Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

20 mars 2006

Sauvons la recherche !


Depuis cette rive de l'Atlantique, je continue de suivre régulièrement l'évolution de la recherche française. Un article récent des Echos a attiré mon attention pour plusieurs raisons. Pas de surprises, l'article est évidemment très critique vis-à-vis du système de recherche français. Cela dit, il m'a inspiré plusieurs recherches et commentaires.

Tout d'abord, l'article parle de perte de vitesse de la recherche française durant la décennie 1994-2004. Je suis donc allé sur le site de l'ISI et ai regardé la page concernant la France, et on s'aperçoit que les choses ne sont pas si noires. Tout d'abord, la France est la 5ième puissance scientifique mondiale (en termes de citations), derrière les USA, l'Angleterre (et pas le Royaume-Uni, étrange), l'Allemagne et le Japon. Pas de quoi être démesurément fier, mais pas de quoi non plus s'auto-flageller. Ensuite, malheureusement, je n'ai pas trouvé de comparaisons explicites entre les pays, donc je me base sur une analyse à vue des graphiques pour comparer l'évolution au cours des dix dernières années. Le constat semble être que la France perd légèrement du terrain : effectivement il semble que le nombre de publications augmente légèrement moins vite que par rapport à d'autres pays. D'après les Echos, "Cette baisse de régime a longtemps été masquée par les récriminations des chercheurs victimes des rigueurs de Bercy et les revendications syndicales réclamant des postes de chercheurs statutaires supplémentaires. Mais en fait, le décrochage remonte au début des années 1990. Il s'agit donc d'une érosion lente qui paraît structurelle." S'ensuivent dans cet article des considérations plus ou moins heureuses sur les paresseux de fonctionnaires qui peuplent les labos français. Quand je regarde les courbes ci-dessus, je m'interroge quant au caractère très hâtif de ces conclusions.

Essayons d'adopter une démarche scientifique. Les Echos nous disent en somme : le système est mauvais, balayons tout et adoptons le système "anglo-saxon". Essayons de commenter ces deux assertions. Le système est-il mauvais ? Premier point, totalement négligé : nous nous sommes hissés à la cinquième place mondiale avec ce système ! Ensuite, si érosion il y a, elle est effectivement très lente, et se traduit en fait non pas par une baisse, mais par une croissance moins importante de ces différents indicateurs. Cela vient-il vraiment de la structure de la recherche ? Peut-être y a-t-il d'autres facteurs conjoncturels qui expliquent cette érosion. Par exemple, si on regarde ce rapport de l'OCDE sur la France, on s'aperçoit que les dépenses de recherche aujourd'hui sont en-dessous de ce qu'elles étaient au milieu des années 90, point de départ de cette étude. C'est d'ailleurs cette stagnation dans les moyens qui a provoqué le mouvement SLR. Les Echos nous sortent une comparaison avec le Royaume-Uni. Or, il faut bien constater qu'en matière de R&D, en comparaison avec tous les autres pays, le Royaume-uni est une totale exception, et semble effectivement avoir des performances très bonnes avec un budget très bas. Excluons donc le Royaume-uni, pour l'instant et concentrons-nous sur les autres gros. Les Etats-Unis ont augmenté leurs dépenses de recherche de 7% anuellement entre 2000 et 2005, le Japon de 6% entre 95 et 2003, l'Allemagne est passée de 2.1 % du PNB en 96 à 2.6%. Ces trois pays dépensent également beaucoup plus que la France en chiffres absolus. Une statistique significative pourrait être donc par exemple de regarder la corrélation entre la progression des indicateurs de qualité de la recherche et celle de son budget. Cela donnerait une bonne information sur la réponse du système à l'argent injecté, et permettrait de voir si notre système est efficace. Cela serait certainement plus informatif que les commentaires poujado scientifiques (un "cancer") de rédacteur en chef de revue n'ayant jamais fait de recherche.

Maintenant, si le système est réellement globalement moins efficace (ce qui, n'en déplaise à certains, reste à démontrer, même si on connaît tous des exemples d'abus), examinons les propositions de réforme des Echos. Le journal remarque tout d'abord que les Anglais concentrent très fortement leurs moyens scientifiques dans 3 pôles. Je ne suis pas loin de penser que c'est là la clé du dynamisme scientifique anglais (85% de la recherche à Londres !). D'expérience, effectivement, la science a besoin de concentration des moyens financiers et humains. Or, la politique scientifique en France est peut-être trop souvent liée à des soucis d'aménagement du territoire. C'est le seul bon point de l'article à mon avis.

Car evidemment, l'article se conclut sur l'inévitable critique des statuts. En somme, le système anglo-saxon du permanent à la tête de sa vingtaine de post-docs/doctorants (venant du monde entier) apparaît comme la solution à nos problèmes pour le journaliste des Echos. Je pense personnellement que cette solution n'est tout simplement pas viable dans la société française telle qu'elle est aujourd'hui. En France, personne n'a réellement intérêt à faire de thèse une fois le DESS ou le diplôme d'ingénieur en poche. En effet, l'industrie recrute ses "hauts profils" essentiellement à Bac+5, contrairement à ce qui se fait dans tous les autres pays. En général, seuls les futurs chercheurs (ou en tous cas ceux qui le projettent de le devenir) se lancent dans une thèse. Donc , il y a probablement beaucoup moins d'étudiants en thèse en proportion que dans les autres pays (en gros, la plupart des ingénieurs devraient faire une thèse pour avoir une population équivalente) et il est impossible d'avoir une armée de doctorants français, et de fait il devient de plus en plus difficile de trouver des étudiants en thèse. Quant à attirer les étrangers, il faudrait pour cela doubler voire tripler toutes les bourses/allocations (les salaires des permanents français débutants sont risibles comparés aux salaires offerts en post-doc...). Tout cela pour dire que mon sentiment est qu'on pourrait sûrement rendre le système plus efficace à peu de frais, et qu'à trop lorgner vers l'étranger, on risque de se tirer une belle balle dans le pied...

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