Lassitude du post-doc après les concours
Le verdict est tombé, je suis rentré bredouille cette année et resterai en post-doc. Comme l'an dernier, j'ai été parfois classé, mais toujours du mauvais côté de la barrière.
J'ai déjà bien critiqué dans ces pages les concours de recrutement. Cette fois-ci, j'ai vraiment senti l'odeur des petites cuisines politiques, l'odeur d'un certain mépris pour les candidats (lapsus révélateur, j'avais écrit étudiants). Ah cette histoire terrible de la commission de "spécialistes" ayant convoqué un expérimentateur du bout du monde pour être auditionné sur un poste ... de théoricien ! Parfois le sentiment que nous ne sommes là que pour "faire du chiffre", que l'image des labos dépend du nombre de candidats et que donc ceux-ci sont parfois prêts à tout pour que vous candidatiez chez eux ... pour à la fin soutenir un autre candidat en vous disant le contraire.
Plus généralement, mes perspectives scientifiques en France me semblent troublées. Oui, je m'intéresse à l'interface physique-biologie, oui, la dernière fois que j'ai écrit un Lagrangien, j'étais en DEA, et oui, dans mon domaine, on publie très peu, moi le premier malheureusement. Mais ma dernière publication de thèse est typique "système dynamique", je m'intéresse à la morphogenèse en biologie, et j'essaie plus généralement de développer de vraies approches quantitatives dans un domaine quasiment vierge théoriquement. Alors, quand on me demande dans une audition "quel est l'intérêt de ce que je fais pour la physique ?", je tombe des nues. Je ne savais pas qu'il y avait un indice de pureté disciplinaire, que le corporatisme s'exerçait à l'intérieur des disciplines. Je ne peux m'empêcher de pester contre tous ces profils généraux, ouverts à tous, ce qui entraîne une masse de candidats, des commissions de spécialistes incompétentes dans tous les sujets "à la marge", et qui, par calcul ou par "sécurité", se retrouvent sur des critères un peu absurdes pour sélectionner. Ainsi, mieux vaut-il être troisième auteur d'un papier de Science que premier auteur d'un PNAS...
Sentiment d'absurdité. Des sacrifices personnels énormes (trois ans sans ma femme - et je ne suis pas le seul), après des études longues et difficiles, et des choix qui paraissent rétrospectivement un tantinet idéalistes - j'ai bien bradé mon parcours en école d'ingénieur. Un certain étonnement devant la légéreté de la plupart des chercheurs en place, qui mettent un petit mouchoir sur la masse des étudiants bien pratiques pendant leur thèse, mais qui se retrouvent dans la nature après des années consacrées à la recherche académique. Pas tous bien sûr; en ce qui me concerne, j'ai la chance d'avoir un directeur de thèse sympa qui me remonte le moral et m'encourage - mais c'est loin d'être la règle. Vous me direz peut-être que j'ai bien bénéficié du système méritocratique à la française jusque maintenant, et que je suis un peu hypocrite de m'en plaindre. Ce n'est pas entièrement faux, mais contrairement à la prépa ou à l'école d'ingé, c'est la première fois que j'ai le sentiment que l'échec serait dur à surmonter, qu'en dehors de la voie toute tracée, nous serions dans les limbes.
Maintenant que faire ? J'aime bien ce que je fais, j'y crois, et je ne crois pas être mauvais, donc l'option "tenure track" est à étudier. Mais ne devrais-je pas plutôt me recycler ? Dans ce cas, ne suis-je pas déjà hors course du fait de mes intérêts scientifiques un peu originaux ? Tant d'amis utilisant leurs compétences dans la finance ou ailleurs... Je rêve aussi d'écrire, de développer les sujets abordés sur ce blog, de vulgariser, d'enseigner. Mais se pose bien vite le problème de la localisation géographique : à bientôt 30 ans, aucune envie de passer des années loin de ma femme...
Je fais une dernière année en post-doc, j'ouvre grand les oreilles à toutes les possibilités, et l'an prochain probablement, je bouge.
J'ai déjà bien critiqué dans ces pages les concours de recrutement. Cette fois-ci, j'ai vraiment senti l'odeur des petites cuisines politiques, l'odeur d'un certain mépris pour les candidats (lapsus révélateur, j'avais écrit étudiants). Ah cette histoire terrible de la commission de "spécialistes" ayant convoqué un expérimentateur du bout du monde pour être auditionné sur un poste ... de théoricien ! Parfois le sentiment que nous ne sommes là que pour "faire du chiffre", que l'image des labos dépend du nombre de candidats et que donc ceux-ci sont parfois prêts à tout pour que vous candidatiez chez eux ... pour à la fin soutenir un autre candidat en vous disant le contraire.
Plus généralement, mes perspectives scientifiques en France me semblent troublées. Oui, je m'intéresse à l'interface physique-biologie, oui, la dernière fois que j'ai écrit un Lagrangien, j'étais en DEA, et oui, dans mon domaine, on publie très peu, moi le premier malheureusement. Mais ma dernière publication de thèse est typique "système dynamique", je m'intéresse à la morphogenèse en biologie, et j'essaie plus généralement de développer de vraies approches quantitatives dans un domaine quasiment vierge théoriquement. Alors, quand on me demande dans une audition "quel est l'intérêt de ce que je fais pour la physique ?", je tombe des nues. Je ne savais pas qu'il y avait un indice de pureté disciplinaire, que le corporatisme s'exerçait à l'intérieur des disciplines. Je ne peux m'empêcher de pester contre tous ces profils généraux, ouverts à tous, ce qui entraîne une masse de candidats, des commissions de spécialistes incompétentes dans tous les sujets "à la marge", et qui, par calcul ou par "sécurité", se retrouvent sur des critères un peu absurdes pour sélectionner. Ainsi, mieux vaut-il être troisième auteur d'un papier de Science que premier auteur d'un PNAS...
Sentiment d'absurdité. Des sacrifices personnels énormes (trois ans sans ma femme - et je ne suis pas le seul), après des études longues et difficiles, et des choix qui paraissent rétrospectivement un tantinet idéalistes - j'ai bien bradé mon parcours en école d'ingénieur. Un certain étonnement devant la légéreté de la plupart des chercheurs en place, qui mettent un petit mouchoir sur la masse des étudiants bien pratiques pendant leur thèse, mais qui se retrouvent dans la nature après des années consacrées à la recherche académique. Pas tous bien sûr; en ce qui me concerne, j'ai la chance d'avoir un directeur de thèse sympa qui me remonte le moral et m'encourage - mais c'est loin d'être la règle. Vous me direz peut-être que j'ai bien bénéficié du système méritocratique à la française jusque maintenant, et que je suis un peu hypocrite de m'en plaindre. Ce n'est pas entièrement faux, mais contrairement à la prépa ou à l'école d'ingé, c'est la première fois que j'ai le sentiment que l'échec serait dur à surmonter, qu'en dehors de la voie toute tracée, nous serions dans les limbes.
Maintenant que faire ? J'aime bien ce que je fais, j'y crois, et je ne crois pas être mauvais, donc l'option "tenure track" est à étudier. Mais ne devrais-je pas plutôt me recycler ? Dans ce cas, ne suis-je pas déjà hors course du fait de mes intérêts scientifiques un peu originaux ? Tant d'amis utilisant leurs compétences dans la finance ou ailleurs... Je rêve aussi d'écrire, de développer les sujets abordés sur ce blog, de vulgariser, d'enseigner. Mais se pose bien vite le problème de la localisation géographique : à bientôt 30 ans, aucune envie de passer des années loin de ma femme...
Je fais une dernière année en post-doc, j'ouvre grand les oreilles à toutes les possibilités, et l'an prochain probablement, je bouge.
17 commentaires:
Ouah, eh bien bon courage avec tout ça -- comme quoi, l'interdisciplinarité est toujours aussi difficile à défendre et à faire accepter. Mais j'y pense, n'y a-t-il pas des bourses d'aide au retour au pays ? (ou peut-être est-ce dans les plans de la nouvelle ministre ?) Mais même dans ce cas, difficile de savoir ce que tu fais une fois rentré... Et les bourses Marie Curie ? Et les concours d'IE ou IR ?
Comme je comprends ton découragement... Nous avions il y a deux semaines un séminaire constitué de 3 exposés de candidats à un poste de professeur. Ce type de poste est très convoité et souvent le dernier espoir de chercheur ayant accumulé les années de post doc: au bout de 12 ans de CDD en Université en Allemagne, soit on devient titulaire (prof donc, entre autres), soit on dégage. Bien que le "candidat gagnant" soit deja connu (et probablement le plus mauvais), il a fallu inviter 2 autres, pro forma, pour legaliser le processus. Des km, de l'energie, de l'espoir pour rien...
Personnellement je ne lis pas du découragement dans ce post (cf. commentaire #2), je lis plutôt un fort agacement vis-à-vis du système de recrutement qui ne favorise pas l'innovation disciplinaire. Tout le monde sait pourtant que c'est là que l'on crée des trucs vraiment inventifs.
La reconversion est toujours possible. Regarde autour de toi : c'est très valorisé ailleurs qu'en France (où l'esprit de "la Carrière" pèse lourd, toute déviation est considérée justement comme déviante).
Tu peux aussi te renseigner dans les bureaux de lifelong learning/formation continue, ils recherchent souvent des enseignants pour des élèves qui font l'équivalent du CUEFA en France (passages d'équivalents bac pour accéder à l'université).
Courage, tout le monde s'en prend plein la gueule dans la recherche actuellement.
Juste pour illustrer, ceci n'est plus découvrable aujourd'hui, personne n'en financerait un centime.
http://www.persee.fr/showPage.do?urn=hom_0439-4216_1962_num_2_1_366446
J'ai pris un exemple bien caricatural, mais Jakobson et Lévi-Strauss sont parmi les plus grandes figures des années 1960. À bon entendeur !
@Tom : un sujet interdisciplinaire en France ? Tu t'attaques à une montagne là. J'espere que tu parviendras à mettre cette année à profit pour trouver un projet de carrière qui te permette de te réunir avec ta femme. Mon conseil serait de regarder un peu dans l'industrie, des grandes entreprises internationales intéressés par un profil orienté bio ca doit exister. En passant les premiers entretiens aux USA tu eviteras le tropisme anti-thesards francais.
@Fr : Ils ont surement fait ces recherches alors qu'ils etaient bien établis, et n'avaient pas besoin de financement supplémentaire. par contre merci pour le poeme, je comprends pourquoi j'aime les chats !
Bon courage!...
En tout cas, si tu veux te reconvertir dans la finance, cela me parait évidemment sans problème pour toi (processus stochastique, C++, anglais et grand école, c'est royal. Notre dernière recrue fini son master sur l'étude du vol des insectes); d'ailleurs, si le japon t'intéresse toujours...
Mais c'est faire une croix, au moins momentanément, sur tes passions académiques, et c'est un rythme de vie assez différent (j'ai toujours du mal avec les horaires, surtout le matin ;) ). Perso, vu ton talent et le plaisir que tu prend à expliquer et vulgariser je te conseille plutôt de persévérer!
Haut les cœurs ! Le président Sarkozy a rendu hommage à l'interdisciplinarité lors de son allocution à la mémoire de
Pierre-Gilles de Gennes ! Je cite :
"Il aura été l'un de ceux qui ont le mieux compris l'importance cruciale de faire tomber les barrières entre les disciplines. Il n'aimait rien tant que faire travailler ensemble des physiciens de spécialités différentes, mais aussi des biologistes, des médecins, des ingénieurs.
Il connaissait la force de la fertilisation croisée, l'importance de la rencontre, de l'échange, du métissage des idées, des cultures, des savoirs pour fabriquer de la nouveauté, pour innover et pour créer."
@ tous : merci de vos commentaires.
@ Enro 1: le truc, c'est que je ne crois pas que faire un post-doc en France soit une stratégie hyper bonne après un post-doc aux US (mais bon, je te l'accorde, en matière de stratégies, je ne suis peut-être pas le meilleur conseil ;).
Par ailleurs, mon désir de rentrer en France (indépendamment du fait que c'est mon pays) est lié au fait que, compte tenus de nos parcours respectifs, c'est un bon endroit pour converger à terme dans la recherche avec ma femme qui est pour l'instant en Amérique du Nord; mais tant qu'à ne pas être chercheur, je préfèrerais chercher du boulot près de ma femme.
@ souris : oui, c'est un peu pareil en France, cette façon de convoquer plein de gens, c'est vrai que c'est décourageant pour les candidats, et qu'on a vraiment le sentiment qu'on se fiche de notre tête.
@ Fr. 1 : oui, c'est plus de l'agacement que du découragement en ce qui me concerne, même si je suis parfois découragé.
Et c'est vrai que c'est dur pour tout le monde; c'est pour ça aussi que j'ai écrit ce billet, pour mes camarades boulés comme moi. J'espère qu'un jour on aura les moyens de renverser la table et de changer le système.
@ Fr. 2 + Matthieu : moi aussi j'ai le sentiment que les profils atypiques ne sont pas vraiment valorisés (s'ils l'ont jamais été). La différence, c'est qu'autrefois on rentrait au CNRS sur lettre de motivation tellement il y avait peu de demandes, donc on pouvait se permettre de faire vraiment ce qu'on veut; aujourd'hui la demande est telle que les gens ne veulent pas "prendre de risque".
Sinon, pour faire de l'interdisciplinaire en France, mon conseil serait de :
- faire une thèse dans un domaine classique,
- bifurquer dans l'interdisciplinaire après un bon matelas de publis, avec des gens publiant pas mal, voire attendre d'être recrutés pour se lancer dans des sujets à la marge.
L'autre solution est de faire un truc seulement "apparemment" interdisciplinaire; par exemple trouver un problème de biologie où un modèle de physique ou informatique existant s'applique quasiment directement.
D'une certaine manière, cela dépend aussi de la définition qu'on a de l'interdisciplinaire : pour moi n'est vraiment interdisciplinaire qu'un domaine qui introduit de nouveaux concepts et n'est pas simplement à l' intersection de deux domaines. Par exemple, clairement, Vincent Fleury est interdisciplinaire; on peut être critique sur ces travaux, mais il introduit de nouvelles idées. Il y a bien sûr un continuum, mais quand j'étudie théoriquement un système dynamique biologique, je ne suis que "marginalement" interdisciplinaire : je ne fais que plaquer des outils existants sur un problème d'une discipline différente (ce qui fait une publication que je qualifierais "d'alimentaire", mais qui ne risque pas de bouleverser la science). Le problème, c'est que seules ces dernières publis sont vraiment "visibles" auprès de physiciens par exemple, sauf à faire des Nature et des Science. Je suis convaincu qu'un PRL dans mon domaine pèse plus qu'un PNAS auprès des "recruteurs" physiciens, ce qui n'est à mon avis pas normal, vu qu'aucun biologiste ne lit PRL.
L'erreur est donc de faire une thèse dans le "vrai" interdisciplinaire; c'est le meilleur moyen de se faire passer devant par tous les profils plus classiques.
@ LFaB : merci de ton soutien et de tes encouragements. Je persévère cette année, mais si je veux me lancer dans la finance, tu es premier ex-aequo sur ma liste ;).
@ Enro 2 : De toutes façons, cette année, en section interdisciplinaire 44 par exemple, il y avait en tout et pour tout... un poste de CR2 (pour environ 80 candidats inscrits). Le plus cocasse est qu'il y avait pas mal de postes de CR1 et de DR; de la même façon, il paraît qu'il y a eu quelques postes de profs ouverts à l'université en interdisciplinaire, et qu'ils ont eu du mal à trouver des candidats. Donc faire de l'interdisciplinaire, peut-être, mais seulement avec les gens déjà en place (c'est mon impression en tous cas).
Sinon, certains (dont seven) m'ont suggéré d'écrire à Sarkozy d'ailleurs ;) ...
Que dire de plus a ce post qui resume a mon avis ce que ressentent bon nombre de candidats (moi le premier!), quelque soit la discipline.
Et j'appuierai les propos de l'auteur de ce blog en repetant que ce n'est pas du decouragement mais un PROFOND enervement!
Pour aborder un sujet plus leger (?), je voulais dire que parcourant ce blog regulierement, celui-ci est de grande qualite, tres interessant et instructif. Donc felicitations M Roud!
C'est vraiment trop d'la balle! :)) (comme on dit!)
@Fr.
Merci pour le lien, le texte est magnifique. Mais justement, peut-être que l'on ne fait plus ça parce qu'il n'y a plus de chercheurs de la qualité de ces deux là (en âge de publier, CLS est encore vivant). Et puis d'ailleurs, on a encore Latour pour naviguer entre sciences, politique, architecture...
Bonjour
Je suis désolé pour vous, et pour tous le jeunes dans votre situation.
Pendant cette dernière année de post-doc, il faut vous faire connaître en France (séminaires etc.)
C'est important.
Avec les projets financés par l'ANR il est possible de salarier quelqu'un pendant quelques annés, ça peut toujours vous permettre d'attendre dans de bonnes conditions, donc ce n'est pas mauvais de connaître des gens sur le point de lancer un projet en rapport avec ce que vous pourriez faire.
Haut les coeurs.
vf
ouaiiiiiiiiiiiiiiiiiis !!!!!!!!
moi pareil
j'ai pas laisse de message plus tot a cause de ca. Il y avait hier les oraux du concours destine a trouver un remplacant a mon superviseur actuel.
Conclusions : je suis classe 3e derriere une candidate qui a prevu de redemarrer le labo a zero (autres techniques, autres animaux, autres projets, bref, de detruire tout ce qui existe actuellement) et un candidat qui avoue que donner un cours devant un amphi c'est trop dur pour lui et qu'il s'evanouirait.
Il y a des defaites qui font plus mal que d'autres...
Allez, Tom, on va boire un coup ensemble quand tu veux et on reinvente un monde ou on peut faire de l'interdisciplinaire. :-)
PS : quand a la France, j'y ai renonce depuis longtemps. On en avait deja discute en janvier...
En regardant cette situation très générale de “malheureuse” recherche interdisciplinaire, j'ai tendance plutôt de dire “bienvenu dans le club, Tom”. Dommage que je n'étais pas conscient des détails de ta specialisation professionnelle. Moi, je me suis “reclassé” tout naturellement (par développement professionnel) de la physique théorique vers les études “très” interdisciplinaires des systèmes complexes (tout entre particules élémentaires et explication de la conscience émergente!) il y a bientôt 20 années d'ici (10 ans de l'interdisciplinarité “profonde” seulement). Il y a le “vrai” succès dans le développement de la science comme telle, mais, dans la proportion exacte avec ça, le vrai échec en “reconnaissance” par les collègues “disciplinaires” (et bien disciplinés!), non pas parce qu'ils ne sont pas d'accord, mais parce qu'ils ne s'en intéressent pas et ne sont pas motivés pour comprendre quoi que ce soit dans cette “interdisciplinarité” qui est complètement étrange pour la plupart d'eux, surtout les “vieux” qui déterminent tous les choix pratiques de financement, etc. Et cela est comme ça un peu partout dans le monde, mais beaucoup plus en Europe et surtout en France (les Français sont en général les champions sans égale en conservatisme de toute sorte qu'ils ont tendance de considérer comme “prudence” nécessaire). On peut trouver ma description “intégrale” de cette véritable crise et révolution émergente en science dans http://arxiv.org/abs/0705.4562 .
Alors, quoi faire pratiquement? Ma réponse: continuer d'avancer (plutôt que reculer comme tu le conseille quelque part, apparemment “à contrecœur”) et avancer dans l'interdisciplinarité “profonde” qui va se réduire finalement à la “science de complexité” unifiée et consistante, même si “les chemins vers la vérité” individuels peuvent varier. Il faut bien comprendre ce qui est “avantages pratiques” dans cette situation “non-équilibrée”. Le “bon” choix est certainement celui en faveur d'interdisciplinarité (précisée éventuellement comme complexité), tandis que les “pressions du système” (très stupides mais fixées “pour toujours”) poussent encore vers la “trahison de la vérité” en faveur des “postes”, etc. Mais la situation change vite et va changer de plus en plus vite en faveur du “bon” choix. De toute façon, on peut y avoir peu de doute que la science canonique, “disciplinaire” tombe dans une crise et impasse de plus en plus profondes et évidentes.
Encore plus concrètement, il faut tenter de “créer des postes” (emplois) pour soi dans cette science interdisciplinaire et ses applications diverses, plutôt que d'attendre une “opportunité” proposée par les “grands maitres” du système de connaissance décadent et déjà mort. Il y a une tendance profonde en science fondamentale qui se termine (sans vraiment sa continuation directe), et une autre qui commence “de zéro” (on a que des “outils” très généraux comme héritage du stade précédant), et parce que c'est comme ça, il n'y a (et ne peut être) que nous, les “nouveaux” chercheurs interdisciplinaires qui puissent “organiser” cette nouvelle science en tout, dans son nouveau contenu, sa nouvelle pratique et système d'organisation (voir les détails dans l'article cité ci-dessus). C'est une situation difficile, mais objectivement réelle, on ne peut pas l'échapper. Si on ne réussit pas de créer cette science nouvelle, dans la limite, toute science fondamentale sera terminée comme telle (mais parce que les problèmes “interdisciplinaires” grandissent, ce sera la catastrophe de l'échelle globale, déjà très visible...).
Et encore plus concrètement, on peut réussir dans cette tache difficile, mais objectivement inévitable seulement si on saura unifier bien les efforts de ces “nouveaux” chercheurs interdisciplinaires, pas vraiment pour “lutter contre le système” existant, mais pour créer les unités de développement de cette science nouvelle. Il faut abandonner pour toujours cette logique et attitude des chercheurs comme “entretenus”, “pris en charge” par le grand système étatique qui “sait tout”, évidemment, et va tout décider pour nous. Ça ne marche plus maintenant et ça ne marchera plus jamais, la science ne peut que retrouver son développement intrinsèquement créatif et libre, surtout quand on se trouve déjà dans une ambiance économique (et même largement sociale) qui pratique plutôt ce type de développement libre. Il faut donc trouver des contacts, relations, amis d'enfance et parents éloignés, tout le monde et tout ce qu'il faut pour initier ces “cellules”, plutôt “indépendantes” (mais peut-être “près” des universités ou unités R&D existantes) des études “interdisciplinaires”. On fait déjà ça pas seulement dans les pays du Sud d'Europe qui “bougent” toujours plus activement, mais aussi, par exemple, en Allemagne et, paraît-il un peu partout sauf ... bien sûr au Grand Royaume Français, décidemment le plus heureux des tous. Mais je crois que la reconnaissance de la nécessité de ce genre de développement vient même ici, on voit même un nombre grandissant des imitations diverses (mais il faut insister sur la “vraie chose”); je crois qu'il y a des bases profondes dans la pensée française pour réussir avec ce genre de recherche; et je crois que l'esprit de renouvellement “politique” qui vient “d'en haut” pourrait bien aider et réaliser ses propres ambitions justement dans cette direction. Parce que je réside en Ukraine, j'ai peu des “tuyaux” pratiques et concrètes en France, mais j'ai beaucoup des justifications et résultats scientifiques qui montrent clairement et rigoureusement pourquoi “il faut y aller”, y investir (plutôt que “soutenir la recherche” en général). Alors, il faut savoir réunir les intéressés, leurs compétences et relations (tout, tout, tout) pour organiser une unité/équipe de recherche interdisciplinaire sur la dynamique complexe des systèmes biologiques, sociaux, écologiques, informatiques,... n'importe quels! (parce qu'ils sont TOUS complexes, dans un sens très précis de leur complexité dynamique qu'on peut trouver dans mes articles). Peu importe, évidemment, le nom et autre détails extérieures (y compris même le pays d'accueille, même si on préfère le Royaume le plus français), c'est le contenu de recherche et les principes d'organisation qui comptent. Si on arrive à mobiliser pas seulement les organismes publiques, mais aussi les grands compagnies privées pour organiser cela en Allemagne (et ça marche!), pourquoi ne pas réussir en France si nos compétences et possibilités sont tellement plus grandes que chez les autres? (c'est vrai en plus, mais il faut savoir aussi de prendre ses responsabilités et être motivés “pour la grande cause”).
Voilà le plan. Supposons qu'il y a une équipe, pour le moment “virtuelle”, mais très “dynamique” et hyperpuissante dans ses capacités de résoudre les problèmes “difficiles” (= par études “interdisciplinaires” des systèmes “complexes”) et qui cherche activement son application et implantation dans un pays qui sera heureux d'accueillir la science la plus avancée, presque “magique”, avec l'accent sur la France (mais c'est sa dernière chance de s'en sortir!) ou sinon, les Etats Unis (pour faire regretter la France!) ou un autre pays suffisamment développé d'Europe ou du monde entier. Qui est dans l'équipe?, moi, “petit Tom”, sa femme (quel est son métier scientifique, par ailleurs?), et puis d'autres “chercheurs interdisciplinaires” qui veulent aller dans le futur plutôt que rester dans le passe ou “mourir” comme scientifiques et changer pour le business. Par ailleurs, dans cette entreprise on n'aura pas de problème pour réunir des applications très pratiques, on peut dire business, et la science la plus fondamentale, c'est ça aussi la différence par rapport aux ruptures traditionnelles entre les deux.
Je ne fais que “dessiner” en grandes lignes la solution qui n'est qu'un rêve pour le moment, mais d'autre part, je ne vois pas vraiment d'autre possibilité qui serait vraiment “bonne”, ni pour toi, Tom, ni pour d'autres “petits jeunes” réprouvés comme toi (qui ne sont pas aussi petits, finalement!), ni surtout pour tout le développement scientifique, technologique et social. [Dans la limite, ce ne serait vraiment pas aussi bien pour toi d'avoir une chance aussi désirable de trouver ce “boulot” traditionnel en science bornée, car ça peut donner au maximum que cette “petite interdisciplinarité”, “calculs mathématiques d'un saut de grenouille”, mais pas la science nouvelle, nécessaire et créative.] Et c'est très concret, ce n'est pas que des “gros mots”. Dans une période de “transition de phase” comme la notre tout devient tellement lié. Quand on dit, par exemple, “knowledge-based society” (on adore cela au sein de structures Européennes!), peut-on imaginer cette science ordinaire, déjà complètement foutue et abandonnée par tout intérêt comme une base ferme et durable de la société et civilisation future, bien plus meilleure que celle d'aujourd'hui?! C'est le temps de poser les questions sérieusement et de donner les réponses également sérieuses et concrètes. Nous le pouvons et nous ne sommes pas aussi nombreux pour que “leur” société, alourdie par les problèmes qu'elle ne sait pas maîtriser en principe (et nous, on sait le faire, c'est notre métier), puisse se permettre le luxe de négliger notre aimable proposition de l'aide. Ils peuvent refuser, mais c'est même notre DEVOIR sacré de les donner leur dernière chance de passer de la décadence actuelle (et grave) vers le progrès créatif et durable. Ça ira dans cette formulation, Tom? Cette formulation ou une autre, il faut tenter de créer soi-même les nouvelles possibilités pour soi en utilisant la force d'unification et interaction qui devrait, par ailleurs, être plutôt “habituelle” dans cette connaissance “interdisciplinaire”. Et il faut abandonner ce mode typiquement français de la lutte très “individuelle” pour “ses problèmes personnels”, car c'est évident que maintenant on a plutôt les problèmes qui sont “les nôtres” (ainsi que “les leurs”): soit tout le monde gagne, soit tout le monde perd... Je propose de proposer de gagner plus activement et largement.
Andrei Kirilyuk
http://myprofile.cos.com/mammoth
Tu as déjà songé à la Suisse ? L'université ou j'ai fait mes études, l'EPFL, tente de s'orienter bio. Depuis quelques années une nouvelle faculté a été ouverte, et ils cherchent à la développer (ils aiment bien les biophysiciens). Voilà l'adresse du site pour les postes à pourvoir : ici.
La deadline c'est au mois de mars, mais comme l'annonce y est toujours, tu ne risque rien à envoyer un mail...
En espérant boire un verre avec toi sur le campus.
Steve
Je réponds avec un peu de retard...
@ Loredann : merci du soutien sur tous les plans ;)
@ markss : je suis totalement incompétent dans ce domaine, mais peut-être que si on n'a pas de recherche de cette qualité, c'est aussi parce qu'on perd une grande partie de notre énergie à demander des financements, se chercher des points de chute, mettre au point des "stratégies" politiques, etc... plutôt que de faire de la recherche. Certains arrivent à faire abstraction et à vivre "au jour le jour", pas moi.
@ vf : merci pour les conseils. Ca fait plaisir de voir quelqu'un "de l'autre côté de la barrière" réagir là-dessus. Comment voyez-vous les choses, vous-même ?
@ blop : bonne chance à toi aussi, et la prochaine fois que tu es bloqué à La Guardia, fais-moi signe pour qu'on aille boire un coup ensemble ;)
@ Andrei : merci pour votre message. Effectivement, peut-être la solution est-elle de se "créer" son propre poste. Mais en même temps, il faut bien manger, et pour cela trouver de l'argent pour commencer, et être aussi sûr d'être productif. Or, dans mon domaine en tous cas, c'est difficile de produire quelque chose de sérieux rapidement ("quoi, un seul papier en dix huit mois de post-doc ?").
@ Steve : merci pour le tuyau. C'est clair que maintenant je ne m'interdis rien; mais il faut bien voir que si je peste contre la France qui a "changé" ses critères de recrutement en ouvrant massivement à l'international -regardez les résultats de la section 02 en CR2 : les étudiants français en physique théorique peuvent s'inquiéter de leurs débouchés - et en prenant désormais des gens assez expérimentés, cela a toujours été le cas à l'étranger où les règles sont claires. Je reconnais aussi que mes camarades qui deviennent assistant professor aux US ont, sauf exception, 4 à 5 ans de plus que moi (et autant d'années de post-doc). Mais ni les responsabilités, ni les salaires, ni les perspectives, ni les moyens matériels et humains ne sont les mêmes qu'au CNRS...
Cher Monsieur,
vous me demandez ce que je pense de la situation des jeunes et de comment faire sont trou?
Bon, tout d'abord, je veux vous dire que je découvre tous les jours à mes dépens ce que c'est que de s'exprimer en public, et qu'ayant un poste au cnrs, je suis tenu à une obligation de réserve. Cependant, d'homme à homme je vous dis:
-il faut pouvoir se concentrer à tout instant sur la beauté des choses, parce que le monde est très dur et les humains souvent très décevants. La recherche scientifique quand on "se force" à garder la tête haute et à faire des belles choses est une aventure inouïe, elle vaut beaucoup de sacrifices.
-si vous aimez et êtes aimé, c'est l'essentiel, sans me mêler de votre vie privée, ne négligez pas vos proches
-le système de recherche français va plus que mal, mais ce n'est pas, je crois, spécifique à la france. Il y a une véritable crise de la connaissance. Très profonde, qui se noue elle-même avec tous les autres aspects de la crise "de civilisation" actuelle (pb de la télé, pb de l'hégémonie des USA etc. etc.) ce sont des questions très complexes. Les chercheurs se plaignent constamment du manque de moyens, d'accord, mais que font-ils avec l'argent, quand y'en a? Quand on voit les chapelles, les manips inutiles ou redondantes, les grands instruments qui pourraient attendre etc. il y 'a de quoi se poser beaucoup de questions. Mais je ne veux pas aller dans ces discussions théoriques (politiques pour certaines) qui m'éloigneraient de ce qui vous intéresse : un job.
Concernant plus précisément les postes, la France vit encore dans un système de "poste à vie" sans doute pas pour longtemps. ces postes à vie font l'objet de convoitises extrêmes qui aboutissent à des perversions du systèmes, malheureusement trop humaines. La France est un pays théorique, avec des lois vachement étudiées et draconiennes, sur le papier. La réalité est plus prosaïque, plus humaine, hélas.
Je pense qu'à peu près 50% des postes sont dévolus avant l'ouverture du concours (je parle ici de MdConf). C'est énorme, mais ce n'est que 50%, les autres 50% sont donnés "à la loyale", avec toutes les faiblesses du système.
Les 50% de postes qui vont à peu près à coup sûr à des personnes pressenties ne sont pas forcément des situations aberrantes. Il reste probablement un quart de postes dont l'attribution est proche du scandale, écoeurante. Le scandale de la France, en lui même.
Je ne sais pas si c'est bien ou mal, moins bien qu'ailleurs ou pas, j'ai du mal à juger.
J'ai vu des situations hallucinantes, oui, qui vont d'une personne bridée qu'on ne classe pas parce qu'on a peur "que le français ne soit pas sa langue maternelle", à des gens qu'on ne sélectionne pas pour les auditions "par ce qu'ils sont trop bons, ils vont s'ennuyer ici"
etc. etc.
A 43 ans, ma faculté de révolte est intacte. malheureusement, la plupart, dans le système, s'émoussent peu à peu, baissent les bras. Et cette constante érosion des valeurs conduit, aussi, à de la mauvaise recherche, car des gens constamment abaissés moralement, finissent par devenir médiocres. Sans prelr de toute la paperasse absurde, des conseils de labo où l'on débat longuement du bon emploi de cinq ent euros etc.
Voilà.
Si vous voulez un job en France, c'est néanmoins très bien d'avoir fait des post docs, ça devient même indispensable, après, il faut en plus la couche de notoriété, des conférences dans des congrès français, des prix de thèse etc.
Au moment des concours, et particulièrement au CNRS, les chances "ses" chances, sont réelles. Encore ce mois ci je connais une candidate donnée perdante, non classée même par le directeur de son labo, qui a renversé tous les pronostics et remporté un poste cr.
La réception de l'interdisiplinarité, aussi, c'est un problème, j'en conviens, en étant d'ailleurs moi-même victime constamment, mais bon. je ne vais pas me plaindre.
Il existe des possibilités de post-docs en France, mais ces choses doivent être étudiées très très en amont, longtemps à l'avance, compte tenu de tous les délais, infinis, du système français, sans parler du fait que les ANR ont une périodicité annuelle, ce qui est très mauvais pour ce genre de situations.
Ces post-docs deviennent en fait progressivement des embauches à durée déterminée. Mais que fait-on au bout de cette durée déterminée?
La société, dans son ensemble EST un problème. Les chercheurs permanents passent une partie immense de leur temps à naviguer dans ce paysage de contraintes en essayant d'aider, autant que possible, les jeunes. Je crois qu'aux US c'est un peu pareil.
La différence est qu'aux US quand on vous donne des millions, vous êtes le chef d'entreprise et conduisez votre boutique. Ici, solidarité oblige, l'argent se disperse, et la partie administrative, de toute façon, vous échappe.
je ne dis pas qu'on fait que ça, mais on fait ce qu'on peut, compte tenu de tout le reste.
Bon courage
vf
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