Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

27 avril 2007

Lecture : six impossible things before breakfast

Lewis Wolpert s'interroge dans ce livre sur l'origine évolutive de la croyance. Qu'est-ce que "croire" ? Qu'est-ce qui dans l'évolution a pu sélectionner cette faculté de "croire" ?


Selon Wolpert, la croyance si spécifique à l'homme est intimement liée à une faculté spécifique qu'il appelle la "croyance causale" ("causal belief"). Piaget a autrefois montré que les jeunes enfants développent très rapidement cette faculté, qui consiste essentiellement en une compréhension intuitive de la physique : un jeune enfant comprend très vite que le monde est composé d'objet solides qui gardent leur cohésion, que si une balle est mise en mouvement, elle continuera a priori sur sa trajectoire sauf si on l'arrête, que deux objets peuvent interagir uniquement s'ils se touchent. Et oui, nous avons tous en fait une compréhension intuitive de la mécanique galiléenne !

Les animaux ne disposent en revanche pas de ce mécanisme de pensée, sauf rares exceptions. Par exemple Wolpert cite une expérience d'un certain Povinelli. Des chimpanzés devaient utiliser des bâtons pour faire sortir de la nourriture d'un tube. Les bâtons étaient de différentes formes, tailles, textures, et une compréhension basique de la "mécanique" permet de choisir le bon bâton. Les chimpanzés n'arrivent à trouver le bon outil qu'en les essayant tous un à un, au contraire d'enfants qui utilisent leur intuition du monde pour choisir directement le bon bâton. Wolpert cite ainsi plusieurs exemples qui montrent que si les animaux peuvent apprendre par essai/erreur, ils ne disposent pas d'une intuition physique du monde au contraire de jeunes enfants. Wolpert propose que cette intuition du monde est nécessaire et suffisante pour fabriquer des outils complexes : pour concevoir un outil, il faut en effet se projeter dans l'avenir, imaginer en amont comment les différentes pièces vont s'assembler pour former un outil efficace. Des singes peuvent apprendre assez facilement par observation et essais/erreurs à utiliser un caillou pour ouvrir des fruits, mais ils ne peuvent concevoir des outils complexes peu susceptibles d'être conçus "au hasard", ou des outils "secondaires" pour concevoir d'autres outils.

Wolpert propose que tout ce qui fait la spécificité de l'homme repose sur cette matrice de pensée causale. Par exemple, il explique que la conception d'un outil nécessite la maîtrise d'une grammaire : il faut ordonner, agencer les choses pour concevoir des outils. Du coup, il est possible que le développement du langage soit cosubstantiel de cette faculté de concevoir des outils : le langage ne ferait que recycler les structures cérébrales associées. Ainsi les enfants montrent-ils les objets avant de parler, ce qui signifie que la compréhension physique du monde précède la maîtrise de l'oral. Au contraire, le langage en lui-même n'est pas nécessaire pour concevoir des outils : dans une expérience, des chercheurs ont enseigné à deux groupes d' étudiants à fabriquer des outils préhistoriques. Dans un groupe, l'enseignant donnait des explications orales à ce qu'il faisait. Dans l'autre groupe, l'enseignant se taisait et les étudiants n'apprenaient la "grammaire" de la conception que par imitation. Aucun des deux groupes ne se distinguait particulièrement ensuite lorsqu'il s'agissait de reproduire l'outil.

Venons-en maintenant au sujet spécifique du livre : la croyance. Une fois que l'homme a intuité la causalité, il n'a pu s'empêcher de chercher des causes à tous les mécanismes (p83) :


Humans were now thinking about the causes involved in all sort of activities : hunting, food gathering, social relationships, illness, probably dreams, and even life and death itself. Thus (...) is the origin of what we now call beliefs.


Wolpert propose que l'homme ne peut s'empêcher d'utiliser sa compréhension de la causalité pour chercher des explications, et y croire, d'où la religion, la croyance au paranormal, mais aussi la science ! Les chapîtres qui suivent sont assez impressionnants et s'efforcent de démontrer comment notre fonctionnement cérébral est intimement lié à noscroyances. Quelques effets bien connus sont décrits : une fois que nous croyons quelque chose, nous avons tendance à éluder les éléments qui vont contre cette croyance et à exagérer les éléments qui vont dans ce sens. Plus impressionnant : nous avons une soif spontanée de croyance qui nous pousse à construire des nouvelles interprétations, de nouvelles causalités même si nous ne disposons que d'informations très partielles. Cet effet est si fort qu'il peut mener à la "confabulation" : l'existence d'une croyance irraisonnée (une "delusion"), fermement ancrée contre l'évidence amène à réécrire l'histoire et à créer spontanément de faux souvenirs, de fausses explications, des fables, pour coller aux croyances. Wolpert cite l'exemple d'un confabulateur convaincu d'être un maître des échecs russe. Aux docteurs qui lui faisaient remarquer qu'il ne savait ni jouer aux échecs, ni parler russe, le patient répondait qu'il avait été hypnotisé pour oublier sa langue maternelle ! Ce qui est effrayant est qu'il n'y a pas de ligne très claire séparant les croyances traditionnelles de ces "delusions", même chez des individus parfaitement normaux. Ainsi, 10 à 15% de la population ont eu des hallucinations, et 20% des gens ont des symptômes de delusions ... Un résumé de la puissance de notre faculté à croire se trouve en conclusion du livre (p220):


Our belief engine, programmed in our brains by our genes, (...) prefers quick decisions, (...) is bad with numbers, loves representativeness, and sees patterns where often there is only randomness. It is too often influenced by authority and it has a liking for mysticism.



Le développement spécifique de la croyance religieuse est selon Wolpert une conséquence de ce fonctionnement spontané du cerveau. Il propose une explication plus "évolutionniste" de l'existence d'une religion. Croire en un être suprême est gage de cohésion sociale, est bénéfique au groupe car il met en place des solidarités et donne un avantage évolutif à celui-ci. Même à l'échelle individuelle, il est avéré que les gens religieux sont plutôt plus heureux que la moyenne. Wolpert compare également les différentes religions, et soulève quelques lièvres intéressants. Ainsi, il observe l'existence de "convergences" religieuses, de la même façon qu'il existe des convergences évolutives. Il semble ainsi que les sociétés basées primitivement sur l'élevage (comme la société juive primitive) développent des théories religieuses similaires, s'intéressant plus au quotidien qu'à l'au-delà. Malheureusement, ce chapître potentiellement intéressant n'est à mon avis pas assez développé. (Sur un sujet un peu similaire, voire le billet récent de dvanw sur la coévolution gène-culture).

J'ai beaucoup aimé ce livre, très riche et bourré de références, même si je trouve que par moments il y a un effet "catalogue". Les théories sont intéressantes et interpellent vraiment sur la notion de croyance et de libre-arbitre. Il est fascinant de voir à quel point l'homme est esclave de ses propres croyances, ce qui est assez effrayant en période de campagne électorale !

26 avril 2007

Arithmétique électorale : traces de bidouillage dans les sondages ?

Un petit billet sur un truc étrange dans l'enquête IFOP du soir du premier tour, qu'on peut trouver ici. Je ne sais pas si quelqu'un l'a déjà remarqué, mais cette enquête sent un peu le bidouillage, en particulier lorsqu'on la compare aux autres enquêtes parues depuis, en particulier TNS-Sofres, CSA, voire même le baromètre IPSOS-Dell.

Livrons-nous donc à un petit jeu d'arithmétique électorale, tout d'abord sur les trois derniers instituts, qui vont permettre de comprendre le problème du sondage IFOP. A l'heure actuelle, et selon les différents instituts, sur Royal se reportent 13 à 19% des électeurs de Le Pen, 39 à 46% des électeurs de Bayrou. Cela lui donnerait un score de base entre 34.5% et 36.4% des suffrages du premier tour. A cela s'ajoutent les "réserves" à gauche, oscillant entre environ 7% selon IPSOS et environ 10% si les reports de voix se font bien. D'où un score de Royal entre 41.5% et 46.4% en fonction des sondages actuels.

Sur Sarkozy se reportent pour l'instant entre 60% et 65% des électeurs FN, et entre 25 et 39% des électeurs de Bayrou. Cela lui donne un score de base entre 42.1% et 45.2%. A cela s'ajoute 3.38% de voix s'étant portées sur Villiers et Nihous. Au final, on trouve un score pour Sarkozy entre 45.48% et 48.58%.

La majeure partie des différences entre sondages s'expliquent en fait par les différences entre les estimations du report des électeurs de Bayrou sur Sarkozy : de l'ordre de 2.5% des suffrages exprimés au premier tour pour l'instant. En fait, ce sont les électeurs Bayrou qui s'abstiennent de voter Sarkozy qui peuvent le plomber dans les sondages. Plus que le report imparfait des voix, c'est le non-report, l'abstention qui explique les variabilités d'un sondage à l'autre. Ces considérations sondagières me ramènent à l'enquête publiée le soir du 22 avril par IFOP. Enquête qui donnait Sarkozy à 54% et à mon avis a été soit mal faite, soit un peu bidouillée. Quand on regarde les reports sur Royal, rien d'anormal a priori en comparaison des enquêtes ultérieures : 46% des électeurs de Bayrou, 17% des électeurs de Le Pen. Non, le problème est que si vous regardez les résultats p 5, tous ceux qui ont voté au premier tour... votent aussi au second tour. Du coup, 54% des bayrouistes se reportent sur Sarkozy, ainsi que 83% des électeurs du FN. Tout se passe comme si les non-électeurs de Royal avaient été automatiquement considérés comme des électeurs de Sarkozy ! Cela explique le score quasi-plébiscitaire de Sarkozy (calculette en main, on retrouve effectivement un peu plus de 54%), un score qui livré en pleine soirée électorale ne pouvait qu'impressionner. Par ailleurs, si quelqu'un peut m'expliquer par quelle opération du saint esprit 59% des électeurs ne s'étant pas prononcé au premier tour se prononcent pour Sarkozy au deuxième (dernière ligne de la page 5), et comment les abstentionnistes réapparaissent tout aussi miraculeusement sur la première page.... Evidemment, tout cela m'inspire quelque suspicion.

Autonomie des universités : qui connait l'Italie ?

L'autonomie des universités est LA grande réforme de la recherche proposée par N. Sarkozy. A n'en pas douter, s'il est élu, ce sera l'une des premières réformes appliquées : réformer l'université lui permettra de se donner une image d'homme d'action et de réformiste à peu de frais (pour lui). Cependant, à force de vouloir copier le système américain sans réfléchir aux spécificités françaises, ne risque-t-on pas d'aller droit dans le mur ? Car il suffit de traverser les Alpes pour voir un système d'universités autonomes, depuis 60 ans...


Tout le dispositif d’enseignement supérieur italien repose sur le principe de l’autonomie des universités, inscrit dans la Constitution de la République Italienne de 1948, principe auquel les universités sont très attachées. L’autonomie s’exprime aux plans administratif, financier, comptable et, depuis 2000, didactique. Chaque université s’organise selon ses propres statuts et élabore ses propres projets de formation. Source : guide de l'étudiant français en Italie


Le rêve n'est-ce pas ? Pas très loin de ce que propose le favori des sondages en tous cas. Le problème, c'est que vous pouvez demander son avis à n'importe quel chercheur, il vous dira que le système de recherche italien est un désastre.
Quelques explications peuvent être trouvées dans cet article :

En Italie, l’autonomie des universités pour le recrutement a engendré un système selon lequel on est recruté seulement là où on a fait sa thèse, on est promu seulement là où on a déjà un poste. Quand à la mobilité des étudiants, moteur potentiel de la compétition inter-universitaire, je donne deux exemples paradigmatiques. La ville d’Ostie est à 20 Km de Rome et de sa principale Université : les mamans d’Ostie ont fait une manifestation (où un collègue doyen à Rome III était convié) pour réclamer une Université à Ostie, pour que leurs bébés n’aient pas à se déplacer. Pise, autrefois université au rôle national, ne recrute désormais qu’en Toscane (et à Florence il n’y a que des enseignants florentins, sic !). Où est la compétition des universités dans l’offre de qualification ?


Rapprochons ce dernier élément de l'article récent d'Hugues Serraf sur la désormais fameuse université de Nîmes :




Nîmes vient de se doter de « la plus petite université française ». Bel effort pour une ville dont les étudiants devaient, jusqu'à présent, parcourir plus de 50 kilomètres pour accéder aux lumières de l'enseignement supérieur.


Mais bien sûr, je suis sûrement mauvaise langue. Si les Français étaient des adeptes du mandarinat local, du népotisme, si les pouvoirs publics ne cédaient jamais au clientélisme, cela se saurait.

Car c'est bien le danger qui nous guette avec cette fameuse autonomie des universités. Les chercheurs italiens, comme de plus en plus de chercheurs français, s'expatrient en masse malgré cette autonomie tant vantée par nos réformateurs. La raison est assez simple : il est totalement impossible de trouver un poste de recherche viable en Italie, sans faire de basse politique ( sans "faire preuve de son potentiel" comme dirait Sarkozy ?). D'ailleurs, nombreux sont les Italiens qui dans les années récentes ont trouvé un poste en France ...

L'autonomie totale à l'échelle française aboutirait logiquement à creuser les différences entre les gros pôles existants (en gros Paris et al.) et les petites pôles universitaires. On imagine les cris d'orfraie des 70 et quelques autres universités françaises laissées sur la route, des élus et populations locales. Et on voit bien comment une logique protectionniste et clientéliste locale favorisée par le statut autonome (comme en Italie) se mettrait immédiatement en place, ayant pour effet de complètement plomber le système par la base.


Compte-tenu de la taille microscopique des universités française, de la France elle-même, un système efficace d'autonomie des universités tourné vers la recherche ne pourrait donc se faire qu'à coup de fusions à l'échelle européenne. Mais, un tel système est à mon avis aujourd'hui totalement utopique : l'Europe n'est pas l'Amérique, où la mobilité professionnelle est bien plus grande, pour des raisons plus culturelles que structurelles. Par ailleurs la nation a encore un sens : pourrait-il exister plus d'un pôle recherche au niveau du Bénélux ? Qui acceptera de deshabiller ses propres universités pour habiller le pôle du voisin ?

Enfin avant de modifier la structure des universités, peut-être serait-il aussi judicieux de réfléchir à ses missions. On demande aujourd'hui à toutes les universités françaises de produire à la fois une recherche et un enseignement de qualité. Est-ce raisonnable ? Ne faudrait-il pas mettre plutôt en place des universités spécifiquement destinées à l'enseignement, à l'image des multitudes de petites universités d'undergraduate américaines, à côté de vrais pôles de recherche ? Que je sache, personne ne se plaint de ce que les enseignants de classes préparatoires ne fassent pas de recherche, et la qualité de la formation n'en souffre pas.

Je suis également toujours étonné par le manque de recul critique sur le système de recherche et sur ses indicateurs (quantitatif, quand tu nous tiens). Passons sur l'évaluation de la qualité d'une université sur son nombre de Prix Nobel, qui n'a pas grand sens (l'article récent de Nature sur l'apparent "déclin français" remet quelques idées en place, je ne peux que vous le recommander). Le modèle "mondial" actuel a pour seul but de faire du chiffre, de produire des papiers, aboutissant au saucissonnage des résultats, à la multiplication des papiers sur le même sujet du même groupe, aux calculs théoriques "epsilonnesque" qui n'apportent rien, au brevetage de toutes les techniques et tous les gènes , au bullshitting voire à la fraude pure et simple. Ce modèle s'auto-entretient, puisqu'on juge son succès à l'aune des objectifs affichés (produire des papiers et des citations), et non pas au progrès de la connaissance plus difficile à mesurer. Le système français a ses défauts, mais au moins la liberté de recherche est-elle totale, et il est plus propice à des projets risqués sur le long terme (encore faut-il accepter de les financer). J'ai parfois l'impression qu'on oublie que la recherche est un domaine difficile, et que produire des résultats de qualité prend nécessairement du temps; à force de vouloir s'aligner sur le système américain, nous risquons juste de jeter le bébé avec l'eau du bain comme le disait très bien Nature.

23 avril 2007

Une victoire des sondages ?

Hier sur France 3, le présentateur de la soirée électorale a félicité Roland Cayrol, de l'institut CSA, pour la pertinence de ses sondages. CSA qui anonçait il y a 4 jours que Le Pen passerait devant Bayrou...

Difficile pourtant de ne pas constater que les sondages ont plutôt bien réussi à reproduire l'ordre des candidats. Etait-ce difficile néanmoins ? L'écart minimal entre les cinq premiers candidats est de 5% entre Sarkozy et Royal, soit quasiment deux fois la marge d'erreur des sondages. Rappelons qu'en 2002, l'écart entre les trois premiers était de moins de 4 points, et moins d'un point entre Jospin et Le Pen; par ailleurs, les deux premiers candidats ont eu quasiment deux fois plus de voix qu'en 2002 (détail amusant : Bayrou a même eu plus de voix... que Chirac !). Autrement dit, cette élection était du pain bénit par rapport à la précédente : l'ordre était très facile à prédire. Pas de grosse surprise donc sur ce point-là (et l'erreur de CSA il y a quelques jours est assez impardonnable).

Lorque l'on compare néanmoins sondages et resultats, ont voit tout de même des biais certains. Sur la figure ci-dessus, j'ai dessiné les sondages IPSOS de ce dernier mois, comparés aux résultats du vote donnés ce matin par Le Monde. Si Sarkozy et Bayrou ont eu des resultats à peu près conformes aux sondages, on ne peut que constater que Royal a été fort sous-estimée depuis un mois (n'ayant jamais atteint dans les sondages son score réel), tandis que Le Pen a été très fortement sur-estimé (idem). L'écart entre le dernier sondage de Royal et son score est de -2 points, celui entre le dernier sondage de Le Pen et son score est de +3 points. C'est l'illustration des biais dont je parlais dans quelques billets précédents. C'est anormal que des candidats soient chroniquement sous ou sur-évalués, et révèle probablement des artefacts dans les méthodes des sondages. Claire Durand constatait par exemple sur son site que les scores de Royal et Le Pen étaient à peu près complémentaires dans les sondages. Je pense que tout vient encore une fois des fameuses méthodes de redressement, se basant notamment sur les élections de 2002, d'où un score mécaniquement beaucoup plus bas de Royal et plus haut de Le Pen...

21 avril 2007

A voté 2 !

Je m'aperçois que la loi électorale française interdit le commentaire de sondage pendant le scrutin. Certes, je ne suis pas en France, mais comme je viens d'apprendre la loi, je republierai le billet intitulé "A voté" ... dimanche à 20 h ;).

A voté !

  • Ce matin, j'ai voté au consulat de New York pour la première fois. Il y avait beaucoup de monde. Je vous livre mon sondage au doigt mouillé pour New York : un fort vote Sarkozy, mais pas autant qu'on s'y attendrait ;). J'ai trouvé dans l'isoloir plus de bulletins Sarkozy que de bulletins Royal ou Bayrou par exemple. Petit élément insolite : le dépouillement ne sera pas rendu public avant que les électeurs de France ne votent.
  • Pour finir sur les sondages avant le premier tour, quelque petits trucs. Claire Durand publie sur son site une étude/lissage des sondages électoraux avant le premier tour : cliquez ici. Evidemment, ce ne sont que des sondages... mais si j'étais, disons, Stéphane Rorol ou Roland Cayzes, je vous dirais qu'on voit très bien sur les évolutions qu'au début de la campagne, une partie des électeurs Royal ont basculé sur Bayrou, ce qui a entraîné une forte augmentation du score de Bayrou, qui a ensuite réussi à attirer quelques électeurs de droite. Au final, le vote Sarkozy et le vote Bayrou semblent complémentaires. Et si c'était un artefact des méthodes de redressement ?
  • Sur le blog "Geneviève Tabouis", on peut lire que les variations de fermeté de vote Le Pen semblent assez absurdes. En particulier, d'un jour à l'autre sur les sondages IPSOS la fermeté "brute" peut varier de... 48 points ! Je pense que c'est le signe que le nombre d'électeurs déclarés de Le Pen est tout petit. Si on considère que la marge d'erreur est de l'ordre de 25 points pour cette fermeté (la moitié de cette variation extrême), cela serait compatible avec un échantillon d'électeurs de Le Pen d'environ 20 personnes, ce qui donne un vote Le Pen d'environ 7% sur 300 personnes. Cela semble être effectivement le score de Le Pen non redressé, comme le montre cet article que nombre d'entre vous m'ont signalé (merci yogi et blop). En tous cas, je me demande du coup si on peut "remonter" aux données brutes en regardant ce genre de questions "annexes" : cela n'a pas l'air de très bien marcher sur les autres candidats, mais on voit quand même que là aussi, Sarkozy et Royal sont au coude à coude...
  • Pour conclure sur les sondages, mon opinion est que ceux-ci ont de graves problèmes méthodologiques, qui ne permettent pas en tous cas de se fier trop aux résultats bruts, et donc dès que c'est un peu serré, on ne peut rien dire. Par contre, je pense que les sondages sont sans doute capables de "capturer" les tendances individuelles sur le long terme (i.e. je pense que Bayrou est vraiment monté, maintenant peut-être pas aussi haut, ou peut-être au contraire beaucoup plus haut). La méthode de redressement de Le Pen qui consiste à multiplier le score brut d'un facteur 2 est, disons-le clairement, une vaste fumisterie. Quoi qu'on en dise, si on utilise les résultats de l'élection précédente pour appliquer des facteurs multiplicatifs, on risque surtout de tout redimensionner pour retrouver finalement à peu près les scores des années précédentes. C'est vraiment du doigt mouillé pour donner des résultats crédibles, mais je pense que ces résultats sont donc biaisés par construction. Et j'attends toujours qu'on me démontre que les électeurs de Le Pen mentent, et que ce n'est pas un problème d'échantillonage : je suis effaré d'un point de vue scientifique qu'on préfère appliquer un espèce de patch immonde qui consiste à multiplier les scores Le Pen plutôt que d'essayer d'avoir des échantillons/réponses plus fiables. Par ailleurs, une question m'assaille à quelques jours du premier tour : les sondages "sortie des urnes" sont-ils aussi redressés ? Les électeurs qui viennent de voter Le Pen refusent-ils de répondre ? Mentent-ils ? C'est très facile à savoir car il suffit de comparer les réponses aux sondages sortie des urnes au dépouillement.

Voilà, dans tous les cas, le blog restera silencieux pendant quelques jours, le temps de me remettre de la campagne et en attendant de vrais billets scientifiques.

19 avril 2007

Nature parle des Français

Nature de ce jour publie un dossier spécial recherche française, à la veille des élections. L'article principal est une interview en parallèle de Royal, Sarkozy et Bayrou, est est disponible en accès libre ici, avec le texte original en français . Le Monde consacre aussi aujourd'hui un article sur le sujet.

Les interviews sont très longues, l'article du Monde est une bonne synthèse à mon avis des discours. Pour ne pas faire redondant, je préfère citer et commenter quelques passages "à la volée".

A propos de la "fuite des cerveaux ":


Nicolas Sarkozy : J'observe également que la France exporte des compétences scientifiques à l'étranger, même si je regrette qu'un nombre croissant de nos jeunes chercheurs fasse le choix de l'expatriation parce qu'ils estiment ne plus pouvoir réussir dans notre pays.


Ce diagnostic est à mon avis en partie erroné. Il y a deux catégories importantes de chercheurs français expatriés : les "jeunes" à l'issue de la thèse qui font un premier post-doc, et les autres, en général plus âgés, qui ont soit un poste, soit des financements importants et une sécurité de l'emploi [1]. Mon point est que parmi la catégorie des "jeunes thésards" que je connais, le choix par défaut serait a priori de rester et de s'installer en France. L'expatriation est avant tout contrainte, et donc non choisie. Seulement, devant la pénurie des postes, les difficultés de tout ordre [2], il apparaît assez vite plus facile de faire carrière à l'étranger, où il y a une vrai offre d'emplois scientifiques, et une vraie politique de financement et d'incitation à la recherche. Le choix de l'expatriation permanente intervient une fois la frontière franchie, c'est plus un choix de continuité, lorsque les chercheurs n'ont plus tellement de liens avec le système français et se retrouvent à l'étranger. D'ailleurs, c'est ce qui explique aussi que le CNRS arrive à recruter des étrangers : bien souvent, ce sont des post-doc dans les labos français, qui une fois sur place, arrivent à trouver les appuis politiques et font le choix de rester. C'est aussi pour cela que je pense que le nombre d'étrangers recrutés n'est pas un indicateur fiable de l'attractivité du système français : il faudrait plutôt quantifier le nombre d'étrangers recrutés en France sans y avoir jamais travaillé.

A propos de la reconnaissance du doctorat :

Ségolène Royal : Ce que demandent nos jeunes, qui acceptent bien sûr que leur travail soit évalué, c'est une visibilité à long terme, des moyens de travailler, la reconnaissance du doctorat, des perspectives d'entrée à l'université dans les organismes de recherche ou dans le secteur privé après un poste de doctorat. Je favoriserai le développement des recherches originales avec prise de risques, tout en privilégiant l'emploi stable, comme chez nos partenaires.

Je me suis engagée pour une reconnaissance du diplôme de docteur (PhD) tant dans la fonction publique qu'au sein des branches professionnelles.


Rien à ajouter sur cette sortie, elle résume parfaitement mon sentiment exprimé ici ou là sur ce blog ou ailleurs. Bayrou est sur la même ligne :

Le retour des post doc de l'étranger sera facilité et leur intégration dans la recherche ou dans les entreprises innovantes développé. Les carrières devront ensuite faciliter les passages entre l'enseignement, la recherche et l'économie.

Je préfère une évolution forte, dont le premier pas est la reconnaissance du doctorat : celui-ci doit devenir un diplôme reconnu à l'embauche, comme cela se pratique dans le monde et être intégré dans le droit du travail. Ainsi les docteurs seront-ils à part entière les cadres de notre pays, dans les entreprises, l'administration, le monde politique

Sarkozy n'est pas en reste, mais contrairement aux autres, en reste un peu à mon avis au wishful thinking en ne proposant pas de geste politique en vue de la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives, comme s'il était un peu contre-nature que des docteurs n'aillent pas dans l'enseignement-recherche :

Je souhaite que les docteurs puissent accéder à d'autres débouchés que la recherche et l'enseignement. L'expérience professionnelle doctorale doit pouvoir ouvrir la voie à des responsabilités élevées dans l'administration et les entreprises.


A propos des carrières des chercheurs :



Nicolas Sarkozy : Je veux mettre fin à la situation indigne qui est faite aux jeunes chercheurs, doctorants et mettre en place une vraie politique post-doctorale en France. Après confirmation de leur potentiel, la revalorisation des rémunérations doit aussi s'opérer selon des critères prenant mieux en compte le mérite, la qualité des travaux scientifiques et les résultats obtenus. Je souhaite faire tomber les cloisonnements archaïques qui séparent en France chercheurs et enseignants-chercheurs. Chacun au cours de sa carrière doit comme dans la plupart des autres pays développés pouvoir se consacrer librement et à des degrés variables aux missions de recherche et d'enseignement.
Ce passage a suscité des sentiments tout à fait contradictoires chez moi. Je ne peux encore une fois qu'applaudir à une politique post-doctorale en France (même si je ne sais pas très bien ce que cela veut dire). Je suis personnellement assez favorable à ce que tout le monde fasse de l'enseignement (à dose modérée; cela permettrait de diminuer la charge des MdC et de revaloriser les carrières à l'université).
Mais ce qui m'a un peu gêné est ce petit passage de 5 mots, que j'ai grassés. Qu'est-ce que cela veut dire exactement "après confirmation de leur potentiel ?". C'est le genre de petites phrases vaches pleines de sous-entendus, qui sous prétexte d'objectivité, cache peut-être des intentions purement politiques. On entend très souvent des choses de ce genre lors des concours de recrutement. Quand vous avez fait une grande école d'ingénieurs, réussi des concours très difficiles, fait une thèse, un post-doc, que vous arrivez à la trentaine et qu'on vous dit encore que vous n'avez pas atteint votre maturité scientifique ou qu'il vous faut "confirmer votre potentiel", vous vous posez de vraies quesions sur vous d'abord, puis en vous comparant aux autres, rapidement sur le système de recrutement. D'autant plus que la plupart du temps, ceux qui posent ces questions ont eux-mêmes eu des postes très tôt, à une époque bénie et reculée pour la recherche française où on faisait confiance aux jeunes; d'autant plus lorsque vos camarades français ayant choisi d'autres études ont du boulot et des confortables revenus en France; d'autant plus lorsque vos amis chercheurs français avec des parcours similaires au vôtre décrochent très facilement des tenure track ailleurs. Le potentiel ne se révèle que dans un environnement favorable, lorsque les commanditaires de la recherche font confiance aux jeunes chercheurs; lorsque l'on fait face à de la défiance systématique (pour les chercheurs, pour les jeunes), on n'a effectivement qu'une envie : aller voir ailleurs.


A propos de la dualité université/grandes écoles :


Nicolas Sarkozy : Les grandes écoles et les universités sont complémentaires et nous devrons valoriser davantage demain ces complémentarités. Des salaires décents pour les doctorants devraient inciter plus d'élèves de grandes écoles à choisir la formation par la recherche. Il est important que la recherche pénètre davantage dans les grandes écoles et que les meilleurs étudiants des universités puissent accéder à celles-ci. Il faut associer étroitement universités et grandes écoles géographiquement proches dans des campus avec des services partagés. Les grandes écoles pourront faire bénéficier les universités de leur savoir-faire en matière de relations avec les entreprises et d'accès de leurs élèves aux emplois de responsabilités qu'elles proposent.
Amusant passage : Sarkozy veut revaloriser les universités en envoyant leurs meilleurs étudiants dans les grandes écoles. Plus sérieusement, l'idée de rapprocher Université et Grandes Ecoles semble raisonnable a priori, mais il y a un gros problème : la masse d'étudiants n'est pas comparable. Les Grandes Ecoles sont véritablement microscopiques (en termes internationaux) : ce rapprochement demande une vraie réflexion, qui ne peut se passer d'une injection massive d'argent dans l'université pour "rattraper" les moyens donnés aux Grandes Ecoles. Sur ce sujet, Sarkozy propose d'augmenter de moitié le budget des universités (cela paraît beaucoup, mais est-ce suffisant ? question ouverte, je ferai des recherches là-dessus) et propose la désormais classique "autonomie". Pour Royal et Bayrou :


Royal : Je prône une logique d'utilisation optimale des moyens, fondée sur l'évaluation, ce qui nécessite de donner des conditions de travail favorables à tous les enseignants-chercheurs qui sont engagés dans la recherche. Se limiter à soutenir une petite partie d'entre eux voudrait dire qu'on paie les autres sans profiter de leur potentiel de recherche : ce serait absurde.

Bayrou : Il faudra atteindre une dépense par étudiant égale à la moyenne de celle des pays de l'OCDE, continuer le rapprochement amorcé avec les grandes écoles et décider un changement de gouvernance. Et les initiatives comme la fusion des Universités à Strasbourg, prévue pour 2009, seront saluées et encouragées. Elles ne peuvent conduire qu'à la visibilité de la France et à l'amélioration de sa recherche.




Pour conclure ce billet déjà trop long et un peu subjectif, ce qui m'a frappé dans cette interview est le contraste entre la méthode Bayrou/Royal d'un côté, et Sarkozy de l'autre. On dit souvent que Sarkozy fait plus de propositions : en fait, quand on regarde dans le détail, Sarkozy propose de grosses réformes de structure, mais reste très vague sur tout ce qui concerne le financement, la reconnaissance des carrières scientifiques, du doctorat. Il est très clairement dans une logique de système auto-régulé, qui va produire de la bonne science de lui-même :


Sarkozy : Plus que les incitations financières de tous ordres, c'est avant tout la qualité de la recherche et le dynamisme de ses canaux de diffusion qui sont déterminants pour notre potentiel d'innovation.


Par ailleurs, phénomène étrange dans cette campagne, c'est la première fois à ma connaissance que Sarkozy s'attribue de manière insistante une politique gouvernementale :


Sarkozy : N'oubliez pas, outre l'ANR et le Haut Conseil, la création des pôles de compétitivité que j'ai initiée (...)
Les pôles de compétitivité que j'ai mis en place dans mes différentes responsabilités gouvernementales sont encore très jeunes....


C'est d'autant plus inquiétant quand on regarde la pratique des gouvernements de droite au pouvoir ces dernières années, reproduite dans ce graphique dans un article complémentaire de Nature qui met (enfin !) l'accent sur le problème essentiel derrière les difficultés de la recherche française : le manque de financement. Notez d'ailleurs qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis puisque lorsque Bayrou était ministre de l'Education Nationale, le budget de la Recherche a été sabré.




Bayrou et Royal sont certainement moins en parole dans la réforme structurelle, mais plus dans la régulation et l'augmentation des flux d'argents existants, avec quelques propositions réellement concrètes, intégrant plus la recherche dans la société civile:


Royal: Il faut arrêter de changer sans arrêt de cadre de référence et simplifier. Les mesures comme le crédit d'impôt-recherche doivent être mieux évaluées, l'accès au marché des capitaux pour le développement des 2ème ou 3ème tour de financement amélioré par le recours à une fraction de l'épargne défiscalisée (assurance-vie). Aujourd'hui, l'essentiel des aides profite aux grands groupes, il faut mieux aider les PME.


En fait, on a un sentiment de volonté de "tabula rasa" avec Sarkozy, sentiment probablement partagé par Nature qui livre une conclusion intéressante dans son editorial - en forme de Scud à l'intention de Sarkozy d'ailleurs (je reprends la traduction de l'article du Monde sur le sujet) :


"La France a besoin de changements pragmatiques, bien ciblés et durables dans des domaines comme la politique de recrutement et les grilles de rémunération, conclut Nature. La science française a de grandes forces, quoi qu'il en soit : les réformateurs potentiels doivent faire attention de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain."


[1] Peut-être Matthieu pourrait nous en dire plus, mais ma perception est qu'il n'y a pas beaucoup de jeunes français qui partent à l'étranger pour faire une thèse, je connais beaucoup plus de post-doc ou de professeurs français que de thésards
[1] un jour j'écrirai un billet récapitulatif édifiant de mes aventures au cours des concours de recrutement

17 avril 2007

HS : SPAM politique pour expatriés

C'est la campagne électorale, y compris sur ce blog qui manque cruellement de billets purement scientifiques ces derniers temps. Il faut dire que je passe plus de temps à aller lire les divers journaux et blogs politiques, voire à les commenter, qu'à lire de vrais articles scientifiques et à bloguer dessus durant mon temps libre. Mea culpa; j'ai hâte que la campagne s'achève (tout comme j'avais hâte que la Coupe Du Monde s'achève l'an dernier; espérons que mon équipe favorite ne perdra pas en finale sur un coup de boule cette fois-ci :P).

En attendant, je tenais à faire part de mon étonnement concernant le spam aux expatriés. Petit rappel des faits pour ceux qui ne sont pas au courant : le 28 Mars dernier, comme beaucoup d'expatriés, j'ai la surprise de recevoir sur mon e-mail personnel une lettre de François Bayrou. Celui-ci sera suivi quelques jours après d' e-mails des trois autres candidats principaux -pour ne pas paraître has been j'imagine devant Bayrou le Révolutionnaire-, Nicolas Sarkozy, puis Ségolène Royal et enfin Jean-Marie Le Pen - je ne sais pas si vous avez déjà reçu un e-mail de Jean-Marie Le Pen, mais ça fait tout bizarre. Chacun de ces mails était rempli de considérations et de propositions spécifiques pour les français expatriés.

Ma première réaction... fut assez mitigée. Je n'ai pas envie de recevoir des e-mails politiques sur ma boîte mail professionnelle. Après enquête et recoupement, il est rapidement apparu que c'était le consulat de New York qui avait communiqué nos adresses aux candidats. Entre temps, je m'étais fendu d'un e-mail à François et Nicolas (maintenant qu'on se connaît par e-mail, je les appelle par leur prénom comme n'importe lequel de mes e-interlocuteurs). François m'a répondu par une nouvelle lettre de prop...ositions et m'indique en PS :



P.S. : vous avez été nombreux à vous interroger sur la façon dont l’UDF s’était procuré votre adresse électronique. Comme la loi le prévoit, le ministère des Affaires étrangères a remis à l’ensemble des 12 candidats à la présidence de la République la liste des Français immatriculés qui avaient eux-mêmes, lors de leur inscription sur la liste électorale consulaire, communiqué ladite adresse.


Je lis ensuite sur le web qu'étant donné l'éloignement, les expatriés ne peuvent recevoir leur petite enveloppe habituelle pleine de tracts électoraux, et donc tant qu'à faire, il valait mieux leur envoyer l'information par e-mail, et toujours tant qu'à faire utiliser les adresses e-mail communiquées au Consulat (NB : il y a un certain paradoxe à envoyer de l'information par internet, media d'information par excellence, à des gens sensés ne pas être au courant de ce qui se passe au pays en raison de l'éloignement. Sur Internet, aujourd'hui, on peut lire les journaux, les blogs et regarder la TV. On est donc tout aussi bien informé que le Français moyen sur la campagne; il manque juste le café du commerce - encore que sur certains blogs et foras, on peut convenablement se rattraper ).

A l'époque, je me dis que m'écrire sur mon adresse e-mail ne me semble pas équivalent à m'écrire par la poste. J'admets alors que je joue peut-être la vierge effarouchée, et au final j'accepte donc l'argument d'un haussement d'épaules.

Sauf que ce soir en rentrant chez moi, j'ouvre ma boîte aux lettres, pour découvrir le visage rieur de Frédéric Nihous, l'air goguenard de Le Pen et la fameuse affiche en papier recyclé de Schivardi. Donc cette histoire d'éloignement du pays empêchant l'arrivée de l'information, c'était juste du pipeau. Quelle est donc la logique de tout cela ? Au nom de quoi maintenant nos adresses e-mail ont-elles été communiquées aux candidats ? Car je vois dorénavant très clairement pourquoi mon adresse e-mail n'est pas équivalente à mon adresse courier. Les e-mail étaient spécifiquement adressés à des expatriés, avec des problématiques d'expatriés, des soucis d'expatriés; autrement dit, l'e-mail aux expats était une opération ciblée de marketing politique. C'est le ciblé qui me gène, car c'est ce qui distingue le légitime souci d'information du spam non sollicité pur et simple.

16 avril 2007

Sondages : le grand n'importe quoi de la dernière ligne droite



  • La frénésie sondagière est de plus en plus pathétique. Les commentaires journalistiques sont à l'avenant. En témoigne cette capture d'écran du figaro.fr (je sais, on m'a souvent déconseillé de lire le figaro, ce serait mauvais pour mon coeur), avec deux commentaires de sondages totalement contradictoires...


  • IPSOS a attendu mon dernier billet sur les sondages pour publier des résultats... encore plus absurdes. Ainsi, pendant 7 sondages consécutifs la semaine dernière, Sarkozy a été donné à un score fixe de 54% ! Toutes mes félicitations à IPSOS qui semble donc être capable de réduire la marge d'erreur à quasiment zéro ! J'ai refait rapidement mon étude du billet précédent sur les sondages, on bat tous les records : ma statistique d'écart entre les maxima/minima me donne une plausibilité de la série de sondages de l'ordre de 0.05 %, i.e. 99.95% des séries de 38 sondages consécutifs montent plus haut ou descendent plus bas que la série IPSOS. La raison pour cette brusque décroissance dans la plausibilité est une série de sondages où Sarkozy est placé à un score très haut (54%) et très stable. Si Sarkozy est effectivement à 54%, les sondages devraient flirter par moments avec 56, 57 %, or ils restent "scotchés" à 54.5% au maximum, soit une marge d'erreur de l'ordre de 0.5% au plus. Cela sent plus que jamais la manip. Pour la beauté du geste, je redessine ma bosse gaussienne, je vous rappelle que la hauteur de la bosse est proportionnelle à la probabilité d'apercevoir un couple "maxima-minima" dans une série de sondages, la flêche rouge indique le score d'IPSOS. La série de sondages d'IPSOS tombe dans une zone à très fabile probabilité. Petit point technique en passant : je me suis aperçu que pour éviter tous les artefacts de discrétisation dans mes simulations, il fallait prendre un nombre d'électeurs multiples de 200 pour des sondages évalués au demi-point près. La raison est que dans le cas contraire, comme le nombre d'électeurs est fini, certains résultats de sondages deviennent plus improbables (par exemple avec 100 électeurs, on ne peut évidemment pas trouver un score de 53.5%). C'est ce qui expliquait que mes gaussiennes n'étaient pas totalement symétriques dans mon billet précédent (mais rassurez-vous, cela ne change absolument rien à l'étude).
  • Toujours sur les sondages IPSOS, je me suis amusé à comparer "à l'oeil" des simulations de protocoles IPSOS (un sondage de 400 personnes par jour, moyenne sur 3 jours) avec des simulations de sondages indépendants. Je voulais comprendre si les sondages moyennés sur 3 jours étaient vraiment plus "lissés". Les sondages IPSOS réels sont en rouge, les sondages simulés moyennés sur 3 jours en bleu, les sondages indépendants en vert, la moyenne des sondages réels en bleu clair (53.5%). On voit toujours assez clairement qu'il y a quelque chose qui cloche dans la variabilité des sondages IPSOS. On voit aussi clairement que la courbe bleue n'est pas plus lisse que la courbe verte : elle fluctue autant et est simplement plus "corrélée" dans le temps (c'est rétrospectivement assez compréhensible). En revanche, on voit aussi que ce protocole de moyennage sur trois jours fausse pas mal la perception des choses : la marge d'erreur sur 400 personnes est assez grande, et quand on a une ou deux fluctuations assez grandes dans un sens, les fluctuations persistent assez longtemps dans le temps. Cela peut donc fausser complètement la perception tirée de ces sondages... Encore une fois, je ne sais pas comment IPSOS a concilié tous ses effets complètement délétères qui sont assez clairs dans les simulations numériques.
  • J'ai soumis un article récapitulatif de tous mes billets sur les sondages à Agoravox. On verra bien; avec la chance que j'ai dans mes soumissions d'articles en ce moment, j'ai toutes les chances d'être refusé ;)
Ajout 18 Avril : l'article a été publié sur Agoravox, suivez le lien .

12 avril 2007

Physique vs biologie : la science doit-elle être jolie ?

Un article de Nature de cette semaine [1] s'ouvre par cette phrase étonnante :



"The standard model is horribly ugly, but the data support it."

"Le modèle standard est horriblement laid, mais est confirmé par les données."

(Note de traduction : j'ai remis l'expression "modèle standard" suite à la remarque d'Eric C en commentaire)

Pour expliquer les observations cosmologiques, il est nécessaire de supposer l'existence de matière noire (dont nous avaient déjà parlé Matthieu et Sevene), et d'une "énergie du vide" ou "énergie noire", qui se traduit dans les équations par une "constante cosmologique" (voir en fin de billet pour plus de détail). Seulement, le problème, c'est que cette explication est, je cite l'article de Nature "a profound problem from the viewpoint of fundamental physics". Cette constante implique en effet qu'il est, en gros, possible d'extraire de l'énergie du vide, de créer quelque chose à partir de rien, et que cette création a lieu en tous points de l'univers en permanence ! Evidemment, c'est à la fois problématique théoriquement, et improbable scientifiquement; pourtant, cela marche très bien phénoménologiquement .

Naturellement, les physiciens théoriciens ne peuvent accepter cela. Quoi, un terme "ad hoc" dans un équation ! Quelle horreur ! De fait, on les comprend : la physique théorique s'est construite quasiment exclusivement sur l'idée de "beauté mathématique". Par exemple, tout le modèle standard (le vrai) a été construit à l'aide de considérations de symétries, amenant à utiliser la théorie des groupes pour décrire et prédire l'existence des particules. Dans un autre domaine, c'est l'extension du principe de relativité de Galilée qui a amené Einstein à proposer sa théorie de la relativité. C'est évidemment une version un peu romancée de l'histoire de la physique, mais il y a un fond de vrai : les physiciens théoriciens ont remporté leurs plus grands succès en dérivant le maximum de choses de premiers principes simples. Et aujourd'hui, certaines théories des cordes sont jugées à l'aune de leur "beauté" mathématique ...

La question se pose donc naturellement lorsque l'on vient de la physique théorique : la nature est-elle mathématiquement belle ? Entre deux théories scientifiques, la plus simple, la plus dépouillée mathématiquement (et donc la plus profonde) est-elle a priori la plus juste ? La science doit-elle être "jolie" ? Depuis que j'ai mis les mains dans le cambouis biologique, je suis bien obligé de constater que les physiciens font (parfois, mais pas souvent :P) fausse route.

La nature a en effet le mauvais goût d'avoir engendré des horreurs mathématiques. En particulier dans un de mes domaines favoris : le développement. L'image ci-contre représente l'expression d'un des gènes cruciaux de la segmentation de la drosophile: even-skipped, dit eve. Le motif observé naturellement est représenté sur les panneaux a à c.
Admirez l'espacement remarquable des bandes, leur caractère très homogène plutôt surprenant quand on sait le bruit existant dans toutes les interactions génétiques. Un physicien théoricien, voyant un tel motif, a un réflexe quasi-pavlovien : REACTION-DIFFUSION, MOTIF DE TURING ! Pour un théoricien, seul un processus "émergent", auto-organisé, peut aboutir à une telle perfection, à une répétition de motifs aussi réguliers : c'est d'ailleurs un tel processus qui est probablement à l'origine des bandes des zèbres. Tous, biologistes y compris, pensaient bien qu'un tel mécanisme physico-chimique était à l'origine des bandes de segmentation. Or il se trouve que Stephen Small et son équipe ont en fait découvert qu'il n'en était rien : toutes les bandes se forment de manière indépendante, utilisant toutes des mécanismes différents. Ainsi, a-t-on pu identifier un module génétique associé à la bande numéro 2, un autre module pour la bande numéro 5, un module pour les bandes 3 et 7, un autre pour les modules 4 et 6... Des modules différents, régulés par des protéines différentes, amènent à la formation d'un joli quadrillage parfaitement régulier et de bandes apparemment identiques. Si le résultat est très joli, le mécanisme, d'un point de vue purement mathématique, est sans aucun doute très laid !

La conclusion, c'est que dans certains domaines de la science en tous cas, rechercher la "beauté" peut très certainement vous amener à faire fausse route. L'exemple de la segmentation de la drosophile est d'ailleurs typique : non seulement on s'attend naturellement à ce que toutes les bandes apparaissent contrôlées par un même mécanisme, mais le fait de savoir que ce n'est pas le cas devrait nous interpeler davantage encore. En effet, s'il y a un mécanisme physico-chimique à l'origine de motifs, rien de surprenant à ce qu'ils soient réguliers; mais si on a un motif d'origine d'origine purement génétique, comment se fait-il que l'évolution ait convergé vers la construction d'un motif régulier ? Autrement dit, si la bande 1 et la bande 7 se forment indépendamment, pourquoi ont-elles la même taille ? N'est-ce pas l'indication que plus tôt dans l'évolution, les bandes devaient se former à l'aide d'un processus plus auto-organisé, comme la somitogenèse ? Ainsi, peut-être qu'en biologie, à la différence de la physique, c'est en interrogeant les laideurs de la nature que nous la comprendrons le mieux...


Référence :

[1] Physicists question model of the Universe, Jenny Hogan, Nature 446, 709 (2006)
[2] A self-organizing system of repressor gradients establishes segmental complexity in Drosophila, Dorothy E. Clyde, Maria S. G. Corado, Xuelin Wu, Adam Paré, Dmitri Papatsenko and Stephen Small, Nature 426, 849-853( 2003)



Gros PS sur la constante cosmologique :

On a longtemps cru que l'expansion de l'univers n'était due qu'à l'inertie du big-bang. L'action de la gravité, tendant à s'opposer à cette expansion, aurait dû normalement amener un ralentissement de cette expansion, puisque l'inertie du big-bang devrait se dissiper au cours du temps tandis que la matière, elle, est toujours présente. Or, l'expansion de l'univers semble s'accélérer, comme s'il y avait un apport continu d'énergie dans le système pour combattre et dépasser l'action de la gravité. Einstein en son temps comprit que les forces de gravité engendraient nécessairement un univers hautement dynamique, hors équilibre, pouvant même entraîner un big crunch, ce qui était non conforme à l'idée d'un univers statique et éternel. Il fut le premier à avoir introduit dans les équations du vide une constante cosmologique, équivalent d'une "énergie noire", pour contrecarrer l'action de la gravité et avoir un univers plus stable. Il confesserait plus tard que cela avait été la plus grande erreur de sa vie, faite là aussi au nom d'une croyance en la beauté de l'univers qui se devait d'être éternel !

10 avril 2007

Scientisme et politique

En ce moment, je m'énerve beaucoup en lisant les journaux et en surfant sur le web. Est-ce dû à l'hystérie sondagière ? Toujours est-il que les billets, opinions, débats sur la science se multiplient en ce moment. C'est a priori très positif, sauf que la science est la plupart du temps totalement absente de ces débats, et qu'elle est utilisée soit comme outil rhétorique, soit comme argument d'autorité dans ces joutes oratoires.

Deux exemples récents. Via What's next, je suis tombé de ma chaise devant le graphique ci-contre, reproduisant la répartition idéologique des différents partis politiques suivant deux axes, tiré du site gauche liberale.org. Je suis pourtant plutôt fan d'habitude de ce genre de petit exercice tant qu'ils ne se prennent pas au sérieux. Mais là, ce diagramme n'est manifestement qu'un concentré d'a priori idéologiques.

Par exemple, pourquoi y a-t-il des zones d'exclusion théorique ? Qu'est-ce que cela signifie ? Si on en croit le site, on lit que :


La présence d'une zone d'exclusion théorique tient au fait qu'une société hautement libérale ne peut être "pilotée" ni vers la droite ni vers la gauche. Une société libérale d'extrême droite ou d'extrême gauche est donc par définition impossible.


Moi, quand je vois une zone d'exclusion de ce genre, je pense immédiatement aux diagrammes de Kruskal en relativité générale, à des horizons et des frontières. Bref, je pense "modèle théorique", testable et justifié. Or il n'y a pas de modèles théoriques ici : il n'y a qu'un a priori politique, à savoir qu'une société libérale ne peut être trop à gauche ou à droite. Cette frontière est une vaste fumisterie : comment la déterminer quantitativement ? Quelle est la définition derrière le "par définition" ? Comment détermine-t-on le degré de gauchitude, de droititude, de libéralisme d'une société ? Quel est le sens mathématique ? Le reste du diagramme est à l'avenant : ainsi les partis politiques sont-ils alignés le long d'une jolie courbe, suggérant que les partis français sont plus ou moins tous d'accord entre eux sur le dirigisme étatique. Mais sur la base de quels critères ces partis ont-ils été placés, alignés ainsi ? Comment les surfaces relatives sont-elles déterminées ? De la même façon, le placement du zéro dans un sens ou dans l'autre est un pur a priori idéologique. Des Américains décaleraient toutes les courbes vers la gauche, tandis que des chercheurs staliniens pourraient penser que toutes les courbes devraient être décalées vers le haut (à ce propos je ne connais personne ayant fait ce test n'étant pas dans le cadran en bas à gauche). Le but de ce graphe est uniquement politique : il s'agit de nous expliquer visuellement le manque de variété sur l'axe haut bas, et de nous expliquer que les partis français sont très dirigistes. Le problème c'est qu'il s'agit uniquement des a priori de l'auteur du graphe, qui se donne une apparence de sérieux et d'objectivité en utilisant des représentations scientifiques, mais il n'y a guère de science ici, c'est un pur discours politique. L'opinion est respectable en soi, là n'est pas le problème, ce que je n'aime pas beaucoup est cette habitude de plus en plus répandue de faire de la politique en s'abritant derrière un discours scientifique pour donner l'illusion d'objectivité.

L'autre affaire qui m'énerve est évidemment celle des gènes de la pédophilie. Les experts en génétique pulullent actuellement sur les blogs et autres fora. Des blogueurs commentent, ici ou nous donnent leur avis sur la question :

je dirais qu’il ne me parait pas absurde de penser qu’il puisse y avoir effectivement un terrain plus ou moins favorable à la pédophilie, au suicide, à la dépression.

Des choses totalement fausses qui ne paraissent pas absurdes, l'histoire des sciences en est remplie. Ce qui est vrai pour le cancer ou le suicide, peut être totalement faux pour la pédophilie. Donc débattre là-dessus en tant qu'opinion, déconnectée de la connaissance scientifique, n'a pas de sens. La science n'est pas une philosophie chargée d'équilibrer thèse et antithèse : la science n'est pas une opinion politique qui se suffit par elle-même, le débat scientifique doit être sous-tendu par des faits et n'avance qu'en choisissant et en tranchant. Il y a des théories absurdes et fausses, point barrre, comme celle du gène de la pédophilie ou de la bosse des Maths.
Par ailleurs, et là je parle en tant que citoyen, tout le monde glose sur la prédisposition, mais quasiment personne ne parle sérieusement des facteurs qui révèlent cette prédisposition, alors qu'en tant qu'homme d'action revendiqué, Sarkozy devrait plutôt s'intéresser aux causes environnementales du suicide qui sont les seules sur lesquelles il puisse agir. Moi, c'est surtout ce manque qui m'étonne, ce renoncement au nom d'une théorie génétique fausse. Car quand on regarde l'action politique, force est de constater que ce corpus de théories se traduit effectivement en actions concrètes, comme par exemple le dépistage des jeunes délinquants dès l'âge de trois ans, sans parler des gamins "hyperactifs " drogués aux Etats-Unis. Preuve que ces préjugés se traduisent dans les faits par des actions sociales, au nom de la science, ce qu'il faut à mon avis combattre.

08 avril 2007

Effet Allègre

La campagne électorale échauffe les esprits, et cette semaine a vu se succéder quelques déclarations scientifiques peu inspirées. Effet de mode, le réchauffement climatique semble être un terreau idéal pour ce genre de discours. Ainsi, Eric Le Boucher dans sa chronique du Monde, à propos des climatologues qui ont l'outrecuidance d'affirmer que le réchauffement climatique aurait un impact négatif sur l'économie, nous livre cet argument imparable :

"Pourquoi affirmer avec aplomb que 2 degrés de plus sont mauvais pour le commerce, alors qu'on observe sur le territoire de ces Etats-Unis un déplacement de l'activité vers le Sud et vers le soleil ?"

C'est vrai ça : le soleil, ça attire les retraités et c'est bon pour le tourisme. Et puis de toutes façons, les ouragans, ce n'est jamais que la forme naturelle de la destruction créatrice, et cela stimule le BTP au moment de la reconstruction !

Outre la manifestation d'ignorance relative du dossier du réchauffement climatique dont fait preuve ELB dans cette simple phrase -habitude d'économiste peut-être, il se focalise sur le réchauffement moyen en oubliant la variabilité potentielle énorme du réchauffement et surtout leurs effets locaux- on ne peut que constater que l'utilisation de contre-arguments aussi débiles décrédibilise totalement un discours qui peut par ailleurs être sensé...

07 avril 2007

Inné, acquis et évolution baldwinienne

L'actuelle campagne électorale bruisse en ce moment de débats d'inspiration biologique (voir par exemple cette tribune d'Axel Kahn - pardon Enro !- sur la question), qui remettent sur la table l'éternel débat inné-acquis, et le rôle de l'environnement. L'occasion d'un petit billet sur certains mécanismes derrière la variabilité phénotypique en réponse à l'environnement, et de liens avec l'évolution.

En 1998, Rutherford et Lindquist ont publié une étude fascinante dans Nature d'une protéine appelée "Hsp90". Cette protéine est dite "chaperonne" : elle aide les autres protéines à se replier et à ainsi acquérir leur fonction dans l'organisme. Lorsque Hsp90 est mutée dans une population, différentes mouches exhibent tout d'un coup différents phénotypes plus ou moins sévères : certaines mouches ont des yeux déformés, d'autres des ailes de tailles différentes, d'autres encore des antennes supplémentaires. Bizarre si on suppose qu'à une mutation est associée un seul phénotype ! En fait, Rutherford et Linquist montrent que les mutations de Hsp90 révèlent des variabilités "cachées" dans le génome. Le mécanisme est schématisé dans la figure ci-contre. Dans le panneau A est représentée une mouche normale : le gène a produit une protéine fonctionnelle A, et tout va bien. Le panneau B montre le rôle joué par HSP90 : l'allèle a1 est différent de l'allèle a, et la protéine associée A1 a une fonction différente. Le rôle d'HSP90 est alors de jouer le rôle de "tampon génétique" et de "corriger" la fonction de A1, pour la transformer en protéine fonctionnelle A : elle va par exemple contrôler le repliement de A1 afin de la forcer à aller vers la même fonction que la protéine "normale" A. Du coup, si HSP90 est supprimé (ou si elle a trop de travail par exemple), il ne lui sera plus possible de corriger le repliement et la protéine A1 va être produite, jouant une fonction différente. La variabilité génétique cachée de l'organisme va être ainsi mise en évidence.

On voit donc qu'une mouche portant l'allèle a1 est en général tout à fait normale mais une variation de l'environnement (par exemple de la température) peut révéler la variabilité cachée. L'autre aspect fascinant est que Rutherford et Lindquist se sont ensuite amusées à faire de la sélection entre les mouches ayant le même phénotype une fois HSP90 muté, puis ont réintroduit une HSP90 normal. Surprise : HSP90 est alors cette fois incapable de corriger le phénotype ! Une expérience difficile à interpréter selon moi : cela suggérerait que Hsp90 pourrait agir en plusieurs endroits sur le même processus; en accumulant des mutations dans les protéines de celui-ci, peut-être Hsp90 n'arrive-elle plus à compenser toutes les micro-mutations, d'où la fixation du phénotype.


Evidemement, de tels mécanismes peuvent jouer des rôles capitaux dans l'évolution. Imaginez que pendant un certain nombre de générations, l'environnement modifie le rôle des protéines chaperonnes telles que Hsp90, si bien que les variabilités cachées peuvent être exprimées. Les invididus possédant une adaptation à ce nouvel environnement révélée par le stress vont se reproduire préférentiellement, et le caractère associé pourra alors se trouver fixé et exprimé dans la population, même après un nouveau changement d'environnement. On peut d'ailleurs aussi imaginer que les variabilités ne soient exprimées que de façon stochastique dans l'environnement modifié : la sélection parmi les adaptations va alors ressembler en quelque sorte à un processus d'apprentissage. Ce type de mécanisme d'évolution, où une simple prédisposition chez les individus est au cours du temps sélectionnée pour être fixée génétiquement se rapproche de ce qu'on appelle l'effet Baldwin , qui serait notamment impliqué dans "l'apprentissage" au cours de l'évolution de la tolérance au lactose.

Référence :

Hsp90 as a capacitor for morphological evolution, Suzanne L. Rutherford and Susan Lindquist,Nature 396, 336-342 (26 November 1998)

Résurrection pascale

Hasard du calendrier, trois jours après son décès, Nausicaa est réssucitée ! J'ai plongé dans les entrailles de la bête, identifié et changé la pièce deffectueuse, et c'est reparti !
Espérons maintenant que l'esprit saint me visitera la semaine prochaine ;)

05 avril 2007

RIP Nausicaa (2003-2007)

Mon vieil ordinateur vient de crasher splendidement, en conclusion d'une semaine assez difficile sur le plan professionnel. Comme je suis deja deborde en ce moment (vous avez deja pu remarquer que je parle peu de vraie science ces temps-ci pour y preferer l'exercice plus facile du commentaire scientifico-sondagier), et comme il me faudra aussi rattrapper le retard accumule a cause du crash (j'ai des auditions a passer dans un mois), le blog restera en suspens et/ou en activite reduite jusqu'a nouvel ordre.