Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

26 avril 2007

Arithmétique électorale : traces de bidouillage dans les sondages ?

Un petit billet sur un truc étrange dans l'enquête IFOP du soir du premier tour, qu'on peut trouver ici. Je ne sais pas si quelqu'un l'a déjà remarqué, mais cette enquête sent un peu le bidouillage, en particulier lorsqu'on la compare aux autres enquêtes parues depuis, en particulier TNS-Sofres, CSA, voire même le baromètre IPSOS-Dell.

Livrons-nous donc à un petit jeu d'arithmétique électorale, tout d'abord sur les trois derniers instituts, qui vont permettre de comprendre le problème du sondage IFOP. A l'heure actuelle, et selon les différents instituts, sur Royal se reportent 13 à 19% des électeurs de Le Pen, 39 à 46% des électeurs de Bayrou. Cela lui donnerait un score de base entre 34.5% et 36.4% des suffrages du premier tour. A cela s'ajoutent les "réserves" à gauche, oscillant entre environ 7% selon IPSOS et environ 10% si les reports de voix se font bien. D'où un score de Royal entre 41.5% et 46.4% en fonction des sondages actuels.

Sur Sarkozy se reportent pour l'instant entre 60% et 65% des électeurs FN, et entre 25 et 39% des électeurs de Bayrou. Cela lui donne un score de base entre 42.1% et 45.2%. A cela s'ajoute 3.38% de voix s'étant portées sur Villiers et Nihous. Au final, on trouve un score pour Sarkozy entre 45.48% et 48.58%.

La majeure partie des différences entre sondages s'expliquent en fait par les différences entre les estimations du report des électeurs de Bayrou sur Sarkozy : de l'ordre de 2.5% des suffrages exprimés au premier tour pour l'instant. En fait, ce sont les électeurs Bayrou qui s'abstiennent de voter Sarkozy qui peuvent le plomber dans les sondages. Plus que le report imparfait des voix, c'est le non-report, l'abstention qui explique les variabilités d'un sondage à l'autre. Ces considérations sondagières me ramènent à l'enquête publiée le soir du 22 avril par IFOP. Enquête qui donnait Sarkozy à 54% et à mon avis a été soit mal faite, soit un peu bidouillée. Quand on regarde les reports sur Royal, rien d'anormal a priori en comparaison des enquêtes ultérieures : 46% des électeurs de Bayrou, 17% des électeurs de Le Pen. Non, le problème est que si vous regardez les résultats p 5, tous ceux qui ont voté au premier tour... votent aussi au second tour. Du coup, 54% des bayrouistes se reportent sur Sarkozy, ainsi que 83% des électeurs du FN. Tout se passe comme si les non-électeurs de Royal avaient été automatiquement considérés comme des électeurs de Sarkozy ! Cela explique le score quasi-plébiscitaire de Sarkozy (calculette en main, on retrouve effectivement un peu plus de 54%), un score qui livré en pleine soirée électorale ne pouvait qu'impressionner. Par ailleurs, si quelqu'un peut m'expliquer par quelle opération du saint esprit 59% des électeurs ne s'étant pas prononcé au premier tour se prononcent pour Sarkozy au deuxième (dernière ligne de la page 5), et comment les abstentionnistes réapparaissent tout aussi miraculeusement sur la première page.... Evidemment, tout cela m'inspire quelque suspicion.

Autonomie des universités : qui connait l'Italie ?

L'autonomie des universités est LA grande réforme de la recherche proposée par N. Sarkozy. A n'en pas douter, s'il est élu, ce sera l'une des premières réformes appliquées : réformer l'université lui permettra de se donner une image d'homme d'action et de réformiste à peu de frais (pour lui). Cependant, à force de vouloir copier le système américain sans réfléchir aux spécificités françaises, ne risque-t-on pas d'aller droit dans le mur ? Car il suffit de traverser les Alpes pour voir un système d'universités autonomes, depuis 60 ans...


Tout le dispositif d’enseignement supérieur italien repose sur le principe de l’autonomie des universités, inscrit dans la Constitution de la République Italienne de 1948, principe auquel les universités sont très attachées. L’autonomie s’exprime aux plans administratif, financier, comptable et, depuis 2000, didactique. Chaque université s’organise selon ses propres statuts et élabore ses propres projets de formation. Source : guide de l'étudiant français en Italie


Le rêve n'est-ce pas ? Pas très loin de ce que propose le favori des sondages en tous cas. Le problème, c'est que vous pouvez demander son avis à n'importe quel chercheur, il vous dira que le système de recherche italien est un désastre.
Quelques explications peuvent être trouvées dans cet article :

En Italie, l’autonomie des universités pour le recrutement a engendré un système selon lequel on est recruté seulement là où on a fait sa thèse, on est promu seulement là où on a déjà un poste. Quand à la mobilité des étudiants, moteur potentiel de la compétition inter-universitaire, je donne deux exemples paradigmatiques. La ville d’Ostie est à 20 Km de Rome et de sa principale Université : les mamans d’Ostie ont fait une manifestation (où un collègue doyen à Rome III était convié) pour réclamer une Université à Ostie, pour que leurs bébés n’aient pas à se déplacer. Pise, autrefois université au rôle national, ne recrute désormais qu’en Toscane (et à Florence il n’y a que des enseignants florentins, sic !). Où est la compétition des universités dans l’offre de qualification ?


Rapprochons ce dernier élément de l'article récent d'Hugues Serraf sur la désormais fameuse université de Nîmes :




Nîmes vient de se doter de « la plus petite université française ». Bel effort pour une ville dont les étudiants devaient, jusqu'à présent, parcourir plus de 50 kilomètres pour accéder aux lumières de l'enseignement supérieur.


Mais bien sûr, je suis sûrement mauvaise langue. Si les Français étaient des adeptes du mandarinat local, du népotisme, si les pouvoirs publics ne cédaient jamais au clientélisme, cela se saurait.

Car c'est bien le danger qui nous guette avec cette fameuse autonomie des universités. Les chercheurs italiens, comme de plus en plus de chercheurs français, s'expatrient en masse malgré cette autonomie tant vantée par nos réformateurs. La raison est assez simple : il est totalement impossible de trouver un poste de recherche viable en Italie, sans faire de basse politique ( sans "faire preuve de son potentiel" comme dirait Sarkozy ?). D'ailleurs, nombreux sont les Italiens qui dans les années récentes ont trouvé un poste en France ...

L'autonomie totale à l'échelle française aboutirait logiquement à creuser les différences entre les gros pôles existants (en gros Paris et al.) et les petites pôles universitaires. On imagine les cris d'orfraie des 70 et quelques autres universités françaises laissées sur la route, des élus et populations locales. Et on voit bien comment une logique protectionniste et clientéliste locale favorisée par le statut autonome (comme en Italie) se mettrait immédiatement en place, ayant pour effet de complètement plomber le système par la base.


Compte-tenu de la taille microscopique des universités française, de la France elle-même, un système efficace d'autonomie des universités tourné vers la recherche ne pourrait donc se faire qu'à coup de fusions à l'échelle européenne. Mais, un tel système est à mon avis aujourd'hui totalement utopique : l'Europe n'est pas l'Amérique, où la mobilité professionnelle est bien plus grande, pour des raisons plus culturelles que structurelles. Par ailleurs la nation a encore un sens : pourrait-il exister plus d'un pôle recherche au niveau du Bénélux ? Qui acceptera de deshabiller ses propres universités pour habiller le pôle du voisin ?

Enfin avant de modifier la structure des universités, peut-être serait-il aussi judicieux de réfléchir à ses missions. On demande aujourd'hui à toutes les universités françaises de produire à la fois une recherche et un enseignement de qualité. Est-ce raisonnable ? Ne faudrait-il pas mettre plutôt en place des universités spécifiquement destinées à l'enseignement, à l'image des multitudes de petites universités d'undergraduate américaines, à côté de vrais pôles de recherche ? Que je sache, personne ne se plaint de ce que les enseignants de classes préparatoires ne fassent pas de recherche, et la qualité de la formation n'en souffre pas.

Je suis également toujours étonné par le manque de recul critique sur le système de recherche et sur ses indicateurs (quantitatif, quand tu nous tiens). Passons sur l'évaluation de la qualité d'une université sur son nombre de Prix Nobel, qui n'a pas grand sens (l'article récent de Nature sur l'apparent "déclin français" remet quelques idées en place, je ne peux que vous le recommander). Le modèle "mondial" actuel a pour seul but de faire du chiffre, de produire des papiers, aboutissant au saucissonnage des résultats, à la multiplication des papiers sur le même sujet du même groupe, aux calculs théoriques "epsilonnesque" qui n'apportent rien, au brevetage de toutes les techniques et tous les gènes , au bullshitting voire à la fraude pure et simple. Ce modèle s'auto-entretient, puisqu'on juge son succès à l'aune des objectifs affichés (produire des papiers et des citations), et non pas au progrès de la connaissance plus difficile à mesurer. Le système français a ses défauts, mais au moins la liberté de recherche est-elle totale, et il est plus propice à des projets risqués sur le long terme (encore faut-il accepter de les financer). J'ai parfois l'impression qu'on oublie que la recherche est un domaine difficile, et que produire des résultats de qualité prend nécessairement du temps; à force de vouloir s'aligner sur le système américain, nous risquons juste de jeter le bébé avec l'eau du bain comme le disait très bien Nature.

23 avril 2007

Une victoire des sondages ?

Hier sur France 3, le présentateur de la soirée électorale a félicité Roland Cayrol, de l'institut CSA, pour la pertinence de ses sondages. CSA qui anonçait il y a 4 jours que Le Pen passerait devant Bayrou...

Difficile pourtant de ne pas constater que les sondages ont plutôt bien réussi à reproduire l'ordre des candidats. Etait-ce difficile néanmoins ? L'écart minimal entre les cinq premiers candidats est de 5% entre Sarkozy et Royal, soit quasiment deux fois la marge d'erreur des sondages. Rappelons qu'en 2002, l'écart entre les trois premiers était de moins de 4 points, et moins d'un point entre Jospin et Le Pen; par ailleurs, les deux premiers candidats ont eu quasiment deux fois plus de voix qu'en 2002 (détail amusant : Bayrou a même eu plus de voix... que Chirac !). Autrement dit, cette élection était du pain bénit par rapport à la précédente : l'ordre était très facile à prédire. Pas de grosse surprise donc sur ce point-là (et l'erreur de CSA il y a quelques jours est assez impardonnable).

Lorque l'on compare néanmoins sondages et resultats, ont voit tout de même des biais certains. Sur la figure ci-dessus, j'ai dessiné les sondages IPSOS de ce dernier mois, comparés aux résultats du vote donnés ce matin par Le Monde. Si Sarkozy et Bayrou ont eu des resultats à peu près conformes aux sondages, on ne peut que constater que Royal a été fort sous-estimée depuis un mois (n'ayant jamais atteint dans les sondages son score réel), tandis que Le Pen a été très fortement sur-estimé (idem). L'écart entre le dernier sondage de Royal et son score est de -2 points, celui entre le dernier sondage de Le Pen et son score est de +3 points. C'est l'illustration des biais dont je parlais dans quelques billets précédents. C'est anormal que des candidats soient chroniquement sous ou sur-évalués, et révèle probablement des artefacts dans les méthodes des sondages. Claire Durand constatait par exemple sur son site que les scores de Royal et Le Pen étaient à peu près complémentaires dans les sondages. Je pense que tout vient encore une fois des fameuses méthodes de redressement, se basant notamment sur les élections de 2002, d'où un score mécaniquement beaucoup plus bas de Royal et plus haut de Le Pen...

21 avril 2007

A voté 2 !

Je m'aperçois que la loi électorale française interdit le commentaire de sondage pendant le scrutin. Certes, je ne suis pas en France, mais comme je viens d'apprendre la loi, je republierai le billet intitulé "A voté" ... dimanche à 20 h ;).

A voté !

  • Ce matin, j'ai voté au consulat de New York pour la première fois. Il y avait beaucoup de monde. Je vous livre mon sondage au doigt mouillé pour New York : un fort vote Sarkozy, mais pas autant qu'on s'y attendrait ;). J'ai trouvé dans l'isoloir plus de bulletins Sarkozy que de bulletins Royal ou Bayrou par exemple. Petit élément insolite : le dépouillement ne sera pas rendu public avant que les électeurs de France ne votent.
  • Pour finir sur les sondages avant le premier tour, quelque petits trucs. Claire Durand publie sur son site une étude/lissage des sondages électoraux avant le premier tour : cliquez ici. Evidemment, ce ne sont que des sondages... mais si j'étais, disons, Stéphane Rorol ou Roland Cayzes, je vous dirais qu'on voit très bien sur les évolutions qu'au début de la campagne, une partie des électeurs Royal ont basculé sur Bayrou, ce qui a entraîné une forte augmentation du score de Bayrou, qui a ensuite réussi à attirer quelques électeurs de droite. Au final, le vote Sarkozy et le vote Bayrou semblent complémentaires. Et si c'était un artefact des méthodes de redressement ?
  • Sur le blog "Geneviève Tabouis", on peut lire que les variations de fermeté de vote Le Pen semblent assez absurdes. En particulier, d'un jour à l'autre sur les sondages IPSOS la fermeté "brute" peut varier de... 48 points ! Je pense que c'est le signe que le nombre d'électeurs déclarés de Le Pen est tout petit. Si on considère que la marge d'erreur est de l'ordre de 25 points pour cette fermeté (la moitié de cette variation extrême), cela serait compatible avec un échantillon d'électeurs de Le Pen d'environ 20 personnes, ce qui donne un vote Le Pen d'environ 7% sur 300 personnes. Cela semble être effectivement le score de Le Pen non redressé, comme le montre cet article que nombre d'entre vous m'ont signalé (merci yogi et blop). En tous cas, je me demande du coup si on peut "remonter" aux données brutes en regardant ce genre de questions "annexes" : cela n'a pas l'air de très bien marcher sur les autres candidats, mais on voit quand même que là aussi, Sarkozy et Royal sont au coude à coude...
  • Pour conclure sur les sondages, mon opinion est que ceux-ci ont de graves problèmes méthodologiques, qui ne permettent pas en tous cas de se fier trop aux résultats bruts, et donc dès que c'est un peu serré, on ne peut rien dire. Par contre, je pense que les sondages sont sans doute capables de "capturer" les tendances individuelles sur le long terme (i.e. je pense que Bayrou est vraiment monté, maintenant peut-être pas aussi haut, ou peut-être au contraire beaucoup plus haut). La méthode de redressement de Le Pen qui consiste à multiplier le score brut d'un facteur 2 est, disons-le clairement, une vaste fumisterie. Quoi qu'on en dise, si on utilise les résultats de l'élection précédente pour appliquer des facteurs multiplicatifs, on risque surtout de tout redimensionner pour retrouver finalement à peu près les scores des années précédentes. C'est vraiment du doigt mouillé pour donner des résultats crédibles, mais je pense que ces résultats sont donc biaisés par construction. Et j'attends toujours qu'on me démontre que les électeurs de Le Pen mentent, et que ce n'est pas un problème d'échantillonage : je suis effaré d'un point de vue scientifique qu'on préfère appliquer un espèce de patch immonde qui consiste à multiplier les scores Le Pen plutôt que d'essayer d'avoir des échantillons/réponses plus fiables. Par ailleurs, une question m'assaille à quelques jours du premier tour : les sondages "sortie des urnes" sont-ils aussi redressés ? Les électeurs qui viennent de voter Le Pen refusent-ils de répondre ? Mentent-ils ? C'est très facile à savoir car il suffit de comparer les réponses aux sondages sortie des urnes au dépouillement.

Voilà, dans tous les cas, le blog restera silencieux pendant quelques jours, le temps de me remettre de la campagne et en attendant de vrais billets scientifiques.

19 avril 2007

Nature parle des Français

Nature de ce jour publie un dossier spécial recherche française, à la veille des élections. L'article principal est une interview en parallèle de Royal, Sarkozy et Bayrou, est est disponible en accès libre ici, avec le texte original en français . Le Monde consacre aussi aujourd'hui un article sur le sujet.

Les interviews sont très longues, l'article du Monde est une bonne synthèse à mon avis des discours. Pour ne pas faire redondant, je préfère citer et commenter quelques passages "à la volée".

A propos de la "fuite des cerveaux ":


Nicolas Sarkozy : J'observe également que la France exporte des compétences scientifiques à l'étranger, même si je regrette qu'un nombre croissant de nos jeunes chercheurs fasse le choix de l'expatriation parce qu'ils estiment ne plus pouvoir réussir dans notre pays.


Ce diagnostic est à mon avis en partie erroné. Il y a deux catégories importantes de chercheurs français expatriés : les "jeunes" à l'issue de la thèse qui font un premier post-doc, et les autres, en général plus âgés, qui ont soit un poste, soit des financements importants et une sécurité de l'emploi [1]. Mon point est que parmi la catégorie des "jeunes thésards" que je connais, le choix par défaut serait a priori de rester et de s'installer en France. L'expatriation est avant tout contrainte, et donc non choisie. Seulement, devant la pénurie des postes, les difficultés de tout ordre [2], il apparaît assez vite plus facile de faire carrière à l'étranger, où il y a une vrai offre d'emplois scientifiques, et une vraie politique de financement et d'incitation à la recherche. Le choix de l'expatriation permanente intervient une fois la frontière franchie, c'est plus un choix de continuité, lorsque les chercheurs n'ont plus tellement de liens avec le système français et se retrouvent à l'étranger. D'ailleurs, c'est ce qui explique aussi que le CNRS arrive à recruter des étrangers : bien souvent, ce sont des post-doc dans les labos français, qui une fois sur place, arrivent à trouver les appuis politiques et font le choix de rester. C'est aussi pour cela que je pense que le nombre d'étrangers recrutés n'est pas un indicateur fiable de l'attractivité du système français : il faudrait plutôt quantifier le nombre d'étrangers recrutés en France sans y avoir jamais travaillé.

A propos de la reconnaissance du doctorat :

Ségolène Royal : Ce que demandent nos jeunes, qui acceptent bien sûr que leur travail soit évalué, c'est une visibilité à long terme, des moyens de travailler, la reconnaissance du doctorat, des perspectives d'entrée à l'université dans les organismes de recherche ou dans le secteur privé après un poste de doctorat. Je favoriserai le développement des recherches originales avec prise de risques, tout en privilégiant l'emploi stable, comme chez nos partenaires.

Je me suis engagée pour une reconnaissance du diplôme de docteur (PhD) tant dans la fonction publique qu'au sein des branches professionnelles.


Rien à ajouter sur cette sortie, elle résume parfaitement mon sentiment exprimé ici ou là sur ce blog ou ailleurs. Bayrou est sur la même ligne :

Le retour des post doc de l'étranger sera facilité et leur intégration dans la recherche ou dans les entreprises innovantes développé. Les carrières devront ensuite faciliter les passages entre l'enseignement, la recherche et l'économie.

Je préfère une évolution forte, dont le premier pas est la reconnaissance du doctorat : celui-ci doit devenir un diplôme reconnu à l'embauche, comme cela se pratique dans le monde et être intégré dans le droit du travail. Ainsi les docteurs seront-ils à part entière les cadres de notre pays, dans les entreprises, l'administration, le monde politique

Sarkozy n'est pas en reste, mais contrairement aux autres, en reste un peu à mon avis au wishful thinking en ne proposant pas de geste politique en vue de la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives, comme s'il était un peu contre-nature que des docteurs n'aillent pas dans l'enseignement-recherche :

Je souhaite que les docteurs puissent accéder à d'autres débouchés que la recherche et l'enseignement. L'expérience professionnelle doctorale doit pouvoir ouvrir la voie à des responsabilités élevées dans l'administration et les entreprises.


A propos des carrières des chercheurs :



Nicolas Sarkozy : Je veux mettre fin à la situation indigne qui est faite aux jeunes chercheurs, doctorants et mettre en place une vraie politique post-doctorale en France. Après confirmation de leur potentiel, la revalorisation des rémunérations doit aussi s'opérer selon des critères prenant mieux en compte le mérite, la qualité des travaux scientifiques et les résultats obtenus. Je souhaite faire tomber les cloisonnements archaïques qui séparent en France chercheurs et enseignants-chercheurs. Chacun au cours de sa carrière doit comme dans la plupart des autres pays développés pouvoir se consacrer librement et à des degrés variables aux missions de recherche et d'enseignement.
Ce passage a suscité des sentiments tout à fait contradictoires chez moi. Je ne peux encore une fois qu'applaudir à une politique post-doctorale en France (même si je ne sais pas très bien ce que cela veut dire). Je suis personnellement assez favorable à ce que tout le monde fasse de l'enseignement (à dose modérée; cela permettrait de diminuer la charge des MdC et de revaloriser les carrières à l'université).
Mais ce qui m'a un peu gêné est ce petit passage de 5 mots, que j'ai grassés. Qu'est-ce que cela veut dire exactement "après confirmation de leur potentiel ?". C'est le genre de petites phrases vaches pleines de sous-entendus, qui sous prétexte d'objectivité, cache peut-être des intentions purement politiques. On entend très souvent des choses de ce genre lors des concours de recrutement. Quand vous avez fait une grande école d'ingénieurs, réussi des concours très difficiles, fait une thèse, un post-doc, que vous arrivez à la trentaine et qu'on vous dit encore que vous n'avez pas atteint votre maturité scientifique ou qu'il vous faut "confirmer votre potentiel", vous vous posez de vraies quesions sur vous d'abord, puis en vous comparant aux autres, rapidement sur le système de recrutement. D'autant plus que la plupart du temps, ceux qui posent ces questions ont eux-mêmes eu des postes très tôt, à une époque bénie et reculée pour la recherche française où on faisait confiance aux jeunes; d'autant plus lorsque vos camarades français ayant choisi d'autres études ont du boulot et des confortables revenus en France; d'autant plus lorsque vos amis chercheurs français avec des parcours similaires au vôtre décrochent très facilement des tenure track ailleurs. Le potentiel ne se révèle que dans un environnement favorable, lorsque les commanditaires de la recherche font confiance aux jeunes chercheurs; lorsque l'on fait face à de la défiance systématique (pour les chercheurs, pour les jeunes), on n'a effectivement qu'une envie : aller voir ailleurs.


A propos de la dualité université/grandes écoles :


Nicolas Sarkozy : Les grandes écoles et les universités sont complémentaires et nous devrons valoriser davantage demain ces complémentarités. Des salaires décents pour les doctorants devraient inciter plus d'élèves de grandes écoles à choisir la formation par la recherche. Il est important que la recherche pénètre davantage dans les grandes écoles et que les meilleurs étudiants des universités puissent accéder à celles-ci. Il faut associer étroitement universités et grandes écoles géographiquement proches dans des campus avec des services partagés. Les grandes écoles pourront faire bénéficier les universités de leur savoir-faire en matière de relations avec les entreprises et d'accès de leurs élèves aux emplois de responsabilités qu'elles proposent.
Amusant passage : Sarkozy veut revaloriser les universités en envoyant leurs meilleurs étudiants dans les grandes écoles. Plus sérieusement, l'idée de rapprocher Université et Grandes Ecoles semble raisonnable a priori, mais il y a un gros problème : la masse d'étudiants n'est pas comparable. Les Grandes Ecoles sont véritablement microscopiques (en termes internationaux) : ce rapprochement demande une vraie réflexion, qui ne peut se passer d'une injection massive d'argent dans l'université pour "rattraper" les moyens donnés aux Grandes Ecoles. Sur ce sujet, Sarkozy propose d'augmenter de moitié le budget des universités (cela paraît beaucoup, mais est-ce suffisant ? question ouverte, je ferai des recherches là-dessus) et propose la désormais classique "autonomie". Pour Royal et Bayrou :


Royal : Je prône une logique d'utilisation optimale des moyens, fondée sur l'évaluation, ce qui nécessite de donner des conditions de travail favorables à tous les enseignants-chercheurs qui sont engagés dans la recherche. Se limiter à soutenir une petite partie d'entre eux voudrait dire qu'on paie les autres sans profiter de leur potentiel de recherche : ce serait absurde.

Bayrou : Il faudra atteindre une dépense par étudiant égale à la moyenne de celle des pays de l'OCDE, continuer le rapprochement amorcé avec les grandes écoles et décider un changement de gouvernance. Et les initiatives comme la fusion des Universités à Strasbourg, prévue pour 2009, seront saluées et encouragées. Elles ne peuvent conduire qu'à la visibilité de la France et à l'amélioration de sa recherche.




Pour conclure ce billet déjà trop long et un peu subjectif, ce qui m'a frappé dans cette interview est le contraste entre la méthode Bayrou/Royal d'un côté, et Sarkozy de l'autre. On dit souvent que Sarkozy fait plus de propositions : en fait, quand on regarde dans le détail, Sarkozy propose de grosses réformes de structure, mais reste très vague sur tout ce qui concerne le financement, la reconnaissance des carrières scientifiques, du doctorat. Il est très clairement dans une logique de système auto-régulé, qui va produire de la bonne science de lui-même :


Sarkozy : Plus que les incitations financières de tous ordres, c'est avant tout la qualité de la recherche et le dynamisme de ses canaux de diffusion qui sont déterminants pour notre potentiel d'innovation.


Par ailleurs, phénomène étrange dans cette campagne, c'est la première fois à ma connaissance que Sarkozy s'attribue de manière insistante une politique gouvernementale :


Sarkozy : N'oubliez pas, outre l'ANR et le Haut Conseil, la création des pôles de compétitivité que j'ai initiée (...)
Les pôles de compétitivité que j'ai mis en place dans mes différentes responsabilités gouvernementales sont encore très jeunes....


C'est d'autant plus inquiétant quand on regarde la pratique des gouvernements de droite au pouvoir ces dernières années, reproduite dans ce graphique dans un article complémentaire de Nature qui met (enfin !) l'accent sur le problème essentiel derrière les difficultés de la recherche française : le manque de financement. Notez d'ailleurs qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis puisque lorsque Bayrou était ministre de l'Education Nationale, le budget de la Recherche a été sabré.




Bayrou et Royal sont certainement moins en parole dans la réforme structurelle, mais plus dans la régulation et l'augmentation des flux d'argents existants, avec quelques propositions réellement concrètes, intégrant plus la recherche dans la société civile:


Royal: Il faut arrêter de changer sans arrêt de cadre de référence et simplifier. Les mesures comme le crédit d'impôt-recherche doivent être mieux évaluées, l'accès au marché des capitaux pour le développement des 2ème ou 3ème tour de financement amélioré par le recours à une fraction de l'épargne défiscalisée (assurance-vie). Aujourd'hui, l'essentiel des aides profite aux grands groupes, il faut mieux aider les PME.


En fait, on a un sentiment de volonté de "tabula rasa" avec Sarkozy, sentiment probablement partagé par Nature qui livre une conclusion intéressante dans son editorial - en forme de Scud à l'intention de Sarkozy d'ailleurs (je reprends la traduction de l'article du Monde sur le sujet) :


"La France a besoin de changements pragmatiques, bien ciblés et durables dans des domaines comme la politique de recrutement et les grilles de rémunération, conclut Nature. La science française a de grandes forces, quoi qu'il en soit : les réformateurs potentiels doivent faire attention de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain."


[1] Peut-être Matthieu pourrait nous en dire plus, mais ma perception est qu'il n'y a pas beaucoup de jeunes français qui partent à l'étranger pour faire une thèse, je connais beaucoup plus de post-doc ou de professeurs français que de thésards
[1] un jour j'écrirai un billet récapitulatif édifiant de mes aventures au cours des concours de recrutement

17 avril 2007

HS : SPAM politique pour expatriés

C'est la campagne électorale, y compris sur ce blog qui manque cruellement de billets purement scientifiques ces derniers temps. Il faut dire que je passe plus de temps à aller lire les divers journaux et blogs politiques, voire à les commenter, qu'à lire de vrais articles scientifiques et à bloguer dessus durant mon temps libre. Mea culpa; j'ai hâte que la campagne s'achève (tout comme j'avais hâte que la Coupe Du Monde s'achève l'an dernier; espérons que mon équipe favorite ne perdra pas en finale sur un coup de boule cette fois-ci :P).

En attendant, je tenais à faire part de mon étonnement concernant le spam aux expatriés. Petit rappel des faits pour ceux qui ne sont pas au courant : le 28 Mars dernier, comme beaucoup d'expatriés, j'ai la surprise de recevoir sur mon e-mail personnel une lettre de François Bayrou. Celui-ci sera suivi quelques jours après d' e-mails des trois autres candidats principaux -pour ne pas paraître has been j'imagine devant Bayrou le Révolutionnaire-, Nicolas Sarkozy, puis Ségolène Royal et enfin Jean-Marie Le Pen - je ne sais pas si vous avez déjà reçu un e-mail de Jean-Marie Le Pen, mais ça fait tout bizarre. Chacun de ces mails était rempli de considérations et de propositions spécifiques pour les français expatriés.

Ma première réaction... fut assez mitigée. Je n'ai pas envie de recevoir des e-mails politiques sur ma boîte mail professionnelle. Après enquête et recoupement, il est rapidement apparu que c'était le consulat de New York qui avait communiqué nos adresses aux candidats. Entre temps, je m'étais fendu d'un e-mail à François et Nicolas (maintenant qu'on se connaît par e-mail, je les appelle par leur prénom comme n'importe lequel de mes e-interlocuteurs). François m'a répondu par une nouvelle lettre de prop...ositions et m'indique en PS :



P.S. : vous avez été nombreux à vous interroger sur la façon dont l’UDF s’était procuré votre adresse électronique. Comme la loi le prévoit, le ministère des Affaires étrangères a remis à l’ensemble des 12 candidats à la présidence de la République la liste des Français immatriculés qui avaient eux-mêmes, lors de leur inscription sur la liste électorale consulaire, communiqué ladite adresse.


Je lis ensuite sur le web qu'étant donné l'éloignement, les expatriés ne peuvent recevoir leur petite enveloppe habituelle pleine de tracts électoraux, et donc tant qu'à faire, il valait mieux leur envoyer l'information par e-mail, et toujours tant qu'à faire utiliser les adresses e-mail communiquées au Consulat (NB : il y a un certain paradoxe à envoyer de l'information par internet, media d'information par excellence, à des gens sensés ne pas être au courant de ce qui se passe au pays en raison de l'éloignement. Sur Internet, aujourd'hui, on peut lire les journaux, les blogs et regarder la TV. On est donc tout aussi bien informé que le Français moyen sur la campagne; il manque juste le café du commerce - encore que sur certains blogs et foras, on peut convenablement se rattraper ).

A l'époque, je me dis que m'écrire sur mon adresse e-mail ne me semble pas équivalent à m'écrire par la poste. J'admets alors que je joue peut-être la vierge effarouchée, et au final j'accepte donc l'argument d'un haussement d'épaules.

Sauf que ce soir en rentrant chez moi, j'ouvre ma boîte aux lettres, pour découvrir le visage rieur de Frédéric Nihous, l'air goguenard de Le Pen et la fameuse affiche en papier recyclé de Schivardi. Donc cette histoire d'éloignement du pays empêchant l'arrivée de l'information, c'était juste du pipeau. Quelle est donc la logique de tout cela ? Au nom de quoi maintenant nos adresses e-mail ont-elles été communiquées aux candidats ? Car je vois dorénavant très clairement pourquoi mon adresse e-mail n'est pas équivalente à mon adresse courier. Les e-mail étaient spécifiquement adressés à des expatriés, avec des problématiques d'expatriés, des soucis d'expatriés; autrement dit, l'e-mail aux expats était une opération ciblée de marketing politique. C'est le ciblé qui me gène, car c'est ce qui distingue le légitime souci d'information du spam non sollicité pur et simple.