Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

13 août 2007

Le cerveau a-t-il un sexe ?

Le problème des différences innées et des discriminations associées est un sujet extrêmement sensible de ce côté de l'Atlantique. Lawrence Summers, ancien président d'Harvard, avait créé un énorme scandale il y a deux ans en affirmant lors d'une conférence qu'en gros, les femmes sont moins douées en sciences dures que les hommes, ce qui expliquait la domination masculine sur les maths et la physique théorique. S'il y a quelques exceptions, dont la désormais célèbre professeure de physique à Harvard Lisa Randall, citée parmi les 100 personnalités qui comptent cette année par Time Magazine, force est de constater que très tôt à l'université, la présence féminine dans les amphis de physique d'une année sur l'autre semble suivre une série géométrique de raison bien inférieure à 1 (pour parler comme un matheux ;) ).

C'est de nouveau à Harvard que ce sujet délicat rebondit sur une découverte scientifique tout à fait fascinante. Catherine Dulac et ses collaborateurs ont mené une étude sur le comportement sexuel des souris, et notamment sur l'influence des phéromones. Ils ont notamment produit des lignées de souris dont l'organe voméronasal est défecteux : les souris ne sont pas capable de détecter certaines phéromones. Les souris femelles changent alors complètement de comportement et adoptent en tout point les comportements des mâles : elles essaient de "monter" d'autres souris en faisant des mouvements de bassin éloquents (pour un film très cochon de souris, suivez ce lien sur le site de nature), et entonnent les chants caractéristiques des souris mâles cherchant à s'accoupler (que vous pouvez réécouter en suivant les liens sur ce blog).
Le plus fascinant suit : les chercheurs ont alors amputé l'organe voméronasal de souris femelles normales adultes ... qui ont adopté à leur tour ce comportement typiquement mâle. Cela signifie donc que le comportement sexuel mâle est "enterré" quelque part dans le cerveau des femelles, et qu'on peut potentiellement le brancher (ou le débrancher) par des modifications simples. Comme le dit C. Dulac :


"Instead of building a male brain and then a female brain, you build a mouse brain, and then there's a sensory switch that makes sure that the animal behaves appropriately according to its gender."

"Plutôt que de construire un cerveau mâle ou un cerveau femelle, la nature construit un cerveau de souris, puis il y a un interrupteur dont le rôle est d'assurer que l'animal se comporte de façon conforme à son sexe."


Le cerveau des souris n'a donc pas de sexe; sa structure est la même pour les deux sexes et le comportement sexuel est décidé par des signaux de toute évidence annexes et périphériques. Quant à l'homme, malheureusement ou heureusement, l'organe voméronasal semble non fonctionnel et essentiellement vestigiel, donc impossible de généraliser quoi que ce soit ...

Références :

Kimchi, T. et al. Nature doi:10.1038/nature06089 (2007)

La News correspondante sur le site de Nature.

8 commentaires:

Tara-George dit Nicole a dit…

Salt Tom,

En tant que Blonde, il me faut réagir ! Alors quoi, tu veux dire par là que nos cerveux sont identiques ? Que ce sont des signaux chimiques annexes qui font tout le boulot ? Moi, je ne suis fondamentalement pas d'accord. J'ai bien regardé les garçons... il y a des trucs qu'ils ne savent pas faire. Comme choisir du vernis à ongles assortis aux petites robes ou bien un joli sac à main. Seule une blonde, une vraie serait capable de planter le 'maître du monde' pour quelques heures de shopping. Et ça c'est bien que c'est ancré dans les gênes, c'est sûr !!!

Allez bisous Tom, Tom

La Blonde Nicole

Matthieu a dit…

encore une preuve de l'etonnante plasticité du cerveau.

Tom Roud a dit…

@ Nicole : après, il y a certainement une part d'acquis aussi...

@ Matthieu : justement, je ne suis pas sûr que cela soit le même chose que la plasticité du cerveau. La plasticité, pour moi, c'est beaucoup plus de l'acquis, c'est changer le cablâge du cerveau pour suppléer à une fonction défectueuse. Ici, je dirais qu'on est beaucoup plus dans l'inné : le câble, le réseau est déjà présent, on l'active ou le réprime en fonction du sexe.

Anonyme a dit…

La blonde a raison, je n'arrive jamais à choisir le vernis à ongles qui va bien avec ma petite robe...

Le fait que le cerveau soit "mâle par défaut" n'est pas très étonnant, n'est-ce pas le même principe que la construction des organes génitaux au cours du développement embryonnaire?

Tom Roud a dit…

@ Benjamin :
En fait, chez l'homme, le genre par défaut a l'air d'être féminin; j'en avais parlé dans un billet à propos des femmes XY - ce sont des femmes qui ont une mutation sur le récepteur de la testostérone. Plus généralement, je penche plutôt pour l'hypothèse "femme par défaut" : après tout, les hommes ne sont juste que des fournisseurs de gamètes, ce sont les femmes qui font tout le boulot d'enfanter ;), et on ne peut exclure une future humanité parthénogénétique :D .

Maintenant, c'est comme pour toutes ces régulations en biologie : une activation est équivalente à une répression de répression; si ça se trouve, la testostérone elle-même est là pour réprimer le répresseur du sexe masculin...

Tom Roud a dit…

@ Benjamin 2: en fait, c'est effectivement assez complexe. Il semble bien que les "glandes" par défaut soient des testicules, mais que la testostérone en quelque sorte empêche la différentiation en ovaire. Ouh la la...

Fab a dit…

Salut à tous,

En effet, il n'y a pas de "sexe par défaut" (le genre est une construction sociale). Il y a bien un mécanisme actif de différenciation sexuelle pour les 2 sexes. Même si on a pensé jusque là que les humains étaient femmes à défaut de la présence d'un gène (le fameux gène SRy) et d'un mécanisme actif de différentiation des gonades en testicules, les récentes avancées de la biologie (qui restent cependant controversée, ahhh machisme, quand tu nous tiens!) tendent à montrer que la différentiation sexuelle est un processus actif pour les 2 sexes (et pas actif pour le sexe masculin, et passif pour le sexe féminin).
En tout cas, merci beaucoup de ce message qui vient apporter de l'eau à mon moulin. :)

Tom Roud a dit…

Merci Fabrice pour cette précision.
Aurais-tu une référence là-dessus ?