Quelques réflexions sur la polémique actuelle sur les OGM (
Le Doc' m'a précédé sur le sujet hier).
De proche en proche, à partir d'un
fait divers récent en passant par certains
blogs, j'ai relu quelques billets d'Enro, en particulier
celui-ci sur la corrélation entre culture épistémique des chercheurs et position sur les OGM. En résumé,
l'article de Bonneuil dont parle Enro montre que la position des chercheurs sur le sujet dépend beaucoup de leur domaine de prédilection. Si je comprends bien, les biologistes plutôt axés "biologie moléculaire", donc travaillant au quotidien avec des OGM, utilisateurs de l'ingéniérie génétique, sont plutôt pour les OGM. Les biologistes intéressés aux effets collectifs, à la génétique des populations, sont eux plutôt contre. Les agronomes sont plus mesurés, mais plutôt contre aussi.
Les raisons profondes des positions des uns et des autres peuvent peut-être se comprendre. Les biologistes moléculaires sont, il me semble, des héritiers de ce qu'on appelle le
"dogme central" de la biologie. C'est ce dogme central qu'on apprend à l'école lors d'une initiation à la génétique : à savoir un gène est codé sous forme d'ADN, puis transcrit sous forme d'ARN, avant d'être traduit pour donner une protéine. L'image grossière associée est celle d'un ingénieur du vivant: un gène est allumé ou éteint, pour le réguler correctement, il suffit juste d'ajuster correctement les briques génétiques (de faire une construction propre). C'est une approche très directement réductionniste.
Les agronomes ou les généticiens des populations travaillent sur à l'autre bout de l'échelle de la vie. Ils étudient des interactions, entre environnement, populations et espèces. En particulier ils manient des grands nombres et connaissent bien les systèmes complexes en interaction (ou plus probablement sont conscients de notre mauvaise compréhension générale du sujet).
Il est assez alors assez intéressant de constater que plusieurs physiciens français de tout premier plan mondial, à l'image des biologistes moléculaires, ont signé une des pétitions plutôt pro-OGM dont parle Bonneuil: Pierre-Gilles de Gennes, George Charpak, Edouard Brézin, Alain Aspect. Je suis rétrospectivement frappé de voir comment physique et biologie moléculaire partagent des communautés d'esprit. Cette communauté est d'abord historique : c'est un ancien physicien, Francis Crick, qui a énoncé le dogme central de la biologie, et aujourd'hui même, les pionniers de la biologie synthétique sont eux-mêmes d'anciens physiciens.
Les succès de la physique ont couronné l'approche réductionniste : on arrive à prédire mathématiquement de nombreux phénomènes en posant bien le bon hamiltonien. Le "dogme central" conçoit les gènes comme des objets simples, contrôlables relativement facilement, quasiment mathématiquement. Il me semble que les arguments pour les cultures OGM, au delà des aspects économiques ou humanitaires, insistent bien souvent sur cet aspect "gène modulaire et isolé". Les interactions sont plutôt considérées comme étant de second ordre.
Dans les positionnements des uns et des autres, il y a donc peut-être un effet de la culture commune en biologie chez les scientifiques et les physiciens en particulier, encore très axée "dogme central" à mon avis. Cette culture est même passée dans le grand public, sous une forme travestie : beaucoup de gens sont persuadés de l'existence de gènes uniques, spécifiques et indépendants pour tout un tas de choses, de la couleur des yeux jusqu'à l'orientation sexuelle... Pourtant, cette culture me semble évoluer en ce moment : c'est une tarte à la crème de dire qu'aujourd'hui, quel que soit le domaine, on pense que les interactions comptent peut-être plus que les objets eux-mêmes. En biologie moléculaire, on s'est aperçu que la complexité réside au moins autant dans les gènes que dans leurs régulations et interactions globales (qui restent encore largement inconnues quantitativement). Les concepts de la physique statistique peuvent permettre de faire des progrès dans la génétique des populations et l'écologie :
voir sur ce blog - on peut voir que modifier un caractère d'une espèce peut modifier complètement la composition de l'écosystème associé (de façon encore assez imprévisible). La course aux armements sur les OGM peut aussi avoir le même effet que celle sur les antibiotiques, typique des effets à moyen terme des interactions complexes dans le vivant. Et puis on sait que le dogme central prend quelques coups en ce moment : de la découverte des micro ARN jusqu'à l'épigénétique et au "second" code génétique sur la chromatine...
Pour conclure (et caricaturer un peu), la position des uns et des autres sur les OGM est peut-être corrélée à deux visions de la biologie. Soit on pense que l'échelle d'étude pertinente est le niveau génétique, où le gène est comme un maître égoïste contrôlant tous les phénomènes en biologie. Dans cette vision, contrôler le gène, c'est contrôler le vivant : les OGM ne sont pas dangereux car l'homme est capable de bien contrôler le gène (en tous cas à l'ordre 0). Soit on pense que plus qu'un gène, c'est le réseau (génétique, écologique) dans lequel il est introduit qui compte. Dans cette image, le gène n'est qu'un rouage, en interaction avec le système global. Il est a priori impossible de savoir comment s'équilibrera cette interaction après la phase transitoire d'introduction de ce gène dans l'environnement, cette impossibilité n'exclut pas une "catastrophe biologique". Dans cette vision, les OGM sont des objets d'études intéressants, mais doivent être sévèrement contrôlés et ne pas être utilisés à grande échelle , en tous cas tant qu'on ne comprend pas beaucoup mieux les choses car les risques écologiques n'en valent actuellement pas la chandelle (qui appartient essentiellement à Monsanto aujourd'hui).