Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

30 juillet 2006

L'univers évolué

Lee Smolin dans son essai revient sur cette propriété surprenante -dont j'avais déjà parlé dans un billet précédent- que les paramètres physiques de l'univers (par exemple la charge et la masse des particules) sont "ajustés" de telle façon qu'ils expliquent des propriétés cruciales pour la vie dans notre univers. Autrement dit, un univers "typique" avec des paramètres "typiques" n'aurait jamais pu voir l'apparition de la vie (et serait une espèce de masse homogène d'atomes hydrogènes). Smolin appelle cela "the improbable biofrendliness of the universe and its laws". D'où des interrogations légitimes :
- Comment se fait-il que nous observions un univers avec des paramètres physiques aussi improbables ?
- Comment se fait-il que ces paramètres particuliers ont été choisis ?
La réponse à la première question est immédiate : nous observons un univers improbable car la condition nécessaire pour voir l'apparition d'observateurs est de se trouver dans un univers avec de tels paramètres. C'est ce qu'on appelle le principe anthropique. La réponse à la seconde question est bien plus intéressante et d'après Smolin, quatre réponses sont possibles. La première est que Dieu a créé l'univers ainsi pour y placer l'homme. C'est ce qu'on appelle le principe anthropique fort. L'homme de science ne peut évidemment se satisfaire de cette réponse a priori (sinon nous en serions toujours à l'animisme primitif invoquant un Dieu pour chaque phénomène naturel). La seconde hypothèse est qu'il y aurait une contrainte théorique ou mathématique profonde obligeant les paramètres physiques à prendre certaines valeurs. Hypothèse peu plausible si l'on en croit les théories physiques actuelles ayant en fait pléthore de paramètres libres. La troisième hypothèse est qu'en fait notre univers n'est qu'un élément très très singulier d'une population très très nombreuse de multi-univers. Autrement dit, notre univers ne serait en quelque sorte qu'un atome très atypique dans un espèce de méta-univers, composé de tous les univers possibles et imaginables. La vie ne serait due qu'à un très improbable concours de circonstances, rendu possible uniquement par le fait qu'il y a énormément d'univers existant et que si petite que soit la probabilité d'un univers "biofrendly", la population des univers existants est tellement grande qu'au bout du compte la vie est apparue dans l'un deux. Cette hypothèse est appelée le "principe anthropique faible".
Le gros problème scientifique posé par les principes anthropiques fort et faible est qu'aucune de ces hypothèses n'est ni falsifiable, ni vérifiable car ces principes anthropiques font appel à des éléments extérieurs à notre univers pour expliquer son existence. Autrement dit, les principes anthropiques ne sont pas des principes scientifiques. L'origine de l'univers n'est pas l'objet de la science dans ce cadre...
Alors, la science est-elle battue sur ce coup-là ? Rien n'est moins sûr. Smolin propose une quatrième hypothèse, qui elle, est scientifique car falsifiable. Il propose d'étendre le principe de sélection naturelle aux lois de la physique même. La sélection naturelle repose sur :
- un procédé de reproduction,
- un procédé de mutation,
- un procédé de sélection qui fait que des espaces de paramètres très improbables peuvent être atteints.
Alors quid pour l'univers ? La relativité générale a montré l'existence d'objets singuliers (au sens mathématique du terme), les trous noirs. Si l'on branche maintenant la mécanique quantique, on s'aperçoit que ces singularités ne sont pas absolues, et que des trous noirs peuvent "rebondir" et donner de nouveaux Big-Bang. Ceci nous donne le procédé de reproduction : la théorie nous dit qu'un trou noir peut donner naissance à un nouvel univers, et l'existence de nombreux univers "génétiquement" reliés par des trous noirs est en fait possible.
La physique rend également possible le fait que dans ces nouveaux univers issus de trous noirs, les paramètres soient légèrement modifiés. Nous avons notre procédé de mutation.
Qu'en est-il du procédé de sélection ? Là aussi, la théorie nous apprend beaucoup. En fait, le nombre de trous noirs d'un univers dépend grandement des paramètres physiques de cet univers. Un trou noir typique naît de l'effondrement gravitationnel d'une étoile, et les univers "fertiles" en trous noirs sont les univers où la gravité est ajustée pour que les étoiles se forment et s'effondrent. Or, il se trouve que les univers typiques fertiles en trous noirs sont des univers très particuliers, où par exemple carbone et oxygène peuvent se former (je pense que cela vient du fait que la nucléosynthèse primordiale a lieu effectivement au coeur des étoiles, et que les éléments ne sont justement libérés que lors des explosions des supernovae). Autrement dit, un univers riche en trous noirs sera typiquement un univers où la vie a de plus grandes chances d'apparaître. Comme la "fertilité" d'un univers est directement liée au nombre de ses trous noirs, on voit donc que les univers évoluent naturellement par ce processus de sélection vers des univers "biofrendly". L'apparition de la vie devient alors beaucoup plus probable.
Alors, cette hypothèse est-elle falsifiable ? Smolin prétend que oui. Par exemple, il y a une masse critique pour laquelle les supernovae donnent des trous noirs. Ce seuil doit être aussi bas que possible pour donner le maximum de trous noirs, mais s'il descend trop bas, la nucléosynthèse primordiale devient impossible et les supernovae ne peuvent apparaître. Autrement dit, cette théorie de l'évolution des univers prédit la valeur optimale de certains paramètres, et est donc falsifiable. Le problème de l'origine de l'univers revient dans le giron de la science.
J'ai trouvé cet essai assez intéressant, à la fois pour les idées et la démarche. Je trouve très sain d'essayer de trouver de véritables explications scientifiques pour l'origine de l'Univers. Quant aux idées, impossible pour moi de juger...

Morale, religion, et évolution

Steven Pinker nous propose un éclairage intéressant sur la confrontation entre religion et science dans un texte intitulé "Evolution and Ethics" . L'une des motivations profondes des mouvements fondamentalistes chrétiens est en effet de combattre la science, pernicieuse corruptrice de la Morale . Leur credo parle de lui-même :
" If you teach children that they are animals, they will behave like animals. "

En fait, il est courant d'entendre que seule la religion est porteuse de valeurs morales, dans le sens où l'athéisme, abandonnant de fait la référence à une autorité extérieure pourvoyeuse de règles et de limites, mine les bases de la Morale - à titre d'exemple, Sarkozy utilisa de tels arguments pour préconiser l'enseignement des religions dans le cadre de l'Ecole publique. Autrement dit, pas de sur-moi collectif sans Dieu. Pinker s'efforce tout d'abord de combattre cette idée en soulignant, de façon assez convenue mais néanmoins bienvenue, la récurrence des divers massacres et comportements "immoraux" perpétrés au nom de la religion. Détail cocasse pour l'impie ignorant de toute théologie que je suis, il cite comme exemple premier de comportement objectivement immoral Abraham, prêt à sacrifier son fils sur ordre divin. Pinker en conclut que religion et moralité, sans s'exclure mutuellement, ne font pas toujours très bon ménage (voir aussi plus récemment et plus légèrement via Phersu la polémique lancée par notre député Christian Vanneste).

La morale ne vient donc pas de Dieu. Deux questions se posent alors :
- la morale a-t-elle une origine biologique, et donc, la morale est-elle issue de l'évolution ?
- par ailleurs, la morale existe-t-elle indépendamment de l'homme ? Est-il possible de "démontrer" au sens scientifique qu'il y a des valeurs morales bonnes dans l'absolu ?
Pinker répond par l'affirmative à ces deux questions. Le sens moral peut apparaître par le processus de sélection naturelle. La raison est assez simple et rejoint l'idée de "sélection de groupe" : que vous soyez un individu ou un gène égoïste, aide et coopération sont en général plus efficaces qu'individualisme forcené; une population d'altruistes fait en général mieux qu'une population de truqueurs. Pinker cite plusieurs exemples : ainsi un gène hypothétique codant un comportement d'amour pour ses proches ou ses enfants a toutes les chances d'être sélectionné par l'évolution car cet amour favorise la coopération et l'entraide dans la famille et donc augmente la probabilité de transmission à la génération suivante. Le sens "moral" prescrit également colère et mépris à l'égard des tricheurs et parasites qui refusent de coopérer et agissent immoralement.
Pinker continue ensuite sur ce constat que la morale et son corollaire, la coopération, semblent a priori plus efficaces. Ceci signifierait donc qu'il y a a priori un sens du bien et du mal "absolus", une logique intrinsèque de la morale. Dans ce cadre, le "bien" est ce qui contribue à la survie de la société, le "mal" est ce qui détruit les liens entre les individus. D'après Pinker, à partir du moment où apparaissent des prescriptions "morales" pour la vie en société, ces principes se réduisent alors à quelques règles qui peuvent s'énoncer de façon absolue, indépendamment de toute culture, de toute école de pensée, de toute espèce vivante. Pinker appelle ces principes "Règle d'Or", énoncée par de nombreux philosophes sous de formes différentes, depuis Kant et son "impératif catégorique" jusque Rawls et son "voile d'ignorance". La règle simple, le ciment de la société, est la considération de l'autre comme un autre soi-même, et c'est d'après Pinker la base de la morale, indépendante de la religion et dont l'apparition est explicable par la sélection naturelle.

Cet essai m'a semblé intéressant dans la mesure où il contredit avec pertinence à mon avis les raisons idéologiques profondes qui poussent les leaders du mouvement de l'ID. Les arguments sur l'évolution de la morale me semblent relativement convaincants, en revanche, je ne suis pas totalement convaincu par l'existence d'une morale absolue. A noter sur le même sujet un livre récent The Language of God (Free Press, 2006), de Francis Collins, scientifique et chrétien fervent, directeur du National Human Genome Research Institute, qui lui au contraire affirme que la sélection naturelle ne peut expliquer l'apparition de la morale et que seul Dieu peut insuffler le sens moral dans l'homme. Je n'ai pas lu le livre, donc ne peux critiquer, mais je suis a priori en désaccord : d'un point de vue purement scientifique, il me paraît a priori dangereux et injustifié de prétendre que la science ne peut expliquer l'existence et l'apparition de certains traits.

Intelligent thought


C'est le titre d'un recueil de 16 essais de scientifiques éminents proposant leur propre vision de la "controverse" non-scientifique entre théorie de l'évolution et Intelligent Design.

Le recueil est passionnant, trois textes m'ont particulièrement plu et je vous propose une mini-série de trois billets en guise de commentaires.

21 juillet 2006

Galilée, reviens, ils sont devenus fous !

Une séquence de "Qui veut gagner des millions ?" : Qu'est-ce qui gravite autour de la Terre ?

L'année où j'ai passé le Bac, c'était plus ou moins une des questions "faciles" de l'épreuve de physique (si je me souviens bien, la question exacte était la définition et la justification de l'utilisation du référentiel géostationnaire géocentrique).
Le vote du public est tout simplement atterrant et très inquiétant. L'inculture scientifique du public pose de vrais problèmes aujourd'hui. Comment voulez-vous débattre sereinement des OGM, des cellules souches, du nucléaire, des nanotechnologies quand 52 % du public de TF1 pense que le Soleil tourne autour de la Terre ? C'est la porte ouverte aux manipulations par des charlatans ou par des intérêts financiers, c'est la résignation devant l'avènement d'une société d'experts, d'une aristocratie.
Alors, que peut-on faire pour y remédier ? J'ai commencé plus haut en parlant d'une question du Bac pour bien souligner que c'est tout à fait le genre de choses dont on nous rebat les oreilles tout au long de notre éducation, et que c'est typiquement une question "éliminatoire" (le candidat incapable de définir correctement le référentiel géostationnaire a peu de chances de réussir une épreuve de physique). Autrement dit, et après l'expérience de trois années d'enseignement en Deug, je pense qu'il est probable qu'après cinq minutes de réflexion, les 80 % de bacheliers ne se seraient pas fait avoir par ce genre de question (je suis peut-être un peu optimiste), et je crois que l'Education Nationale fait son boulot de ce point de vue-là (étant moi-même un pur produit de l'école française, dans tous les sens du terme, je prêche un peu pour ma paroisse :) ). Donc, à mon avis, le problème ne vient pas de l'école. Probablement est-ce d'avantage un problème de société... Qu'en pensez vous ?
C'était mon coup de gueule du matin, je retourne travailler...

20 juillet 2006

Centième billet

Tout est dans le titre. L'occasion pour moi de vous informer que ce blog risque de continuer son hibernation prolongée jusqu'au mois de Septembre, pour cause de déplacements professionnels successifs (l'été, le chercheur se mue en globe-trotter) et de trop courtes vacances. Jetez-y néanmoins un petit coup d'oeil de temps en temps, je pense y poster quelques billets - j'ai du grain à moudre en ce moment, mais trop peu de temps... Bon été !

14 juillet 2006

Scrogneugneu...

Juste un petit billet pour passer ma mauvaise humeur... Je viens de passer ma matinée à faire un beau programme Matlab, et souhaite tout compresser dans un fichier .zip. Je consulte donc les pages du manuel et tombe sur ça :

When given the name of an existing zip archive, zip will replace iden-
tically named entries in the zip archive or add entries for new names.
For example, if foo.zip exists and contains foo/file1 and foo/file2,
and the directory foo contains the files foo/file1 and foo/file3, then:

zip -r foo foo

will replace foo/file1 in foo.zip and add foo/file3 to foo.zip. After
this, foo.zip contains foo/file1, foo/file2, and foo/file3, with
foo/file2 unchanged from before.


Franchement, il fallait oser donner le même nom au fichier, au répertoire et à l'archive. Dans le genre peu clair... Les pages de manuel, c'est toujours comme ça et c'est vraiment nul. Des fois, j'en ai marre des geeks. Vivement que je m'achète un mac.
C'était la minute mauvais poil, je retourne bosser.

13 juillet 2006

Fier comme un crapaud


L'une des hypothèses les plus discutées en biologie évolutive est l'existence de "bons gènes". L'idée est relativement simple : imaginez que vous soyez une femelle d'une espèce quelconque. Votre but dans la vie est bien sûr de vous reproduire et de transmettre vos gènes. Pour cela, il s'agit de ne pas choisir n'importe quel amant : on ne sait jamais sur quel mauvais gène on peut tomber, et votre progéniture prend alors le risque de se faire dépasser par la concurrence ou dévorer par un quelconque prédateur. Or, le gros problème est que la femelle lambda ne peut pas savoir a priori si le séduisant et attirant mâle qu'elle convoite n'est pas en fait un frimeur bien incapable de fournir des gènes de qualité. L'évolution a alors peut-être favorisé l'apparition de certains gènes spécifiques, appelés "bons gènes", permettant aux femelles de séparer le bon grain de l'ivraie. Ces gènes, tout en assurant une survie plus importante aux individus qui les portent, peuvent provoquer, de façon totalement annexe, le développement plus important d'organes ou de compétences précises, visibles de tous, et donc indicateurs fiables de la qualité génétique. Par exemple, on peut imaginer qu'un gène rendant plus fort physiquement ou plus résistant à une maladie aura comme effet annexe de changer la pigmentation du pelage. La femelle peut alors repérer d'un seul coup d'oeil le mâle porteur de ce gène et donner à sa descendance de meilleures chances dans la vie. L'exemple "canonique" est bien évidemment le paon : on peut penser que les animaux ayant la plus belle queue sont ceux dont le métabolisme est le plus équilibré, les moins atteints de maladie, et donc les plus à même de survivre.
Evidemment, cette hypothèse est assez difficile à prouver. Welch et al. (Science 280, p 1928, 1998) se sont attelés à la tâche et ont étudié sur le terrain une population de crapauds. Les messieurs Hyla versicolor ont la particularité de séduire leurs belles par des coassements langoureux. Les femelles crapauds craquent alors littéralement devant un long cri d'amour passionné. Seulement, tous les crapauds n'ont pas exactement la même capacité physique, et on peut donc penser qu'un long cri est caractéristique d'une force physique hors norme, pouvant alors se transmettre à la descendance. Welch et al. ont alors capturé différents coasseurs et regardé s'il y avait corrélation entre la longueur des cris des crapauds et la vigueur de leur descendance (longueur du stade larvaire, taux de survie des larves, taux de croissance des larves...). Et il apparaît bien que les longs coasseurs ont des enfants globalement en meilleur santé, confirmant l'hypothèse du "bon gène" dans ce cas... Ah, l'amour...

Référence de la photo : cliquez ici

Big brother

Comme tout blogueur qui se respecte, j'ai installé un petit compteur en bas à gauche de cette page qui me permet d'avoir quelques statistiques sur le nombre de visiteurs, leur provenance et leurs intérêts sur cette page. Très rudimentaire, mais instructif.
Ainsi, comme vous avez pu le constater, je viens de dépasser le millième visiteur sur ce blog (je soupçonne d'ailleurs ce millième visiteur d'être ma maman ! merci maman !). Par ailleurs, je n'ai jamais eu autant de visites depuis que je me suis mis à parler de la coupe du monde (faisant un bond de 50 % dans la fréquentation journalière !). A quoi cela sert-il donc de faire un blog scientifique ? :)
Plus sérieusement, les requêtes google arrivant sur mon site sont des plus étonnantes. En fait, la plus grande partie des visiteurs occasionnels ont tapé "cosanguinité" sous google et sont donc arrivés sur ce billet où je décris brièvement le modèle de Wright-Fisher - manque de pot, c'est probablement le billet le plus long et le plus technique de ce blog, autant dire qu'ils ne reviendront pas ! A propos de technique, malgré mes efforts, je ne trouve pas mon explication de la somitogenèse très claire, je la reprendrai peut-être un jour...
Mais le plus étonnant est que depuis quelques jours, je suis sous haute surveillance... Mes quelques billets sur l'intelligent design ont apparemment attiré l'oeil des services secrets américains (ou de l'un de leurs employés). Mystérieux lecteur du "DeptHomelandSecurity" ou de l'"U.s. Immigration And Naturalization Service", bienvenue ! Voir de tels noms de domaines connectés mon blog est très amusant, non ? Toujours est-il que j'ai parfois moi aussi l'impression d'être sous surveillance du coup ! L'occasion pour moi de vous proposer, chers lecteurs, dans les commentaires de ce billet et avant l'été, de vous laisser quartier libre et de me donner votre avis sur ce blog, ses thématiques, l'Amérique, la France, la pluie, le beau temps ...

10 juillet 2006

Berlin 2006...

Dernier billet sur la coupe du monde avant de revenir aux choses sérieuses...
La finale d'hier a été grandiose. Sur le plan du jeu comme celui du scénario. Le KO d'Henry au bout de cinq minutes. La panenka de Zidane. Le but italien suivi d'une transversale. La première mi-temps joueuse et italienne. L'archi-domination française au retour des vestiaires. La blessure de Vieira. La blessure de Zidane qui demande à sortir. Zidane qui reste sur la pelouse, le bras ballant, en souffrance mais sous adrénaline. Buffon qui l'empêche pour quelques centimètres de marquer son quatrième but en finale de coupe du monde, qui aurait fait de Zidane le deuxième plus grand joueur de foot de tous les temps, en terme de palmarès et d'influence sur l'équipe. Le même Zidane qui perd la tête et met un coup de boule horrible 5 minutes plus tard à Materazzi le buteur. L'expulsion méritée et les sifflets. Les missiles des Italiens dans la lucarne au moment des tirs aux buts qu'il désiraient et qu'ils avaient manifestement bien préparés. L'échec de Trézéguet, héros de la précédente finale France-Italie... La défaite...


Que dire ? Bravo l'Italie, qui mérite sa coupe, après une demi-finale et une finale au couteau. Mais l'équipe de France était à mon avis la meilleure équipe du tournoi (avec trois matches extraordinaires contre l'Espagne, le Brésil et l'Italie). Sauf qu'on ne peut pas gagner une coupe du monde sans capitaine. Zidane est un vrai personnage de légende (malheureusement pas tout à fait comme on l' attendait). Mystérieux, capable du meilleur comme du pire. Revenu en équipe de France au coeur de l'été après avoir entendu des voix surnaturelles, il a permis aux Bleus de se qualifier et a mené la France jusqu'en finale, réalisant au passage un match extraordinaire contre le Brésil. Sa finale fut incroyable, avec son pénalty en forme de panenka, folie des folies en finale de coupe du monde, quelques passes de génies, une tête pure qui prenait la direction de la lucarne et un coup de sang terrible pour finir sa carrière. Cette transition de la lumière à l'ombre, quel tragique ! Zidane, c'est Achille, surpuissant, dominateur, capable à lui seul de faire tourner le sort, mais tout aussi faible, aveuglé par la jalousie et la colère, à deux doigts de trucider Agamemnon sans l'intervention d'Athéna, revenant finalement après sa retraite en forme de caprice sur le champ de bataille et choisissant une sortie en forme de suicide... Malheureusement, la rusée Athéna était italienne, et Zidane n'est pas un demi-dieu, juste un footballeur, capable de faiblesses et d'actes gravissimes lorsqu'il est mis sous pression et soumis à des violences physiques (épaule détruite par Cannavaro, tacles très appuyés) et verbales (vivement qu'on sache ce qu'a vraiment dit Materazzi !). Le héros tragique de cette coupe du monde était bien Zidane, celui de la guerre de Troie, Achille, et tous deux sont en enfer à l'issue de la lutte.

ZZ a fait la une du New York Times ce matin. Toute l'université ne parle que de ça. De charmantes blagues commencent à circuler, dans une bonne veine bien anti-française : "c'est vrai qu'en France on apprend à mettre des coups de boule à l'école primaire? (sourire narquois de l'interlocuteur) ". Côté américain (type je regarde le soccer une fois tous les quatre ans), la condamnation est sans appel : "what a nasty player". Côté européen/sud-américain, c'est un peu différent. On parle aussi de Materazzi à la sulfureuse réputation (élégamment surnommé le "boucher"). On disserte longuement sur le thème : Zidane est-il pire que Maradona ? On s'effraie de lire certains commentaires sur le web, réduisant Zidane à ses origines et faisant le parallèle avec les émeutes en banlieue. Tout cela est bien triste...

Pour clore la parenthèse footeuse et supportrice des Bleus sur ce blog, je fais mienne la conclusion de ce très bon article des cahiers du football :


"Nous voilà donc avec une bonne vieille envie de chialer qu'on fait mine d'ignorer au fond de soi. On y trouve, un peu mêlé, le plus petit chagrin de la fin d'une belle Coupe du monde. Avant de mieux mesurer le chemin parcouru par ce groupe, il va falloir se laisser imprégner par la déception, en boire le calice jusqu'à la lie, revoir l'image de Thuram en larmes – lui le plus sage, le plus détaché, celui qui ne croyait plus en l'équipe de France... Si lui pleure, rien ne nous en empêche plus."

05 juillet 2006

On est en finale !

Ante scriptum : désolé pour le "on", j'aurais dû dire "ils", mais c'est l'enthousiasme du moment !


Demi-finale tendue, comme souvent. Les Bleus (enfin les Blancs depuis les huitièmes, à mon avis il y a un peu de superstition là-dessous) ont été manifestement à la fois crispés par l'enjeu et par la perspective des suspensions pour la finale. Mais ils ont tenu la marque, c'est tout ce qu'on leur demandait ! Paradoxalement, je pense que l'équipe avait besoin d'un match au couteau comme ça avant la finale. On est maintenant à peu près sûrs qu'ils ne céderont pas à l'euphorie. Espérons que le physique revienne d'ici dimanche soir...

A l'université, la tension était palpable pendant le match, et l'assemblée (majoritairement pro France) frémissait à la moindre incursion portugaise. Mais tout comme le Brésil, on ne sentait pas le Portugal capable revenir après le pénalty de Zizou. Le méritait-il seulement après le festival de plongeons de leurs attaquants dans la surface ?

Maintenant, l'Italie nous attend... Après ces demi-finales, la France n'est clairement pas favorite, et l'Italie apparaît comme un dernier obstacle redoutable. Pour la première fois depuis le début de la Coupe du Monde, je dois avouer que je ne suis pas très optimiste... Mais si Domenech l'astrologue consulte les astres, il doit bien constater que tous les voyants sont au vert ! Comme il l'avait prédit, les Bleus seront sur le terrain le 9 juillet. De plus, les tendances lourdes dans les confrontations directes en compétition ont été toutes confirmées : ni l'Espagne, ni le Portugal, ni le Brésil sans Pelé ne sont capables de battres les Bleus. Ces demi-finales ont par ailleurs été un remake presque parfait de l'Euro 2000, avec une élimination du pays organisateur par l'Italie et un France-Portugal qui se joue sur un pénalty de Zidane. L'Italie n'a plus gagné contre la France depuis 78, paraît-il. Il ne manquerait plus que Trézéguet donne la victoire dimanche à la France...

Dans tous les cas, la génération Barthez-Thuram-Zidane terminera donc sa carrière en finale de coupe du monde. Il suffit de voir les larmes de Thuram, le "malgré lui" de la sélection française, pour comprendre à quel point c'est merveilleux pour eux. La génération dorée du foot français pourra prendre sa retraite avec le sentiment du devoir accompli dimanche soir. Avec, dans la besace, une deuxième étoile ?

Allez les Bleus !!

04 juillet 2006

Lecture : Wonderful Life/ La vie est belle !


Feu Stephen Jay Gould était un paléontologiste assez connu du grand public pour ses talents de vulgarisation. Dans ce livre assez dense, il nous raconte l'aventure scientifique des fossiles des "Schistes de Burgess" (Burgess shale en anglais), et propose une vision pour le moins contingente de l'évolution - ce qui lui vaut une haine tenace de mes amis les ID.

Il y a plus de 500 millions d'années s'est produit une explosion évolutionnaire, baptisée "explosion cambrienne". En quelques dizaines de millions d'années, la vie animale se complexifie considérablement et passe du stade bactérien au stade multicellulaire, avec organes et donc gènes hyper-spécialisés (Urbilateria est apparu à peu près à cette époque). Un demi-milliard d'années s'écoule. Au début du siècle, Charles Walcott mène une expédition dans les montagnes de Burgess au Canada et met à jour plusieurs de dizaines de milliers de fossiles datant de cette époque. La faune est très variée et florissante, et représente une étape déjà avancée de cette poussée évolutive. A première vue, ces fossiles ressemblent beaucoup aux animaux actuels (notamment les arthropodes) et Walcott conclut qu'on a en fait retrouvé ici les ancêtres de tous les animaux modernes.

Les fossiles sont ensuite entreposés sagement dans les tiroirs du Smithonian Institute et dorment pendant près de 60 ans... Dans le même temps, les fouilles continuent sur le site de Burgess, et de nouvelles espèces sont découvertes. Harry Whittington et deux de ses étudiants, Simon Conway Morris et Derek Briggs réexaminent alors les travaux de Whittington ainsi que les fossiles déjà exhumés avec des méthodes plus modernes. A leur grande surprise, ils découvrent alors que les plans d'organisation de la plupart de ces fossiles ne collent pas du tout avec les plans d'organisation modernes. Leurs découvertes sont étonnantes : ils exhument des tiroirs du Smithonian (!) des êtres de cauchemar, cousins très éloignés des animaux actuels, ayant des structures totalement originales et inconnues aujourd'hui, à l'image d'Hallucigenia le bien nommé (illustration), sorte de ver hérissé de piquants aux tentacules informes.

C'est une véritable révolution épistémologique, contée ici par Gould : les fossiles de Burgess montrent clairement que tous les plans d'organisation des animaux modernes (par exemple le nombre de segments, le nombres de pattes, d'yeux) ont été extraordinairement plus variables dans le passé. La sélection naturelle (ou la dérive génétique) a ensuite éliminé la plus grande partie des animaux de cette époque pour ne conserver que les ancêtres des animaux actuels. La vision de l'évolution s'en trouve bouleversée : si les choses avaient été un peu différentes, nous aurions tous pu avoir cinq yeux et trois bras. Oubliez définitivement l'image de l'homme comme sommet du vivant, il n'y a ni progrès, ni chemin prétracé, ni événement remarquable donnant un avantage évolutif définitif : l'évolution n'est qu'une sorte de roulette russe, décimant les espèces totalement aléatoirement et diversifiant les survivants qui peuvent alors occuper les niches écologiques vidées par les extinctions successives...

Ce livre de vulgarisation est tout à fait passionnant : l'aventure scientifique est merveilleusement contée, Gould nous fait parfaitement comprendre les tenants et les aboutissants scientifiques (avec humour qui plus est) et nous livre ses réflexions sur l'évolution. Vous apprendrez par exemple pourquoi l'homme et le cheval sont en fait des culs-de-sac évolutionnaires !


Source de l'image : Smithonian institute

03 juillet 2006

Interférences destructives...

Dur dur de travailler en ce moment. Entre la coupe du monde de foot, et le week-end prolongé du 4 juillet, mes collègues comme mon esprit sont ailleurs ! D'ailleurs, je déplore vraiment ces "vacances" forcées : la matinée aurait été belle après cette victoire extraordinaire contre le Brésil, mais personne n'est là. Car depuis l'entrée dans la phase éliminatoire, ça chambre sérieusement dans les couloirs de l'université. Après le but espagnol en huitièmes, un papy (vraisemblablement d'Amérique du Sud) est venu dans le coin de supporters français nous demander si c'était Zidane ou son grand-père qui jouait. Malheureusement, il n'a pas pu rester à la fin du match, contrairement à un professeur argentin (donc amateur de foot) qui n'aime pas beaucoup la France et qui est arrivé à la 80ième minute de France-Espagne, pensant assister à une fin de match 100% ibérique... Il n'a pas été déçu.

En tous cas, cette coupe du monde permet de mesurer la popularité (bien basse) de la France. Ainsi, un post-doc suisse m'a dit souhaiter la défaite de la France car celle-ci était incapable de se réformer économiquement ! C'était une remarque mi-ironique, mi-sérieuse, mais qui en dit long sur notre image ici... Les collègues sud-américains, qui m'avaient déjà fait subir quelques déjeuners plein de "French bashing", font la tronche depuis quelques jours (terrible défaite de l'Argentine aux tirs aux buts...), et ne vont certainement pas nous aimer davantage... Heureusement pour nous, d'autres collègues, particulièrement les Allemands, sont au contraire très enthousiastes et nous félicitent après chacune des victoires des Bleus ! France-Allemagne en finale, ce serait sympa, et c'était ma finale rêvée comme le prouve le troisième billet de ce blog !

Sinon, si la victoire des Bleus a provoqué la joie des supporters en France, ici, la communauté est restée bien discrète. Il faut dire que la majorité de la population locale était pour le Brésil : les drapeaux auriverde fleurissaient dans les rues avant le quart de finale. Mais hier soir, la samba était en berne, et le concert brésilien organisé dans Central Park avait des accents bien tristes. J'ai regardé le match chez moi, en famille, sur la télé hispanique (une étrangeté cette télé : une chaîne typiquement américaine, avec des pubs américaines, des émissions à l'américaine, mais en Espagnol). Le légendaire José Luis Chilavert était consultant pour ce match (et a plus grossi que Platini). Très vite, les commentateurs ont senti quel était le sens du vent, ont loué les prouesses de Zidane et la domination française, ont même suggéré qu'il y avait en fait penalty sur la main de Ronaldo consécutif au coup-franc en fin de première mi-temps (et de fait, il semble qu'ils avaient raison, mais ce n'est plus très grave). Pendant la majeure partie du match, j'ai craint que la France ne parvienne pas à concrétiser sa domination évidente. Heureusement, ce fameux but est venu, et j'ai dû faire trembler tout l'immeuble en criant (je n'avais pas crié comme ça sur un but depuis le coup franc de Zidane contre l'Angleterre à la 92e minute à l'Euro 2004). La fin du match a été tranquille : on sentait que les Brésiliens ne parviendraient pas à revenir... Je réalise également pendant cette coupe du monde l'un des (rares) avantages à regarder les matches sur TF1. Certes, il faut subir les commentaires absurdes de Larqué et consorts, mais leurs retransmissions rendent très bien l'ambiance du stade. J'ai regardé de nouveau le but de Henry sur internet avec la bande-son de TF1, et on entend parfaitement les réactions des supporters, les "Allez les Bleus" qui se transforment en cris de joie sur le but. J'ai la chance de voir les matches (même si je crains maintenant de ne pas pouvoir voir la finale), la cerise sur le gâteau aurait été aussi de les entendre !

En attendant, je savoure (un peu à distance, mais beaucoup par internet :) ) la joie footballistique (simple, éphémère et tout à fait futile) de voir mon équipe favorite bien jouer et être en demies, après l'avoir soutenue contre vents et marées depuis longtemps et avoir subi les sarcasmes et avanies des amateurs de foot de mauvaise foi ou peu éclairés (quelques exemples ici, ... le mieux est cet article tout à fait saisissant et anti-prémonitoire du Guardian avant France-Togo...). Je comprends mieux les supporters de foot historiques, allant soutenir leur équipe au fond du trou, en deuxième ou troisième division : l'histoire est tellement plus belle quand elle a très mal commencé, et qu'on y a toujours cru depuis le début... Encore une fois contre le Portugal, allez les Bleus !