Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

31 janvier 2007

Brisure de symétrie et formation de l'embryon

La brisure de symétrie est un mécanisme très intéressant permettant d'expliquer nombre de phénomène physiques. L'exemple "canonique" est le flambage d'une poutre. L'expérience est simple : considérez une poutre cylindrique rigide, et appuyez sur ses deux extrémités. A partir d'une pression critique, la poutre va se déformer sur le côté (on a tous fait la même chose avec une bonne vieille règle en plastique ;) ). Cette expérience illustre simplement la violation d'un principe proposé par Pierre Curie :

« Lorsque les causes d'un phénomène possèdent des éléments de symétrie, ces éléments de symétrie se retrouvent dans les effets. »


En effet, si la poutre est parfaitement cylindrique et si la pression sur ses extrémités est exercée de façon homogène, le système possède une symétrie cylindrique. Donc si l'on en croit le principe de Curie, le système doit rester symétrique. Or le flambage montre que l'état symétrique est en fait instable : il se passe une bifurcation qui brise spontanément la symétrie du système. Mathématiquement, il se passe exactement la même chose que lors d'une transition de phase (type eau/glace par exemple) : tout d'un coup, un paramètre dépasse un seuil critique et le comportement du système change du tout au tout. Pour être un peu plus exotique, on pense aujourd'hui que les 4 forces élémentaires ne sont en fait que des états de symétrie brisée d'une seule force naturelle. Lorsqu'on parle "d'unifier" la physique, il s'agit en partie de trouver cette super-symétrie...

Venons-en maintenant à la biologie. Lors de la formation de l'embryon se passe un phénomène tout à fait intéressant de brisure de symétrie. En effet, l'embryon de la plupart des animaux semble être au départ une grosse cellule parfaitement sphérique. Comment aboutit-on alors à des animaux ayant deux axes bien distincts : un axe antéro-postérieur et un axe dorso-ventral ? Autrement dit, comment la nature a-t-elle réussi à briser la symétrie sphérique de l'embryon ?

L'exemple le mieux compris est celui de Xenopus (un crapaud, voir illustration ci-contre du procédé). Le premier mécanisme définit en gros l'axe antéro-postérieur. L'ovule est une grosse cellule, et c'est la mère qui crée la première brisure de symétrie en localisant des ARN messagers dans cette cellule, définissant deux pôles (qu'on appelle animal et végétal; le pôle végétal correspond au "jaune" de l'oeuf par exemple). Ce mécanisme est d'ailleurs dans le principe tout à fait similaire à la définition de l'axe antéro-postérieur de la drosophile. La symétrie passe alors de sphérique à cylindrique.

Le second mécanisme de brisure de symétrie va définir l'axe dorso-ventral et est tout à fait fascinant. Le spermatozoïde, lors de son entrée dans l'ovocyte va déclencher une sorte de transition de phase. Des microtubules, auparavant totalement désorientés, vont tout d'un coup s'orienter dans la même direction (à l'aide en particulier de rétroactions positives, typiques de phénomènes de multistabilité pouvant être associés à des transitions de phase). L'effet est spectaculaire : les microtubules tirent sur l'enveloppe rigide de l'ovocyte, appelée cortex, qui va alors littéralement "tourner" autour du cytoplasme de la cellule, (un peu comme si les plaques tectoniques au-dessus du manteau de mettaient toutes à bouger dans la même direction, si bien que l'Europe se retrouverait au pôle Nord !). Ainsi, l'ancien pôle végétal sur le cortex se retrouve "décalé" par rapport au pôle végétal du cytoplasme; une protéine appelée beta-caténine va alors s'y accumuler et ainsi définir la future zone dorsale ce l'embryon ! Le vivant, c'est vraiment merveilleux !

Référence : www.gastrulation.org



7 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est vrai que c'est fascinant!
Finalement, si j'ai bien compris, c'est le premier phénomène de polarisation cellulaire. Ensuite, il semble qu''il soit indispensable tout le temps: pour la migration lymphocytaire par exemple, des travaux montrent que certaines protéines se répartissent de façon particulière au niveau cytoplasmique ou membranaire, la cellule étant ainsi polarisée, et que ceci est indispensable à ladite migration...C'est beau tout ça

Anonyme a dit…

Pas tout à fait lié, mais un peu quand même, ce billet sur l'embryogenèse (et le débat qui s'ensuit, mêlant évolution et intelligent design), devrait t'intéresser...

Tom Roud a dit…

@ seven : effectivement, ces mécanismes de polarisation ont l'air assez généraux. La question qui se pose ensuite est de savoir ce que tu fais de cette polarisation !

@enro : c'est effectivement assez proche; je décris le procédé de formation des gradients ici. Sinon, j'apprends avec ce billet que Vincent Fleury s'intéresse à la gastrulation, et se fait violemment attaquer par l'auteur du blog. Il va falloir que je mette mon nez là-dedans, car cela me surprend beaucoup...

Anonyme a dit…

Tom > Effectivement, il y a de quoi creuser pas mal, surtout si tu as déjà entendu parler de V. Fleury !! Je savais que ça allait t'intéresser ;-)

Tom Roud a dit…

@ Enro : oui, je connais (un tout petit peu) les travaux de V. Fleury sur la formation des vaisseaux sanguins. Il faudrait que je regarde de nouveau, mais dans mon souvenir il a une vision très "physico-mécanique" de la chose, voire "auto-organisation", d'où je pense les critiques de ce blogueur qui lui reproche de ne pas être assez "génétique" (dans le sens où tout devrait être programmé avec précision par les gènes). Ma position a priori est que les deux ont un peu raison, mais j'ai plus confiance dans le sens physique de Fleury. Enfin, je n'ai fait que lire tout cela rapidement, il faut que j'aprofondisse; je suis en train de lire la page web de Vincent Fleury :
http://www.gmcm.univ-rennes1.fr/vincentfleury/

Matthieu a dit…

ca vient d'ou ces noms de cote animal/vegetal ?

Tom Roud a dit…

@ matthieu : le nom vient du fait que toute l'animation est dans le pôle animal. Les cellules se divisent rapidement dans le pôle animal, tandis que le pôle végétal reste assez inerte (végétatif ?) et est en gros une grosse réserve de nourriture (c'est le jaune d'oeuf par exemple).