Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

29 juillet 2007

Geekeries du dimanche VI : Harry Skywalker

Avertissement : ce billet contient beaucoup de SPOILERS sur Harry Potter 1 à 7.


Maintenant que la série des Harry Potter est terminée, il nous est possible de faire une analyse un peu plus détaillée de la structure de l'histoire. Il me semble que l'évolution d'Harry Potter colle très bien avec le concept de "Monomythe", introduit par Joseph Campbell dans son livre "The Hero with a Thousand faces". Ce livre, écrit dans les années 40, et inspiré de la psychanalyse, montre comment de nombreux mythes fondateurs reposent sur la même structure. Georges Lucas s'est inspiré de ce livre pour écrire la saga Star Wars : de fait, les parallèles entre Harry Potter et Luke Skywalker sont nombreux, et je vais essayer, en me basant sur mes souvenirs de Star Wars, de les mettre en évidence.

Le monomythe débute par l'appel à l'aventure (comme d'ailleurs la plupart des contes de fée). Le héros, personnage lambda sans aucune vertu particulière, reçoit un message l'appelant à quitter le monde ordinaire pour rejoindre un monde nouveau et merveilleux. Cet appel s'accompagne en général d'une aide surnaturelle. Harry Potter, élevé par sa tante Muggle, découvre ainsi dans le tome 1 qu'il est en fait un magicien, et est invité à rejoindre Hogwarts par Dumbledore (via Hagrid). Luke Skywalker, élevé par des fermiers de Tattoine, est enrôlé par Obi Wan Kenobi, qui voit en lui le dernier Jedi.

Dans de nombreux mythes, la figure du père est centrale (Oedipe quand tu nous tiens). Le héros doit apprendre du père et, pour grandir, doit se détacher de lui, voire le tuer. C'est là à mon avis que l'analogie entre Star Wars et Harry Potter est la plus forte. Luke et Harry Potter ont chacun deux pères symboliques. Le premier père est leur mentor, le père nourricier qui leur apporte la connaissance : Obi Wan dans un cas, Dumbledore dans l'autre. Leur second père est en quelque sorte le miroir inversé du premier père, leur "mauvais père", qui a le statut de nemesis : Dark Vador dans un cas, et Snape dans l'autre. Le tome 7 montre ainsi incontestablement que Snape joue le rôle de père négatif pour Harry. L'alliance Snape-Dumbledore, explicitée dans le tome 7, montre bien que les deux personnages ne sont que deux faces d'une même pièce. L'analogie Snape=Vador se construit sur le rapport à la mère : Snape bascule du côté du bien lorsque Voldemort tue Lily, tandis que Dark Vador bascule du côté obscur après la mort de Padmé. Du coup ces "mauvais" pères ne sont pas les pères nourriciers comme Obi Wan ou Dumbledore, mais au contraire des pères tyrans, qui plus est "amants" de la mère. Leur motivation profonde est de retrouver leur amour perdu par l'intermédiaire du fils.

Luke et Harry Potter se construisent ensuite en suivant les traces de leur bon père et par opposition à leur mauvais père. La parallèle Luke=Harry, Dark Vador=Snape, Dumbedore=Obi Wan est d'autant plus flagrant lorsque le "bon" père se sacrifie lors d'un combat contre le "mauvais" père (combat auquel assiste le fils, impuissant). Symboliquement, dans le mythe, ce sacrifice permet au fils de se débarasser de l'encombrant "bon" père, dont la présence tutélaire empêche le héros de grandir.

La motivation profonde du fils sera ensuite de venger la meutre du bon père. Le but premier sera de tuer le mauvais père (au moins symboliquement); on s'apercevra ensuite que le cheminement du héros mu par la haine du père lui permettra de la dépasser. De façon intéressante dans le tome 7 d'Harry Potter, la haine contre le père s'exerce en fait, non pas contre Snape, mais bien plus contre Dumbledore, le bon père, qui n'est pas si bon que cela. Harry Potter se met de nombreuses fois en colère contre Dumbledore, qu'on découvre tenté par le pouvoir et la Magie Noire. Aussi est-il écoeuré lorsqu'il réalise que Dumbledore ne l'a préservé que pour mieux le sacrifier : le renversement est renforcé par le fait que cet écoeurement et cette révolte sont manifestement partagés par Snape, le mauvais père.

Avant de triompher, dans le monomythe, le héros doit arriver à réconcilier dans sa tête les deux aspect du père pour mieux se comprendre lui-même. Il passe ensuite par une phase d'apothéose dans laquelle il doit se sacrifier avant de renaître, ce qui lui permet de changer sa vision du monde et de revenir plus fort. Luke et Harry connaissent ainsi tous deux une expérience onirique les faisant grandir. Dans l'Empire contre-attaque, sur Dagobah, Luke mène un combat symbolique contre Dark Vador et le tue. Luke découvre alors en Dark Vador un autre lui-même, ce qui souligne le lien profond unissant les deux personnages. Luke combat ensuite Vador dans la réalité, apprend que ce dernier est son père, et choisit la mutilation (main coupée) plutôt que le côté obscur. A ce moment même, en choisissant le sacrifice plutôt que le chemin du père en toutes connaissances de cause, il rentre dans l'âge adulte, ce qui lui permettra de vaincre à la fin. Harry, de la même façon, se sacrifie, non sans colère contre Dumbledore. Mais c'est ce sacrifice même qui le fait évoluer, lui permet de se réconcilier symboliquement avec Dumbledore, avant de revenir d'entre les morts et de triompher finalement.

Je pense qu'en cherchant, on peut trouver d'autres parallèles : par exemple le trio Harry-Ron-Hermione n'est pas sans rappeler le trio Luke-Solo-Leia. Hermione est la soeur symbolique d'Harry : tous deux sont des magiciens doués, élevés par des Muggle. Solo et Ron sont les amis fidèles, les compagnons, qui draguent la petite soeur, feront défection à un moment ou un autre avant de revenir. Voilà, j'espère vous avoir bien distrait avec ce petit essai, mais quoi qu'il en soit, je pense que pour toutes ces raisons, l'histoire d'Harry Potter est bel et bien un mythe moderne !

Ajout 1er Août : Pour ceux que la discussion sur ce sujet intéresse, ce billet a aussi été publié sur agoravox : suivez le lien.

27 juillet 2007

Miscellanées d'été


L'été, les labos théoriques se vident, les étudiants vont dans des écoles aux quatre coins du monde, l'unversité se réforme en trois jours; quant à moi je me retrouve avec des tas d'articles à référer et un article (dont la première mouture remonte à Novembre) à resoumettre en espérant convaincre les referees !
Remis de ma lecture de Ripoteur comme dirait Chofie, deux petites choses glanées :


  • L'événement cinématographique "nerd" de l'été est la sortie du film des Simpsons (voir la polémique - compréhensible- suscitée par la photo ci-dessus). Nature (!) couvre cette sortie en interviewant Al Jean, scénariste des Simpsons et accessoirement docteur en mathématiques issu d'Harvard. Comme quoi les sciences mènent à tout, aux Etats-Unis en tous cas. Interview intéressante car on réalise que les Simpsons parlent régulièrement de sciences. Le film s'ouvre par exemple sur une conférence de Lisa avertissant la population sur les dangers environnementaux dans une conférence intitulée "An Irritating Truth" (voir aussi ce fameux extrait du film de Gore). Au delà des apparitions des deux Stephen les plus médiatiques (Jay Gould et Hawking), Nature donne son propre top 10 des meilleurs blagues scientifiques dans les Simpsons. Ma préférée est effectivement la dernière :


Perpetually funny: In "The PTA Disbands", Lisa gets so bored by a lack of schooling she builds a perpetual motion machine. Homer is not pleased: "Lisa, in this house we OBEY the laws of thermodynamics."
  • Absolument rien à voir, mais après la Turquie et la Pologne, l'intelligent design poursuit son offensive vers l'Ouest de l'Europe et atteint l'Allemagne. La ministre de l'éducation du Land de Hesse a en effet proposé , je cite, "que les questions théologiques concernant l'origine du monde soient abordées dans les écoles lors des cours de biologie". Rappelons qu'en son temps, Blair avait pris une position similaire - qui n'avait pas fait autant de bruit il me semble, à mon grand dam (voir ce billet). Je prends les paris : en ces temps de "décomplexation", combien de temps avant qu'un député français (de la majorité ?) ne fasse une proposition de loi similaire ? Un carambar qu'on y a le droit avant la fin de l'année scolaire 2007-2008. (Sur un sujet relié, voire ce billet chez le doc').

19 juillet 2007

Total HS : Azkaban au Canada



Attention, SPOILERS Harry Potter 1 à 6 !


The one with the power to vanquish the Dark Lord approaches…. Born to those who have thrice defied him, born as the seventh month dies… and the Dark Lord will mark him as his equal, but he will have power the Dark Lord knows not… and either must die at the hand of the other for neither can live while the other survives… The one with the power to vanquish the Dark Lord will be born as the seventh month dies….


Dans un peu moins de trente heures, j'aurai entre les mains les réponses à toutes ces questions... Quelle excitation de pouvoir vivre et lire dès sa sortie ce mythe moderne, ce nouveau classique ! Dans l'intervalle, j'essaie de ne pas me faire spoiler (à ce propos, je vous déconseille d'aller faire un tour sur paperblog). Quoi qu'il en soit, étant en ce moment de passage à Montréal, j'ai reservé mon volume pour demain à minuit et ronge mon frein.


- Histoire de patienter, je suis allé voir le dernier film sur IMAX. La bataille dans le ministère de la Magie était même en 3D ! Très bon film, très fidèle au livre je trouve. Même si on ne comprend pas trop d'où vient l'histoire de la prophétie. Je me demande comment sera le prochain film, qui devrait être assez singulier vu le bouquin.


- The Gazette de Montréal a publié samedi un numéro spécial. Cinq lecteurs spécialistes (écrivains pour enfants, journalistes ...) essaient de faire des prédictions sur l'issue de la saga. A mon tour d'essayer ! J'ai deux scénarii possibles en tête.
  • Scenario horrible numéro 1 : Ron et Hermione sont assassinés. Harry, ivre de colère, s'en trouve suffisamment perverti pour trucider Voldemort et toute sa bande d'un Avada Kedavra bien senti. Ayant perdu ses deux meilleurs amis, après son parrain et son protecteur, il reste marqué à vie, maussade et héritera plus tard (après un bref passage par Azkaban pour utilisation de sorts interdits) de la chaire de Défense contre la Magie Noire. Harry devient en quelque sorte un nouveau Snape. Tragique, non ?
  • Scenario horrible numéro 2 : Voldemort est tué, mais Hagrid succombe dans la bataille. Harry, qui est en fait est le dernier Horxcrux, est ivre de colère contre les Death Eaters, et s'en trouve suffisamment perverti pour que Voldemort ressucite en prenant possession de son corps et de son âme. Harry, dans un dernier instant de lucidité, réalise qu'il doit alors mourir pour que le Dark Lord disparaisse définitivement et se sacrifie héroïquement...
D'autres idées de scenariii catastrophes ?

- Sinon, quelques questions que je me pose :
  • qui est RAB ?
  • Sirius est-il vraiment mort ? Qu'est vraiment cette arche étrange ?
  • Harry est-il un Horxcrux vivant ? Si c'est le cas, pourquoi Voldemort essaie-t-il en permanence de le tuer ?
  • Snape est-il sorti avec la mère d'Harry Potter ?
  • Harry descend-il de Gryffindor ? Quel est le rapport avec Godric's hollow ?
Ah la la, j'ai trop hâte !

Ajout 20 Juillet : il paraît que le Parisien raconte la fin du livre aujourd'hui. C'est ce que JK Rowling doit appeler "pure evil". Je ne comprends pas l'intérêt de déflorer la fin du livre pour les milliers d'enfants (plus ou moins grands) dont on va ainsi gâcher le plaisir de la découverte. Harry Potter a fait oeuvre de salut public en faisant aimer la lecture à plein d'enfants à l'heure où chaque français passe près de 3 h par jour devant la télé. A ce titre, je trouve d'ailleurs particulièrement débile d'opposer Harry Potter à la "grande littérature", plus institutionnalisée (comme ont pu le faire certains hommes politiques, montrant ainsi qu'eux-mêmes ne sont manifestement pas sensibles au plaisir de lire). Hary Potter, Hermione et Ron, ce sont les trois Mousquetaires ou les hobbits d'aujourd'hui. En attendant, je suspends les commentaires pour ce billet pour ne pas gâcher mon propre plaisir.

Ajout 24 Juillet : ça y est, je vais pouvoir reprendre une vie normale. Toutes les pièces du puzzle se mettent en place, des surprises jusqu'au dernier moment, et une petite larme en refermant le livre. Je rétablis les commentaires, si d'aventure vous souhaitez réagir (Gaffe aux spoilers, je me réserve le droit d'effacer/de modifier si d'aventure vous en dites trop...)

18 juillet 2007

Essai : Des contraintes de l'évolution


Un petit essai pour résumer des lectures et réflexions récentes, des souvenirs de conférences de Davidson, et suscité notamment par certains messages personnels que j'ai reçus récemment. Je ressasse et reformule certaines idées exprimées ici ou là par d'autres; je rajouterai certainement des références par la suite. Tout commentaire est le bienvenu.

Vous avez sûrement appris à l'école que le code génétique est commun à toutes les espèces vivantes. De la bactérie à l'homme, des virus aux champignons, toutes les êtres vivants (et assimilés) traduisent leurs acides nucléïques exactement de la même façon. C'est ce qui permet de réaliser des OGM à peu de frais : on prend un gène d'une espèce, on l'introduit dans une autre. Comme la machinerie traduisant la séquence génétique en protéine est rigoureusement identique dans tout le vivant, on produit ainsi la protéine désirée.

Pourtant, une question se pose immédiatement : l'évolution a eu assez de temps pour passer, à coup de mutations successives, d'une bactérie à l'homme. Comment se fait-il alors que le code génétique chez tous les êtres vivants soit identique, malgré toutes les mutations potentielles de celui-ci ?

En fait, ce genre de question est en général retourné pour contrer la théorie de l'évolution darwinienne. J'avais par exemple écrit un billet parodique sur les kernels du Dr Davidson, sorte de modules génétiques répandus dans tout le vivant de manière identique. Comment ces modules ont-ils pu resister à des millions d'années de mutations ?

Dans les deux cas la réponse est identique. Elle est quasi-évidente dans le cas du code génétique. Imaginons que votre machinerie cellulaire mute et que vous ne puissiez plus interpréter correctement certaines séquences d'acides aminés, produisant systématiquement une protéine à la place d'une autre. Catastrophe sur toute la ligne : pas la moindre chance de vous développer, pas la moindre chance de même voir le jour. Il en est de même pour les kernels de Davidson : ces kernels sont impliqués dans des processus cruciaux, comme la différenciation des cellules du coeur. On imagine mal ce que donnerait un animal sans coeur.

Autrement dit ce qui est universel, robuste d'une espèce à l'autre (d'aucuns y voient même une certaine perfection), n'est peut-être pas ce qui est le plus efficace ou le plus optimisé, mais au contraire ce qui est le plus sensible, et donc partant le plus contraint [1]. Du coup, la sélection naturelle va jouer à plein contre toute modification de ces systèmes. La conservation et l'universalité de structures dans le vivant ne va pas du tout à l'encontre du processus de sélection darwinienne : il n'en est peut-être qu'une manifestation extrême.

Mais me direz-vous, comment ces systèmes ont-ils pu apparaître dans un premier temps, s'ils sont si immuables ? Je répondrai qu'un système très contraint aujourd'hui ne l'a peut-être pas toujours été. Prenons le code génétique. A priori, il aurait pu être largement aléatoire (même si certains travaux suggèrent que celui-ci aurait une part d'origine purement physique - les acides aminés auraient une affinité particulière avec leurs ARN de transferts). Mais une fois qu'un pré-animal a commencé à élaborer des structures complexes à partir de ce code génétique, ce dernier s'en est trouvé immédiatement gelé : impossible de modifier un tel élément de base sans casser tout la complexité élaborée en aval. Autrement dit, la vie a peut-être choisi au début une voie aléatoirement, puis une fois que ce chemin s'est révélé efficace, aucun retour en arrière n'était possible et les options sélectionnées à l'époque ont été définitivement fixées, ce qui explique finalement le partage du code génétique entre tous les êtres vivants. Dans un commentaire d'un billet précédent sur les motifs de Davidson, il me semble Simon décrivait un processus similaire ... dans des codes informatiques !


L'idée centrale du livre de Vincent Fleury est justement cette notion de contrainte physique pour le développement des tétrapodes. Du coup, il prétend que l'évolution du plan d'organisation des tétrapodes est plus ou moins unidirectionnelle : plus ou moins "enroulé" selon ses propres termes. On peut être d'accord ou pas avec cette idée, mais on peut s'interroger sur l'origine de cette contrainte. Je dirais qu'une fois qu'un processus amenant de la complexité est mis en place, s'il est bien exploité par l'évolution et s'il est difficile de le changer sans le dégrader, il peut se gèler et se fixer totalement dans l'évolution. Cela relève presque de la tautologie, mais du coup seuls les systèmes vraiment plastiques (i.e. potentiellement soumis à des mutations qualitativement neutres) peuvent évoluer.

Une question est donc d'identifier dans quelle mesure différents processus biologiques sont plastiques ou non. Cela permettrait d'identifier ce qui est "évoluable"; a contrario, plus un système est contraint, moins il a de solutions pour évoluer (et donc plus il est "facile" de prédire son évolution effective comme essaie de le faire V. Fleury dans son livre). J'ai cité dans ce billet plein d'exemples de chose peu ou pas "évoluables"; il existe aussi de nombreux exemples de systèmes qui évoluent drastiquement d'une espèce à l'autre. Mon exemple favori est là encore la segmentation des insectes. Il existe un stade du développement commun à tous les insectes (appelés stade phylotypique) : en gros il s'agit du stade de la larve ayant une tête et une quinzaine de segments. Ce stade est un passage obligé du développement de tous les insectes, et les mutations sur ce système sont assez délétères, voire létales [2](c'est en partie ce papier sur le sujet qui m'a inspiré ce billet). Pourtant, d'un insecte à l'autre, en amont et en aval de ce stade, les choses sont extrêmement variables - c'est ce qu'on appelle le "hourglass model" en illustration (tiré de [3]) : plus on s'éloigne du stade phylotypique, plus les mécanismes de développement sont différents. C'est à mon avis une illustration de l'"evoluabilité" : en amont d'un stade très contraint ont pu évoluer des processus très différents pour y parvenir. Et qui sait, ce n'est peut-être pas fini... Quoi qu'il en soit, seule la théorie de l'évolution inspirée par Darwin me paraît capable d'expliquer à la fois la raison du maintien de ces systèmes très contraints et la plasticité d'autres systèmes.


[1] Notons à ce stade qu'il existe d'autres types de contraintes, par exemple les contraintes issues des lois de la physique. Impossible bien sûr pour l'évolution d'agir dessus en aucune manière, contrairement a priori aux contraintes issues de l'histoire de l'évolution même.
[2] Galis F, van Dooren Tom JM , Metz Johan AJ (2002). Conservation of the
segmented germband stage: robustness or pleiotropy? Trends Genet, 18: 504-509
[3] Peel AD, Chipman AD , Akam M (2005). Arthropod segmentation: beyond
the Drosophila paradigm. Nat. Rev. Gen, 6: 905-916

15 juillet 2007

Cruels dilemmes

Le dernier numéro de Pour la Science contient un intéressant article de Kaushik Basu présentant un problème que je ne connaissais pas : le dilemme du voyageur (voir ici la version anglaise de l'article). Résumons ce dilemme en quelques mots :
deux voyageurs ayant acheté chacun le même objet sont victimes de la négligence d'une compagnie aérienne qui a brisé les dits objets. La compagnie aérienne se propose de dédomager les deux voyageurs sur la base de la règle suivante : chaque voyageur donne le prix de l'objet (compris entre 2 et 100 $). Si le prix donné par les voyageurs est identique, la compagnie verse la somme aux deux voyageurs. Si les prix sont différents, la compagnie considère qu'un des voyageurs est honnête tandis que l'autre se moque d'elle. Elle prend donc la somme minimale, verse cette somme + 2 $ au voyageur "honnête", et cette somme moins deux $ à l'autre. Par exemple, si le voyageur A dit 35 $ et le voyageur B 40 $, la compagnie verse 35+2=37 $ au voyageur A et 35-2=33 $ au voyageur B.

Ce problème n'est en fait qu'une variation sur le célèbre dilemme du prisonnier. Tout comme celui-ci, il se caractérise par une "instabilité" de l'équilibre maximisant le gain. Je m'explique : imaginons que A dise 100$. Si B dit 100$, les deux gagnent 100$. Mais si A dit 100$, B à tout intérêt à dire 99$, car dans ce cas, il gagne plus et empoche 101$. La stratégie rationnelle au sens de la théorie des jeux pour les deux joueurs serait alors de donner systématiquement 1$ de moins que la somme donnée par l'autre joueur. Cette stratégie rationnelle amène de proche en proche A et B à diminuer leurs estimations : si B dit 99$, A a intérêt à dire 98$, et ainsi de suite. En fait, tout est question d'anticipation de ce que dit l'autre voyageur, mais la seule situation d'équilibre est pour les deux joueurs de donner la somme minimale admise, i.e. 2$.

Evidemment, la stratégie semble un peu absurde, car si les deux joueurs donnent une somme conséquente, ils embaucheront bien plus. En fait, si on fait l'expérience en réalité, la plupart des gens donnent effectivement l'estimation maximale autorisée. Basuk en déduit que la "rationnalité" réellement raisonnable n'est pas la rationnalité de la théorie des jeux ou rationnalité économique [1].

La question qui m'est immédiatement venue à l'esprit est de savoir comment l'évolution pourrait sélectionner un comportement ou un autre (voir aussi ce billet sur un sujet similaire). Dans la nature, confronté à un problème type dilemme du voyageur, un animal a-t-il intérêt à être "égoïste", i.e. adopter un comportement équivalent à choisir 2$ pour s'assurer de ne pas "perdre" le jeu, ou "altruiste", i.e. adopter un comportement équivalent à miser gros en comptant sur ses partenaires pour que la coopération fasse émerger un gain maximal pour tous ? En fait, il semble qu'un certain nombre de travaux aient déjà été réalisés sur le sujet. Un site très intéressant (taumoda.com) propose simulations et contextes biologiques d'un problème d'évolution basé sur le dilemme du prisonier. En particulier, on peut voir sur cette page comment égoïstes et altruistes rentrent en compétition dans une population. La surprise est que pour certaines règles du jeu, on voit que les proportions d'altruistes et d'égoïstes se stabilisent dans la population. Intuitivement et dans le contexte "dilemme du voyageur", cela peut se comprendre : les égoïstes qui jouent entre eux se "détruisent" les uns les autres (en gagnant seulement 2$ à chaque fois), mais ceux-ci parviennent toutefois à survivre en se nourrissant sur le dos des altruistes (gagnant 4$ contre ceux-ci). Les altruistes, eux, survivent en coopérant : même si les égoïstes leur sucent le sang, ils parviennent à générer assez de coopération pour se maintenir à haute proportion dans la population. La conclusion majeure à mon avis, c'est que "l'évolution" ne favorise pas nécessairement l'un ou l'autre des comportements, mais plutôt un mélange des deux. Autremement dit, la sélection naturelle est efficace pour sélectionner à la fois les deux types de rationnalité !

[1] Une remarque à ce stade : en lisant l'article, on est bien vite convaincu que l'équilibre donné par la théorie des jeux n'est pas l'équilibre raisonnable. Rien n'est moins sûr : il semble pour moi qu'il faut aussi prendre en compte une sorte d'aversion au risque ou d'avidité au gain de certains joueurs. Imaginons par exemple qu'on parle ici non de dollars, mais de millions de dollars. Dans ce cas, jouer 2 vous assure d'avoir au moins 2 millions de dollars. Mais si vous tentez de jouer plus de 2, il suffit que l'autre joueur joue 2 pour que lui empoche 4 millions de dollars, tandis que vous-mêmes vous retrouvez avec 0. Dans cette situation, je pense que je jouerais 2 histoire d'être bien sûr de toucher quelque chose...

09 juillet 2007

Carte postale


Cher lecteur,
comme souvent, tu recevras cette carte postale bien après mon retour de vacances. Mais que veux-tu, c'est la loi du genre : aujourd'hui, les gens voyagent plus vite que les missives, surtout lorsque celles-ci doivent traverser les frontières. Il faut dire aussi que comme beaucoup, j'attends le dernier jour pour envoyer de mes nouvelles ...
Quoi qu'il en soit, j'ai mis ces quelques jours à profit pour remonter le temps et marcher sur les traces de nos ancêtres au coeur de la France (déjà ?) éternelle. Le climat et la géologie de celle-ci ont permis la conservation de nombreux vestiges, que nous pouvons admirer aujourd'hui de nos yeux ébahis.
Parlons donc de notre père à tous Cro-Magnon, portant le nom du lieu-dit où son squelette à été découvert aux Eyzies. Si l'on en croit la rumeur, "Cro" signifie en patois local "abri", quant à "Magnon", il semble qu'il s'agisse du nom de la personne ayant autrefois possédé ce lieu. Amusant, non ? Aux Eyzies s'est installé le Musée National de la Préhistoire, modernisé en 2004, et présentant de nombreux vestiges du passage de notre ancêtre. Si les explications sont parfois denses et obscures, le Musée présente de très pédagogiques films, et le débitage des lames de silex ou encore la fabrication de sagaie à base fendue en bois de cerf n'ont plus de secret pour moi. Les impressionnants graffitis de l'époque, dont certains très coquins, donnent aussi un aperçu des qualités artistiques de l'ancêtre.
Pour poursuivre cette plongée dans le passé, rien de tel que les peintures de Lascaux 2. La Chapelle Sixtine de la préhistoire est maintenant fermée aux visiteurs qui modifiaient l'écosystème de la grotte, abîmant sans le vouloir les peintures; mais une reproduction inaugurée dans les années 80 permet de se faire une idée de ce qui se tramait sous le crâne velu de Cro-Magnon. Un des meilleurs moments de ces vacances, assurément. Qualité technique des peintures (et de leur reproduction, on s'y croirait), beauté des représentations, utilisation astucieuse des reliefs locaux pour suggérer une croupe ou une jambe. Nul renne dans cette grotte mais des aurochs, chevaux, et une chimère gardienne des lieux, suscitant cette pensée énigmatique que notre guide attribuait à Claude Lévi-Strauss : il y a des animaux que l'on mange, d'autres que l'on pense... Une grotte qui vaut le détour.
Signalons également la Grotte de Pech-Merle, dans un style un peu différent. Mammouths velus, tête d'ours, dessins cochons et hommes blessés : on semble plus dans le quotidien que dans le religieux, et la technique est moins aboutie. Mais quelle émotion de visiter la grotte originale !
Voilà pour ces quelques vacances; tu l'auras compris, je n'ai pas beaucoup bronzé et j'ai attrappé froid dans toutes ces grottes, mais cela m'a permis de bien me ressourcer loin d'internet et de mes simulations informatiques !