelques trucs à mon labo de thèse. Allez, pour vous faire patienter, voici un lien vers le blog d'Allen MacNeill, professeur à Cornell, qui va défrayer la chronique cet été en parlant de l'ID lors de son cours d'histoire de la biologie (comme exemple de théorie non scientifique, hein). Je dois reconnaître que son blog est rudement bien ! Je suis jaloux ! Vous y retrouverez en plus fouillé certains thèmes abordés ici (religion et évolution, un billet intéressant également sur la polygamie, ou comment les hommes sont en fait successivement polygames, car ils changent constamment de conjoints... ). Coincidence : je dois passer quelques semaines à Cornell cet été, j'espère pouvoir assister à ce cours !
See you !

13 avril 2006

Gènes du développement : petite intro

Si vous comparez les membres des différents animaux, vous verrez de nombreux points communs entre les vertébrés. Ainsi, les membres sont tous organisés de la même façon et semblent en fait dériver d'un même plan de base, révélant l'origine commune de tous les tétrapodes.
Examinons maintenant une autre branche du vivant, par exemple les insectes. Même s'ils ont la même fonction, il n'y a a priori, rien de commun entre une patte d'insecte et un bras, ou entre un oeil de mouche et un oeil de boeuf... Pourtant, aussi surprenant que cela puisse paraître, la machinerie de base dans le développement est quasiment identique chez la plupart des animaux, invertébrés y compris. En fait, l'une des grandes découvertes de la génétique a été de comprendre (très partiellement pour l'instant) comment les plans d'organisation des animaux étaient codés génétiquement de façon identique depuis les insectes jusqu'à l'homme !
Un ensemble de gènes, les gènes homéoboîtes (Homeobox, ou hox en abrégé) contrôlent ainsi le plan de développement de la plupart des animaux. Chez la plupart des organismes, ces gènes sont regroupés en "clusters" dans le génome et chacun de ces gènes contrôle le développement d'une partie bien précise du corps - tête, vertèbres, segments chez les insectes... Ces gènes sont tellement conservés qu'on peut par exemple remplacer le gène contrôlant le développement d'une partie de la tête chez une souris par le gène équivalent... de la mouche ! Je trouve cela énorme : le développement de notre cerveau est contrôlé à la base par le même gène que celui qui contrôle le développement du système nerveux de la drosophile. Depuis que j'ai réalisé cela, je ne regarde plus les mouches de la même façon...
Autre surprise, les gènes hox sont tous très proches les uns des autres, et en fait dérivent tous d'un même gène ancestral, qui est donc apparu il y a extrêmement longtemps (bien avant la séparation entre les vertébrés et les invertébrés). Il est ainsi certain que l'ancêtre commun de tous les bilatériens avait déjà ces gènes de développement fixant l'organisation antéro-postérieure ainsi qu'une batterie de gènes prêts à l'emploi pour évoluer finalement (de façon convergente) vers des structures aussi complexes qu'un oeil, un coeur ou des pattes... Autrement dit, le plan d'organisation général du monde animal est apparu extrêmement tôt, et toute la variété des organismes observés n'est en fait qu'une réorganisation relativement mineure de ce plan d'organisation si ancien. Nous sommes donc bien peu de choses, à peine plus compliqués en fait que le premier ver de terre venu...

11 avril 2006

Souffler le chaud et le froid...

J'ai toujours trouvé ridicule les publicités nous vantant la supposée "fraîcheur" des chewing-gums et autres bonbons à la menthe. J'avais tort : les neurones chargés de sentir la température dans l'épiderme possèdent des récepteurs, activant des canaux ioniques spécifiques nous informant de la température. En fait, il se trouve que certaines molécules particulières peuvent se lier à ces canaux et déclencher des réponses similaires, trompant ainsi nos sens et nous faisant prendre des vessies pour des lanternes (ou plutôt un "goût" pour une "température"). Ainsi, le menthol peut se lier spécifiquement aux canaux sensibles au froid. Autrement dit, en suçant un bonbon à la menthe, on déclenche une authentique sensation de fraîcheur !

De la même façon, les piments contiennent une substance spécifique, appelée capsaicine, pouvant se lier au récepteurs associés aux hautes températures (à la limite de la douleur). Ces molécules se trouvent aussi dans toute une batterie de condiments : ail, moutarde, wasabi... Vous savez donc maintenant d'où vient la sensation de brulûre lorsque l'on mange trop épicé !

10 avril 2006

L'évolution du sado-masochisme (économique) ?


Un article de Science de la semaine dernière (Gürerk et al., Science7 April 2006,Vol. 312. no. 5770, pp. 108 - 111) relate une expérience intéressante quant à l'évolution de la coopération entre être humains. Dans une société idéale (SI), les hommes mettent en commun de façon équitable leurs ressources et leur énergie afin de contribuer à l'intérêt général. Seulement, dans cette société idéale, on rencontre bien vite des problèmes type "dilemme du prisonnier" : il y a toujours des petits malins qui vont essayer de détourner le système pour maximiser leur profit propre, par exemple en investissant moins dans le bien commun tout en récoltant le fruit des efforts des autres. On peut donc imaginer un deuxième type de société : une société sado-masochiste (SSM) où tout un chacun peut maintenant choisir de punir un individu ne contribuant pas suffisamment au bien commun. Problème : il faut mettre alors en place une espèce de police, et la sanction a alors un coût. En fait, les sociologues prétendent qu'empiriquement une société humaine doit mettre en place de telles sanctions sous peine d'effondrement. Pourtant, la SI représente l'idéal théorique, puisqu'il n'y a pas de pertes dues au financement de la sanction.
Comment les sociétés humaines s'organisent-elles alors spontanément ? Afin de répondre à cette question, Gürerk et al. ont mis en place une expérience sociale grandeur nature. 84 étudiants se sont vus remettre de la monnaie fictive, qu'ils pouvaient investir collectivement, les intérêts étant répartis de manière équitable. A chaque cycle de l'expérience, les étudiants pouvaient choisir entre les deux types de sociétés. Dans la SSM, à chaque fin de cycle, les étudiants pouvaient décider individuellement d'appliquer des sanctions financières aux individus dont ils estimaient qu'ils n'investissaient pas assez, chaque sanction amputant néanmoins légèrement leur propre budget. L'expérience a duré 30 cycles, le but étant de maximiser le profit.
Spontanément, deux tiers des étudiants choisissent alors la SI pour les premiers cycles. En moyenne, au départ, les individus de la SI investissent peu, et beaucoup d'entre eux n'investissent pas du tout et profitent du système. Au contraire, les individus ayant choisi au départ la SSM investissent en moyenne beaucoup, et sanctionnent également beaucoup leurs congénères, ce qui à la longue crée une norme d'investissement minimum. L'évolution est alors intéressante, comme disent les auteurs, les individus "votent avec leurs pieds" : les individus de la SI finissent en fait tous par rejoindre la SSM, estimant que les bénéfices y sont plus importants. Détail cocasse : les anciens profiteurs de la SI se mettent à suivre la norme de la SSM et à sanctionner eux aussi les profiteurs... L'article présente alors deux conclusions : la première, c'est qu'il existe donc une minorité d'individus très actifs (les fondateurs de la SSM) qui ont une influence profonde sur le reste de la société et mettent en place une très forte norme sociale par la sanction. La seconde, c'est qu'en réponse à cette forte influence, le reste de la société se comporte comme des moutons et adopte sans remords cette norme sociale, même s'ils n'y adhéraient pas spontanément. Autrement dit, le conformisme est inscrit dans nos gènes...

09 avril 2006

ID bashing : où Tom Roud vous révèle comment il lutte au quotidien sans le savoir contre les néo-créationnistes


L'une des grandes objections des ID concerne le fait qu'un processus d'évolution graduelle ne permet pas d'expliquer l'apparition de structure très complexes. J'avais déjà évoqué dans un billet précédent que les ID donnaient ici le bâton pour se faire battre, étant donné qu'il y avait sans aucun doute des sauts évolutifs très soudains et non continus. Un article de Stéphane Hergueta du numéro spécial du Nouvel Obs (merci Gonéri) consacré à la poussée néo-créationniste va dans le même sens, et met le doigt sur un exemple canonique de gènes responsables de telles évolutions : les gènes du développement. Il se trouve que votre serviteur est en train de se pencher sérieusement sur les problèmes théoriques posés par l'évolution de tels gènes et de leurs interactions, et je me dois donc de commencer une série leur étant consacrée. Je ne sais pas exactement encore quelle forme prendra cette série de billets (cela risque d'être un peu compliqué, et n'oubliez pas non plus que je ne suis pas spécialiste), mais j'ai décidé de m'atteler à cette tâche... Rassurez-vous, je continuerai aussi à parler d'autres choses liées à l'évolution !

06 avril 2006

Billet express


Actualité chargée ces jours-ci... De retour dans la big apple, je me lance dans un style très à la mode sur les blogs : le bloc-note !


  • Evolution 1 : National Geographic a sûrement des espions sur ce blog ! Le Monde daté de mercredi raconte le lancement d'un projet visant à déterminer votre lignée patri ou matrilinéaire à partir de votre chromosome Y ou de votre ADN mitochondrial. Vous pourrez enfin savoir si vous descendez vraiment de Genghis Khan ! (merci à Mostly-Harmless; je suis très ému et heureux d'avoir suscité un petit bonheur...)
  • Evolution 2 : une équipe américaine vient de publier dans Nature la découverte de trois fossiles de Tiktaalik roseae, animal dont les pattes comportent cubitus, radius, humerus... mais se terminent par des rayons dermiques similaires à des nageoires. Autrement dit, cet animal est un chaînon manquant entre les poissons et les tétrapodes (nous quoi). Emouvant de retrouver notre papi, non ? Evidemment, les ID sont furieux... Profitez-en, l'article de Nature est en accès libre ! ( Add 10 avril : j'ai changé le lien vers un article "sensé" être en accès libre... j'espère qu'il l'est, je ne peux pas vérifier, j'ai accès à tous les articles par défaut :-) )
  • Religion : Le Monde, provocateur, nous annonce que la prière est mauvaise pour la santé... En fait, une équipe américaine a demandé à des groupes religieux de prier pour des malades, et a regardé l'effet sur leur rétablissement. Bilan : nul. Voire même négatif : les malades qui savent qu'on prie pour eux se rétablissent moins bien, stressés par l'idée qu'il ait fallu avoir recours à un groupe de prière pour leur guérison... J'ai vu une interview d'un évangéliste à la TV sur le sujet : il prétend que la prière n'est en fait efficace que lorsqu'elle concerne un proche, que vous aimez sincèrement... Pourquoi pas ?
  • Université : Pierre-André Chiappori a complété son billet sur débat2007.fr . C'est bien plus intéressant, d'autant qu'il reconnaît lui-même avoir été un peu imprécis dans son premier jet...
  • Poisson d'Avril : avant de partir Samedi dernier, j'ai acheté "The Economist" en couverture duquel trônait fièrement un coq tricolore, les yeux bandés. J'ai ainsi appris qu'il fallait un an de prépa pour intégrer l'X ou l'ENS, et que les étudiants de la Fac n'étaient que d'odieux privilégiés, issus des milieux bobos aisés. Bizarre, moi je me souviens avoir enseigné à Jussieu à beaucoup d'étudiants vivants en Seine St Denis, serveurs ou caissier(e)s le soir pour payer leurs études, mais je m'égare.
  • Evolution 3: Un article plus loin sur l'évolution a capté mon regard. Une société, appelée GeneDupe, se propose de modéliser l'évolution de génomes afin de sélectionner des mutations pouvant créer des animaux "merveilleux" (licornes, dragons...), puis compte appliquer le processus in vivo pour commercialiser ces animaux de compagnie originaux. Devant l'impossibilité totale de modéliser à l'heure actuelle un quelconque processus d'évolution ou de morphogénèse, je me gaussais déjà des naifs prêts à investir dans une telle compagnie, lorsque mon regard s'est porté sur la date de parution du journal...

    C'est fini pour aujourd'hui !