Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

24 octobre 2006

"Neuroéconomie", rationnalité et évolution

Via Nature, un problème très intéressant montrant comment notre cerveau balance entre rationalité économique et justice sociale.
Les théories classiques de l'économie stipulent que nous sommes à la fois égoïstes et rationnels. La "main invisible" du marché d'Adam Smith est alors le résultat collectif de nos comportements d'agents raisonnables voulant maximiser leur propre intérêt. Pourtant, pas besoin d'être un "rocket-scientist" (comme disent les Américains ) pour s'apercevoir qu'y compris dans nos choix économiques, nous sommes loin d'être rationnels. Güth, Schmittberger et Schwarze ont publié un papier très intéressant en 1982 pour essayer de comprendre ce qui se passe (précision : je n'ai pas lu le papier, n'arrivant pas à me le procurer, je me base sur l'article de Nature).
L'expérience est la suivante et concerne deux individus A et B. On remet 10$ à l'individu A. Celui-ci doit alors donner une somme entière (entre 0 et 10$) à l'individu B. B a alors deux choix : soit il accepte la somme et le marché est conclu, soit il refuse et les deux individus repartent les mains vides.
Le choix rationnel à la "Adam Smith" est le suivant : A veut maximiser son profit. S'il garde les 10$, B refuse car il ne gagne rien, et tout le monde y perd. S'il garde 9$ et donne 1$ à B, B est censé accepter car 1$ est mieux que rien, et A maximise alors son profit. Donc l'issue prédite par la théorie rationnelle est que A garde 9$ et donne 1$ à B.
Dans les faits, il en va tout autrement. En fait, A donne typiquement 4$ à B. La raison est simple : si A donne 1$ à B, B va se dire, en somme "ce A est vraiment un truand; on lui donne 10$ à partager gratuitement et il garde presque tout pour lui, je préfère ne rien avoir plutôt que de traiter avec lui". En somme, B rejette toute offre qu'il juge injuste ! A, lui, anticipe ce refus et opte donc pour un partage plus équitable.
On peut donc qualifier le rejet de B d'"irrationnel" économiquement. L'article affirme qu'une telle réaction a néanmoins pu évoluer car ce genre de comportements peut être bénéfique sur le long terme. En effet, si A est systématiquement injuste, il finira par être rejeté par la société par exemple, un peu à la manière des tricheurs dont j'avais parlé dans un billet précédent. Il me semble de plus que le mode de répartition équitable est ici le choix le plus juste d'un point de vue "philosophique" : dans une perspective très rawlsienne où la justice sociale est de maximiser la situation du moins bien loti, le partage équitable s'impose de lui-même. Notons également que si A et B doivent se mettre d'accord avant de savoir qui va toucher les 10$, la rationnalité économique (qui coïncide ici avec le souci de justice sociale à la Rawls et avec son idée de voile d'ignorance) impose que A et B repartent chacun avec 5$. Le choix effectivement observé qui semble donc irrationnel économiquement n'est peut-être donc que le seul choix moral, qui a de plus été sélectionné par l'éolution !

Dernière précision : les seuls personnes à faire effectivement la transition 9$/1$ sont les adultes autistes...

Référence : Güth, W. , Schmittberger, R. & Schwarze, B. J. Econ. Behav. Organ. 3, 367–388. (1982).

Aucun commentaire: