Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

09 août 2007

Peut-on être physicien et réservé sur la culture des OGM ?

Quelques réflexions sur la polémique actuelle sur les OGM (Le Doc' m'a précédé sur le sujet hier).

De proche en proche, à partir d'un fait divers récent en passant par certains blogs, j'ai relu quelques billets d'Enro, en particulier celui-ci sur la corrélation entre culture épistémique des chercheurs et position sur les OGM. En résumé, l'article de Bonneuil dont parle Enro montre que la position des chercheurs sur le sujet dépend beaucoup de leur domaine de prédilection. Si je comprends bien, les biologistes plutôt axés "biologie moléculaire", donc travaillant au quotidien avec des OGM, utilisateurs de l'ingéniérie génétique, sont plutôt pour les OGM. Les biologistes intéressés aux effets collectifs, à la génétique des populations, sont eux plutôt contre. Les agronomes sont plus mesurés, mais plutôt contre aussi.

Les raisons profondes des positions des uns et des autres peuvent peut-être se comprendre. Les biologistes moléculaires sont, il me semble, des héritiers de ce qu'on appelle le "dogme central" de la biologie. C'est ce dogme central qu'on apprend à l'école lors d'une initiation à la génétique : à savoir un gène est codé sous forme d'ADN, puis transcrit sous forme d'ARN, avant d'être traduit pour donner une protéine. L'image grossière associée est celle d'un ingénieur du vivant: un gène est allumé ou éteint, pour le réguler correctement, il suffit juste d'ajuster correctement les briques génétiques (de faire une construction propre). C'est une approche très directement réductionniste.

Les agronomes ou les généticiens des populations travaillent sur à l'autre bout de l'échelle de la vie. Ils étudient des interactions, entre environnement, populations et espèces. En particulier ils manient des grands nombres et connaissent bien les systèmes complexes en interaction (ou plus probablement sont conscients de notre mauvaise compréhension générale du sujet).

Il est assez alors assez intéressant de constater que plusieurs physiciens français de tout premier plan mondial, à l'image des biologistes moléculaires, ont signé une des pétitions plutôt pro-OGM dont parle Bonneuil: Pierre-Gilles de Gennes, George Charpak, Edouard Brézin, Alain Aspect. Je suis rétrospectivement frappé de voir comment physique et biologie moléculaire partagent des communautés d'esprit. Cette communauté est d'abord historique : c'est un ancien physicien, Francis Crick, qui a énoncé le dogme central de la biologie, et aujourd'hui même, les pionniers de la biologie synthétique sont eux-mêmes d'anciens physiciens.

Les succès de la physique ont couronné l'approche réductionniste : on arrive à prédire mathématiquement de nombreux phénomènes en posant bien le bon hamiltonien. Le "dogme central" conçoit les gènes comme des objets simples, contrôlables relativement facilement, quasiment mathématiquement. Il me semble que les arguments pour les cultures OGM, au delà des aspects économiques ou humanitaires, insistent bien souvent sur cet aspect "gène modulaire et isolé". Les interactions sont plutôt considérées comme étant de second ordre.

Dans les positionnements des uns et des autres, il y a donc peut-être un effet de la culture commune en biologie chez les scientifiques et les physiciens en particulier, encore très axée "dogme central" à mon avis. Cette culture est même passée dans le grand public, sous une forme travestie : beaucoup de gens sont persuadés de l'existence de gènes uniques, spécifiques et indépendants pour tout un tas de choses, de la couleur des yeux jusqu'à l'orientation sexuelle... Pourtant, cette culture me semble évoluer en ce moment : c'est une tarte à la crème de dire qu'aujourd'hui, quel que soit le domaine, on pense que les interactions comptent peut-être plus que les objets eux-mêmes. En biologie moléculaire, on s'est aperçu que la complexité réside au moins autant dans les gènes que dans leurs régulations et interactions globales (qui restent encore largement inconnues quantitativement). Les concepts de la physique statistique peuvent permettre de faire des progrès dans la génétique des populations et l'écologie : voir sur ce blog - on peut voir que modifier un caractère d'une espèce peut modifier complètement la composition de l'écosystème associé (de façon encore assez imprévisible). La course aux armements sur les OGM peut aussi avoir le même effet que celle sur les antibiotiques, typique des effets à moyen terme des interactions complexes dans le vivant. Et puis on sait que le dogme central prend quelques coups en ce moment : de la découverte des micro ARN jusqu'à l'épigénétique et au "second" code génétique sur la chromatine...

Pour conclure (et caricaturer un peu), la position des uns et des autres sur les OGM est peut-être corrélée à deux visions de la biologie. Soit on pense que l'échelle d'étude pertinente est le niveau génétique, où le gène est comme un maître égoïste contrôlant tous les phénomènes en biologie. Dans cette vision, contrôler le gène, c'est contrôler le vivant : les OGM ne sont pas dangereux car l'homme est capable de bien contrôler le gène (en tous cas à l'ordre 0). Soit on pense que plus qu'un gène, c'est le réseau (génétique, écologique) dans lequel il est introduit qui compte. Dans cette image, le gène n'est qu'un rouage, en interaction avec le système global. Il est a priori impossible de savoir comment s'équilibrera cette interaction après la phase transitoire d'introduction de ce gène dans l'environnement, cette impossibilité n'exclut pas une "catastrophe biologique". Dans cette vision, les OGM sont des objets d'études intéressants, mais doivent être sévèrement contrôlés et ne pas être utilisés à grande échelle , en tous cas tant qu'on ne comprend pas beaucoup mieux les choses car les risques écologiques n'en valent actuellement pas la chandelle (qui appartient essentiellement à Monsanto aujourd'hui).

8 commentaires:

Timothée a dit…

Pour revenir sur §2, je dirais que les scientifiques bio mol sont soit
-pour les OGM en tant que "produit"
-pour la technique qui permet leur production, puisque c'est la base de leur travail

Il y a a mon avis une distinction importante à faire (et puis bio mol, c'est général... On s'en sert partout, la preuve, même moi je vais en faire…), dans la mesure ou beaucoup de personnes confondent les OGM en tant que "produit fini" d'une technique, et cette même technique

Tom Roud a dit…

Salut,
merci de la précision. Il est vrai que je suis un peu vague dans mes définitions; mais je ne parle que de l'opposition aux OGM en tant que "produit" à vocation commerciale. Je me trompe peut-être, mais il ne me semble pas les manifestants habituels s'opposent à la technique en tant que telle utilisée tous les jours depuis 30 ans dans les labos, mais bien plus à l'utilisation qui en est faite.
Quand on dit de quelqu'un qu'il est pro-OGM (dans le langage courant), cela recouvre à mon avis ce sens; les pétitions ne parlent en fait pas du tout de l'utilisation dans le cadre des labos mais bien de ce produit fini : le titre de l'une d'elle, « Scientists in Support of agricultural biotechnology », est assez explicite. Pour celle de l'Académie des Sciences, on y défend l'expérimentation en champ à des fins de recherches ce qui est en fait proche de ma position, comme quoi, en tant que physicien, je rentre bien dans le cadre que j'ai posé car je ne pense pas que des essais limités soient trop dangereux !

Anonyme a dit…

Pour les scientifiques c'est certainement différent mais pour le grand public les OGM c'est un bloc. Il n'y a pas de différence de perception entre la recherche sur ou à l'aide des OGM et leur utilisation massive. J'en eux pour preuve les destruction récurentes d'OGM de l'INRA que ce soit en plein champ ou sous serre.

Voici les liens vers deux communiqués de presse (bien d'autres existent sur la toile) de ces groupes d'arrachage. Le deuxième fait vraiment peur.

http://cettesemaine.free.fr/cs84/cs84OGMmalconfines.html
http://cettesemaine.free.fr/cs81/cs81chercheursdanslanuit.html
(et le communique de presse de l'INRA correspondant à cette dernière affaire : http://www.inra.fr/genomique/communique9.html )


De ce que j'ai pu voir en France, parmi les opposants aux OGM, bien peu voient une différence quelconque entre le recherche et l'exploitation industrielle des OGM. Et générallement, lorsque je me retrouve à essayer de défendre mon point de vue (à savoir arrêt complet de la production mais plus de recherche sur le sujet, notamment au travers de l'expérimentation), je me retrouve cataloguée "dangereuse scientifique pro-OGM".

Anonyme a dit…

Parler de gène comme le "maître égoïste" des phénomènes biologiques, n'est-ce pas faire un lien assze trompeur avec la notion de "gène égoïste" Dawkins? La plupart des biologistes moléculaires se moquent complètement de savoir si les gènes sont l'unité élémentaire de la sélection naturelle ou s'ils sont égoïstes; à l'inverse, des généticiens des populations comme Pierre Henri Gouyon (qu'on entend beaucoup sur l'éthique et les OGM) partagent cette vision "réductionniste" de l'évolution, tout en ayant une vision "holistique" des écosystèmes.

Pour ce qui est du "dogme central", j'ignore comment les micro ARN le remettent en cause (l'épigénétique, je vois bien). Mais en quoi ce dogme de la directionalité ADN-ARN-protéine est-il si important pour les OGM et les biologistes moléculaires? J'ai l'impression que tu le mélanges avec l'autre dogme implicite de la biologie moléculaire, qui dit que les fonctions du vivant sont ultimement encodées par les gènes. En effet, la bio mol est essentiellement réductionniste, directionalité de l'information ou pas, ce qui peut expliquer la divergence entre les castes de biologistes.

Tom Roud a dit…

@ Benjamin:
merci de ton commentaire qui me passe sous les fourches caudines d'un vrai biologiste ;).

Pour le côté "égoïste", je voulais mettre en avant cette idée d'unités modulaires, quasi-indépendantes; autrement dit on reconnaîtra que les gènes sont régulés, mais on n'analysera pas forcément les propriétés cruciales du réseau plus que celles du gène. Je constate ce genre de choses régulièrement dans mon travail : pour un exemple un peu technique, à un moment, j'ai recherché des exemples de systèmes multistables (au sens dynamique) dans les réseaux génétiques. La multistabilité repose forcément sur les interactions entre plusieurs gènes. J'ai trouvé des exemples potentiels, mais jusqu'à récemment, aucun biologiste ne regardait ce genre d'effets collectifs, parce que les gens ne sont tout simplement pas conscients de leur existence.

Pour les micro ARN, un gène encode autre chose qu'une protéine dans ce cas. Ces micro ARN sont des gènes mais ne sont pas traduits : c'est pour cela que je parle d'exception.

Pour la directionnalité, tu as raison, c'est lié aussi à l'autre dogme d'unicité de l'encodage (c'est d'ailleurs pour cela que j'ai cité comme autre exception potentielle l'exemple du "second" code génétique au niveau de la régulation de l'état de la chromatine). Cela reste quand même lié au dogme central aussi dans la mesure où on pense qu'une fois que le gène est introduit et bien régulé, rien ne peut lui arriver.

Antoine Vekris a dit…

Salut,

Je ne sais pas s'il y a des "castes" de biologistes, mais je voulais ajouter à la réflexion de Tom un élément.

Les "vieux" biologistes moléculaires venaient essentiellement de la physique ou de la chimie, qui s'occupaient de molécules. Ils ont fait intrusion en biologie et ils ont révolutionné la discipline.
Et la révolution leur a foutu la trouille ! Ce sont des gens qui avaient fraîche en tête la responsabilité de ceux qui avaient contribué à la bombe atomique.

Les héritiers de la conférence d'Asilomar (suite à un moratoire demandé par les "biologistes moléculaires" eux-mêmes) semblent un peu plus cool avec les OGM que les autres biologistes ;-)

Timothée, n'est pas biomol qui se sert des techniques de la biologie moléculaire, mais qui les conçoit et met au point, comme on n'est pas constructeur automobile sous prétexte qu'on a changé les ampoules grillées de sa bagnole :-)

Anonyme a dit…

Jean-Pierre Dupuy a raconté pas mal de choses à ce sujet, même s'il parlait plus des nanotechnologies, mais le raisonnement est le même. On peut voir l'homme comme maître de la nature, capable d'en changer un élément pour régler le tout. L'autre manière de voir, c'est qu'il est dans la Nature, et qu'un petit évènement peut provoquer une catastrophe ne chaîne non maîtrisable. Pour lui, se persuader de (2) est une manière de devenir responsable (au sens fort) quand on pratique le (1) : c'este ce qu'il appelle le "catastrophisme éclairé" (position qu'il défend). Je caricature beaucoup, mais cette manière de voir est intéressante, elle rend un peu philosophique l'opposition sociologique que tu fais.

Tom Roud a dit…

@ oldcola : merci pour le lien. Plusieurs commentaires :
- les "castes" ne sont pas tellement de moi, c'est ce qui ressort de l'analyse de Bonneuil qui voit une corrélation entre "culture épistémique" et avis sur les OGM. J'essayais juste de comprendre pourquoi une culture épistémique donnée pouvait avoir une position ou une autre
- ta remarque sur les liens entre biol mol et physique/biologie est vraiment fascinante. Cela confirme bien les liens entre les deux; je ne sais pas (encore) trop quoi penser face au changement d'attitude des uns et des autres car je pense sincèrement que la majorité des physiciens aujourd'hui sont retournés dans l'idée du "tout contrôle".

@ markss : excellente remarque, je n'y avais pas pensé (je connais pourtant ces écrits de Dupuy,) mais c'est exactement cela. D'ailleurs, je pense que Dupuy a très mauvaise presse dans la communauté scientifique .