Time magazine a organisé dans son numéro daté du 13 Novembre un débat entre deux scientifiques, Richard Dawkins et Francis Collins, sur les relations entre Dieu et la Science. Le contexte américain est bien connu : les ultra-religieux, pour des raisons essentiellement politiques et morales, ont décidé de s'attaquer à la théorie de l'évolution, vue comme dangereuse moralement car faisant de l'homme un animal comme les autres. Ils ont ainsi développé une théorie pseudo-scientifique, l'Intelligent Design (ID), visant à attaquer la science sur son terrain. Scientifiquement, c'est plutôt un coup d'épée dans l'eau; politiquement en revanche, la stratégie a été très efficace, livres, débats se multiplient, certains décideurs en sont même à accepter voire à préconiser l'enseignement de l'ID à l'école.
Evidemment, le milieu scientifique ne reste pas indifférent face à cette attaque en règle et se doit de se positionner dans le débat. On peut à mon avis classer les scientifiques en trois catégories :
- les athées forcenés (comme
Dawkins, auteur notamment du
gène égoïste et du récent
The God delusion), voyant la religion comme un archaïsme trompeur et bien décidés à ne pas se laisser faire, voire à démontrer l'inexistence de Dieu,
- les scientifiques "neutres" (par exemple Stephen Jay Gould) qui pensent qu'il n'y a pas lieu de se poser la question de la cohabitation entre Dieu et la science, représentant deux domaines bien distincts qui ne se parlent jamais. Dieu ne fait pas partie de la nature, n'intervient pas dans celle-ci.
- les scientifiques croyants, qui pensent que Dieu existe et intervient dans les affaires du monde, rarement mais sûrement.
Francis Collins, directeur
du National Human Genome Research Institute , auteur de
The Language of God: A Scientist Presents Evidence for Belief, fait partie de ceux-là. Néanmoins, pas fou, Collins pense qu'il est impossible de démontrer l'existence de Dieu par des moyens scientifiques.
Le débat organisé par Time commence par une présentation rapide des positions respectives des deux scientifiques sur Dieu et la science. Pas de surprises de ce côté-là. Time demande ensuite à Dawkins pourquoi il pense que la théorie de Darwin contredit le récit de la Genèse (!). Dawkins développe alors brièvement comme explication scientifique alternative la théorie néo-darwinienne à base de mutations/sélection. Collins approuve et pense que la théorie de l'évolution n'est pas incompatible avec l'idée d'un Dieu créateur : selon lui, Dieu aurait pu juste donner l'impulsion initiale, l'organisation de la nature émergeant naturellement vers un homme créé à son image. Pourquoi pas après tout, même si Dawkins fait remarquer un peu perfidement que c'est un procédé bien étrange que d'attendre que l'homme émerge tel quel après 4 milliards d'années d'évolution. Mais bon, les voies du Seigneur sont impénétrables, n'est-ce pas ?(d'ailleurs c'est en somme ce que lui rétorque Collins).
Time met ensuite sur la table la tarte à la crème actuelle issue de la physique, à savoir que les constantes fondamentales semblent ajustées pour permettre l'apparition de la vie (voir
ici et
surtout là pour plus de détails sur cette controverse et les théories en jeu). Collins assène alors le principe anthropique fort : Dieu a choisi les paramètres ainsi pour que l'homme apparaisse. Dawkins répond par la version cordiste du principe anthropique faible : il existe tellement d'univers parallèles qu'il y en a forcément un pour lequel les paramètres sont bien ajustés.
Et là, Collins nous sort un argument tellement incroyable que je me suis sincèrement demandé s'il était sérieux. Collins trouve plus plausible d'
un point de vue scientifique,
l'existence de Dieu, plutôt que l'existence de multi-univers. Il conclut donc, en vertu du rasoir d'Occam, que Dieu existe !!!
Arrêtons-nous quelques instants sur cet argument. A ma gauche, nous avons une théorie scientifique, contestée certes, mais qui donne une réponse. A ma droite, nous avons Dieu. Et bien, Collins, scientifique de son état, trouve la science physique non plausible, et penche donc pour Dieu. Je trouve cela totalement hallucinant. Imaginons-nous 1000 ans en arrière. A l'époque, il n'existait pas de théorie de la gravité par exemple. Comment Collins aurait-il expliqué la rotation de la Lune autour de la Terre et la chute de la pomme ? En tant que scientifique, la règle numéro 1 devant un mystère est de chercher une explication scientifique, naturelle. Devant l'incompréhensible, seule la démarche scientifique s'est historiquement révélée pertinente et efficace. Préférer Dieu à la science, n'est pas une attitude scientifique. Cependant, Collins affirme, je cite :
"God is the answer of all of those "How must it have come to be" questions".
Dawkins le recadre alors en lui faisant remarquer que ce n'est effectivement pas une démarche scientifique...
Time, perfide, demande alors si la réponse à de telles questions pourrait être Dieu (après bien sûr une recherche vraiment scientifique). Dawkins botte en touche en disant qu'il pourrait y avoir quelque chose d'immense, d'incompréhensible pour nous, de très grand. Collins lui fait remarquer que c'est Dieu par définition. Dawkins répond alors qu'il n'y a aucune chance que ce Dieu soit Jésus, Yahweh ou Allah. Je pensais alors que c'était une pirouette. Pourtant, la suite démontre qu'il a au contraire mis dans le mille. Le débat glisse sur la Genèse et la Bible en général. Collins affirme alors haut et fort sa foi de chrétien : devant l'impossibilité scientifique, il affirme que Dieu a nécessairement violé les lois de la Nature pour féconder la vierge et pour ressuciter. Autrement dit, Dawkins avait bien répondu, le débat est tout autant de contrer l'idée d'un Dieu créateur que l'idée que son propre Dieu est véritablement le Dieu créateur. Collins se fait d'ailleurs titiller sur ce point par Dawkins qui lui fait remarquer qu'il est en bonne compagnie avec des "clowns" fondamentalistes.
Le débat embraye sur l'autre thème classique, à savoir l'explication de la morale. Collins affirme que la morale vient de Dieu, qui nous a créés moraux et que cela ne peut être entièrement expliqué par la théorie de l'évolution. Dawkins pense le contraire et expose ses arguments scientifiques (voir
ici sur ce blog toujours). Encore une fois, j'ai été un peu soufflé par le discours de Collins : comment peut-on être scientifique et affirmer que certains phénomènes naturels ne peuvent être expliqués scientifiquement ?
Le débat se termine par une évocation du problème des cellules souches. Dawkins est favorable à toute expérimentation tant qu'aucun système nerveux n'existe, et fait remarquer que les hommes n'hésitent pas par exemple à faire souffrir des animaux pour les tuer, ce dont n'ont cure les religieux. Collins fait alors remarquer que les hommes et les animaux ne sont pas équivalents moralement, ce que Dawkins reconnaît. C'est à mon avis le seul point que Collins marque dans le débat, même si je pense que la réponse à ce genre d'interrogations se trouve dans la philosophie plutôt que dans la religion.
Chacun conclut alors sur son message principal. Collins, sans surprise, insiste sur le fait qu'il pense qu'il y a certaines questions dont on ne peut trouver la réponse que dans la religion. Etonnament, Dawkins revient sur l'idée qu'il y a des arguments convaincants contre l'existence d'un créateur, mais que, si créateur il y a, ce n'est certainement pas Jesus à son avis, mais quelque chose qu'aucune pensée humaine ne peut concevoir...
Voilà pour ce résumé un peu long. Etant moi-même plutôt sur la ligne de Dawkins, je n'ai pas repris tous ces arguments, et me suis concentré, y compris à la lecture, sur les arguments de Collins. Je dois dire que j'ai été un peu déçu de ce point de vue, et pas convaincu, c'est le moins qu'on puisse dire...