Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

12 mai 2007

Sur les nerfs...

Je suis actuellement en plein milieu d'auditions pour des postes permanents en France.
Où il apparaît que :
- aujourd'hui, la concurrence est vraiment très rude, et l'offre de poste en nette inadéquation avec mon propre parcours (mon profil me semble trop marginal)
- résumer 5 ans de recherche en 10 minutes pour être embauché à vie n'a pas beaucoup de sens à mes yeux et est terriblement stressant
- sauf exception, tous les candidats se valent à peu près
- l'une des exceptions est qu'il y a de plus en plus de "vieux" candidats (doctorat +N avec N>5...)
- j'ai l'impression de me retrouver dans un cauchemar de prépasien, où toute la vie future dépend de dix petites minutes et d'un classement.

En tous cas, comme disent les Américains, je frôle le "burn-out", donc silence radio sur le blog de mon côté jusqu'à ce que je sois rentré dans mon cocon new-yorkais et que je me remette (je n'aurais jamais cru dire cela un jour).

07 mai 2007

Une campagne s'achève, une autre commence

Via Crooks and liars, Primaire républicaine aux Etats-Unis...



"- Sénateur Mc Cain, cette question provient de machin.com, et était parmi les questions ayant remporté le plus de suffrages. Croyez-vous en l'évolution ?
- (surprise) n... Oui !
- Juste par curiosité, certains d'entre vous ne croient-ils pas à l'évolution ?"

Et bien, ça promet !

PS: je pars de New York assez longtemps; je risque de délaisser un peu mon blog (ce qui me permettra j'espère de mûrir quelques billets plus constructifs)

06 mai 2007

Live blogging : geekeries du dimanche spéciale présidentielles

La Big apple est magnifique aujourd'hui. J'ai réalisé le rêve de notre nouvelle première dame en allant courir ce matin dans Central Park. J'ai fait deux tours de résevoir, je suis très content. Heureusement, comme je suis tout de même un geek français, j'ai bien vite rejoint mon laptop et me propose de vous donner mes sentiments sur la soirée présidentielle (avec l'heure new yorkaise). Je suis un peu décalé, mais je vais bientôt me synchroniser.

~10h : premières estimations, basées ... sur les résultats des DOM TOM (et j'imagine des français de l'étranger). Vaste fumisterie : un coup d'oeil sur le site de RFO vous montrera que ceux-ci ont voté massivement pour Sarkozy au premier tour. Quant aux français de l'étranger, j'ai dépouillé hier et ai découvert que l'upper east side était un repère sarkozyste : 65-35 !



~ 12 h-13h : premières estimations. De 53.5%, on passe à 54.5 %. Conforme aux derniers sondages à première vue. Notez que parmi les sources, on trouve... le ministère de l'intérieur !!









~15h00 : Gros problèmes de réseaux !!! Impossible d'accéder à mon blog depuis ma connexion locale. Voici ce que mon ordi m'indique :


We're sorry...

... but your query looks similar to automated requests from a computer virus or spyware application. To protect our users, we can't process your request right now.

We'll restore your access as quickly as possible, so try again soon. In the meantime, if you suspect that your computer or network has been infected, you might want to run a virus checker or spyware remover to make sure that your systems are free of viruses and other spurious software.

We apologize for the inconvenience, and hope we'll see you again on Google.






Complot ? J'ai piraté quelques minutes la connexion du voisin et tout semble rentré sans l'ordre. Mais difficile de faire du live-blogging dans ces conditions ! Je voulais des geekeries, je suis servi...


16h08 : Pour une raison mystérieuse, aucun problème pour regarder TF1 en direct sous linux : firefox ouvre un plug-in et lance mplayer. En revanche, gros problèmes avec France 2. Heureusement, ma tactique habituelle pour trouver le flux marche bien.

16h11 : Jean-Marie Bigard : "on peut être gentil et être de droite".
Je ne suis pas déçu de ma récupération informatique...

16h14 : PPDA annonce 52.7% pour Sarkozy. A comparer avec les 55% annoncés par le dernier sondage IPSOS. 2.3% de différence entre l'explosion du plafond par le haut dans les derniers sondages dont je parlais dans mon dernier billet et le résultat final. Je rappelle que la moyenne du baromètre quotidien IPSOS était d'environ 53.5%, soit une surévaluation d'environ un point. Les sondages IPSOS sont descendus "seulement" à 52% (-0.7%), mais sont donc montés à 55% (+2.3%). Le sens dans lequel les marges d'erreurs sont corrigées est assez clair : à ce stade, pour moi, il ne s'agit pas d'"erreurs" mais de véritables biais. C'est d'autant plus grave si les évolutions, elles, sont exactes : si Sarkozy a gagné 1 ou 2 points ces derniers jours à l'issue du débat comme l'ont affirmé les sondages, c'est qu'on était en réalité très très proche de 50-50 pendant toute la campagne.
Edit 17h48 : il faudra attendre le résultat final, mais pour l'instant Sarkozy est donné à 53.3 %. Donc j'ai été mauvaise langue, ce n'était pas si biaisé que cela vers le haut (un peu quand même, mais bon, pas autant qu'à première vue). De l'inconvénient des réactions live ;) . Le dernier sondage reste néanmoins anormal à mon avis.
Edit 22h27 : 53-47 tout rond. Sarkozy légèrement surestimé par IPSOS tout au long de la campagne donc, et surtout dans les derniers sondages.

16h22 : Déjà des sondages pour les législatives.

L'UMP obtiendrait 34% des voix au premier tour des élections législatives le 10 juin prochain, le PS 29%, l'UDF 12%, et le Front national 7%, selon un sondage Ifop pour Profession politique réalisé les 3 et 4 mai et rendu public dimanche.


Notez que le sondage a été fait avant le deuxième tour et que c'est en fait assez serré ! On verra l'impact des résultats de ce soir sur les futures intentions. Mais si ces sondages sur les législatives sont redressés comme les sondages sur la présidentielle, cela signifie que ça peut-être assez serré.


16h29 : Sondage Nouvel Obs. Devinez ce que j'ai répondu !





16h30 : PPDA évoque les reports des voix. Ces reports de voix ont beaucoup fluctué d'un sondage à l'autre mais permettaient d'avoir une bonne idée des "ordres de grandeur" de ceux-ci; preuve que même une information fluctuante permet de se faire une idée relativement précise de certaines tendances. Vivent les résultats bruts ! Notez d'ailleurs que compte-tenu des résultats, il a dû y avoir plusieurs "sondages bruts" à 50-50, voir quelques uns donnant Royal gagnante.

16h55 : A titre personnel, je suis assez inquiet de la réforme de la recherche qui devrait donc se faire. Cela ne m'empêchera pas de candidater en France cette année, mais il est clair que la recherche française devrait pas mal bouger. Encore une fois, j'ai un peu peur qu'on jette le bébé avec l'eau du bain. Si la France s'aligne sur les systèmes internationaux, en tant que chercheur, je la jugerai sur les critères internationaux; la France avait plusieurs avantages comparatifs : recrutement jeune, postes permanents offrant une certaine sécurité... Tout cela risque de changer. Mais à titre personnel, il me paraît difficile de faire de la recherche dans un pays n'offrant pas plus de possibilités à la recherche (nombres d'étudiants, salaires...) accompagnées de certaines garanties (probabilités raisonnables de trouver une tenure, et de se recycler si la recherche ne marche pas). Les coups de menton anti-fonction publique, cela va bien 5 minutes, mais si on veut s'aligner sur l'international, il faudra augmenter massivement les salaires, augmenter massivement les moyens. Et il reste le gros problème des étudiants. Je ne vois pas comment aujourd'hui inciter les étudiants à se lancer en thèse, surtout si le futur gouvernement continue de tenir les chercheurs en aussi piètre estime. S'il n'y a pas plus d'étudiants et que Sarkozy réforme la recherche comme annoncée, le système s'écroulera.

17h00 : le ministe de la culture a autorisé la berline de Sarkozy à traverser les jardins des Tuileries. Je trouve cela gonflé, mais cela doit être cela le respect de l'histoire et de la culture. Je suis sûrement trop engoncé dans la repentance.

17h00 : PPDA se satisfait des bonnes prédictions des sondages. Pas du tout convaincu à titre personnel. Je commence à réfléchir à un "toy model" d'interaction sondages/opinions pour essayer de tester quelques hypothèses.
Edit 17h33 : Veronis donnait 52.3% hier. Rappelons que cette estimation est basée... sur le nombre de citations des uns et des autres dans la presse, avait été étonnemment juste au soir du premier tour. C'est à la fois étonnant et très inquiétant de voir la précision de ces corrélations : serions-nous si influençables collectivement ?


17h12 : Problème philosophique : s'il peut se perdre, le respect se mérite-t-il a priori ? Avant d'avoir des droits, une chance, doit-on exercer son devoir ? N'est-ce pas plutôt le contraire : n'aurions-nous pas plutôt des droits, des chances a priori qu'on peut perdre si on n'exerce pas comme il faut ses devoirs ? C'est amusant, cela me rappelle le recrutement dans la recherche française : d'années en années, on nous dit qu'il faut faire plus de preuves, publier plus d'articles, et qu'ensuite peut-être, nous serons recrutés. Bien sûr je ne dis pas qu'il faut recruter tout le monde, mais force est de constater que l'effet net a été de repousser l'âge de recrutement, de bloquer le système en demandant des exigences disproportionnés comparées à la nature réelle des postes. Ce genre de pratique me semble plus être le signe d'une défiance envers l'autre qu'une reconnaissance de son mérite.

17h17 : Marseillaise de Mireille Matthieu

17h21 : "When Nicolas was born" dans "Oh happy day". Pincez-moi je rêve !
PPDA en reste dubitatif.

17h24 : Mireille Matthieu est déchaînée. J'ai des auditions à préparer. Fin du live-blogging.

04 mai 2007

Dernière ligne droite sondagière

Avant, je soupçonnais juste les sondages de légèreté scientifique. Ce matin, je me pose sérieusement des questions. Tous les sondages donnent Sarkozy à plus de 54%. Un de ses scores les plus hauts. L'IFOP fait même un bon de 2.5 % (IFOP dont j'ai déjà expliqué que j'avais quelques réserves sur leurs résultats).

J'ai passé toute la campagne à expliquer comment il était évident que les sondages "lissaient" leurs courbes et rabotaient leurs marges d'erreur. Et tout d'un coup, à trois jours du vote, Sarkozy explose son score par le haut. Je suis sans aucun doute un peu partisan, mais je m'interroge.

Sur le fond, je suis très surpris que les sondages actuels soient capables de déterminer les reports de vote des électeurs de Bayrou, Le Pen, Laguiller. Prenons le cas de Le Pen. Il y a 10% d'électeurs de Le Pen, dans la réalité, comme je l'avais signalé il y a quelques jours, moins de 50 personnes par sondage votant Le Pen sont sondées. Si l'on en croit les scores actuels, environ 30 électeurs de Le Pen disent voter Sarkozy. Pas besoin de faire un dessin : la marge d'erreur sur ces reports est de quasiment 20 % ! Un basculement de 20% des voix d'un côté comme de l'autre des électeurs de Le Pen, l'extrême gauche ou de Bayrou ferait basculer le résultat du vote. Comment les sondeurs peuvent-ils faire des prédictions fiables ?

Nous verrons dimanche soir me direz-vous, mais le risque de prophétie auto-réalisatrice est grand. Un peu amer ce matin, je crois que je vais définitivement militer pour l'interdiction pure et simple des sondages.

Ajout 5 Mai : Et le dernier sondage IPSOS donne Sarkozy à 55%. C'est le plus haut score donné à Sarkozy depuis le début du baromètre quotidien. Ce n'est pas crédible de donner un tel chifffre juste à la fin de la campagne. D'autant plus que pour ce baromètre quotidien, IPSOS a changé sa méthodologie sur le dernier sondage en réalisant un sondage "classique" sur 922 personnes. Quelle rigueur scientifique !

03 mai 2007

Sondage inutile

Une du Figaro en ligne à l'instant : Sondage Opinionway : Sarkozy remporte le débat (lien réparé)

"Plus d’un téléspectateur sur deux du débat (53%) de mercredi soir a jugé le candidat UMP «le plus convaincant», contre 31% pour Ségolène Royal."

Ce qui est amusant est la corrélation de cette opinion avec la phrase suivante :
"Au final, les sondés sont 52% (+4) à souhaiter la victoire de Nicolas Sarkozy à l’issue de ce débat, et 37% (+1) de plus à vouloir celle de son adversaire socialiste."

Avant le vote, la proportion était de 48%/36%. Quand l'échantillon de départ est pro-Sarkozy à la base, il estime Sarkozy le plus convaincant. Rien que de très normal. Autant dire que les lignes n'ont pas bougé, et que chacun a vu midi à sa porte. Pourtant, à n'en pas douter, ce sondage sera exploité politiquement...

[Notons aussi que ce sondage prétend être fait sur un échantillon représentatif. Mais cette enquête est faite sur internet. Les électeurs ayant une connection internet peuvent-ils être par nature représentatifs ? ]

01 mai 2007

Gastrulation, religion et cellules souches

Tout comme Vincent Fleury, le processus de la gastrulation me fascine et m'émerveille. Rappelons que la gastrulation est cette étape incroyable du développement de l'embryon durant laquelle se met en place ce qu'on pourrait qualifier de "plan d'organisation de base" des organismes.

Chez Xenopus, qui est l'organisme modèle le mieux connu, cette étape est à la fois incroyablement complexe et extrêmement rapide. 7 h après la fécondation, l'embryon de Xenopus est encore au stade blastula et ressemble (en gros) à une boule de cellules (apparemment indifférenciées, si ce n'était la pigmentation du haut de l'embryon qu'on appelle pôle animal). Les fameuses cellules souches embryonnaires sont alors à l'intérieur de l'embryon. La gastrulation commence 8 à 9 h après la fécondation : une couche de cellules à l'extérieur de l'embryon va alors se replier à l'intérieur de celui-ci (un peu comme une chaussette qu'on retournerait), formant une cavité qu'on appelle archenteron et qui donnera le futur tube digestif. L'image ci-contre est une représentation de ce processus, tirée du site gastrulation.org. La première colonne est une vue externe, la seconde une vue interne, les deux dernières s'intéressant à des tissus particuliers. Le temps évolue de haut en bas. On voit comment les tissus violets, jaunes et verts passent de l'extérieur à l'intérieur de l'embryon. Au cours de ce processus se forme aussi l'axe antéro postérieur qui va structurer tout l'organisme : l'excroissance verte en bas à droite donne une idée de l'emplacement de la future tête ! Ainsi l'embryon se déforme et se structure au cours de ce procédé, si bien que 24 h seulement après la fécondation, on reconnaît déjà parfaitement des tétards dans ces embryons. 24h plus tard, le tétard commence à bouger, sort de son oeuf, et on peut déjà voir le coeur battre, les branchies se former. Pourtant, l'animal n'a encore ni bouche, ni estomac et vit toujours sur les réserves de l'oeuf ! Vu de l'extérieur, on a le sentiment que toute la suite n'est en quelque sorte que du fignolage, pendant lequel les organes se structurent et se complexifient.

Voir ainsi un organisme vivant se "former" en 24 h est une expérience (osons le dire) quasi-mystique. Et quelques interrogations philosophiques m'ont traversé : à quel moment le tétard devient-il "vivant" ? Au stade blastula, pour moi, pas de problèmes : l'embryon n'est encore qu'un amas de cellules (dont un certain nombre de cellules souches). Qu'en est-il quelques heures après ? Juste après la gastrulation, la structure est en place, mais concrètement ce n'est qu'une "réorganisation" des cellules de la blastula. Lorsque le coeur commence à battre, l'embryon vit toujours sur ses réserves, n'a pas estomac; mais lorsqu'on le touche, il réagit et se met à gigoter par réflexe de la même façon que lorsqu'il est sorti de l'oeuf. C'est comme si l'embryon marchait vers l'état final de tétard petit à petit, mais il semble difficile de définir clairement une frontière entre vivant et inerte après la gastrulation. C'est d'autant plus difficile chez le tétard que le développement précoce (que je définirais comme passage de l'inerte au vivant) et le fignolage (que je définirais comme le passage d'un embryon vivant à un tétard fonctionnel) sont complètement autonomes - au contraire des mammifères par exemple : l'oeuf est fermé, donc en théorie, une fois la fécondation effectuée, roulez jeunesse, le développement va à son terme.


Ce genre d'interrogations est en fait assez courant dans les labos d'embryologie et dérive quasiment instantanément sur les problèmes posés par la religion dans la science. Confrontés à la droite religieuse américaine, les embryologistes locaux, travaillant notamment sur les cellules souches, sont bien obligés de connaître à fond ces dossiers sensibles, à la fois sur le plan scientifique et religieux. La surprise est que les scientifiques ne manquent pas d'arguments religieux. Car si la religion catholique décrit l'embryon humain comme sacré dès la fécondation, il n'en a pas toujours été ainsi. Ainsi, Saint Augustin affirmait que "l'âme" ne pouvait venir dans l'embryon tant que le corps n'était formé (cliquer ici). Saint Augustin aurait donc normalement reconnu qu'il n'y a pas d'âme avant la gastrulation. Pendant longtemps, l'Eglise a également repris la tradition juive, qui stipule que "l'âme" n'entre dans le corps que 40 jours après la fécondation (Détail amusant révélateur de l'époque : Saint Augustin prétendait que c'était 40 jours pour un homme, mais 90 jours pour une femme). En cela, l'ancienne position de l'Eglise et celle de la religion juive ne sont pas si inconsistentes avec la science moderne : la gastrulation a lieu au bout de 20 jours chez l'homme, et les 40 jours correspondraient à peu près aux premiers battements de coeur (au bout de deux mois environ). Pour les autres religions, les interprétations divergent. L'islam est (là encore) plus proche du judaïsme et accorde une période de latence plus longue : environ 100 jours. Le boudhisme est comme le catholicisme "moderne" et considère que l'âme entre dans l'oeuf dès la conception. Cependant cette conception est à mon avis difficilement compatible avec les connaissances scientifiques : un seul oeuf peut aboutir en effet à deux personnes, que cela soit par l'intermédiaire d'une première division en deux oeufs indépendants aboutissant à des jumeaux, ou par un défaut de gastrulation donnant deux axes antéro-postérieurs dans le même embryon et aboutissant à la naissance de siamois.

On peut donc constater que :
  • la gastrulation est un processus très clair et très bien défini, avant lequel l'embryon est incontestablement non structuré. On ne peut parler d'être vivant avant la gastrulation, et cela rejoint la tradition de Saint Augustin
  • par ailleurs, l'exemple des siamois montre qu'un défaut de gastrulation, peut entraîner la formation de deux êtres vivants, donc que la définition de ce qu'est le futur être vivant est, il me semble, post-gastrulation.
Ces deux arguments, ainsi que la compatibilité avec certaines autres grandes traditions religieuses, me laissent penser que les scientifiques peuvent remporter la "bataille" sur les cellules souches embryonnaires (extraites avant la gastrulation), y compris sur le terrain philosophico-religieux.

27 avril 2007

Lecture : six impossible things before breakfast

Lewis Wolpert s'interroge dans ce livre sur l'origine évolutive de la croyance. Qu'est-ce que "croire" ? Qu'est-ce qui dans l'évolution a pu sélectionner cette faculté de "croire" ?


Selon Wolpert, la croyance si spécifique à l'homme est intimement liée à une faculté spécifique qu'il appelle la "croyance causale" ("causal belief"). Piaget a autrefois montré que les jeunes enfants développent très rapidement cette faculté, qui consiste essentiellement en une compréhension intuitive de la physique : un jeune enfant comprend très vite que le monde est composé d'objet solides qui gardent leur cohésion, que si une balle est mise en mouvement, elle continuera a priori sur sa trajectoire sauf si on l'arrête, que deux objets peuvent interagir uniquement s'ils se touchent. Et oui, nous avons tous en fait une compréhension intuitive de la mécanique galiléenne !

Les animaux ne disposent en revanche pas de ce mécanisme de pensée, sauf rares exceptions. Par exemple Wolpert cite une expérience d'un certain Povinelli. Des chimpanzés devaient utiliser des bâtons pour faire sortir de la nourriture d'un tube. Les bâtons étaient de différentes formes, tailles, textures, et une compréhension basique de la "mécanique" permet de choisir le bon bâton. Les chimpanzés n'arrivent à trouver le bon outil qu'en les essayant tous un à un, au contraire d'enfants qui utilisent leur intuition du monde pour choisir directement le bon bâton. Wolpert cite ainsi plusieurs exemples qui montrent que si les animaux peuvent apprendre par essai/erreur, ils ne disposent pas d'une intuition physique du monde au contraire de jeunes enfants. Wolpert propose que cette intuition du monde est nécessaire et suffisante pour fabriquer des outils complexes : pour concevoir un outil, il faut en effet se projeter dans l'avenir, imaginer en amont comment les différentes pièces vont s'assembler pour former un outil efficace. Des singes peuvent apprendre assez facilement par observation et essais/erreurs à utiliser un caillou pour ouvrir des fruits, mais ils ne peuvent concevoir des outils complexes peu susceptibles d'être conçus "au hasard", ou des outils "secondaires" pour concevoir d'autres outils.

Wolpert propose que tout ce qui fait la spécificité de l'homme repose sur cette matrice de pensée causale. Par exemple, il explique que la conception d'un outil nécessite la maîtrise d'une grammaire : il faut ordonner, agencer les choses pour concevoir des outils. Du coup, il est possible que le développement du langage soit cosubstantiel de cette faculté de concevoir des outils : le langage ne ferait que recycler les structures cérébrales associées. Ainsi les enfants montrent-ils les objets avant de parler, ce qui signifie que la compréhension physique du monde précède la maîtrise de l'oral. Au contraire, le langage en lui-même n'est pas nécessaire pour concevoir des outils : dans une expérience, des chercheurs ont enseigné à deux groupes d' étudiants à fabriquer des outils préhistoriques. Dans un groupe, l'enseignant donnait des explications orales à ce qu'il faisait. Dans l'autre groupe, l'enseignant se taisait et les étudiants n'apprenaient la "grammaire" de la conception que par imitation. Aucun des deux groupes ne se distinguait particulièrement ensuite lorsqu'il s'agissait de reproduire l'outil.

Venons-en maintenant au sujet spécifique du livre : la croyance. Une fois que l'homme a intuité la causalité, il n'a pu s'empêcher de chercher des causes à tous les mécanismes (p83) :


Humans were now thinking about the causes involved in all sort of activities : hunting, food gathering, social relationships, illness, probably dreams, and even life and death itself. Thus (...) is the origin of what we now call beliefs.


Wolpert propose que l'homme ne peut s'empêcher d'utiliser sa compréhension de la causalité pour chercher des explications, et y croire, d'où la religion, la croyance au paranormal, mais aussi la science ! Les chapîtres qui suivent sont assez impressionnants et s'efforcent de démontrer comment notre fonctionnement cérébral est intimement lié à noscroyances. Quelques effets bien connus sont décrits : une fois que nous croyons quelque chose, nous avons tendance à éluder les éléments qui vont contre cette croyance et à exagérer les éléments qui vont dans ce sens. Plus impressionnant : nous avons une soif spontanée de croyance qui nous pousse à construire des nouvelles interprétations, de nouvelles causalités même si nous ne disposons que d'informations très partielles. Cet effet est si fort qu'il peut mener à la "confabulation" : l'existence d'une croyance irraisonnée (une "delusion"), fermement ancrée contre l'évidence amène à réécrire l'histoire et à créer spontanément de faux souvenirs, de fausses explications, des fables, pour coller aux croyances. Wolpert cite l'exemple d'un confabulateur convaincu d'être un maître des échecs russe. Aux docteurs qui lui faisaient remarquer qu'il ne savait ni jouer aux échecs, ni parler russe, le patient répondait qu'il avait été hypnotisé pour oublier sa langue maternelle ! Ce qui est effrayant est qu'il n'y a pas de ligne très claire séparant les croyances traditionnelles de ces "delusions", même chez des individus parfaitement normaux. Ainsi, 10 à 15% de la population ont eu des hallucinations, et 20% des gens ont des symptômes de delusions ... Un résumé de la puissance de notre faculté à croire se trouve en conclusion du livre (p220):


Our belief engine, programmed in our brains by our genes, (...) prefers quick decisions, (...) is bad with numbers, loves representativeness, and sees patterns where often there is only randomness. It is too often influenced by authority and it has a liking for mysticism.



Le développement spécifique de la croyance religieuse est selon Wolpert une conséquence de ce fonctionnement spontané du cerveau. Il propose une explication plus "évolutionniste" de l'existence d'une religion. Croire en un être suprême est gage de cohésion sociale, est bénéfique au groupe car il met en place des solidarités et donne un avantage évolutif à celui-ci. Même à l'échelle individuelle, il est avéré que les gens religieux sont plutôt plus heureux que la moyenne. Wolpert compare également les différentes religions, et soulève quelques lièvres intéressants. Ainsi, il observe l'existence de "convergences" religieuses, de la même façon qu'il existe des convergences évolutives. Il semble ainsi que les sociétés basées primitivement sur l'élevage (comme la société juive primitive) développent des théories religieuses similaires, s'intéressant plus au quotidien qu'à l'au-delà. Malheureusement, ce chapître potentiellement intéressant n'est à mon avis pas assez développé. (Sur un sujet un peu similaire, voire le billet récent de dvanw sur la coévolution gène-culture).

J'ai beaucoup aimé ce livre, très riche et bourré de références, même si je trouve que par moments il y a un effet "catalogue". Les théories sont intéressantes et interpellent vraiment sur la notion de croyance et de libre-arbitre. Il est fascinant de voir à quel point l'homme est esclave de ses propres croyances, ce qui est assez effrayant en période de campagne électorale !