L'un des jeux vidéos les plus marquants de la fin des années 90 était le cultissime
Final Fantasy VII. Comme dans de nombreux RPG, la fine équipe de
Cloud Strife fait assez tardivement l'acquisition d'
aeronefs (ou, plus pratique, de
chocobos dorés), lui permettant de voyager de part le monde. Peu de joueurs s'en sont probablement rendus compte, mais la géométrie du monde de Final Fantasy VII (comme de la plupart des Final Fantasy) est très étrange. Ci-contre, j'ai représenté la carte du monde de Final Fantasy VII avec trois chemins différents d'un point à un autre (vert, jaune et orange). Plusieurs aspects sont surprenants :
- d'abord, le plus court chemin d'un point à un autre (géodésique en terme mathématique) est la ligne droite . Autrement dit, le monde de Final Fantasy VII est géométriquement tout plat. Exactement comme le disque-monde de Pratchett (ou comme la vision du monde d'avant Christophe Colomb)
- seulement, il n'y a guère de Grande A-Tuin pour porter le monde de Final Fantasy. En effet, la plus grosse curiosité est que ce monde plat n'a pas de bord : sur la carte ci-dessus, les lignes bleues et rouges communiquent entre elles, comme indiqué par les chemins vert et jaune. Le monde de Final Fantasy VII est fermé et on peut revenir à son point de départ en allant tout droit.
Que se passerait-il si le monde de Final Fantasy était une sphère, comme notre bonne vieille Terre ? Sur la figure ci-contre, j'ai tenté de représenter (à peu près) les mêmes chemins :
- D'abord, le pôle Nord et le pôle Sud sont séparés et distincts. On n'atteint pas le pôle Sud en remontant vers le pôle Nord.
- sur la carte, les plus courts chemins ne sont pas des lignes droites, mais des lignes courbes. C'est dû au fait qu'on ne peut pas projeter une sphère sur un plan sans la déformer.
Concrètement, quand on projette la sphère sur un plan, plus on s'éloigne de l'équateur, plus les distances sont exagérées. Les cas extrêmes sont les pôles : un seul point, se retrouve "étalé" sur toute la longueur de la carte (bandes violettes et bleues). Sur une sphère, les géodésiques sont
les arcs de grand cercle, c'est à dire les arcs des cercles à la surface de la sphère la divisant en deux hémisphères égaux. C'est pour cela que pour aller de Paris à New York, on ne reste pas à la même lattitude et on va vers le Nord, passant au large de l'Islande. Quand on projette la sphère sur un plan, ces arcs n'ont aucune raison d'être des lignes droites (sauf exception, comme les méridiens), d'où les lignes courbes ci-dessus. A ce stade, pour ceux que ces géométries non euclidiennes intéressent, je vous renvoie au blog d'eljj pour une
petite présentation.
Revenons au monde de Final Fantasy VII. Si celui-ci n'est ni une
sphère, ni une galette, qu'est-il donc ? On peut se livrer à l'exercice suivant : on sait que les lignes bleues et rouges de la carte doivent se recouvrir. Enroulons notre carte pour mettre les deux lignes bleues ensemble : on obtient un sympathique cylindre. Maintenant, recollons les deux lignes rouges : on obtient un espèce de beignet, ou encore une chambre à air, qu'on appelle tore en mathématiques. Oui, c'est le principal enseignement de ce billet :
les mondes de Final Fantasy sont des beignets.
Un gros problème se pose alors : comme vous le savez sûrement, la force de gravitation exercée par une planète attire vers le centre (de gravité) de celle-ci. Or, pour un tore, le centre... est aussi le centre du trou. Les pauvres habitants de la face intérieure du tore n'ont d'autres choix que de s'accrocher comme des malades à la planète pour ne pas se retrouver flottant au milieu du beignet (voire pire, oscillant d'une paroi du tore à l'autre). On peut également penser que le tore lui-même étant soumis à cette gravité n'est guère stable, et que tôt ou tard, il s'effondrera sur lui-même vers son centre pour former une sympathique sphère.
En revanche, cette géométrie particulière a un avantage certain, surtout dans le contexte de Final Fantasy VII. En effet, l'infâme mais néanmoins classieux
Séphiroth tente de précipiter un météore vers le centre de la planète, pensant la détruire. Or, la planète étant en fait un gigantesque anneau, il y a toutes les chances que le météore passe simplement à travers le centre de celui-ci, sans même effleurer la surface du tore. Aucun danger donc pour les habitants; Cloud Strife a probablement travaillé pour rien...
Géométrie, cartes, gravité... quel est le rapport avec Einstein ? On l'a vu plus haut, une même carte peut potentiellement représenter deux géométries fondamentalement différentes. On ne peut donc se contenter d'une simple carte (qui est bêtement un système de coordonnées) pour avoir des informations sur la surface qu'on explore. Il faut compléter en définissant sur la carte en chaque point une géométrie donnée (qui est en très grossier la donnée des géodésiques locales). Cette géométrie est encodée mathématiquement par un objet mathématique appelé
tenseur métrique (ou métrique pour faire court). Si vous regardez la page wikipedia, vous verrez que ce tenseur métrique n'est en gros qu'une matrice permettant notamment de calculer les distances sur notre surface (ce qui permet par exemple à l'ordinateur de Cloud Strife de choisir le plus court chemin pour aller d'un point à un autre).
En fait, Einstein (et Hilbert) ont modélisé les interactions entre cette métrique, cette géométrie de l'espace, et ce qu'il contient, la matière. L'idée géniale est de dire :
- que les objets physiques suivent toujours des géodésiques,
- mais que la matière modifie la géométrie autour d'elle.
Imaginons un monde où la matière n'influe pas sur la géométrie : les objets suivent alors un mouvement rectiligne uniforme
(géodésique de l'espace euclidien, comme dans le
principe d'inertie de Galilée, bien connu des lycéens) et des objets "éloignés" ne se voient pas. En revanche, si la matière influence la géométrie, elle modifie les géodésiques localement. Si un objet suit une géodésique, il va alors se retrouver comme "attiré" par la matière locale. Cette attraction effective, qui est un effet purement géométrique, est ce qu'on appelle gravité.
L'équation d'Einstein, à la base de la relativité générale, contenant tout ce modèle, sépare de façon très claire les deux aspects :
Les termes à gauche du signe égal sont des termes purement géométriques (le grand lambda étant d'ailleurs la fameuse
constante cosmologique), le terme à droite est le tenseur énergie impulsion, qui modélise la matière. Un simple signe égal couple matière et géométrie et invente la relativité générale...