Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

26 décembre 2006

HS : Noël, Chanoukah et tutti quanti...

Ah les vacances de Noël... Le meilleur moment de l'année, assurément ! J'ai beaucoup regretté l'an dernier de passer Noël à New York, je me rattrappe bien cette année :P
En attendant, je suis très surpris de constater que la polémique a traversé l'Atlantique et que cette année on discute beaucoup en France sur le caractère chrétien de Noël, pouvant être "choquant" pour les autres religions (voir par exemple ici, ou encore la question du jour sur le site du monde). La surprise pour moi est d'autant plus grande que la France est un pays beaucoup plus laïcisé, où nombreux sont les non-chrétiens qui fêtent Noël, et où la plupart des gens savent que Noël est essentiellement une récupération de mythes païens (et est en fait en train de le redevenir d'une certaine manière). Aux Etats-Unis (pays beaucoup plus attaché à la religion) l'an dernier à la même époque, le très PC "happy holidays" concluait la plupart des conversations/échanges par mails. Cette année, paradoxalement, la "tradition" a complètement repris le dessus. Les mêmes qui insistaient beaucoup sur le "Happy Holiday" l'an dernier ont repris un classique "Merry Christmas" cette année, y compris dans certains magasins. Je prédis donc que cette polémique un peu pourrie ne survivra pas à l'année 2006 !
Allez, je retourne dans mon silence et prépare quelques billets pour 2007...
Edit 11h33 : voir aussi ce billet de Ceteris Paribus sur le même sujet... Billet intéressant, car j'ai vraiment vu une différence dans la vie quotidienne aux US entre l'an dernier et cette année, preuve que la "guerre contre Noël" qu'il décrit avait vraiment porté ses fruits.

20 décembre 2006

Dernier arrêt avant 2007

Je prends l'avion ce soir pour passer les fêtes en France. Ceci sera donc mon dernier billet de l'année 2006.
J'aurais aimé parler de beaucoup de choses ces temps derniers. Malheureusement, ma nouvelle connexion internet par le câble est très souffreteuse et ne me permet pas de poster dans des conditions convenables.

Je voulais parler de cette sordide affaire des infirmières condamnées à mort en Lybie; heureusement d'aucuns bien plus influents font cela beaucoup mieux que moi. A l'heure où les citoyens du Net sont élus personnalités de l'année par Time Magazine, peut-on vraiment faire quelque chose ? Malheureusement, j'en doute très fortement.

J'aurais pu aussi évoquer l'interview de François Goulard sur Inter hier, qui a dit des choses vraies (comme le fait que les maths et la physique théorique se portent plutôt bien en France ou qu'il y a un problème d'intégration des chercheurs dans le privé), des choses fausses (comme le fait que les chercheurs aux Etats-Unis travaillent tous sur des CDD de cinq ans et ne deviennent jamais permanents; c'est étonnant de voir comment les gens affirment que la réalité collent à leurs préjugés, c'est étonnant de constater qu'un ministre n'ait même pas de gens autour de lui pour le lui signaler, et pour tout dire, c'est effrayant quand on sait le remue-ménage qu'il y a autour de la recherche en ce moment), des choses qu'il estime positive alors qu'elles ne le sont peut-être pas autant (comme le fait que le CNRS recrute beaucoup d'étrangers, je développerai peut-être dans un prochain billet ce que j'entends par là).

J'aurais aimé faire des billets un peu plus fouillés scientifiquement ces derniers temps, mais je fais trop peu de biblio ces temps-ci. On verra à la rentrée !
Joyeux Noël à tous ! (ou plutôt Happy Holidays ! comme on dit ici... ;) )

17 décembre 2006

Classique : L'évolution des cascades biochimiques

Ante scriptum : un certain nombre de papiers classiques sont assez mal connus bien que les concepts introduits soient à la fois intéressants et très actuels. Je me propose donc de commencer une nouvelle thématique pour évoquer certains de ces papiers novateurs, si possible à la lumière des débats scientifiques actuellement sur la place publique.

L'un des arguments souvent utilisés par les adversaires de l'évolution darwinienne pourrait s'intituler "le tout contre les parties" (ou la complexité irréductible dans le jargon de l'Intelligent Design). L'idée générale est que certains processus biochimiques précis ne semblent pas pouvoir être sélectionnés par l'évolution, car toute modification/mutation dans le processus ruinerait totalement la fonction du processus considéré. Dans ce cadre, toute innovation évolutive est impossible, puisque la "dernière" étape dans l'évolution se ferait à partir d'un processus non fonctionnel, mais néanmoins complexe, donc statistiquement très improbable : on ne voit pas pourquoi l'évolution aurait construit un tel réseau "presque" fonctionnel, sans avoir le moindre indice sur sa fonction future.

Un des exemples classiques est la cascade biochimique. Dans de très nombreux processus, une espèce chimique est synthétisée à partir d'une cascade (du genre A transformé en B transformé en C transformé en P, chaque réaction catalysée par une enzyme donnée). Pour produire P, toute la cascade est donc nécessaire : mutez l'enzyme associée à A ou B et toute la cascade s'effondre, P n'est pas produit et l'organisme meurt. Ce serait donc un exemple a priori du "tout contre les parties" : seule la cascade entière fait sens, les éléments pris individuellement n'ont aucun rôle par eux-mêmes.

En 1945, Horowitz a proposé une explication plausible pour l'évolution d'une telle cascade. Sa proposition repose sur le fait que la "fitness" de l'organisme dépend de son environnement. Ainsi, imaginons que P soit très abondant dans la soupe primordiale. Les premiers organismes, ayant besoin de P, n'avaient qu'à se servir et n'avaient aucune raison d'avoir une telle cascade. Seulement, P étant consommé par ces organismes voyait sa concentration diminuer dans l'environnement, par ailleurs riche en autres composants organiques. Imaginons donc qu'un organisme ait trouvé un moyen de transformer une autre métabolite C en P , à l'aide d'une nouvelle enzyme : cet organisme aurait immédiatement été sélectionné. Horowitz propose donc que les cascades biochimiques se sont construites "en commençant par la fin" : d'abord on évolue la dernière étape dans la chaîne, puis l'ingrédient C lui-même venant à manquer, on évolue l'étape B->C, et ainsi de suite. Les processus de transformation biochimiques ont donc évolué grâce à cette rétroaction avec l'environnement : ce sont les modifications de ce dernier, dues à la présence d'organismes vivants, qui changent les fitness des organismes et expliquent l'émergence de la complexité inexplicable dans l'environnement observé aujourd'hui.

Référence

Horowitz, PNAS, 31 (1945)

14 décembre 2006

An Inconvenient Truth

Je viens de voir le film d'Al Gore sur le réchauffement climatique. Très impressionnant !

Le réchauffement climatique s'accompagnera d'une montée des océans, couplée à des migrations de populations majeures. Au delà des problèmes géopolitiques évidents (bien plus menaçants que le terrorisme comme le souligne Al Gore), les conséquences sur la biosphères seront très sévères. En fait, de tels événements ont déjà eu lieu dans le passé et s'accompagnent de bouleversements évolutifs majeurs.

Ainsi, dans un article récent de Nature, van Dam et al. ont étudié la dynamique de différentes espèces de rongeurs sur une période de 22 millions d'années. En observant des fossiles en Espagne (essentiellement des dents j'imagine), ils ont pu étudier la statistique d'extinction et d'apparition de nouvelles espèces au cours du temps. La dynamique d'évolution est très caractéristique : extinction et apparitions sont tout d'abord fortement corrélées. Plus surprenant, la plupart du temps, il y a relativement peu d'évènement d'extinctions ou d'apparitions d'espèces, à l'exception de certaines périodes bien précises durant lesquelles se produit un renouvellement très violent des espèces de rongeurs. L'analyse spectrale montre qu'il y a deux périodes caractéristiques pour ce renouvellement : 2.4 millions d'années et 1 millions d'années. Ces périodes correspondent en fait à des modulations basse fréquence d'un cycle astronomique (apparemment bien connu) : le cycle de Milankovitch.

Ainsi les intervalles d'un million d'années correspondent à un "noeud" du cycle de l'inclinaison de l'axe terrestre durant lequel le climat se refroidit extrêmement rapidement, en 100 à 200 ans ! La calotte glacière s'étend alors, ce qui change complètement le cycle de l'eau, et modifie substantiellement le climat en l'assechant dans le bassin Méditerranéen. Durant ces événements, les populations de rongeurs migrent, se séparent, évoluent et se spécifient. En particulier, les auteurs montrent que durant ces périodes froides, il y a beaucoup moins d'insectivores ou de rongeurs caractéristiques de milieux humides.

Le cycle de 2.4 millions d'années correspond à un minimum d'excentricité, provoquant aussi un refroidissement global. Cependant, le climat est alors plus humide en Méditerranée pour ces minimas d'excentricité, et on observe plus de rongeurs et d'insectivores. van Dam et al. pensent que ces rongeurs correspondent à des populations ayant émigré depuis l'Europe Centrale vers des cieux plus cléments.

Tous ces changements d'environnement, toutes ces migrations sont évidemment un terreau idéal pour l'évolution. Des niches écologiques se libèrent, de nouvelles espèces apparaissent pour les occuper, ce qui explique ces cycles de spéciations/extinctions. Comme le souligne Al Gore, nous voyons d'ores et déjà de nouveaux virus apparaître, des animaux émigrants. Et tôt ou tard, des déplacements de population humaine se produiront. N'oublions pas d'ailleurs que c'est certainement un changement climatique qui a eu la peau de notre cousin Néandertal...


Référence :

Jan A. van Dam et al., Nature 443, 687 - 691 (12 Oct 2006)

PS : j'aime bien aussi l'interprétation "simpsonienne" du réchauffement climatique



PPS : Je me suis permis de mettre le petit script vers le site d'Al Gore dans la colonne de droite... Matthieu nous parle également du réchauffement climatique sur son blog.

13 décembre 2006

Message à caractère informatif

Depuis que le c@fé des sciences est ouvert (en interne d'abord, depuis peu au "public"), je culpabilise un peu devant la qualité et la quantité des billets postés par mes collègues cafetiers. Je lis tellement de choses intéressantes que :

  • je passe beaucoup plus de temps à lire les autres, à élaborer des commentaires avant de tout effacer devant l'inanité de mes raisonnements, si bien que j'ai moins de temps pour blogguer ici

  • je culpabilise à l'idée de parler de choses plus légères. Mon petit délire plein d'équations était peut-être une réaction à cela, une façon de me rassurer en revenant à ma formation initiale. D'ailleurs, cela n'a pas eu beaucoup de succès...

Afin de relâcher la pression, ce petit billet contiendra quasiment uniquement des informations sur moi-même, ma vie, mon oeuvre; bref tout un tas de choses totalement inintéressantes. Sachez donc, chers lecteurs, que :

  • Depuis ce matin j'ai internet chez moi. Après plus d'un an d'attente et d'espoirs déçus, j'ai sauté le pas. Merci Road Runner !

  • J'ai récemment changé d'employeur tout en restant à la même université. Un mic-mac pas possible de mon boss qui a de l'argent ailleurs et voulait me payer dessus. J'ai donc dû me retaper tout un tas de formalités administratives bien embêtantes. J'ai par ailleurs découvert un nouveau trait agaçant chez les Américains : plutôt que de vous aiguiller sur la bonne personne ou reconnaître qu'il ne peut vous renseigner, ou qu'il est débordé, l'employé américain soumis à une requête hors de ses compétences fait le mort. Vous avez beau relancer par mail, venir mettre la pression physiquement, rien à faire : j'ai l'impression que les Américains préfèrent ne rien dire plutôt que reconnaître leur incompétence (qui peut être tout à fait justifiée). Je regrette l'administration des impôts français qui est obligée de vous répondre très gentillement ...

  • Professionnellement je suis débordé. J'essaie de finir quelque chose très vite pour m'éviter une mésaventure de ce type... (en fait, c'est surtout cela qui explique mon rythme de publication assez bas ces temps-ci)

  • J'ai lu dans Nature qu'amazon vendait du temps de calcul ! Ils ont des serveurs tellement puissant qu'ils ont décidé de fournir des "machines virtuelles" permettant de faire tourner de vraies simulations numériques à très grande échelle. "Virtualization is revolutionary", dixit l'article. Quelqu'un sait-il comment accéder à ce service ? j'ai cherché vainement...




11 décembre 2006

Ecologie, évolution et équation de Boltzmann

Avertissement : Pour la première fois sur ce blog, il y a quelques équations - pas trop compliquées- dans ce billet, mais l'expérience devrait rester rare...

Un article de Shipley, Vile et Garnier récemment paru dans Science ouvre des liens prometteurs entre physique statistique et écologie.

Les modèles “historiques” d'écologie (au sens description de l'évolution de différentes populations) reposent essentiellement sur la donnée des interactions entre les différentes espèces (modèles type prédateur-proie, bien connus pour contenir toute la phénoménologie des systèmes dynamiques...). Evidemment, le nombre d'interactions entre espèces croît comme le carré du nombre d'espèces, ce qui rend la construction d'un modèle général pratiquement impossible.

Shipley et al se sont attaqués au problème en partant de deux constats :

  • dans un écosystème (dans la suite, une “communauté” de plantes), une mesure des différentes contraintes évolutives dans la communauté peut se faire en évaluant une moyenne de certains “traits”. Par exemple, si une modification d'environnement favorise des plantes avec des feuilles plus petites, le trait “taille des feuilles” va diminuer et la proportion des plantes à petites feuilles augmenter. Autrement dit, la mesure d'un trait moyen contient de l'information sur les pressions sélectives et est a priori corrélée à la composition de la communauté.
  • par ailleurs, les différentes espèces présentes dans une communauté doivent se partager des ressources finies.

Autrement dit, on est en présence d'allocations de ressources avec contrainte. Tout à fait typique de la physique statistique !



Les Maths commencent ici


Considérons donc une population de S espèces devant se partager N unités de nourritures. Chaque espèce i disposera de ni unités de nourritures, si bien que le nombre de façons différentes d'allouer cette nourriture est






ou, en utilisant la formule de Stirling dans la limite des grands n





On retrouve la fameuse formule de l'entropie de Shannon (avec pi=ni/N). La configuration la plus probable est celle qui maximise cette entropie ou cette information. Si toutes les espèces sont équivalentes, tous les pi sont égaux et les espèces se répartissent équitablement les ressources, si bien que la population de chaque espèce est identique.

Cependant, dans notre communauté, toutes les espèces ne sont pas équivalentes, si bien que, certaines espèces vont être favorisées. Or, la notion de “trait” précédemment évoqué permet d'évaluer les contraintes sélectives : il s'agit maintenant de maximiser cette entropie, en imposant la contrainte sur les traits typiques de l'environnement observé. La façon classique de faire cela est d'associer à chaque trait un multiplicateur de Lagrange λj; pour chaque trait tj le trait communautaire tj dans l'environnement est fixé, et une espèce i donnée a pour trait tij. On maximise alors la fonctionnelle :





Le résultat général de cette maximisation donne que pi est proportionnel à :






Les Maths s'arrêtent là

En physique statistique “classique”, on maximise l'entropie avec la contrainte que l'énergie est conservée; le multiplicateur de Lagrange est la température (enfin son inverse) et la distribution finale la distribution de Boltzmann-Gibbs. Ici, l'équivalent de l'énergie est un ensemble de traits, l'équivalent de la température est un ensemble de multiplicateurs de Lagrange λj; ce sont les valeurs de ces multiplicateurs qui contraignent les rapports entre populations. Par exemple, si tous ces multiplicateurs étaient nuls, il n'y aurait aucune pression de sélection et toutes les espèces seraient équiprobables. Comme la température en physique, les paramètres λ contrôlent directement les distributions de population.

Bon, trêve de maths : à quoi ça sert ?

Shipley et al. ont étudié la distribution des populations de plantes dans 12 vignobles proches abandonnés en France et mesurés huits traits moyens. Ces vignobles ont été abandonnés à des périodes différentes, si bien que dans chaque vignoble, les traits sont différents car les espèces sauvages ont lentement recolonisé la place. Connaissant les espèces présentes, les traits associés ainsi que les traits moyens, ils peuvent appliquer le raisonnement précédent pour estimer les paramètres λ . Ensuite, ils peuvent retourner aux données pour voir si la distribution de population est effectivement donnée par une équation type Boltzmann-Gibbs. Cela marche dans 94 % des cas et valide l'approche “physique statistique”.

Concrètement, cela signifie donc qu'on comprend comment l'abondance relative d'une espèce dans un environnement dépend de l'écart de ses traits spécifiques par rapport au trait observé dans la communauté. Cela signifie aussi qu'avec ce modèle, il est possible théoriquement de prédire par exemple les changements écologiques induits par l'introduction d'une nouvelle espèce dans un nouvel environnement, ou au contraire, comment les variations dans l'environnement peuvent changer les proportions des différentes espèces les unes par rapport aux autres. Je ne suis pas un spécialiste en écologie, mais cela me paraît assez révolutionnaire.

Référence:

Shipley et al, Science 314, 812 (2006)

Autour d'un bon c@fé


Comme vous le savez sûrement, la salle café est le centre de tout bon labo qui se respecte. Rien de tel qu'une conversation la tasse dans une main, la craie dans l'autre, à expliquer ses résultats, le dernier papier qui vous a plu ou au contraire la dernière instabilité numérique qui vous a gâché le week-end... Sur le web, des liens se sont créés, et des blogs aux préoccupations similaires se regroupent, c'est pourquoi aujourd'hui je vous invite à venir faire un tour sur le c@fé des sciences !
Six blogueurs y participent : Matthieu, Enro, François, Benjamin, le Doc' et moi-même. Chacun y parle de sciences avec sa propre sensibilité et sa propre culture. Je vous laisse les découvrir...

07 décembre 2006

Organisation de la recherche suite

Rapidement, deux articles glanés sur le web en complément de mon billet du 2 décembre :


  • un article du monde d'avant-hier sur le retard pris en Europe sur la recherche et développement qui ne vous a sans doute pas échappé. Extraits allant dans le sens de mon impression de "terrain":

    "La question des effectifs de scientifiques est également préoccupante. Dès 2003, l'Union européenne avait tiré la sonnette d'alarme, en disant qu'il fallait que l'Europe compte 700 000 chercheurs de plus en 2010 pour atteindre les objectifs de Lisbonne. Cet objectif a peu de chance d'être atteint, en raison, essentiellement, du faible taux de chercheurs en entreprise dans les pays de l'Union."


    " (...) les chercheurs bien formés ont encore plus d'opportunités de carrière en dehors de leur pays d'origine. Et pas seulement au sein des pays de l'OCDE. "Après la deuxième guerre mondiale, les chercheurs américains sont venus en nombre dans des laboratoires européens au Max Planck Institute, en Allemagne, ou au CNRS, en France. Maintenant, ils vont de préférence en Asie, en Chine, en particulier, où on leur offre de bonnes conditions pour travailler", explique M. Cervantes. Les chercheurs européens commencent à faire de même.




  • un article de telos-eu sur les discriminations (ethniques) à l'embauche, ce qui n'a a priori rien à voir, mais m'a rappelé quelque chose :





    Première priorité, il faut cesser de stigmatiser l'offre universitaire et réfléchir aux facteurs qui empêchent les entreprises d'améliorer leurs processus de recrutement. Car ce qui diffère entre la France et les Etats-Unis au moment du recrutement d'un jeune n'est pas sa formation fondamentale. Le jeune français n'a généralement pas suivi plus de cours inutiles à l'université (sociologie, anthropologie, psychologie voir cinéma) que son camarade américain. Il a, par contre, généralement devant lui un recruteur dont l'horizon temporel est particulièrement court, c'est-à-dire ne saisissant pas la capacité d'apprentissage de ce premier.



    Pourquoi ce dernier point m'a-t-il interpelé ? Mawashi parlait dans son commentaire de la reconnaissance du statut de docteur. Quoi qu'on en pense, un docteur a fait ses preuves dans sa démarche de recherche et a donc montré sa capacité créatrice et sa capacité à apprendre qui devrait être valorisable et valorisée. Or, le fait que le diplôme de thèse soit une moins-value par rapport au diplôme d'ingénieur prouve que les recruteurs en entreprise voient la thèse comme une formation inutile. Au contraire, les instances de recrutement dans la recherche publique nous demandent de faire encore plus de preuves de ces mêmes capacités (post-doc à rallonge, publications...). Aux Etats-Unis, où un docteur sera recruté en entreprise pour son potentiel, cela n'est pas gênant car il n'y a pas de contradiction entre les deux systèmes, en France où on recrute plutôt sur la nature de la formation en entreprise, les deux systèmes tirent dans des sens différents et l'effet sur la recherche peut être catastrophique à terme.



04 décembre 2006

Misc.

Après un long billet plein de considérations très sérieuses, quelques trucs qui m'ont amusé ces derniers temps sur le web :


  • Jacques Chirac prend la défense du téléthon. Chouette ! Le premier représentant de la puissance publique incite les Français à donner sans souci pour la recherche. Sauf qu'à mon avis c'est à l'Etat d'assurer un financement convenable à ce genre de recherche pour précisément éviter ce genre de lobbying anti-science.

  • La controverse Poincaré/Einstein devant la justice et dans libé ! Il se murmure dans les millieux scientifiques français qu'un jeune et ambitieux Einstein aurait pillé les idées révolutionnaires de notre éminent major de l'X Poincaré depuis son bureau de l'office des Brevets à Berne (voir par exemple un billet d'Allègre). Je pense qu'il faut lire le papier d'Einstein en question, posant les bases de la relativité restreinte (il est notamment reproduit dans un livre dont j'avais parlé il y a très longtemps sur ce blog, les constantes fondamentales de Uzan et Lehoucq). Ce papier est relativement compréhensible avec un niveau de maths post-bac et est tout simplement brillant : son mérite est peut-être précisément d'avoir explicité la vraie physique cachée derrière l'invariance de Lorentz, et c'est à mettre au crédit d'Einstein. Ce dernier est régulièrement accusé de fraudes et de falsifications; par exemple il y a clairement eu des histoires avec Hilbert pour la relativité générale, mon prof de RG prétendait néanmoins que c'était bien Hilbert qui, ayant connaissance des résultats d'Einstein, aurait modifié son article au stade des proofs pour proposer la "bonne" théorie (appellée théorie d'Einstein-Hilbert d'ailleurs). Détail amusant : le procès semble porter sur le sens de "falsifier", considéré comme une insulte en français alors qu'il semble s'agir en fait d'un anglicisme pour "réfuter".

  • via Phersu, le Kansas interdit l'évolution... ;)

02 décembre 2006

Quelques considérations subjectives sur l'organisation de la recherche

On entend beaucoup parler de la "crise" de la recherche française, de la fuite des cerveaux... Bien souvent, j'ai l'impression que la recherche demeure pour la plupart une activité assez mystérieuse. En particulier, l'organisation de la recherche est mal comprise. Je vais donc aujourd'hui un peu marcher sur les plate-bandes d'Enro et essayer de décrire dans ce billet (qui en amènera peut-être d'autres) le système de recherche américain tel que je le vois au quotidien dans mon université, afin de faire quelque comparaisons avec le système de recherche français, et livrer quelques diagnostics, probablement un peu biaisés par mon statut actuel de post-doc. Cette description est subjective et basée sur mon expérience personnelle, toute précision ou commentaire est bienvenue car je peux me tromper. Mon but est simplement d'apporter quelques impressions de terrain pour alimenter le "débat".

Aux Etat-Unis, un labo est une unité quasi-indépendante, dirigé par un seul professeur. En bas de l'échelle : undegrads qui viennent faire des stages de recherche, graduate students qui sont étudiants en thèse. Ensuite, les post-doc qui ont obtenu leur doctorat. Ces trois catégories de chercheurs sont les "petites mains" de la recherche; en gros ce sont eux qui "font le boulot". Ils sont plutôt libres de proposer des idées et d'essayer d'influer les pistes de recherche et restent peu encadrés. La puissance scientifique d'un labo est très corrélée à son nombre d'étudiants et de post-docs; un labo sans petites mains est virtuellement un labo mort. Aux Etats-Unis, il y a foule d'étudiants et de post-docs dans un labo, mais un seul professeur. Le professeur est plus un "manager" scientifique : il impulse et oriente les projets, rédige les papiers et les demandes de fonds. Il met rarement "la main à la pâte" et ne fait en général pas de travail de terrain; il faut dire que trouver de l'argent lui mange déjà près de la moitié de son temps. En contrepartie, il est très bien payé. Il a une charge d'enseignement variant de 0 à une centaine d'heures par an.

En France, un labo est décomposé en sous-groupes. Chaque sous-groupe peut-être composé de plusieurs chercheurs permanents. Première singularité française : il y a deux catégories de chercheurs, les chercheurs "purs" et les enseignants-chercheurs (maître de conférences et professeurs d'universités). Les maîtres de conf ont une grosse charge d'enseignement : 192 h par an. Soit environ 6 h de cours à donner par semaine pendant toute l'année universitaire. D'expérience, en tenant compte de la préparation, de la correction des copies, des réunions... une telle charge d'enseignement occupe au moins deux jours complets par semaine. Cela ampute donc considérablement le temps passé à faire de la recherche. Les chercheurs permanents, eux, font de la recherche à temps plein. Les professeurs sont des chercheurs plus expérimentés, donnant les cours en amphi à l'université avec une charge d'enseignement moindre que les maître de conf.
Tout comme dans les labos américians, post-doc et étudiants sont présents dans les labos. Seconde différence toutefois : mon sentiment est que proportionnellement à la population de chercheurs, il y a beaucoup moins d'étudiants en France comparé à la situation américaine. Les labos qui tournent ont un nombre d'étudiants similaires, mais beaucoup de chercheurs en France n'ont pas ou peu d'étudiants. En fait, les jeunes permanents en France font le boulot dévolu ailleurs aux post-doc plus expérimentés. Ce manque d'étudiants a plusieurs raisons : l'une d'elle est je crois le manque de débouchés des carrières scientifiques en dehors de la recherche. Je viens d'une grande école d'ingénieurs; j'ai clairement le sentiment que ma thèse est une moins-value par rapport à mon diplôme d'ingénieur dans l'hypothèse d'une "reconversion" dans le privé franco-français. Aux Etats-Unis au contraire, avoir un phD ouvre les portes des entreprises, ce qui incite les étudiants à faire des thèses. C'est à mon avis un problème complètement ignoré en France : la force de frappe scientifique étant corrélée au nombre d'étudiants, les Etats-Unis sont assis sur un tas d'or (tous les étudiants veulent faire des thèses) tandis que la France est concrètement en train de tarir la source.

Abordons le thème du recrutement de permanents maintenant. Aux Etats-Unis, après quelques années de post-doc, vous pouvez obtenir une "tenure track" . C'est un CDD de recherche, mais avec des moyens substantiels : vous êtes "Assistant Professor", devez donner quelques cours, mais avez votre propre labo, des fonds de départ, des étudiants. Le recrutement est local : chaque université recrute ses propres chercheurs (et il y a pléthore d'universités, un de mes collègues -pourtant très fine bouche- vient d'envoyer la bagatelle de 60 candidatures rien qu'aux US). Après 5 ans, vous êtes évalués par votre université qui décide alors si vous devenez chercheur permanent ("tenure") ou non. Vous devenez chercheur permanent autour de 35-37 ans donc. En fonction des universités, la probabilité d'avoir votre tenure après une tenure track varie de 20 à 99%...

En France, pour continuer la recherche après la thèse, vous avez en gros deux possibilités dans le public : soit maître de conférence à l'université, soit chercheur dans un organisme. Historiquement, le recrutement se faisait plus jeune qu'aux Etats-Unis : la plupart des chercheurs expérimentés aujourd'hui sont rentrés en gros en fin de thèse. Depuis quelques années, un voire plusieurs post-docs sont indispensables, y compris pour les postes maîtres de conférences (ajoutez donc au minimum 2-3 ans à l'âge en fin de thèse). Le recrutement est local pour les postes maître de conf, national pour le CNRS. D'après ce que j'ai vu l'an dernier, la tendance pour le concours CNRS (initiée par l'annulation de toute limite d'âge pour le concours d'entrée) est semble-t-il un alignement lent voire un dépassement de l'âge de recrutement des tenure tracks. Les fonds de recherche sont alloués d'en haut avec une dotation plus ou moins globale au labo. A charge du directeur de labo d'allouer les fonds entre les différents groupes. Là aussi, la situation est en train de changer avec la création d'agences de moyens type ANR, qui allouent l'argent au cas par cas. Les chercheurs français passent de plus en plus de temps à rédiger des demandes de fonds.

Parlons maintenant un peu "fuite des cerveaux". Un avantage comparatif du système tel qu'il existait était de recruter les gens plutôt jeunes. Aujourd'hui, l'écart entre la fin de thèse et le recrutement semble grandir (par manque de postes, de moyens, par volonté politique ?), le post-doc à l'étranger devient la norme ce qui initie la pompe vers l'extérieur du pays. Comme chaque année écoulée en post-doc plombe une éventuelle carrière hors de la science sans réelle garantie de retour, la plupart des gens que je connais ont fini par opter pour la recherche à l'étranger dès qu'une occasion se présente localement ("un tiens vaut mieux que deux tu l'auras", et paradoxalement, il me semble qu'il est plus facile de trouver une "tenure track" en Amérique plutôt que de rentrer au CNRS, car l'offre de postes est en fait très grande), ou par rentrer dans le privé ... à l'étranger aussi dans la plupart des cas (pour les raisons évoquées plus haut). Contrairement à ce que beaucoup pensent, le salaire n'est à mon avis pas un argument décisif : la plupart des gens ne font pas de la recherche pour l'argent et les docteurs sont en général bien assez intelligents pour réussir dans des carrières lucratives s'ils le souhaitent... En revanche, je ne connais aucun post-doc ou étudiant en thèse français qui ne rentrerait pas en France si on lui proposait un poste de recherche.