On parle beaucoup de la recherche scientifique en ce moment. Nos deux candidats "principaux " aussi :
Propositions de Sarkozy :
ici et
làPropositions (?) de Royal :
iciVoir aussi
ce petit résumé du nouvel obs'.
Voir enfin
ce billet de matthieu. Ce matin, très bonne intervention sur France Inter de Bertrand Monthubert (que j'approuve à 100%), le débat qui suivait était aussi instructif.
Je vais essayer de rester le plus objectif possible même si comme tout le monde j'ai mes préférences politiques. Je vais essentiellement me concentrer sur Sarkozy car il propose en gros de complètement changer le système, et je vais tenter d'expliquer pourquoi je pense qu'il faut faire très attention, d'autant qu'au fond le système ne marche pas si mal (
voir ici sur ce blog) et qu'un simple rattrapage de moyens pourrait peut-être aussi bien faire l'affaire.
Il y a à la fois beaucoup et peu à dire sur ces différents discours. Sarkozy aligne les constats réalistes, mais propose des recettes toute faites et à mon avis inadaptées. Royal reste très générale, ne propose pour l'instant rien de très concret contrairement à Sarkozy, mais trouve le moyen en quelques lignes d'insister sur certains points qui me tiennent à coeur.
Commençons par les points communs: les deux candidats font le constat du manque de moyen de la recherche, de la nécessité d'augmenter le budget. L'autre constat que tout le monde fait, c'est la nécessité de renforcer considérablement les universités. C'est bien, mais cela ne mange pas de pain, être pour la recherche et renforcer les universités, c'est comme être favorable à l'écologie, tout le monde parle de "prise de conscience" mais cela ne se traduit pas forcément dans les actes.
Le discours de Sarkozy est long et intéressant car il fait des constats assez vrais (notamment sur le problème du trop petit nombre d'étudiants dans les cycles supérieurs), je vous en recommande la lecture.
Ses propositions tiennent en un mot :
autonomie. La référence sous-jacente, c'est l'université américaine où "on [peut] faire du sport et [où] les bibliothèques sont ouvertes le dimanche".
Je vais essayer de donner mon avis sur la question, en fonction de ce que je vois ici. Encore une fois,
c'est éminemment subjectif, et je peux me tromper, n'étant pas un "spécialiste" de l'université américaine. Parlons donc de l'université américaine que Sarkozy souhaite transposer en France: celle-ci a effectivement la "liberté de recruter ses étudiants" (1). Ce qui se passe aux Etats-Unis est que les universités sont du coup, il me semble, très hiérarchisées. Le système américain ne cherche pas à "élever" le niveau des élèves : il envoie au contraire les élèves dans des universités en fonction de leur niveau. Les universités ne sont pas égales : on parle souvent d'Harvard ou de Yale, mais derrière les meilleures universités, il y a une foule de petites universités qui quadrillent le territoire avec des niveaux très différents. Le corollaire de cette liberté de recruter, c'est que chaque étudiant peut en quelque sorte trouver une université qui convient à son niveau. Or, en France, la logique est très différente : l'université doit être un lieu de prestige par définition, et peut servir à l'aménagement du territoire; on voit bien comment
les élus locaux essaient d'avoir des formations universitaires de qualité dans leur ville. Donner la liberté de choisir ses étudiants se traduirait mécaniquement par plus de sélection à l'entrée dans un premier temps, et donc probablement moins d'étudiants étant donné toutes les difficultés actuelles. Donner la "liberté de recruter" sans réformer la façon de penser le réseau entier des universités serait donc à mon avis catastrophique.
L'autonomie pour Sarkozy, c'est aussi "la liberté de recruter les meilleurs professeurs à travers le monde. [Il] veut que les chercheurs du monde entier viennent enseigner à nos étudiants dans nos universités". Pourquoi les chercheurs vont-ils dans les universités américaines ? Les raisons majeures sont à mon avis que les US sont très bien pour :
- avoir une masse critique de recherche scientifique autour de soi pour interagir
- avoir des moyens pour fonctionner, des bons salaires
- avoir des étudiants de thèse pour travailler pour soi
- être simplement reconnu socialement
Premier point : la masse critique existe aux Etats-Unis, en particulier parce qu'il y a beaucoup de petites universités derrière les grosses universités, beaucoup d'interactions, et de gros centres élitistes. En France, on voudrait souvent sélectionner, garder le haut de la pyramide et jeter le reste. Or, je pense que si on veut une élite qui marche bien, il faut les deux, à la fois une concentration de moyens, mais aussi une base nombreuse, fournie à proximité de ces centres élitistes; l'élite doit faire des aller-retour avec la base. Attention donc à ces grands projets de concentration de moyens ayant pour corollaire la diminution du "mammouth": Claudie Haigneré avait dit en son temps qu'elle voulait "moins de chercheurs, mais plus efficaces". Aux Etats-Unis, il y a toutes sortes de débouchés dans le monde académique : certes il y a les "meilleurs professeurs", mais il y a aussi les "research assistant", les professeurs dans des universités d'undergraduates plus spécialisées dans l'enseignement et faisant peu de recherche; par ailleurs et contrairement à ce qu'on veut faire croire, il y a bien emplois permanents et recherche sur le long terme de ce côté de l'Atlantique. On ressent une vraie sécurité dans la recherche ici; la conviction qu'on trouvera quelque chose quelque part, même si on veut rester dans l'académique...
En ce qui concerne les moyens, Sarkozy préconise plus "les fondations, des donateurs, des entreprises qui doivent pouvoir financer des universités comme dans toutes les grandes démocraties du monde". Incontestablement, nous sommes encore dans le modèle américain. J'ai déjà expliqué sur ces pages mon opposition drastique
au financement de la recherche par la charité. J'ajoute qu'il y a un grave problème culturel en France : je pense que personne ne donnerait pour son université ou pour une fondation scientifique en quantité suffisante (on parle de Fondation type Fondation Gates ici). Le niveau de philanthropie est un marqueur social aux US : il suffit de lire les dernières pages des livrets de l'opéra pour se rendre compte que le don à des oeuvres ou à des universités est un rite indispensable pour les hautes classes sociales. Je ne crois pas du tout à cela en France où les personnes aisées préfèrent s'expatrier pour payer moins d'impôts (vous pensez que Johnny va financer une fondation ?).
Toujours dans la rubrique "moyens", Sarkozy parle de "la liberté de définir des programmes de recherche et de passer des partenariats avec les entreprises pour que ces programmes soient en partie financés par elles". On est pile dans la thématique actuelle (voir
le billet de Benjamin sur le sujet). Cependant, la dichotomie entre université et entreprises est en grande partie le fait des entreprises aujourd'hui. Bertrand Monthubert soulignait par exemple dans son intervention d'aujourd'hui comment les entreprises françaises se sont fait piquer la technologie des magnéto résistances par les boîtes américains. L'une des raisons est qu'il n'y a pas assez de docteurs dans les entreprises, que celles-ci ne sont donc pas à même de faire de la veille technologique par exemple. Peu de débouchés implique un doctorat peu attractif; la recherche est un sacerdoce et peu s'engagent sur cette voie. Cela rejoint en fait le troisième point : avoir des étudiants.
J'ai déjà expliqué ici pourquoi je pensais que c'est illusoire sur le court terme en France, où le doctorat n'est absolument pas reconnu. Je ne reviendrai pas dessus dans ce billet d'ores et déjà très long. C'est à mon avis le noeud gordien du problème, tant qu'on n'aura pas résolu celui-ci, toute tentative de réforme dans le sens du système américain sera contre-productif. La solution sur ce plan-là est à mon avis claire : pour avoir plus d'étudiants, il faut plus de débouchés, et pour avoir plus de débouchés, il faut que les entreprises embauchent les docteurs. Pour convaincre les entreprises d'embaucher les docteurs (plutôt que des ingénieurs), il faut qu'elles soient convaincues qu'un docteur est plus utile, et pour cela il faut que la recherche marche mieux d'abord et avant tout, et cela passe nécessairement par plus de moyens pour atteindre enfin les fameux 3% du PIB. Je pense donc que c'est à l'Etat ici d'assumer son rôle, d'amorcer la pompe en finançant des projets applicables, et de se substituer dans un premier temps aux entreprises trop frileuses tout en incitant celles-ci à investir dans la recherche. Je ne souscris donc évidemment pas aux conclusions du rapport récent qui affirme que l'Etat finance bien assez la recherche : cela me paraît être une conclusion à courte vue, faisant abstraction des difficultés de l'application des découvertes en entreprise en France, et cela sent la conclusion "sur commande". En somme, je pense que c'est à l'Etat d'avancer l'argent non donné aux organismes de recherche, en attendant que les entreprises jouent leur rôle.
Quatrième point : la reconnaissance sociale. Un point en fait crucial : combien de
jeunes chercheurs français se sont expatriés car ils se sont sentis rejetés du système français ? Cette reconnaissance passe par le salaire, mais pas seulement. Si Sarkozy nous parle brièvement des expatriés français dans son long discours (au milieu des traders à Londres, et en compagnie des rock-stars dans sa récente sortie sur Johnny), j'avoue que ma première réaction en lisant sa proposition d'attirer les meilleurs étrangers
là a été :"et si on retenait déjà les meilleurs français ?". "Les chercheurs américains ont des prix Nobel pendant que les nôtres manifestent dans la rue" : je garde en mémoire la réaction de son porte-flingue Devedjian (futur premier ministre ?) lorsque les chercheurs manifestaient pour protester contre les coupes drastiques dans le budget du CNRS opérées sous son gouvernement UMP, sachant que Sarkozy a été ministre des finances durant cette période et a donc nécessairement arbitré financièrement sur les moyens de la recherche. Combien de fois entend-on en France l'équation "chercheur=fégnasse" ? Comment qualifier cette espèce de défiance systématique de certains à l'égard des chercheurs (y compris dans les entreprises et y compris dans le milieu même de la recherche à l'égard des jeunes) alors que ces mêmes chercheurs réussissent très bien une fois partis ?
Sur ce point, je ne peux m'empêcher de lire dès le début du non-projet de Ségolène Royal
Nombre de jeunes chercheurs ne trouvent qu’à l’étranger les moyens de travailler qu’on leur refuse ici. Exil forcé plutôt que mobilité choisie et temporaire. Perte sèche pour le pays. Les chercheurs sont las des incantations sur la recherche moteur de la croissance et du rayonnement français car les actes les démentent. Ils s’inquiètent d’une gestion technocratique et comptable qui érige le court-terme et la précarité en dogme.
Même si elle ne propose rien, cela résume parfaitement ma position personnelle sur la question. Je ne sais pas si ses "désirs d'avenir" vont déboucher sur quelque chose de concret, mais ce dont je suis sûr c'est qu'ayant commencé mon parcours scientifique en 2001, j'ai clairement vu en quelques années une dégradation très forte des conditions de travail, des budgets. Je n'ai donc que moyennement confiance dans le parti au pouvoir actuellement pour réformer une recherche qu'ils ont sciemment dégradée.
Voilà, je m'arrête là après ce billet bien trop long en espérant ne pas avoir dit trop de bêtises et en espérant susciter le débat et la réflexion. Pour conclure, le problème de Royal, c'est qu'elle ne propose rien de très concret pour l'instant; espérons qu'elle se montrera plus participative qu'elle ne l'a été avec SLR. Mon problème avec Sarkozy, c'est que je pense qu'il veut appliquer une recette toute faite pour des raisons un peu idéologiques, sans avoir vraiment suffisamment compris et analysé le problème.
(1) Liberté toute relative toutefois quand on sait que les établissements américains ont ce qu'on appelle une "clause des héritiers", afin de recruter préférentiellement les enfants des anciens élèves.