Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

26 décembre 2006

HS : Noël, Chanoukah et tutti quanti...

Ah les vacances de Noël... Le meilleur moment de l'année, assurément ! J'ai beaucoup regretté l'an dernier de passer Noël à New York, je me rattrappe bien cette année :P
En attendant, je suis très surpris de constater que la polémique a traversé l'Atlantique et que cette année on discute beaucoup en France sur le caractère chrétien de Noël, pouvant être "choquant" pour les autres religions (voir par exemple ici, ou encore la question du jour sur le site du monde). La surprise pour moi est d'autant plus grande que la France est un pays beaucoup plus laïcisé, où nombreux sont les non-chrétiens qui fêtent Noël, et où la plupart des gens savent que Noël est essentiellement une récupération de mythes païens (et est en fait en train de le redevenir d'une certaine manière). Aux Etats-Unis (pays beaucoup plus attaché à la religion) l'an dernier à la même époque, le très PC "happy holidays" concluait la plupart des conversations/échanges par mails. Cette année, paradoxalement, la "tradition" a complètement repris le dessus. Les mêmes qui insistaient beaucoup sur le "Happy Holiday" l'an dernier ont repris un classique "Merry Christmas" cette année, y compris dans certains magasins. Je prédis donc que cette polémique un peu pourrie ne survivra pas à l'année 2006 !
Allez, je retourne dans mon silence et prépare quelques billets pour 2007...
Edit 11h33 : voir aussi ce billet de Ceteris Paribus sur le même sujet... Billet intéressant, car j'ai vraiment vu une différence dans la vie quotidienne aux US entre l'an dernier et cette année, preuve que la "guerre contre Noël" qu'il décrit avait vraiment porté ses fruits.

20 décembre 2006

Dernier arrêt avant 2007

Je prends l'avion ce soir pour passer les fêtes en France. Ceci sera donc mon dernier billet de l'année 2006.
J'aurais aimé parler de beaucoup de choses ces temps derniers. Malheureusement, ma nouvelle connexion internet par le câble est très souffreteuse et ne me permet pas de poster dans des conditions convenables.

Je voulais parler de cette sordide affaire des infirmières condamnées à mort en Lybie; heureusement d'aucuns bien plus influents font cela beaucoup mieux que moi. A l'heure où les citoyens du Net sont élus personnalités de l'année par Time Magazine, peut-on vraiment faire quelque chose ? Malheureusement, j'en doute très fortement.

J'aurais pu aussi évoquer l'interview de François Goulard sur Inter hier, qui a dit des choses vraies (comme le fait que les maths et la physique théorique se portent plutôt bien en France ou qu'il y a un problème d'intégration des chercheurs dans le privé), des choses fausses (comme le fait que les chercheurs aux Etats-Unis travaillent tous sur des CDD de cinq ans et ne deviennent jamais permanents; c'est étonnant de voir comment les gens affirment que la réalité collent à leurs préjugés, c'est étonnant de constater qu'un ministre n'ait même pas de gens autour de lui pour le lui signaler, et pour tout dire, c'est effrayant quand on sait le remue-ménage qu'il y a autour de la recherche en ce moment), des choses qu'il estime positive alors qu'elles ne le sont peut-être pas autant (comme le fait que le CNRS recrute beaucoup d'étrangers, je développerai peut-être dans un prochain billet ce que j'entends par là).

J'aurais aimé faire des billets un peu plus fouillés scientifiquement ces derniers temps, mais je fais trop peu de biblio ces temps-ci. On verra à la rentrée !
Joyeux Noël à tous ! (ou plutôt Happy Holidays ! comme on dit ici... ;) )

17 décembre 2006

Classique : L'évolution des cascades biochimiques

Ante scriptum : un certain nombre de papiers classiques sont assez mal connus bien que les concepts introduits soient à la fois intéressants et très actuels. Je me propose donc de commencer une nouvelle thématique pour évoquer certains de ces papiers novateurs, si possible à la lumière des débats scientifiques actuellement sur la place publique.

L'un des arguments souvent utilisés par les adversaires de l'évolution darwinienne pourrait s'intituler "le tout contre les parties" (ou la complexité irréductible dans le jargon de l'Intelligent Design). L'idée générale est que certains processus biochimiques précis ne semblent pas pouvoir être sélectionnés par l'évolution, car toute modification/mutation dans le processus ruinerait totalement la fonction du processus considéré. Dans ce cadre, toute innovation évolutive est impossible, puisque la "dernière" étape dans l'évolution se ferait à partir d'un processus non fonctionnel, mais néanmoins complexe, donc statistiquement très improbable : on ne voit pas pourquoi l'évolution aurait construit un tel réseau "presque" fonctionnel, sans avoir le moindre indice sur sa fonction future.

Un des exemples classiques est la cascade biochimique. Dans de très nombreux processus, une espèce chimique est synthétisée à partir d'une cascade (du genre A transformé en B transformé en C transformé en P, chaque réaction catalysée par une enzyme donnée). Pour produire P, toute la cascade est donc nécessaire : mutez l'enzyme associée à A ou B et toute la cascade s'effondre, P n'est pas produit et l'organisme meurt. Ce serait donc un exemple a priori du "tout contre les parties" : seule la cascade entière fait sens, les éléments pris individuellement n'ont aucun rôle par eux-mêmes.

En 1945, Horowitz a proposé une explication plausible pour l'évolution d'une telle cascade. Sa proposition repose sur le fait que la "fitness" de l'organisme dépend de son environnement. Ainsi, imaginons que P soit très abondant dans la soupe primordiale. Les premiers organismes, ayant besoin de P, n'avaient qu'à se servir et n'avaient aucune raison d'avoir une telle cascade. Seulement, P étant consommé par ces organismes voyait sa concentration diminuer dans l'environnement, par ailleurs riche en autres composants organiques. Imaginons donc qu'un organisme ait trouvé un moyen de transformer une autre métabolite C en P , à l'aide d'une nouvelle enzyme : cet organisme aurait immédiatement été sélectionné. Horowitz propose donc que les cascades biochimiques se sont construites "en commençant par la fin" : d'abord on évolue la dernière étape dans la chaîne, puis l'ingrédient C lui-même venant à manquer, on évolue l'étape B->C, et ainsi de suite. Les processus de transformation biochimiques ont donc évolué grâce à cette rétroaction avec l'environnement : ce sont les modifications de ce dernier, dues à la présence d'organismes vivants, qui changent les fitness des organismes et expliquent l'émergence de la complexité inexplicable dans l'environnement observé aujourd'hui.

Référence

Horowitz, PNAS, 31 (1945)

14 décembre 2006

An Inconvenient Truth

Je viens de voir le film d'Al Gore sur le réchauffement climatique. Très impressionnant !

Le réchauffement climatique s'accompagnera d'une montée des océans, couplée à des migrations de populations majeures. Au delà des problèmes géopolitiques évidents (bien plus menaçants que le terrorisme comme le souligne Al Gore), les conséquences sur la biosphères seront très sévères. En fait, de tels événements ont déjà eu lieu dans le passé et s'accompagnent de bouleversements évolutifs majeurs.

Ainsi, dans un article récent de Nature, van Dam et al. ont étudié la dynamique de différentes espèces de rongeurs sur une période de 22 millions d'années. En observant des fossiles en Espagne (essentiellement des dents j'imagine), ils ont pu étudier la statistique d'extinction et d'apparition de nouvelles espèces au cours du temps. La dynamique d'évolution est très caractéristique : extinction et apparitions sont tout d'abord fortement corrélées. Plus surprenant, la plupart du temps, il y a relativement peu d'évènement d'extinctions ou d'apparitions d'espèces, à l'exception de certaines périodes bien précises durant lesquelles se produit un renouvellement très violent des espèces de rongeurs. L'analyse spectrale montre qu'il y a deux périodes caractéristiques pour ce renouvellement : 2.4 millions d'années et 1 millions d'années. Ces périodes correspondent en fait à des modulations basse fréquence d'un cycle astronomique (apparemment bien connu) : le cycle de Milankovitch.

Ainsi les intervalles d'un million d'années correspondent à un "noeud" du cycle de l'inclinaison de l'axe terrestre durant lequel le climat se refroidit extrêmement rapidement, en 100 à 200 ans ! La calotte glacière s'étend alors, ce qui change complètement le cycle de l'eau, et modifie substantiellement le climat en l'assechant dans le bassin Méditerranéen. Durant ces événements, les populations de rongeurs migrent, se séparent, évoluent et se spécifient. En particulier, les auteurs montrent que durant ces périodes froides, il y a beaucoup moins d'insectivores ou de rongeurs caractéristiques de milieux humides.

Le cycle de 2.4 millions d'années correspond à un minimum d'excentricité, provoquant aussi un refroidissement global. Cependant, le climat est alors plus humide en Méditerranée pour ces minimas d'excentricité, et on observe plus de rongeurs et d'insectivores. van Dam et al. pensent que ces rongeurs correspondent à des populations ayant émigré depuis l'Europe Centrale vers des cieux plus cléments.

Tous ces changements d'environnement, toutes ces migrations sont évidemment un terreau idéal pour l'évolution. Des niches écologiques se libèrent, de nouvelles espèces apparaissent pour les occuper, ce qui explique ces cycles de spéciations/extinctions. Comme le souligne Al Gore, nous voyons d'ores et déjà de nouveaux virus apparaître, des animaux émigrants. Et tôt ou tard, des déplacements de population humaine se produiront. N'oublions pas d'ailleurs que c'est certainement un changement climatique qui a eu la peau de notre cousin Néandertal...


Référence :

Jan A. van Dam et al., Nature 443, 687 - 691 (12 Oct 2006)

PS : j'aime bien aussi l'interprétation "simpsonienne" du réchauffement climatique



PPS : Je me suis permis de mettre le petit script vers le site d'Al Gore dans la colonne de droite... Matthieu nous parle également du réchauffement climatique sur son blog.

13 décembre 2006

Message à caractère informatif

Depuis que le c@fé des sciences est ouvert (en interne d'abord, depuis peu au "public"), je culpabilise un peu devant la qualité et la quantité des billets postés par mes collègues cafetiers. Je lis tellement de choses intéressantes que :

  • je passe beaucoup plus de temps à lire les autres, à élaborer des commentaires avant de tout effacer devant l'inanité de mes raisonnements, si bien que j'ai moins de temps pour blogguer ici

  • je culpabilise à l'idée de parler de choses plus légères. Mon petit délire plein d'équations était peut-être une réaction à cela, une façon de me rassurer en revenant à ma formation initiale. D'ailleurs, cela n'a pas eu beaucoup de succès...

Afin de relâcher la pression, ce petit billet contiendra quasiment uniquement des informations sur moi-même, ma vie, mon oeuvre; bref tout un tas de choses totalement inintéressantes. Sachez donc, chers lecteurs, que :

  • Depuis ce matin j'ai internet chez moi. Après plus d'un an d'attente et d'espoirs déçus, j'ai sauté le pas. Merci Road Runner !

  • J'ai récemment changé d'employeur tout en restant à la même université. Un mic-mac pas possible de mon boss qui a de l'argent ailleurs et voulait me payer dessus. J'ai donc dû me retaper tout un tas de formalités administratives bien embêtantes. J'ai par ailleurs découvert un nouveau trait agaçant chez les Américains : plutôt que de vous aiguiller sur la bonne personne ou reconnaître qu'il ne peut vous renseigner, ou qu'il est débordé, l'employé américain soumis à une requête hors de ses compétences fait le mort. Vous avez beau relancer par mail, venir mettre la pression physiquement, rien à faire : j'ai l'impression que les Américains préfèrent ne rien dire plutôt que reconnaître leur incompétence (qui peut être tout à fait justifiée). Je regrette l'administration des impôts français qui est obligée de vous répondre très gentillement ...

  • Professionnellement je suis débordé. J'essaie de finir quelque chose très vite pour m'éviter une mésaventure de ce type... (en fait, c'est surtout cela qui explique mon rythme de publication assez bas ces temps-ci)

  • J'ai lu dans Nature qu'amazon vendait du temps de calcul ! Ils ont des serveurs tellement puissant qu'ils ont décidé de fournir des "machines virtuelles" permettant de faire tourner de vraies simulations numériques à très grande échelle. "Virtualization is revolutionary", dixit l'article. Quelqu'un sait-il comment accéder à ce service ? j'ai cherché vainement...




11 décembre 2006

Ecologie, évolution et équation de Boltzmann

Avertissement : Pour la première fois sur ce blog, il y a quelques équations - pas trop compliquées- dans ce billet, mais l'expérience devrait rester rare...

Un article de Shipley, Vile et Garnier récemment paru dans Science ouvre des liens prometteurs entre physique statistique et écologie.

Les modèles “historiques” d'écologie (au sens description de l'évolution de différentes populations) reposent essentiellement sur la donnée des interactions entre les différentes espèces (modèles type prédateur-proie, bien connus pour contenir toute la phénoménologie des systèmes dynamiques...). Evidemment, le nombre d'interactions entre espèces croît comme le carré du nombre d'espèces, ce qui rend la construction d'un modèle général pratiquement impossible.

Shipley et al se sont attaqués au problème en partant de deux constats :

  • dans un écosystème (dans la suite, une “communauté” de plantes), une mesure des différentes contraintes évolutives dans la communauté peut se faire en évaluant une moyenne de certains “traits”. Par exemple, si une modification d'environnement favorise des plantes avec des feuilles plus petites, le trait “taille des feuilles” va diminuer et la proportion des plantes à petites feuilles augmenter. Autrement dit, la mesure d'un trait moyen contient de l'information sur les pressions sélectives et est a priori corrélée à la composition de la communauté.
  • par ailleurs, les différentes espèces présentes dans une communauté doivent se partager des ressources finies.

Autrement dit, on est en présence d'allocations de ressources avec contrainte. Tout à fait typique de la physique statistique !



Les Maths commencent ici


Considérons donc une population de S espèces devant se partager N unités de nourritures. Chaque espèce i disposera de ni unités de nourritures, si bien que le nombre de façons différentes d'allouer cette nourriture est






ou, en utilisant la formule de Stirling dans la limite des grands n





On retrouve la fameuse formule de l'entropie de Shannon (avec pi=ni/N). La configuration la plus probable est celle qui maximise cette entropie ou cette information. Si toutes les espèces sont équivalentes, tous les pi sont égaux et les espèces se répartissent équitablement les ressources, si bien que la population de chaque espèce est identique.

Cependant, dans notre communauté, toutes les espèces ne sont pas équivalentes, si bien que, certaines espèces vont être favorisées. Or, la notion de “trait” précédemment évoqué permet d'évaluer les contraintes sélectives : il s'agit maintenant de maximiser cette entropie, en imposant la contrainte sur les traits typiques de l'environnement observé. La façon classique de faire cela est d'associer à chaque trait un multiplicateur de Lagrange λj; pour chaque trait tj le trait communautaire tj dans l'environnement est fixé, et une espèce i donnée a pour trait tij. On maximise alors la fonctionnelle :





Le résultat général de cette maximisation donne que pi est proportionnel à :






Les Maths s'arrêtent là

En physique statistique “classique”, on maximise l'entropie avec la contrainte que l'énergie est conservée; le multiplicateur de Lagrange est la température (enfin son inverse) et la distribution finale la distribution de Boltzmann-Gibbs. Ici, l'équivalent de l'énergie est un ensemble de traits, l'équivalent de la température est un ensemble de multiplicateurs de Lagrange λj; ce sont les valeurs de ces multiplicateurs qui contraignent les rapports entre populations. Par exemple, si tous ces multiplicateurs étaient nuls, il n'y aurait aucune pression de sélection et toutes les espèces seraient équiprobables. Comme la température en physique, les paramètres λ contrôlent directement les distributions de population.

Bon, trêve de maths : à quoi ça sert ?

Shipley et al. ont étudié la distribution des populations de plantes dans 12 vignobles proches abandonnés en France et mesurés huits traits moyens. Ces vignobles ont été abandonnés à des périodes différentes, si bien que dans chaque vignoble, les traits sont différents car les espèces sauvages ont lentement recolonisé la place. Connaissant les espèces présentes, les traits associés ainsi que les traits moyens, ils peuvent appliquer le raisonnement précédent pour estimer les paramètres λ . Ensuite, ils peuvent retourner aux données pour voir si la distribution de population est effectivement donnée par une équation type Boltzmann-Gibbs. Cela marche dans 94 % des cas et valide l'approche “physique statistique”.

Concrètement, cela signifie donc qu'on comprend comment l'abondance relative d'une espèce dans un environnement dépend de l'écart de ses traits spécifiques par rapport au trait observé dans la communauté. Cela signifie aussi qu'avec ce modèle, il est possible théoriquement de prédire par exemple les changements écologiques induits par l'introduction d'une nouvelle espèce dans un nouvel environnement, ou au contraire, comment les variations dans l'environnement peuvent changer les proportions des différentes espèces les unes par rapport aux autres. Je ne suis pas un spécialiste en écologie, mais cela me paraît assez révolutionnaire.

Référence:

Shipley et al, Science 314, 812 (2006)

Autour d'un bon c@fé


Comme vous le savez sûrement, la salle café est le centre de tout bon labo qui se respecte. Rien de tel qu'une conversation la tasse dans une main, la craie dans l'autre, à expliquer ses résultats, le dernier papier qui vous a plu ou au contraire la dernière instabilité numérique qui vous a gâché le week-end... Sur le web, des liens se sont créés, et des blogs aux préoccupations similaires se regroupent, c'est pourquoi aujourd'hui je vous invite à venir faire un tour sur le c@fé des sciences !
Six blogueurs y participent : Matthieu, Enro, François, Benjamin, le Doc' et moi-même. Chacun y parle de sciences avec sa propre sensibilité et sa propre culture. Je vous laisse les découvrir...

07 décembre 2006

Organisation de la recherche suite

Rapidement, deux articles glanés sur le web en complément de mon billet du 2 décembre :


  • un article du monde d'avant-hier sur le retard pris en Europe sur la recherche et développement qui ne vous a sans doute pas échappé. Extraits allant dans le sens de mon impression de "terrain":

    "La question des effectifs de scientifiques est également préoccupante. Dès 2003, l'Union européenne avait tiré la sonnette d'alarme, en disant qu'il fallait que l'Europe compte 700 000 chercheurs de plus en 2010 pour atteindre les objectifs de Lisbonne. Cet objectif a peu de chance d'être atteint, en raison, essentiellement, du faible taux de chercheurs en entreprise dans les pays de l'Union."


    " (...) les chercheurs bien formés ont encore plus d'opportunités de carrière en dehors de leur pays d'origine. Et pas seulement au sein des pays de l'OCDE. "Après la deuxième guerre mondiale, les chercheurs américains sont venus en nombre dans des laboratoires européens au Max Planck Institute, en Allemagne, ou au CNRS, en France. Maintenant, ils vont de préférence en Asie, en Chine, en particulier, où on leur offre de bonnes conditions pour travailler", explique M. Cervantes. Les chercheurs européens commencent à faire de même.




  • un article de telos-eu sur les discriminations (ethniques) à l'embauche, ce qui n'a a priori rien à voir, mais m'a rappelé quelque chose :





    Première priorité, il faut cesser de stigmatiser l'offre universitaire et réfléchir aux facteurs qui empêchent les entreprises d'améliorer leurs processus de recrutement. Car ce qui diffère entre la France et les Etats-Unis au moment du recrutement d'un jeune n'est pas sa formation fondamentale. Le jeune français n'a généralement pas suivi plus de cours inutiles à l'université (sociologie, anthropologie, psychologie voir cinéma) que son camarade américain. Il a, par contre, généralement devant lui un recruteur dont l'horizon temporel est particulièrement court, c'est-à-dire ne saisissant pas la capacité d'apprentissage de ce premier.



    Pourquoi ce dernier point m'a-t-il interpelé ? Mawashi parlait dans son commentaire de la reconnaissance du statut de docteur. Quoi qu'on en pense, un docteur a fait ses preuves dans sa démarche de recherche et a donc montré sa capacité créatrice et sa capacité à apprendre qui devrait être valorisable et valorisée. Or, le fait que le diplôme de thèse soit une moins-value par rapport au diplôme d'ingénieur prouve que les recruteurs en entreprise voient la thèse comme une formation inutile. Au contraire, les instances de recrutement dans la recherche publique nous demandent de faire encore plus de preuves de ces mêmes capacités (post-doc à rallonge, publications...). Aux Etats-Unis, où un docteur sera recruté en entreprise pour son potentiel, cela n'est pas gênant car il n'y a pas de contradiction entre les deux systèmes, en France où on recrute plutôt sur la nature de la formation en entreprise, les deux systèmes tirent dans des sens différents et l'effet sur la recherche peut être catastrophique à terme.



04 décembre 2006

Misc.

Après un long billet plein de considérations très sérieuses, quelques trucs qui m'ont amusé ces derniers temps sur le web :


  • Jacques Chirac prend la défense du téléthon. Chouette ! Le premier représentant de la puissance publique incite les Français à donner sans souci pour la recherche. Sauf qu'à mon avis c'est à l'Etat d'assurer un financement convenable à ce genre de recherche pour précisément éviter ce genre de lobbying anti-science.

  • La controverse Poincaré/Einstein devant la justice et dans libé ! Il se murmure dans les millieux scientifiques français qu'un jeune et ambitieux Einstein aurait pillé les idées révolutionnaires de notre éminent major de l'X Poincaré depuis son bureau de l'office des Brevets à Berne (voir par exemple un billet d'Allègre). Je pense qu'il faut lire le papier d'Einstein en question, posant les bases de la relativité restreinte (il est notamment reproduit dans un livre dont j'avais parlé il y a très longtemps sur ce blog, les constantes fondamentales de Uzan et Lehoucq). Ce papier est relativement compréhensible avec un niveau de maths post-bac et est tout simplement brillant : son mérite est peut-être précisément d'avoir explicité la vraie physique cachée derrière l'invariance de Lorentz, et c'est à mettre au crédit d'Einstein. Ce dernier est régulièrement accusé de fraudes et de falsifications; par exemple il y a clairement eu des histoires avec Hilbert pour la relativité générale, mon prof de RG prétendait néanmoins que c'était bien Hilbert qui, ayant connaissance des résultats d'Einstein, aurait modifié son article au stade des proofs pour proposer la "bonne" théorie (appellée théorie d'Einstein-Hilbert d'ailleurs). Détail amusant : le procès semble porter sur le sens de "falsifier", considéré comme une insulte en français alors qu'il semble s'agir en fait d'un anglicisme pour "réfuter".

  • via Phersu, le Kansas interdit l'évolution... ;)

02 décembre 2006

Quelques considérations subjectives sur l'organisation de la recherche

On entend beaucoup parler de la "crise" de la recherche française, de la fuite des cerveaux... Bien souvent, j'ai l'impression que la recherche demeure pour la plupart une activité assez mystérieuse. En particulier, l'organisation de la recherche est mal comprise. Je vais donc aujourd'hui un peu marcher sur les plate-bandes d'Enro et essayer de décrire dans ce billet (qui en amènera peut-être d'autres) le système de recherche américain tel que je le vois au quotidien dans mon université, afin de faire quelque comparaisons avec le système de recherche français, et livrer quelques diagnostics, probablement un peu biaisés par mon statut actuel de post-doc. Cette description est subjective et basée sur mon expérience personnelle, toute précision ou commentaire est bienvenue car je peux me tromper. Mon but est simplement d'apporter quelques impressions de terrain pour alimenter le "débat".

Aux Etat-Unis, un labo est une unité quasi-indépendante, dirigé par un seul professeur. En bas de l'échelle : undegrads qui viennent faire des stages de recherche, graduate students qui sont étudiants en thèse. Ensuite, les post-doc qui ont obtenu leur doctorat. Ces trois catégories de chercheurs sont les "petites mains" de la recherche; en gros ce sont eux qui "font le boulot". Ils sont plutôt libres de proposer des idées et d'essayer d'influer les pistes de recherche et restent peu encadrés. La puissance scientifique d'un labo est très corrélée à son nombre d'étudiants et de post-docs; un labo sans petites mains est virtuellement un labo mort. Aux Etats-Unis, il y a foule d'étudiants et de post-docs dans un labo, mais un seul professeur. Le professeur est plus un "manager" scientifique : il impulse et oriente les projets, rédige les papiers et les demandes de fonds. Il met rarement "la main à la pâte" et ne fait en général pas de travail de terrain; il faut dire que trouver de l'argent lui mange déjà près de la moitié de son temps. En contrepartie, il est très bien payé. Il a une charge d'enseignement variant de 0 à une centaine d'heures par an.

En France, un labo est décomposé en sous-groupes. Chaque sous-groupe peut-être composé de plusieurs chercheurs permanents. Première singularité française : il y a deux catégories de chercheurs, les chercheurs "purs" et les enseignants-chercheurs (maître de conférences et professeurs d'universités). Les maîtres de conf ont une grosse charge d'enseignement : 192 h par an. Soit environ 6 h de cours à donner par semaine pendant toute l'année universitaire. D'expérience, en tenant compte de la préparation, de la correction des copies, des réunions... une telle charge d'enseignement occupe au moins deux jours complets par semaine. Cela ampute donc considérablement le temps passé à faire de la recherche. Les chercheurs permanents, eux, font de la recherche à temps plein. Les professeurs sont des chercheurs plus expérimentés, donnant les cours en amphi à l'université avec une charge d'enseignement moindre que les maître de conf.
Tout comme dans les labos américians, post-doc et étudiants sont présents dans les labos. Seconde différence toutefois : mon sentiment est que proportionnellement à la population de chercheurs, il y a beaucoup moins d'étudiants en France comparé à la situation américaine. Les labos qui tournent ont un nombre d'étudiants similaires, mais beaucoup de chercheurs en France n'ont pas ou peu d'étudiants. En fait, les jeunes permanents en France font le boulot dévolu ailleurs aux post-doc plus expérimentés. Ce manque d'étudiants a plusieurs raisons : l'une d'elle est je crois le manque de débouchés des carrières scientifiques en dehors de la recherche. Je viens d'une grande école d'ingénieurs; j'ai clairement le sentiment que ma thèse est une moins-value par rapport à mon diplôme d'ingénieur dans l'hypothèse d'une "reconversion" dans le privé franco-français. Aux Etats-Unis au contraire, avoir un phD ouvre les portes des entreprises, ce qui incite les étudiants à faire des thèses. C'est à mon avis un problème complètement ignoré en France : la force de frappe scientifique étant corrélée au nombre d'étudiants, les Etats-Unis sont assis sur un tas d'or (tous les étudiants veulent faire des thèses) tandis que la France est concrètement en train de tarir la source.

Abordons le thème du recrutement de permanents maintenant. Aux Etats-Unis, après quelques années de post-doc, vous pouvez obtenir une "tenure track" . C'est un CDD de recherche, mais avec des moyens substantiels : vous êtes "Assistant Professor", devez donner quelques cours, mais avez votre propre labo, des fonds de départ, des étudiants. Le recrutement est local : chaque université recrute ses propres chercheurs (et il y a pléthore d'universités, un de mes collègues -pourtant très fine bouche- vient d'envoyer la bagatelle de 60 candidatures rien qu'aux US). Après 5 ans, vous êtes évalués par votre université qui décide alors si vous devenez chercheur permanent ("tenure") ou non. Vous devenez chercheur permanent autour de 35-37 ans donc. En fonction des universités, la probabilité d'avoir votre tenure après une tenure track varie de 20 à 99%...

En France, pour continuer la recherche après la thèse, vous avez en gros deux possibilités dans le public : soit maître de conférence à l'université, soit chercheur dans un organisme. Historiquement, le recrutement se faisait plus jeune qu'aux Etats-Unis : la plupart des chercheurs expérimentés aujourd'hui sont rentrés en gros en fin de thèse. Depuis quelques années, un voire plusieurs post-docs sont indispensables, y compris pour les postes maîtres de conférences (ajoutez donc au minimum 2-3 ans à l'âge en fin de thèse). Le recrutement est local pour les postes maître de conf, national pour le CNRS. D'après ce que j'ai vu l'an dernier, la tendance pour le concours CNRS (initiée par l'annulation de toute limite d'âge pour le concours d'entrée) est semble-t-il un alignement lent voire un dépassement de l'âge de recrutement des tenure tracks. Les fonds de recherche sont alloués d'en haut avec une dotation plus ou moins globale au labo. A charge du directeur de labo d'allouer les fonds entre les différents groupes. Là aussi, la situation est en train de changer avec la création d'agences de moyens type ANR, qui allouent l'argent au cas par cas. Les chercheurs français passent de plus en plus de temps à rédiger des demandes de fonds.

Parlons maintenant un peu "fuite des cerveaux". Un avantage comparatif du système tel qu'il existait était de recruter les gens plutôt jeunes. Aujourd'hui, l'écart entre la fin de thèse et le recrutement semble grandir (par manque de postes, de moyens, par volonté politique ?), le post-doc à l'étranger devient la norme ce qui initie la pompe vers l'extérieur du pays. Comme chaque année écoulée en post-doc plombe une éventuelle carrière hors de la science sans réelle garantie de retour, la plupart des gens que je connais ont fini par opter pour la recherche à l'étranger dès qu'une occasion se présente localement ("un tiens vaut mieux que deux tu l'auras", et paradoxalement, il me semble qu'il est plus facile de trouver une "tenure track" en Amérique plutôt que de rentrer au CNRS, car l'offre de postes est en fait très grande), ou par rentrer dans le privé ... à l'étranger aussi dans la plupart des cas (pour les raisons évoquées plus haut). Contrairement à ce que beaucoup pensent, le salaire n'est à mon avis pas un argument décisif : la plupart des gens ne font pas de la recherche pour l'argent et les docteurs sont en général bien assez intelligents pour réussir dans des carrières lucratives s'ils le souhaitent... En revanche, je ne connais aucun post-doc ou étudiant en thèse français qui ne rentrerait pas en France si on lui proposait un poste de recherche.

30 novembre 2006

La vie était-elle inévitable ?

Via Nature, Harold Morowitz et Eric Smith affirment dans un papier publié sur le site web du Santa Fe institute (accès libre) que la vie, loin d'être apparue par hasard, aurait pu apparaître de façon tout à fait déterministe.

L'analogie qu'ils utilisent est inspirée de la physique : lors d'un orage, des différences de potentiels énormes apparaissent entre le sol et les nuages. Pour libérer ce potentiel, un canal spécial s'organise : l'air s'ionise et un plasma conducteur apparaît, d'où un éclair. Il se trouve que ce canal s'auto-organise et s'auto-entretient pour transmettre de l'énergie, si bien que si la différence de potentiel se maintenait, l'éclair existerait de façon permanente et formerait une structure organisée, hors équilibre thermodynamique.

Selon Morowitz et Smith, les processus géochimiques dans la Terre primitive auraient construit des réserves immenses d'énergie, à l'image des différences de potentiels durant un orage. Ces réserves ne demandaient qu'à être libérées, et la chimie aurait fourni des canaux chimiques (équivalents du plasma physique) qui se seraient spontanément auto-organisés pour permettre au flot d'énergie de passer. Ces canaux chimiques sont concrètement des suites de réactions chimiques bien spécifiques (type cycle de Krebs à l'envers) qui permettent à la fois de consommer cette énergie, de s'auto-organiser et de maintenir cette auto-organisation en extrayant de l'énergie des réservoirs. D'après les auteurs, très peu de réactions chimiques de ce type peuvent exister, et ces réactions se trouvent être à la base de tous les organismes autotrophes. D'une certaine manière, le logiciel chimique de base de la vie se serait donc trouvé totalement déterminé.

Horowitz et Smith affirment que ce procédé implique que l'apparition de la vie était inévitable, et que ses premières étapes sont totalement déterminées. En effet, ils affirment qu'un monde sans vie mais plein d'énergie potentielle chimique serait métastable, tout comme les nuages chargés lors d'un orage : à un moment ou un autre, l'éclair claque tout comme la vie devait apparaître. C'est ce qu'ils appellent le "collapse to life" ("effondrement vers la vie"), et c'est un événement purement biochimique. Les molécules de réplication (type ARN ou ADN) apparaissent bien plus tard : elles viennent d'abord simplement se greffer sur l'auto-organisation chimique, et c'est seulement lorsqu'il y a suffisamment de polymères dans la soupe qu'une réplication peut se mettre en place et la sélection naturelle commencer.

J'aime toujours ce genre d'articles qui essaient de proposer des explications à des phénomènes a priori très mystérieux. J'aime en particulier beaucoup l'analogie physique (je vous ai passé le côté physique statistique et transition de phase). Maintenant, comme tous les articles de ce genre, c'est à prendre avec de grosses pincettes !

Référence:

Morowitz H.& Smith E., Santa Fe Institute Working Paper, (2006).

29 novembre 2006

Téléthon, église catholique et financement de la recherche

De retour de mon petit voyage scientifique, je sors de ma léthargie bloguesque pour vous signaler un article très intéresant de Libé, dans lequel l'archevêque de Paris donne son point de vue sur le Téléthon.

Les catholiques réclament de la transparence sur l’usage de leurs dons par le Téléthon en matière de recherche génétique, notamment pour le tri d’embryons auquel ils sont opposés. Mais ils n'appellent pas directement à un boycott a expliqué l’archevêque. «On crie au scandale parce que des gens posent des questions», a-t-il observé, «c’est au moins naturel et normal que les gens qui financent la recherche puissent dire quelque chose sur la recherche qu’ils financent». Le responsable catholique a affirmé qu’il continuerait à donner pour le Téléthon «si on a la possibilité d’infléchir ou d’orienter nos dons» et «si l’association accepte d’entendre nos questions». Il a souligné que les responsables du Téléthon ne refusent pas de discuter et ont déjà rencontré des responsables d’Eglise.


Cette polémique récente illustre par l'exemple les problèmes posés par les financements de recherche à base de dons et de charités, que j'avais déjà évoqués dans ce billet (lire également les billets d'Enro sur le sujet ici et pour avoir un point de vue contradictoire). Enro proposait en particulier une implication plus forte des citoyens dans la recherche :

Or dans la vision de Christophe Bonneuil (qui est ma vision idéale), ce ne sont pas seulement des citoyens timides et désengagés qui donnent là où ils pensent que c'est le plus utile : les citoyens regroupés en associations, comités ou autres s'impliquent véritablement, acquièrent de l'expertise, font du lobbying vers le politique, impliquent les acteurs individuels etc. Les associations de malades ou contre le cancer sont une première étape (largement imparfaite) vers une recherche qui viendrait de "tous les pores de la société"

Cette polémique sur le téléthon montre donc un exemple d'implication des citoyens dans la politique de recherche, mais pas vraiment dans le sens attendu : le lobby qui émerge aujourd'hui est clairement dans une logique de restriction et de contrôle de la recherche, au contraire de la logique de coopération pronée par Enro. Un contrôle citoyen est bien sûr légitime, sauf que la "logique" sous-jacente ici est uniquement religieuse. Alors bien sûr, il y a en contrepoids les associations de malades par exemple, qui sont à l'origine du téléthon lui-même, mais l'exemple des Etats-Unis montre bien que ce genre de groupe de pression "anti-science" peut-être très néfaste sur le long terme.

Par ailleurs est évoquée ici l'idée que le don doit être orienté. D'un point de vue sémantique, j'ai toujours pensé que l'expression de "don orienté" tenait de l'oxymore : rien n'oblige à donner, si le donateur n'est pas d'accord avec l'utilisation prévue des fonds, libre à lui de donner ailleurs, mais une fois que le don est fait, l'utilisation de l'argent doit être libre (un don est un don !). D'un point de vue pratique, nous savons tous que la recherche fondamentale n'est réellement efficace sur le long terme que si elle est libre. Nous avons donc ici selon moi deux exemples d'effets (un peu) pervers du financement de la recherche par le don...

16 novembre 2006

Scientists crossing...

Cela fait plusieurs mois que je passe devant cet étrange panneau, non loin de mon université. J'aime beaucoup l'allure à la fois décidée et concentrée du scientifique, et suis effrayé de cet avertissement destiné à nous éviter le tragique destin du génial Ramanujan.

D'ici quelques jours en tous cas, je vais changer d'échelle et traverser non pas une rue, mais l'Atlantique lui-même pour passer une dizaine de jours en France pour le travail. Autant dire que l'activité de ce blog s'en trouvera nécessairement ralentie, car je ne dois pas chômer. Malheureusement, je ne pourrai donc pas m'adonner à la terrible procastination, tant vantée par Jorge Cham, qui viendra donner une conférence à l'académie new yorkaise des sciences pendant mon absence.

15 novembre 2006

Néandertal séquencé

C'est la grande nouvelle de la semaine : deux papiers paraissant simultanément dans Nature et Science contiennent les premiers résultats sur un séquençage (partiel pour l'instant) de Néandertal - voir références en fin de billet.

Avant de disserter sur les résultats du séquençage, soulignons tout d'abord la performance technique. Séquencer un ancien génome n'est pas un exercice très facile. Les cas de "contamination" sont fréquents, l'exemple le plus fameux étant le supposé ADN des insectes pris dans l'ambre qui s'est par la suite révélé être tout à fait moderne (ce qui ne nous a pas empêchés de fantasmer sur Jurassic Park). Le recueil de prélèvements ressemble maintenant à une opération chirurgicale, avec gants et combinaisons étanches. C'est d'autant plus difficile dans le cas présent qu'on s'attend légitimement à trouver beaucoup de points communs entre les ADN de sapiens et de Néandertal, donc il est difficile d'exclure des faux a posteriori. Les chercheurs ont notamment utilisé une nouvelle technique au nom barbare de "pyroséquençage" pour séquencer rapidement en parallèle afin d'avoir un maximum d'information pour vérifier les données.

Les résultats sont intéressants. L'équipe de Rubin (Noonan et al.) a séquencé 65000 bases, a trouvé 502 bases mutées à la fois chez sapiens et Néandertal (en comparant au chimpanzé comme outgroup), dont 27 sont spécifiques à sapiens. Green et al. ont analysé près d'un million de bases, ont trouvé 10167 bases différentes par rapport aux chimpanzés, dont 434 uniques à Sapiens. Sapiens et Néandertal partagent en fait 99.5% de leur génome.

Que nous dit maintenant ce séquençage sur une possible hybridation entre les deux espèces homo ? L'équipe de Green/Pääbo a comparé une bibliothèque d'allèles de sapiens (des SNPs, i.e. Single Nucleotide Polymorphism) à ceux de Néandertal. 30% de ces SNPs sont présents dans Néanderthal mais absents chez le chimpanzé. C'est beaucoup trop pour des espèces séparées par 500 000 ans d'évolution, et, même si on est encore loin d'avoir une preuve absolue, cela suggère effectivement que Sapiens et Néanderthal ont pu s'hybrider. Comme les chromosomes X des Néandertal ont l'air particulièrement divergents, l'hypothèse serait que des mâles sapiens ont pu avoir des enfants avec des femelles Néandertal. Qui sait, peut-être Eve (la dernière femelle dont nous descendons tous) était-elle une Néandertale ;) ...

PS : l'article de Lahn dont j'avais parlé dans un billet précédent à propos du gène microcephalin de sapiens pouvant venir de l'hybridation avec Néandertal et ayant été spécifiquement sélectionné vient de paraître sur le site web de PNAS.


Références :

Green et al., Nature 444, 330-336 (16 November 2006)
Noonan, J. P. et al. Science 314, 1113–1118 (2006).
Evans et al., PNAS, 2006 Nov 7; [Epub ahead of print]

14 novembre 2006

The Ultimate selfish gene

Matthieu évoquait récemment sur son blog la fameuse théorie du gène égoïste de Dawkins. Alors, des gènes qui se servent de nous pour se reproduire, cela existe-t-il vraiment ?

Il se trouve que la nature a effectivement enfanté certains monstres, qui squattent sans vergogne notre génome. L'une de ces séquences génétiques s'appelle Alu. Cette séquence est un transposon, i.e. qu'il s'agit de séquences pouvant "sauter" et se reproduire d'une partie de l'ADN à l'autre (voir aussi ce billet). Alu lui-même est représenté plus d'un million de fois dans le génome humain, constituant plus de 10% de notre génome !!! Dans le genre parasite, on fait difficilement mieux à première vue...

A seconde vue, Alu présente des propriétés assez intéressante. Alu est tout d'abord spécifique aux primates. Ensuite, il se trouve qu'Alu est surreprésenté dans les séquences soumises à un épissage alternatif. Kesaco ? Le "dogme central de la biologie" stipule que l'information génétique sous forme d'ADN est d'abord transcrite sous forme d'ARN, puis traduite pour donner des protéines. L'ARN subit cependant un processus de maturation appelé "épissage". En gros, certaines sous-séquences de l'ARN (appelées introns) sont proprement excisées de l'ARN messagers, et seuls les exons sont traduits pour donner la protéine. L'épissage alternatif est un processus qui permet de "sélectionner" les exons qui seront traduits. A partir d'une même séquence ARN, certains exons seront conservés dans certains ARN, d'autres rejetés, ce qui fait qu'un même gène donnera plusieurs protéines différentes à partir d'un seul pool d'ARN messagers (voir la jolie animation flash ici).

Alu donc est surreprésenté dans ces exons epissés alternativement. Il se trouve que quelques mutations ponctuelles et Alu est traduit ou exclu systématiquement. Du coup, il est très facile grâce à ce procédé de créer des nouvelles protéines en toute sécurité, à partir d'un même ARN messager. Typiquement, une partie des ARN seront traduits sans Alu (protéines lambda fonctionnelles), d'autres avec Alu (nouvelles protéines, avec de nouvelles séquences). Si les protéines avec Alu ne sont pas fonctionnelles, les protéines initiales sont là, donc pas de problème. En revanche, si les protéines avec Alu ont une fonction intéressante, la sélection naturelle agira pour conserver cette fonction et rendre l'épissage systématique. Ces séquences Alu permettent donc de créer de la variabilité génétique à coût nul, et sont potentiellement des outils très efficaces pour l'évolution, ce qui explique certainement pourquoi Alu est si présent dans notre génome. Alu est peut-être un gène égoïste, mais il semble avoir réussi à se rendre utile ;) .

Références

Lev-Maor et al., Science.2003 May 23;300(5623):1288-91
Un article sur genome new network

10 novembre 2006

Blog et politique des deux côtés de l'océan

Un ami, lecteur et commentateur assidu de ce blog à ses heures perdues, me demandait récemment mon sentiment sur la victoire démocrate américaine. J'étais certes content pour eux, mais lui répondais aussi que, honte sur moi, je ne suivais que de très très loin la politique locale. Il faut dire qu'elle n'est pas d'un niveau très reluisant, entre le "Macaca" de George Allen (qui n'est pas juif car il mange des côtes de porc) et le puritanisme du pourtant démocrate Harold Ford (qui a peut-être eu des relations sexuelles avec une blanche alors qu'il est noir - contrairement à ce que laisse penser sa photo). Je n'aime pas beaucoup cet aspect communautaire de la politique et de la vie en général ici.

En revanche, je suis de très près la politique française (j'ai hâte de voter au consulat de New York, et regrette bien d'avoir raté les quelques soirées organisées pour recevoir nos "candidats" ;) ). Je ne vais pas me transformer en blog politique, certains font cela très bien, mais bon, force est de constater que nombreux sont les blogueurs "citoyens" au sens large... J'ai par exemple consulté avec intérêt le sondage politique récemment paru sur le site web de Marianne. Tous les détails sont disponibles en cliquant ici. Pour la première fois, j'ai regardé en détail les résultats d'un sondage et j'ai été très surpris de constater les différents biais dans la population par rapport à la moyenne, biais qu'on pourrait qualifier de "culturel" ou de "communautaire" en fonction de la catégorie considérée. Car on s'aperçoit que, sauf exception, le biais majeur par rapport à la moyenne n'est pas la profession (comme on pouvait le penser à première vue, dans une perspective un peu marxiste ;) ) mais bien l'âge ou le sexe. Par exemple, si autant d'hommes que de femmes sont prêts à voter pour Ségo au premier tour, 37% des femmes contre 23% des hommes sont prêts à voter Sarko ! Clairement donc, Sarkozy séduit littéralement les femmes et repousse au contraire les hommes. Côté âge, Ségo fait un tabac chez les jeunes (49% des 25-29 ans), tandis que Sarkozy plaît beaucoup à vos grands parents (48% des plus de 75 ans). La corrélation jeune=Ségo et vieux=Sarko est très claire quand on regarde la progression des intentions de vote par tranches d'âges, excepté pour les 18-24 ans qui, en gros, préfèrent à Ségo... Le Pen . Tout ça me paraît bien effrayant, et me donne bien envie de connaître un peu plus de sociologie...

09 novembre 2006

L'éternel débat science vs religion


Time magazine a organisé dans son numéro daté du 13 Novembre un débat entre deux scientifiques, Richard Dawkins et Francis Collins, sur les relations entre Dieu et la Science. Le contexte américain est bien connu : les ultra-religieux, pour des raisons essentiellement politiques et morales, ont décidé de s'attaquer à la théorie de l'évolution, vue comme dangereuse moralement car faisant de l'homme un animal comme les autres. Ils ont ainsi développé une théorie pseudo-scientifique, l'Intelligent Design (ID), visant à attaquer la science sur son terrain. Scientifiquement, c'est plutôt un coup d'épée dans l'eau; politiquement en revanche, la stratégie a été très efficace, livres, débats se multiplient, certains décideurs en sont même à accepter voire à préconiser l'enseignement de l'ID à l'école.

Evidemment, le milieu scientifique ne reste pas indifférent face à cette attaque en règle et se doit de se positionner dans le débat. On peut à mon avis classer les scientifiques en trois catégories :
- les athées forcenés (comme Dawkins, auteur notamment du gène égoïste et du récent The God delusion), voyant la religion comme un archaïsme trompeur et bien décidés à ne pas se laisser faire, voire à démontrer l'inexistence de Dieu,
- les scientifiques "neutres" (par exemple Stephen Jay Gould) qui pensent qu'il n'y a pas lieu de se poser la question de la cohabitation entre Dieu et la science, représentant deux domaines bien distincts qui ne se parlent jamais. Dieu ne fait pas partie de la nature, n'intervient pas dans celle-ci.
- les scientifiques croyants, qui pensent que Dieu existe et intervient dans les affaires du monde, rarement mais sûrement. Francis Collins, directeur du National Human Genome Research Institute , auteur de The Language of God: A Scientist Presents Evidence for Belief, fait partie de ceux-là. Néanmoins, pas fou, Collins pense qu'il est impossible de démontrer l'existence de Dieu par des moyens scientifiques.

Le débat organisé par Time commence par une présentation rapide des positions respectives des deux scientifiques sur Dieu et la science. Pas de surprises de ce côté-là. Time demande ensuite à Dawkins pourquoi il pense que la théorie de Darwin contredit le récit de la Genèse (!). Dawkins développe alors brièvement comme explication scientifique alternative la théorie néo-darwinienne à base de mutations/sélection. Collins approuve et pense que la théorie de l'évolution n'est pas incompatible avec l'idée d'un Dieu créateur : selon lui, Dieu aurait pu juste donner l'impulsion initiale, l'organisation de la nature émergeant naturellement vers un homme créé à son image. Pourquoi pas après tout, même si Dawkins fait remarquer un peu perfidement que c'est un procédé bien étrange que d'attendre que l'homme émerge tel quel après 4 milliards d'années d'évolution. Mais bon, les voies du Seigneur sont impénétrables, n'est-ce pas ?(d'ailleurs c'est en somme ce que lui rétorque Collins).

Time met ensuite sur la table la tarte à la crème actuelle issue de la physique, à savoir que les constantes fondamentales semblent ajustées pour permettre l'apparition de la vie (voir ici et surtout là pour plus de détails sur cette controverse et les théories en jeu). Collins assène alors le principe anthropique fort : Dieu a choisi les paramètres ainsi pour que l'homme apparaisse. Dawkins répond par la version cordiste du principe anthropique faible : il existe tellement d'univers parallèles qu'il y en a forcément un pour lequel les paramètres sont bien ajustés.

Et là, Collins nous sort un argument tellement incroyable que je me suis sincèrement demandé s'il était sérieux. Collins trouve plus plausible d'un point de vue scientifique, l'existence de Dieu, plutôt que l'existence de multi-univers. Il conclut donc, en vertu du rasoir d'Occam, que Dieu existe !!!

Arrêtons-nous quelques instants sur cet argument. A ma gauche, nous avons une théorie scientifique, contestée certes, mais qui donne une réponse. A ma droite, nous avons Dieu. Et bien, Collins, scientifique de son état, trouve la science physique non plausible, et penche donc pour Dieu. Je trouve cela totalement hallucinant. Imaginons-nous 1000 ans en arrière. A l'époque, il n'existait pas de théorie de la gravité par exemple. Comment Collins aurait-il expliqué la rotation de la Lune autour de la Terre et la chute de la pomme ? En tant que scientifique, la règle numéro 1 devant un mystère est de chercher une explication scientifique, naturelle. Devant l'incompréhensible, seule la démarche scientifique s'est historiquement révélée pertinente et efficace. Préférer Dieu à la science, n'est pas une attitude scientifique. Cependant, Collins affirme, je cite :

"God is the answer of all of those "How must it have come to be" questions".


Dawkins le recadre alors en lui faisant remarquer que ce n'est effectivement pas une démarche scientifique...

Time, perfide, demande alors si la réponse à de telles questions pourrait être Dieu (après bien sûr une recherche vraiment scientifique). Dawkins botte en touche en disant qu'il pourrait y avoir quelque chose d'immense, d'incompréhensible pour nous, de très grand. Collins lui fait remarquer que c'est Dieu par définition. Dawkins répond alors qu'il n'y a aucune chance que ce Dieu soit Jésus, Yahweh ou Allah. Je pensais alors que c'était une pirouette. Pourtant, la suite démontre qu'il a au contraire mis dans le mille. Le débat glisse sur la Genèse et la Bible en général. Collins affirme alors haut et fort sa foi de chrétien : devant l'impossibilité scientifique, il affirme que Dieu a nécessairement violé les lois de la Nature pour féconder la vierge et pour ressuciter. Autrement dit, Dawkins avait bien répondu, le débat est tout autant de contrer l'idée d'un Dieu créateur que l'idée que son propre Dieu est véritablement le Dieu créateur. Collins se fait d'ailleurs titiller sur ce point par Dawkins qui lui fait remarquer qu'il est en bonne compagnie avec des "clowns" fondamentalistes.

Le débat embraye sur l'autre thème classique, à savoir l'explication de la morale. Collins affirme que la morale vient de Dieu, qui nous a créés moraux et que cela ne peut être entièrement expliqué par la théorie de l'évolution. Dawkins pense le contraire et expose ses arguments scientifiques (voir ici sur ce blog toujours). Encore une fois, j'ai été un peu soufflé par le discours de Collins : comment peut-on être scientifique et affirmer que certains phénomènes naturels ne peuvent être expliqués scientifiquement ?

Le débat se termine par une évocation du problème des cellules souches. Dawkins est favorable à toute expérimentation tant qu'aucun système nerveux n'existe, et fait remarquer que les hommes n'hésitent pas par exemple à faire souffrir des animaux pour les tuer, ce dont n'ont cure les religieux. Collins fait alors remarquer que les hommes et les animaux ne sont pas équivalents moralement, ce que Dawkins reconnaît. C'est à mon avis le seul point que Collins marque dans le débat, même si je pense que la réponse à ce genre d'interrogations se trouve dans la philosophie plutôt que dans la religion.

Chacun conclut alors sur son message principal. Collins, sans surprise, insiste sur le fait qu'il pense qu'il y a certaines questions dont on ne peut trouver la réponse que dans la religion. Etonnament, Dawkins revient sur l'idée qu'il y a des arguments convaincants contre l'existence d'un créateur, mais que, si créateur il y a, ce n'est certainement pas Jesus à son avis, mais quelque chose qu'aucune pensée humaine ne peut concevoir...

Voilà pour ce résumé un peu long. Etant moi-même plutôt sur la ligne de Dawkins, je n'ai pas repris tous ces arguments, et me suis concentré, y compris à la lecture, sur les arguments de Collins. Je dois dire que j'ai été un peu déçu de ce point de vue, et pas convaincu, c'est le moins qu'on puisse dire...

06 novembre 2006

Avoir Internet dans l'upper East Side ....


A mon arrivée à New York il y a un an, je me disais qu'il me serait impossible de vivre sans Internet, que je ne pourrais jamais me passer de ce lien génial et indispensable avec la France. Les responsables de mon immeuble m'avaient alors garanti que d'ici à quelques semaines, tous les appartements seraient connectés à internet via l'université...

Un an après, la situation est totalement bloquée. En allant renouveler mon bail, sans surprise, j'ai appris que l'université avait renoncé et que je n'aurais jamais internet chez moi. Seulement le gros problème est que c'était l'un de mes seuls espoirs : aux Etats-Unis, à New York, à deux pas de Central Park et des Nations Unies, il n'est toujours pas possible d'avoir l'ADSL, comme le prouve la capture d'écran ci-contre. Et dans le temple mondial du capitalisme, impossible de faire jouer la concurrence à première vue : verizon est ici en position de monopôle local pour le téléphone.



Vous avez dit concurrence ? Ah oui, quand je suis arrivé, on m'a remis une feuille avec le nom des deux entreprises à contacter pour avoir respectivement le téléphone et le câble (oui, ici, les monopôles sont privés bien sûr). Verizon, donc, est hors course pour internet, après un an, j'en ai assez, je vais prendre internet sur le câble. Je me connecte donc chez Time Warner et consulte les informations sur leur plan Road Runner à 45$ par mois.

Tout commence bien : le câble est disponible dans mon immeuble, a priori c'est champagne. Sauf que en voulant faire la commande par internet une mauvaise surprise survient. Comme le prouve l'image ci-contre, avant de pouvoir commander son modem, il faut absolument cocher la case

"My computer meets the minimum system requirements."


"Requirements" en question qui sont :

Operating System Windows 98, 2000/ME/XP; Pentium-class 400 MHz processor; 64 MB RAM; 110MB of free hard drive space

MAC: System 9.x and higher; PowerPC; 32MB physical RAM w/Virtual Memory set to 40 MB; 30 MB free hard disk space


Et oui, je l'ai encore dans l'os étant sous debian linux. Autrement dit, je suis obligé d'avoir Windows ou un Mac pour pouvoir me connecter sur Internet à New York. Aux Etats-Unis, le pays le plus libéral du monde, j'ai donc eu successivement affaire à deux monopôles : celui du téléphone est incapable d'avoir des lignes en état pour fournir l'ADSL, celui du câble vous oblige par contrat à avoir certains systèmes d'exploitation pour pouvoir surfer sur le web.

Le pire est que contrairement à la France où j'avais pu sans problèmes télécharger tous les drivers de mon modem adsl sous linux, je ne trouve pas la moindre information sur le web ici pour configurer tout comme il faut.

Comme j'en ai ras-le-bol de ne pas avoir internet à la maison, je suis donc obligé de me lancer comme périodiquement dans de charmantes et agréables geekeries. Objectif : réinstaller windows sur une partition abritant une vieille Mandrake qui me servait en cas de défaillance de ma debian (chat échaudé craint l'eau froide). Comme je commence à avoir l'habitude de de genre d'exercice, la première étape consiste à ramasser le maximum d'informations pour savoir comment je vais réussir à réinstaller GRUB sur mon disque une fois que l'ogre Windows aura fait place nette sur mon MBR. J'ai maintenant Knoppix, une live CD de debian et un CD d'installation de Debian pour avoir le mode Rescue. Je vais bientôt tester le mode rescue pour voir comment se passe la réinstallation du GRUB. Après cela, installation de Windows XP (Arghhhhh!!!). A priori, si tout va bien ensuite restauration du GRUB et nouveau dual-boot, et à moi l'internet. Prions mes amis prions...

Edit 22:22 : c'est la berezina ! il faut que je reinstalle tout ! scrogneugneu....

Edit 7 Nov, 18:32 : bon, ça a l'air de remarcher à peu près correctement, modulo les problèmes classiques à chaque réinstallation (carte son à reconfigurer, souris USB non configurée) plus quelques nouveautés (skype et xfig buggés...). Heureusement, maintenant, j'ai mon dual boot !

02 novembre 2006

Néandertal et sapiens suite

Dans un billet précédent, j'avais évoqué certaines analyses génétiques montrant que l'homme moderne s'était peut-être hybridé avec une autre espèce humaine il y a environ 40 000 ans en Eurasie. Différents travaux récents laissent maintenant à penser que Néandertal et sapiens ont coexisté plus longtemps que prévu.

Finlayson et al. ont analysé dans un article de Nature les traces d'occupation humaine dans une grotte à Gibraltar. Ils ont en particulier retrouvé des outils moustériens, typiques de l'homme de Néandertal. Or, la datation des couches géologiques montre que ces outils ont été déposés il y a 28 000 ans, voire peut-être même 24 000 ans. Cela signifierait que Néandertal aurait pu survivre plus longtemps qu'on ne le pensait, et aurait pu par conséquent interagir davantage avec sapiens.

Cette date beaucoup plus récente éclaire d'un jour nouveau des découvertes précédentes. Il se trouve qu'un squelette d'enfant étrange avait été retrouvé à Lagar Velho au Portugal. Ce squelette avait des caractéristiques à la fois moderne et néandertalienne, si bien qu'il avait été proposé qu'il s'agissait en fait d'un hybride sapiens/néandertal. Le seul problème est que ce squelette date d'il y a 24 500 ans, et ne collait donc pas avec l'idée que Néandertal avait disparu il y a 40 000 ans. Si la datation de Finlayson et al. était confirmée, cela renforcerait donc considérablement l'hypothèse de l'hybridation entre les deux espèces humaines !


Références :

Finlayson, C. et al. Nature 443, 850–853 (2006).
L'article décrivant le squelette hybride : Duarte, C. et al. Proc. Natl Acad. Sci. USA 96, 7604–7609 (1999).

01 novembre 2006

I am not a monkey...

Via Pharyngula, South Park se penche sur l'intelligent design...




30 octobre 2006

Introduction à la phylogénie


"Nothing in biology makes sense except in the light of evolution." Theodosius Dobzhansky, 1973.

Si l'on réfléchit quelques minutes à cet aphorisme célèbre, on réalise immédiatement que l'objet de base en biologie n'est ni la cellule, ni l'organisme, mais bel et bien l'Arbre, l'Arbre des espèces reliées entre elles par l'intermédiaire de leur ancêtre commun. Et la construction et la compréhension de cet arbre est un enjeu majeur de la biologie moderne.

Le but de la phylogénie est de classifier les êtres vivants. Cette classification est basée sur les liens de parentés entre espèces, seul critère réellement scientifique et utile d'un point de vue biologique.

La méthode traditionnelle de classification phylogénétique s'appelle la cladistique. Elle est fondée sur la notion de caractères homologues. Un caractère est "un attribut observable d'un organisme". Classiquement, la cladistique repose sur la classification de groupes frères, à partir d'une liste de caractères. Elle commence par la définition d'un extragroupe (out group en Anglais), animal dont on est sûr qu'il est extérieur au groupe d'étude. Cet animal permettra en particulier de définir une liste de caractères primitifs.

Le cas d'école est de considérer trois espèces à classer (au hasard l'homme, le chat, et l'aigle) et un outgroupe (par exemple la truite). La classification revient à savoir quelles sont les deux espèces les plus proches en regard de la troisième. On construit alors tous les arbres phylogénétiques possibles. A partir des caractères sélectionnés, on choisit l'arbre "correct" suivant le principe de parcimonie. L'idée simple est que si deux caractères sont communs entre deux espèces, il est plus plausible a priori que ce caractère dérive de leur ancêtre commun plutôt qu'il soit apparu indépendamment : on identifie donc les modifications de caractères d'une espèce à l'autre et on choisit l'arbre qui minimise le nombre de mutations. Par exemple, le chat et l'homme sont tous deux des mammifères, contrairement aux oiseaux et à la truite qui pondent des oeufs : ils sont donc plus proches l'un de l'autre qu'ils ne le sont de l'aigle. Cela paraît simple a priori, mais l'exercice demande en fait beaucoup de données biologiques pour des phylogénies plus fines, à l'intérieur d'un même grand sous-groupe. Il faut que le nombre de caractères soit suffisamment élevés pour déterminer l'arbre sans amibiguité.

L'un des intérêts du séquençage des génomes est évidemment qu'il devient possible de considérer les séquences génétiques comme des caractères à part entière, et donc d'appliquer la cladistique aux séquences de protéines. L'approche bioinformatique a dans un premier temps confirmé les résultats d'analyses cladistiques traditionnelles, avant de réorganiser certaines phylogénies de façon plus surprenante. Chez les bactéries, on peut par exemple suivre les transferts "horizontaux" d'une espèce à l'autre : les bactéries peuvent en effet s'échanger de l'information génétique entre espèces, si bien que les branches de l'arbre peuvent se rejoindre, fusionner, se séparer de nouveau. Plus près de nous (toutes proportions gardées), on s'est aperçu que certains nématodes (les vers) ont évolué très rapidement et ont divergé très vite des autres animaux alors qu'ils sont en fait phylogénétiquement proches des insectes. Ces réorganisations de l'arbre du vivant posent des questions incroyablement profondes d'un point de vue de l'évolution, car si la cladistique traditionnelle basée sur la simple observation s'est trompée, cela signifie que certains caractères ou mécanismes de développement apparemment non homologues sont beaucoup plus proches qu'on ne le croit...






Références :

Illustration : "L'arbre de la vie" de Klimt, qui sert de logo à la société européenne d'evo-devo
Un très beau site : l'arbre de la vie
Classification phylogénétique du vivant, de Guillaume Lecointre et Hervé Le Guyader, un très bon bouquin très accessible qui explique en langage clair les principes de classification et propose la classification la plus récente.

26 octobre 2006

Evolution de la spéciation 3 : spéciation en anneau



D'aucuns prétendent qu'il n'y aurait aucune preuve d'événements de spéciation. C'est oublier un exemple naturel tout à fait remarquable : le phénomène de spéciation en anneau.

Imaginez il y a plusieurs millions d'années une population (de salamandres par exemple) arrivant au Nord d'un obstacle naturel infranchissable (un gigantesque massif montagneux). Au fil du temps, nos individus colonisent lentement les alentours du massif en question. Seulement une partie de la population progresse en contournant le massif par l'Ouest, tandis qu'une autre partie de la population contourne le massif par l'Est. Cette colonisation est très lente, sur des temps très longs, si bien que l'évolution (ou la simple dérive génétique) a le temps de se produire. Cependant, des descendants de la population ancestrale restent tout le long du massif montagneux, et toutes les variétés locales se reproduisent entre elles. Néanmoins, quand nos deux populations (Est et Ouest) ont fini de contourner l'obstacle et se retrouvent réunies au Sud, il peut se produire un événement tout à fait fascinant : les populations Est et Ouest ont pu évoluer de façon tellement différente avec le temps qu'elles ne sont plus capables de se reproduire entre elles. Ainsi, tout autour de l'obstacle naturel existe un continuum de populations pouvant se reproduire entre elles, à l'exception d'un point où deux variétés ont été séparées si longtemps que même une fois réunies, elle ne peuvent se reproduire et constituent par définition deux espèces différentes !

Ce phénomène rare et fascinant est un exemple merveilleux d'évolution de la spéciation. Irwin, Bensch et Price ont par ailleurs montré dans un article de Nature en 2001 comment la sélection naturelle peut pousser à cette spéciation en anneau, en étudiant les chants d'un petit oiseau insectivore, Phylloscopus trochiloides tout autour de l'Himalaya. Là aussi, on a affaire à un phénomène de spéciation en anneau tout autour du plateau du Tibet, avec deux nouvelles espèces ne pouvant se reproduire en Sibérie. Dans leur article, ils ont montré comment les chants de oiseaux varient tout le long de l'anneau. Ces chants sont cruciaux car ils permettent aux oiseaux de reconnaître leurs congénères. Partant du Sud, les chants ont évolué vers des formes de complexité différente vers l'Ouest et vers l'Est, si bien que lors de la réunion vers le Nord, les oiseaux ne se sont pas reconnus et ont fini par former des espèces différentes !

Références :
source de l'image des salamandres
page web de Darren Irwin : on peut apparemment écouter les chants des oiseaux (je n'ai pas réussi, à mon grand dam ma debian ne reconnaît pas le format)
Irwin, D.E., S. Bensch, and T.D. Price. 2001. Speciation in a ring. Nature 409: 333-337.PDF sur le site de Darren Irwin
Un article de Darren Irwin, mettant également l'accent sur l'importance de la préservation des variétés naturelles à l'intérieur des espèces

25 octobre 2006

Intermède sans intérêt sur le chauffage new yorkais


Après une période assez peu biologique et avant de nouveaux posts sérieux plus proches de mes préoccupations scientifiques actuelles, un petit intermède consacré à ma vie new yorkaise pour vous annoncer avec fierté que j'ai finalement compris comment fonctionnait le chauffage ici, ce qui m'a permis de régler mon problème chronique de chauffage. Cela n'a pas été une sinécure...

En arrivant dans mon appart new yorkais en Octobre dernier, j'ai tout de suite eu très très chaud. Je me suis donc penché sur mon radiateur, qui ressemble de l'extérieur à un gigantesque parallélépipède blanc surmonté d'un contrôleur (nommé boîte noire ci-dessus). Pas de prises électriques, pas de boutons on/off, rien, impossible de savoir comment il marchait. Malgré tous mes efforts et mes tripatouillages de thermostat, je n'ai jamais pu redescendre la température. A tel point que j'ai passé l'hiver la fenêtre ouverte (compte-tenu de la rudesse de l'hiver new yorkais et du bruit permanent à l'extérieur, je vous laisse imaginer à quel point il faisait chaud chez moi). Il se trouve par ailleurs que je connais la post-doc chinoise qui occupait mon appartement précédemment. Lui ayant expliqué la situation, elle m'a expliqué qu'elle avait passé l'hiver à peu près nue dans son appartement et que de toutes façons on ne devait absolument pas couper les radiateurs, car selon elle cela couperait le chauffage dans tous les appartements situés au-dessus (je suis au 4e étage), et que donc mon seul choix était de mettre à fond la clim tout l'hiver (ce qu'elle faisait très écologiquement).

Toujours est-il qu'au printemps dernier, je commençais à suer à grosse gouttes devant l'été arrivant et à imaginer la compétition intéressante qui allait avoir effectivement lieu entre mon radiateur et mon climatiseur (les deux appareils ne faisant en fait qu'un). Par bonheur, naïf que j'étais devant ce gros parallélépipède imbriqué dans le mur et contrairement à ce que je pensais, le chauffage n'était pas électrique mais bien central et a été coupé autour du mois de mars. Au printemps, les responsables de l'immeuble sont venus inspecter les appareils et ont laissé mon climatiseur/radiateur démonté pendant un mois. J'ai pu ainsi voir l'intérieur de la bête et constater qu'il s'agissait ni plus ni moins d'un vulgaire empilement d'une grille faisant office de radiateur sur un ventilateur et sur un climatiseur. Le climatiseur a ensuite bien fonctionné tout l'été (modulo une super condensation dans l'appart du dessus qui s'est traduit en chute d'eau dans mon salon qui a massacré le parquet, refait en plein milieu de l'été en mon absence heureusement).

L'automne arrive, et il y a quinze jours, le chauffage se remet en route. Je me remets à suer. Un jour, mon chat parvient à se glisser dans la grosse boîte (vous pouvez voir le chat et la grosse boîte en question en arrière-plan ci-dessous). Je démonte donc le capot avant et peux de nouveau apprécier la vision de la bête. Résigné depuis longtemps, je laisse le capot ouvert par paresse.


Il y a deux nuits je suis réveillé par une note continue et puissante qui n'était pas sans rappeler la musique émise par les soucoupes volantes dans "Rencontre du 3e type". Mon coeur bondit dans ma poitrine : c'est donc vrai, il y aurait plus d'enlèvements par les aliens aux US que chez nous ! En fait mon esprit de physicien reprend vite le dessus : je venais d'assister à un phénomène somme toute banal observé par Huygens en son temps. Les tuyaux de mon radiateur semblaient être entrés en résonance avec le gros ventilateur qui tourne en permanence dans la cour extérieure de mon immeuble. Que faire devant ce boucan innommable ?

La moitié du chemin était heureusement déjà faite. Les entrailles du monstre ouvertes, je décidais d'utiliser enfin mon cerveau encore un peu embrumé et constatais après examen l'existence d'une petite molette et d'un boîtier sur le tuyau de sortie. Tournant la molette, je m'aperçus que l'arrivée d'eau se tarissait, que les tuyaux se vidaient et que la vibration disparaissait. Je faisais d'une pierre deux coups : adieu boucan, adieu hiver sous les tropiques, bonjour doudounes et chocolat chauds ! Je reprenais alors le boîtier de contrôle mystérieux pour m'apercevoir que le thermostat contrôlait un petit moteur électrique en aval. Celui-ci tournait à vide, m'indiquant pourquoi je crevais de chaud depuis un an et me confirmant la supériorité de la formation universitaire française sur celle des Chinois. Je maudis par ailleurs plus que jamais la paresse typiquement américaine qui consiste à foutre dans de grosses boîtes effrayantes reliés à des contrôleurs peu fiables des appareils d'usage courant très simple qu'on gagnerait à régler mécaniquement par soi-même...

24 octobre 2006

"Neuroéconomie", rationnalité et évolution

Via Nature, un problème très intéressant montrant comment notre cerveau balance entre rationalité économique et justice sociale.
Les théories classiques de l'économie stipulent que nous sommes à la fois égoïstes et rationnels. La "main invisible" du marché d'Adam Smith est alors le résultat collectif de nos comportements d'agents raisonnables voulant maximiser leur propre intérêt. Pourtant, pas besoin d'être un "rocket-scientist" (comme disent les Américains ) pour s'apercevoir qu'y compris dans nos choix économiques, nous sommes loin d'être rationnels. Güth, Schmittberger et Schwarze ont publié un papier très intéressant en 1982 pour essayer de comprendre ce qui se passe (précision : je n'ai pas lu le papier, n'arrivant pas à me le procurer, je me base sur l'article de Nature).
L'expérience est la suivante et concerne deux individus A et B. On remet 10$ à l'individu A. Celui-ci doit alors donner une somme entière (entre 0 et 10$) à l'individu B. B a alors deux choix : soit il accepte la somme et le marché est conclu, soit il refuse et les deux individus repartent les mains vides.
Le choix rationnel à la "Adam Smith" est le suivant : A veut maximiser son profit. S'il garde les 10$, B refuse car il ne gagne rien, et tout le monde y perd. S'il garde 9$ et donne 1$ à B, B est censé accepter car 1$ est mieux que rien, et A maximise alors son profit. Donc l'issue prédite par la théorie rationnelle est que A garde 9$ et donne 1$ à B.
Dans les faits, il en va tout autrement. En fait, A donne typiquement 4$ à B. La raison est simple : si A donne 1$ à B, B va se dire, en somme "ce A est vraiment un truand; on lui donne 10$ à partager gratuitement et il garde presque tout pour lui, je préfère ne rien avoir plutôt que de traiter avec lui". En somme, B rejette toute offre qu'il juge injuste ! A, lui, anticipe ce refus et opte donc pour un partage plus équitable.
On peut donc qualifier le rejet de B d'"irrationnel" économiquement. L'article affirme qu'une telle réaction a néanmoins pu évoluer car ce genre de comportements peut être bénéfique sur le long terme. En effet, si A est systématiquement injuste, il finira par être rejeté par la société par exemple, un peu à la manière des tricheurs dont j'avais parlé dans un billet précédent. Il me semble de plus que le mode de répartition équitable est ici le choix le plus juste d'un point de vue "philosophique" : dans une perspective très rawlsienne où la justice sociale est de maximiser la situation du moins bien loti, le partage équitable s'impose de lui-même. Notons également que si A et B doivent se mettre d'accord avant de savoir qui va toucher les 10$, la rationnalité économique (qui coïncide ici avec le souci de justice sociale à la Rawls et avec son idée de voile d'ignorance) impose que A et B repartent chacun avec 5$. Le choix effectivement observé qui semble donc irrationnel économiquement n'est peut-être donc que le seul choix moral, qui a de plus été sélectionné par l'éolution !

Dernière précision : les seuls personnes à faire effectivement la transition 9$/1$ sont les adultes autistes...

Référence : Güth, W. , Schmittberger, R. & Schwarze, B. J. Econ. Behav. Organ. 3, 367–388. (1982).

21 octobre 2006

Citations : une approche physique !

Je continue ma partie de ping-pong par blogs interposés avec Enro à propos de l'évaluation des chercheurs. Un des commentateurs du dernier billet d'Enro pointait la possibilité d'un processus autocatalytique dans le nombre de citations. Mon sang de physicien n'a alors fait qu'un tour : il y a forcément des gens qui ont regardé les lois de distributions du nombre de citations. Voilà qui devrait être informatif !

Un physicien (S. Redner) a effectivement regardé récemment la dynamique des citations pour les articles parus dans Physical Review. L'article est en accès libre sur arXiv.

Petit résumé :
- Le nombre d'articles publiés est très corrélé au nombre d'articles qui citent. La croissance est de plus exponentielle sur un siècle. La corrélation s'explique par le fait qu'on a tendance à citer les articles récents.
- la loi de distribution des nombre de citations versus le nombre d'articles est la fameuse loi de puissance, ou loi de Zipf ! Cette loi se retrouve un peu partout en physique (anecdote biologique : c'est aussi la loi de distribution des réseaux génétiques). Le modèle standard pour expliquer cette loi est le modèle dit d'attachement préférentiel. L'idée est simple : considérez un réseau avec des noeuds (ici les publications) et les liens (ici les citations). Imaginez qu'on ajoute maintenant un noeud et les liens associés (qu'on écrive une nouvelle publication en citant d'autres publications). Le modèle d'attachement préférentiel stipule alors que vous allez créer des liens entre votre nouveau noeud et les anciens noeuds avec une probabilité en gros proportionnelle au nombre de liens par noeuds existant. En d'autres termes, plus un article est déjà cité, plus vous aurez de chance de le citer. NB : Redner affirme voir dans son article un biais pour les articles faiblement cités, biais qu'il attribue aux auto-citations !
- Un résultat très intéressant lié à notre petite polémique sur le nombre de citations. Redner a regardé l'évolution du nombre de citations pour certains articles historiques, qualifiés de "Sleeping beauties" car très peu cités lors de leur publication, avant d'être massivement cités. Un papier de Zener (inventeur de la diode du même nom) écrit en 1951 a eu 17 citations entre 51 et 61, 7 citations entre 61 et 71, 9 citations entre 71 et 81, 4 citations entre 81et 91, et... 600 citations depuis !!! Zener est mort en 1993... Parmi ces auteurs très en avance, quelques noms connus pour d'autres travaux : Einstein, Feynman, De Gennes...


Deux conclusions majeures à mon avis : primo, "l'effet Matthieu" joue certainement à plein. En fait, l'attachement préférentiel est exactement un processus type "effet Matthieu" ! Secondo, certains scientifiques sont vraiment en avance sur leur temps. Les vraies découvertes sont finalement abondamment citées (heureusement !), mais l'échelle de temps peut-être assez longue !

19 octobre 2006

Darwin : les oeuvres complètes


Via generation nouvelles technologies : les oeuvres complètes de Darwin sont maintenant disponibles sur le web. L'idée me semble excellente (même si je préfère quand même avoir du vrai papier sous les yeux pour lire des oeuvres scientifiques). D'un point de vue plus général, je suis assez admiratif de la "dynastie" Darwin : le grand-père de Charles, Erasmus, avait déjà en son temps proposé une théorie de l'évolution, ses descendants quant à eux essaient de valoriser et vulgariser son travail pour le plus grand nombre, de façon tout à fait philanthropique. Une vraie famille d'amoureux de la science... Chapeau !

18 octobre 2006

"Evaluer" un chercheur ?

Enro tient depuis janvier un blog sur les liens entre sciences et société. Il évoquait dernièrement un aspect sociologique particulier dans les sciences, le mandarinat. Il rebondissait alors sur un commentaire sur son blog qui renvoyait à la note wikipédia concernant Axel Kahn. La note en question est un modèle d'aigreur et de frustration, et est en particulier très critique sur les travaux scientifiques de Kahn en s'essayant à une évaluation chiffrée. Extrait :

" Axel Kahn ne figure pas dans la liste des 137 scientifiques francais les plus cités, établie de manière extrêmement rigoureuse par l’Institute for Scientific Information (isiknowledge.com, accès payant). Cette liste comporte une bonne dizaine de généticiens francais, parmi lesquels Pierre Chambon, Daniel Cohen, Jean-Louis Mandel, Marie-Genevieve Mattéi et Jean Weissenbach."

Comme je le disais en commentaire sur le blog d'Enro, cette analyse, qui s'abrite derrière des informations purement quantitatives, me paraît tout à fait erronée, voire malhonnête. Allez, un exemple typique : sur isiknowledge, parmi la liste des français les plus cités manquent quelques Nobel récents comme Yves Chauvin ou Pierre-Gilles De Gennes; en physiologie et médecine, parmi les six derniers lauréats, un seul fait partie des plus cités.

Le problème est qu'on est ici en train de comparer choux et carottes : le nombre de citations dans l'absolu ne veut absolument rien dire, car les domaines peuvent être tout à fait différents, même à l'intérieur d'un gros sous-groupe (qu'on appellera ici "génétique"). Par exemple, des chimistes peuvent faire une quinzaine de papiers pendant leur thèse, quand un physicien théoricien en fait trois- quatre, ou un biologiste moléculaire un seul s'il a de la chance. Evidemment, le nombre de citations s'en ressent : si vous êtes dans un domaine qui produit dix fois plus de papiers qu'un autre, mécaniquement, vous serez dix fois plus cités. Quand on voit le domaine de recherche d'Axel Kahn (en gros le métabolisme du sucre dans le foie), il n'est pas très étonnant que celui-ci soit peu cité. Pour faire une comparaison, il faudrait par exemple redimensionner le nombre de citations par le nombre de papiers du domaine...

Ceci pose une question redoutable d'un point de vue sociologique, en ces temps de culte de performance et de quête du chiffre : comment peut-on évaluer la qualité ou l'impact d'un chercheur ? En première approximation, on peut penser déjà que le nombre de papiers est un bon indicateur de la qualité de la recherche. C'est oublier les ravages du "Publish or Perish" : si le critère principal est la quantité, on perdra naturellement en qualité. Pour reprendre une boutade d'un prof de mon labo, si vous donnez un million de dollars par an à une personne pour qu'elle produise des résultats sur un problème, vous pouvez être sûr qu'elle ne trouvera jamais la solution de ce problème car elle se priverait alors de son financement. De fait, il est clair que dans certains domaines, il y a une tendance lourde vers la multiplication de petits travaux au détriment de projets de fonds, ne serait-ce que parce qu'il est beaucoup plus rentable (d'un point de vue carrière scientifique) de ne pas essayer de s'attaquer à des problèmes trop durs pour lesquels un échec vous condamnerait. C'est à mon sens l'un des grands problèmes de la recherche actuelle aux Etats-Unis en tous cas; en tant que post-doc, la question de savoir ce que l'on fait se pose alors avec d'autant plus d'acuité... L'avantage du CNRS qui laisse une liberté totale aux chercheurs et de lever cette contrainte, et, pour avoir cotoyé les deux mondes, il est clair que l'esprit dans lequel on travaille est alors très différent. Evaluer les publications ou le nombre de citations comme des cours de la bourse me paraît donc assez stupide, l'un des effets pervers est d'ailleurs de créer des bulles, des effets de modes, tout à fait typiques de la science moderne.

Pour conclure, n'oublions pas non plus que l'impact d'une recherche peut se mesurer des années, voire des dizaines d'années après une découverte. Mendel, fondateur de la génétique moderne, a été totalement oublié avant qu'on redécouvre ses recherches. La physique du XXe siècle est pleine d'exemples de recherche fondamentale donnant lieu a des applications pratiques bien plus tard. Autrement dit, l'impact à court terme peut être nul, tandis que le bénéfice à long terme peut être quasi-infini...