Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

28 août 2006

Etre post-doc aux Etats-Unis...

... n'est pas toujours de tout repos ! Voir cet extrait du "NatureJobs" de la semaine dernière (numéro du 17 aout, un article sur la compétition entre labos):

Bruce Beutler, an immunologist at the Scripps Research Institute in La Jolla, California, agrees, noting that he often tells graduate students to hurry up on projects he knows are in a race with another group. He points out that working weekends means you are putting in 40% more effort than someone working only weekdays. "In a foot race, it never gets to be 40% apart — someone wins by just a few steps. People should really put everything in that they can," he says. Staying extremely focused is what led his group to be the first to show that a class of mammalian receptors sense bacterial invaders.

Je n'aimerais pas trop être post-doc dans ce labo... J'avais déjà été un brin surpris par cette propension locale à "quantifier" son travail ou son efficacité au travail à coup de pourcentage (genre "aujourd'hui, je suis fatigué, je ne travaille qu'à 75-80% de mes possibilités"), mais là ...

26 août 2006

Petite boutique des horreurs : le cancer canin parasite

Le sarcome de Sticker est un cancer très particulier, spécifique aux chiens. Ce cancer se développe quelques mois avant de régresser naturellement. Rarement mortel, ne développant pas de métastases, il possède néanmoins cette caractéristique rare et effrayante pour les cancers de pouvoir se transmettre d'un individu à l'autre (par l'intermédiaire de relations sexuelles le plus souvent !). Récemment, une équipe anglaise dirigée par Robin Weiss a mené une étude génétique de ce cancer, et les résultats et implications théoriques et thérapeutiques de cette étude sont totalement incroyables.
Weiss et sont équipe ont étudié le génome des cellules cancereuses issus de différents animaux. Ils se sont alors aperçus que ces cellules cancéreuses n'étaient pas des cellules appartenant aux animaux malades. Au contraire, elles partagent toutes un même patrimoine génétique. Autrement dit, toutes les cellules cancéreuses de tous les chiens atteints sont apparentées ! Ce cancer semble donc se comporter davantage comme un parasite, pouvant sauter d'un animal à l'autre et ainsi se transmettre.
Pourtant, ces cellules cancéreuses ressemblent à s'y méprendre à des cellules de chiens. En poursuivant l'analyse, les chercheurs ont pu montrer que ce parasite-cancer était apparenté au génome du loup (même espèce que le chien domestique mais un peu différent génétiquement). Encore plus étonnant : l'analyse des données génétiques montre que ce parasite est apparu très très récemment (la borne supérieure est 2500 ans, et le parasite est probablement beaucoup plus jeune).
Voilà donc le tableau qui se dessine selon moi (NB : à partir d'ici ce ne sont que de pures spéculations personnelles) : il y a environ 1000 ans, une cellule d'un chien-loup est devenue cancéreuse et a proliféré. Seulement, ce cancer n'était pas très virulent et n'a pas tué son hôte. On ne sait comment, il a acquis probablement au même moment la capacité de tromper le système immunitaire du chien et la faculté de se transmettre par simple contact d'un individu à l'autre, ce qui lui a permis de se reproduire et de se développer, et donc de continuer à évoluer. En quelque sorte, ce cancer est donc une nouvelle espèce vivante (car pouvant se reproduire), et vivant dans un environnement naturel particulier, le corps du chien ! Les implications d'un point de vue évolutif sont alors colossales. Premièrement, on a l'exemple d'un événement récent de spéciation. Deuxièmement, on peut peut-être étudier en "temps réel" l'évolution de cet organisme, ou du moins le début de son évolution depuis la spéciation. Troisièmement, on a probablement un exemple ici d'une cellule somatique différenciée, intégrée dans un organisme, qui a "déévolué" vers une cellule non spécialisée, pouvant se reproduire et s'implanter dans un nouvel hôte. Les perspectives de recherche dans le domaine de l'évolution, pour l'étude "écologique" des relations hôte-parasite mais aussi et surtout pour la thérapie des cancers, me paraissent extraordinaires !

Références :
L'article de l'équipe de Weiss : Murgia et al, Cell, 2006 Aug 11;126(3):477-87.
Un lien vers un article du Washington Post relatant cette découverte

Reprise

Et oui, c'est la rentrée...
Vacances reposantes, suivies d'une conférence passionnante, qui suscite une petite série de billets qu'on pourrait intituler "la petite boutique des horreurs de l'évolution". A suivre ces prochains jours !

04 août 2006

Vacances

Je suis maintenant officiellement en vacances pour une dizaine de jours. Au programme, plongée dans la nature américaine pour se laver la tête de la vie new-yorkaise. Youpi ! J'enchaîne ensuite avec une conférence... En passant, ce blog aura bientôt un an (108 billets). C'est une bonne moyenne je trouve !
RDV fin Août - début Septembre (sauf si je cède à la tentation et trouve une connexion internet d'ici-là ! )....

03 août 2006

Quelques réflexions complémentaires sur l'ID

En ce début de mois d'Août et avant de partir pour quelques jours de vacances, deux remarques sur l'ID, plus ou moins liées à l'actualité, et à quelques messages personnels que j'ai reçus :
  • Selon la définition classique ce Popper, ce qui définit la science est sa falsifiablilité, ou en bon français (pardon pour les anglicismes récurrents), sa réfutabilité. Une théorie sera donc scientifique s'il est possible de mettre en place un protocole permettant potentiellement de la réfuter. Par exemple, la théorie de la gravitation de Newton est une théorie scientifique car elle prédit les trajectoires des objets célestes. Or, l'observation de l'avance du périhélie de Mercure ne colle pas avec cette théorie et donc la réfute. La théorie d'Einstein elle prédit bien l'avance du périhélie de Mercure et remplaçe donc cette théorie. Toute prédiction de la théorie de la relativité générale est néanmoins réfutable s'il est possible de faire une observation potentiellement contraire à cette prédiction. En ce qui concerne l'ID ou le créationnisme, j'affirmais dans une note précédente que ces théories étaient falsifiables. Sont-elles donc des théories scientifiques ? Le créationnisme à l'époque de Darwin l'était incontestablement, car comme je l'expliquais, il faisait des prédictions, vérifiables, et qui se sont en fait avérées fausses. Or, aujourd'hui, l'une des caractéristiques majeures de l'ID ou du créationnisme est l'absence totale de prédictions testables, mesurables (comme l'avance du périhélie de Mercure). Dans ce sens, ce ne sont plus des théories scientifiques. Imaginons par ailleurs qu'un ID se mouille et fasse une prédiction. Si elle s'avère fausse, il lui sera toujours possible de dire qu'en fait sa prédiction inexacte repose sur une méconnaissance des desseins divins. Autrement dit, l'ID est non réfutable au sens popperien puisqu'aucune observation ne peut aller à l'encontre de cette théorie.
  • Un intervenant du blog des ID s'étonnait du fait que les scientifiques "darwiniens" perdent leur temps à s'attaquer à l'ID, considéré a priori comme une théorie imbécile. Il y voyait la preuve d'une théorie du complot des biologistes établis, visant à cacher les failles du darwinisme... Alors, c'est vrai, pourquoi perdre son temps à contredire cette théorie ? A quoi bon, puisqu'elle est de toutes façons fausse ? Cela me ramène à ma note précédente sur la TV américaine. En bon néo-con, Stephen Colbert dans son show affirme que la réalité n'est en fait qu'une opinion comme une autre, manipulable et modifiable donc. C'est pour cette raison qu'il s'est amusé à modifier la note wikipédia sur le nombre d'éléphants en Afrique : si suffisamment de monde y croit, cette fausse information devient la réalité. Peu importent les faits scientifiques : en démocratie, seul compte ce que la majorité pense. Un sondage réalisé par Gallup aux Etats-Unis a montré que seulement 35 % des Américains pensaient que la théorie de l'évolution était fermement confirmée par les preuves expérimentales. 45 % des Américains croient en revanche que Dieu a créé la Terre telle qu'elle est aujourd'hui il y a 10 000 ans. Au début, je trouvais ce genre de réponses pathétiques, mais au fond un peu marrantes. Et puis, il y a quelques jours, Bush a refusé de signer une loi concernant les cellules souches pour des motifs religieux. La plupart des gens ici pensent aussi que le réchauffement climatique n'est qu'une vaste fumisterie, un mensonge. Autrement dit, mêmes des faits scientifiques avérés, si l'on s'y prend bien, peuvent être cachés ou dénigrés auprès de la population, entraînant des décisions ou des prises de position totalement absurdes , voire néfastes des pouvoirs publics ( souvenons-nous des grandes théories biologiques soviétiques). Que se passerait-il alors si demain, seuls les ID recevaient des fonds pour la recherche, de la part de pouvoirs politiques élus sur des programmes "moraux" anti théorie de l'évolution ? C'est pour cela que les scientifiques ici sont inquiets de ces évolutions récentes et se battent en particulier contre l'ID, pour empêcher ce genre de manipulations à grande échelle qui peuvent se révéler au bout du compte désastreuses tout le monde...

02 août 2006

American TV


Logeant actuellement à l'hôtel, j'ai l'occasion de découvrir pour la première fois les joies de la TV cablée américaine. Une expérience incroyable...
Je crois qu'il n'y a pas d'expérience plus pénible pour un Européen que d'essayer de suivre une émission ou une série télévisée aux US. Considérez toutes les petites coupures, et autres interruptions dans le rythme de votre sitcom préférée. Imaginez maintenant que s'y glissent à chaque fois 5 minutes de pubs. Un cauchemar ! Comme tout bon européen, il vous faut alors débrancher votre cerveau (au choix en prenant un livre, en zappant, ou en faisant toute autre activité distrayante). Vous risquez de manquer la reprise du programme, mais cela vaut mieux.
L'Américain moyen, quant à lui, aime la pub (il me l'a confirmé). Bercé depuis sa plus tendre enfance par le rythme régulier des annonceurs publicitaires, l'Américain moyen peut s'enfiler des tunnels publicitaires sans sourciller. On dirait qu'un étrange processus d'acclimatation/d'adaptation (prélude à une future spéciation ? :) ) a eu lieu, qui permet aux Américains de rester scotchés devant le téléviseur quoi qu'il arrive. Mieux, l'Américain moyen recherche, attend la pub. Elle le distrait, colore le programme. A tel point que si la finale du super Bowl fait une audience si importante, c'est paraît-il parce qu'elle est l'occasion du lancement des toutes nouvelles campagnes publicitaires...
Au milieu de ce gloubi-boulga commercial, il est néanmoins possible en cherchant bien de dégoter quelques perles. Par exemple la sitcom Seinfeld, sorte de monument culturel de l'Amérique des années 90 mystérieusement assez peu connue chez nous, source d'expressions et de citations passées dans le langage courant. Très drôle et très bon...
Mais les émissions qui m'ont le plus fascinées se terrent en fait sur Comedy central, à partir de 23h. Se succèdent alors deux OVNIs télévisuels (pour le français moyen), j'ai nommé "The Daily Show" et "The Colbert Report". En regardant ces deux émissions, on comprend à quel point la TV française est coincée, mal à l'aise, et vraisemblablement soumise au pouvoir politique. "The Daily Show" est un talk-show satirique, émission d'humour politique à la fois drôle et pertinente. Rien à voir avec l'humour un peu méchant ou donneur de leçon des émissions françaises (type Guignols ou Vrai journal) : c'est beaucoup plus drôle, léger, et en fait beaucoup plus percutant. Quant au Colbert Report... Imaginez une sorte de Brave Patrie télévisuel... Colbert joue au néo-con républicain, insulte les "liberals" (la gauche, quoi) coupables de trahison, modifie en direct des notices wikipedia concernant les sujets sensibles (dégradation de l'environnement, réchauffement climatique), fustige les médecins "uncool" qui ont inventé un vaccin empêchant la tolérance à la nicotine... J'aime beaucoup !

Edit 3 août : Ah la la... Même en regardant la TV et sans le vouloir, je suis à la pointe de l'actualité geek !

01 août 2006

Comment Darwin a réfuté l'ID

Frank J. Sulloway nous conte dans le troisième essai dont je voulais parler un long et douloureux voyage intellectuel, celui de Darwin lui-même.
A 20 ans, Darwin était un chrétien fervent, se destinant à l'Eglise. Son intérêt pour les sciences naturelles l'avait conduit à dévorer les oeuvres de William Paley, en particulier Natural Theology dont il dira plus tard :
" I do not think i hardly ever admired a book more than Paley's Natural Theology : I could almost formerly have said it by heart"
Paley était un philosophe anglais, fameux pour son analogie dite du "watchmaker". Imaginez que vous vous promeniez sur une plage, et que tout d'un coup, vous trouviez une montre au sol. Remarquant l'ajustement parfait des pièces, la précision et la complémentarité des mécanismes, jusque dans les moindre détails, tout être raisonnable devrait immédiatement en tirer la conclusion de l'artificialité de cet objet, ou, en semi V.O, qu'à l'origine de ce design se trouve nécessairement un designer. La complexité infinie des êtres vivants n'est alors explicable que par l'existence d'un designer à l'intelligence grandiose et aux pouvoirs surnaturels. Seul un Intelligent Designer, Dieu, a pu créer la nature grandiose. Et Darwin lui-même était convaincu par ce puissant argument.
Les théories du vivant, auxquelles adhérait Darwin, étaient relativement simples : Dieu avait créé d'un seul coup toutes les espèces vivantes. Pour expliquer les différentes variétés à l'intérieur des différentes espèces, les scientifiques pensaient que les animaux pouvaient se modifier, apprendre au cours de leur vie pour s'adapter à un nouvel environnement. Enfin, pour expliquer que sur des continents différents existaient des animaux différents, on pensait qu'il y avait eu en fait plusieurs "centres de la création". Autrement dit, Dieu avait créé non pas un seul mais plusieurs règnes animaux, fonctions de l'environnement.

Telles étaient donc les préconceptions de Darwin avant de s'embarquer pour son voyage à bord du Beagle. Ces préjugés vont l'amener à commettre des erreurs scientifiques sur place, oubliant par exemple de noter les origines géographiques précises des différents specimens récoltés. A quoi bon puisque les centres de création sont étendus et homogènes ? A son retour en Angleterre, Darwin, après discussion avec le naturaliste John Gould (rien à voir avec Stephen J à ma connaissance!) comprend son erreur. Il contacte ses assistants, qui eux, sans a priori scientifiques, ont soigneusement répertorié l'origine des specimens. Darwin les ré-examine, confronte, correlle...

Et après plusieurs années de réflexion et de confrontation avec les observations, les vieilles théories vont voler en éclat. Car toutes naïves et religieuses qu'elles soient, elle sont en fait testables et vérifiables. C'est là le point central de l'essai : le créationnisme dans sa version de base fait des prédictions et est falsifiable, et tout le génie de Darwin est d'avoir réussi à appliquer une démarche scientifique pour réfuter sans ambiguité le créationnisme (et l'ID en fait) et proposer sa propre théorie.

Quelles sont donc alors les prédictions du créationnisme/de l'ID ?
Supposons que Dieu dans sa grande sagesse ait créé les espèces afin qu'elles soient parfaitement adaptées à leur environnement. Dans ce cas, dans un même environnement, on doit trouver exactement les mêmes espèces. Or, que voit Darwin après examen de ses specimens des Galapagos ? A des îles très proches les unes des autres, correspondent des espèces proches mais différentes - en particulier les fameuses tortues. Quelle étrangeté ! Chaque île apparaît comme étant un "centre de création" indépendant ! La perfection serait-elle donc multiple et multiforme ? Peut-être, mais alors pourquoi est-ce le cas au milieu de ses îles alors que les continents ont des populations plutôt homogènes ? Pourquoi Dieu s'est-il montré frénétique dans sa création sur ces îles, mais sage partout ailleurs ?
Darwin examine d'autres exemples. Regardons les animaux vivants dans des grottes souterraines, à l'obscurité. Ces environnements stables et peu variés devraient abriter des espèces similaires selon la théorie créationniste. Or, il n'en est rien; chaque grotte abrite ses propres animaux troglodytes, qui ressemblent plutôt aux animaux locaux, dont les yeux auraient dégénéré, dont le pelage aurait été modifié.
Si les espèces sont effectivement parfaitement adaptées à leur environnement, du fait de leur origine divine, elles ne peuvent de plus ni s'éteindre ni disparaître. Or, Darwin constate que bien souvent, lorsque des espèces étrangères sont introduites sur des îles, les espèces locales disparaissent rapidement, cédant le terrain aux espèces étrangères, a priori non adaptées à ces environnements spécifiques. La création locale n'était-elle donc pas parfaite ?

En somme, la création n'est pas une machine si puissamment optimisée, si brillamment designée. Ce qui réfute le créationnisme et les théories de Paley, c'est l'imperfection du monde, et c'est cela que Darwin a constaté et compris. Cette imperfection, elle, n'est explicable que dans le cadre de la théorie de l'évolution.

J'ai beaucoup aimé cet essai car il met en exergue (dans une perspective chronologique et bien mieux que ce que je peux faire en ces quelques mots) cet aspect souvent oublié du travail scientifique de Darwin : avant de proposer sa théorie, Darwin s'est attaché à montrer les inconsistances du créationnisme. D'après Sulloway, Darwin a dû tout d'abord vaincre ses propres réticences religieuses à son retour des Galapagos, avant de se confronter en permanence au fantôme de Paley. L'Origine des Espèces expose certes une nouvelle théorie, mais c'est avant tout un exercice de réfutation scientifique. Et on comprend mieux la haine des ID pour l'homme Darwin, car celui-ci a au bout du compte utilisé la raison et la science pour trahir son propre camp.