Nature de ce jour publie un dossier spécial recherche française, à la veille des élections. L'article principal est une interview en parallèle de Royal, Sarkozy et Bayrou, est est disponible en accès libre
ici, avec le texte original en français
là. Le Monde consacre aussi aujourd'hui
un article sur le sujet.
Les interviews sont très longues, l'article du Monde est une bonne synthèse à mon avis des discours. Pour ne pas faire redondant, je préfère citer et commenter quelques passages "à la volée".
A propos de la "fuite des cerveaux ":
Nicolas Sarkozy : J'observe également que la France exporte des compétences scientifiques à l'étranger, même si je regrette qu'un nombre croissant de nos jeunes chercheurs fasse le choix de l'expatriation parce qu'ils estiment ne plus pouvoir réussir dans notre pays.
Ce diagnostic est à mon avis en partie erroné. Il y a deux catégories importantes de chercheurs français expatriés : les "jeunes" à l'issue de la thèse qui font un premier post-doc, et les autres, en général plus âgés, qui ont soit un poste, soit des financements importants et une sécurité de l'emploi [1]. Mon point est que parmi la catégorie des "jeunes thésards" que je connais, le choix par défaut serait a priori de rester et de s'installer en France. L'expatriation est avant tout contrainte, et donc non choisie. Seulement, devant la pénurie des postes, les difficultés de tout ordre [2], il apparaît assez vite plus facile de faire carrière à l'étranger, où il y a une vrai offre d'emplois scientifiques, et une vraie politique de financement et d'incitation à la recherche. Le choix de l'expatriation
permanente intervient une fois la frontière franchie, c'est plus un choix de continuité, lorsque les chercheurs n'ont plus tellement de liens avec le système français et se retrouvent à l'étranger. D'ailleurs, c'est ce qui explique aussi que le CNRS arrive à recruter des étrangers : bien souvent, ce sont des post-doc dans les labos français, qui une fois sur place, arrivent à trouver les appuis politiques et font le choix de rester. C'est aussi pour cela que je pense que le nombre d'étrangers recrutés n'est pas un indicateur fiable de l'attractivité du système français : il faudrait plutôt quantifier le nombre d'étrangers recrutés en France sans y avoir jamais travaillé.
A propos de la reconnaissance du doctorat :
Ségolène Royal : Ce que demandent nos jeunes, qui acceptent bien sûr que leur travail soit évalué, c'est une visibilité à long terme, des moyens de travailler, la reconnaissance du doctorat, des perspectives d'entrée à l'université dans les organismes de recherche ou dans le secteur privé après un poste de doctorat. Je favoriserai le développement des recherches originales avec prise de risques, tout en privilégiant l'emploi stable, comme chez nos partenaires.
Je me suis engagée pour une reconnaissance du diplôme de docteur (PhD) tant dans la fonction publique qu'au sein des branches professionnelles.
Rien à ajouter sur cette sortie, elle résume parfaitement mon sentiment exprimé ici ou là sur ce blog ou ailleurs.
Bayrou est sur la même ligne :
Le retour des post doc de l'étranger sera facilité et leur intégration dans la recherche ou dans les entreprises innovantes développé. Les carrières devront ensuite faciliter les passages entre l'enseignement, la recherche et l'économie.
Je préfère une évolution forte, dont le premier pas est la reconnaissance du doctorat : celui-ci doit devenir un diplôme reconnu à l'embauche, comme cela se pratique dans le monde et être intégré dans le droit du travail. Ainsi les docteurs seront-ils à part entière les cadres de notre pays, dans les entreprises, l'administration, le monde politique
Sarkozy n'est pas en reste, mais contrairement aux autres, en reste un peu à mon avis au wishful thinking en ne proposant pas de geste politique en vue de la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives, comme s'il était un peu contre-nature que des docteurs n'aillent pas dans l'enseignement-recherche :
Je souhaite que les docteurs puissent accéder à d'autres débouchés que la recherche et l'enseignement. L'expérience professionnelle doctorale doit pouvoir ouvrir la voie à des responsabilités élevées dans l'administration et les entreprises.
A propos des carrières des chercheurs :
Nicolas Sarkozy : Je veux mettre fin à la situation indigne qui est faite aux jeunes chercheurs, doctorants et mettre en place une vraie politique post-doctorale en France. Après confirmation de leur potentiel, la revalorisation des rémunérations doit aussi s'opérer selon des critères prenant mieux en compte le mérite, la qualité des travaux scientifiques et les résultats obtenus. Je souhaite faire tomber les cloisonnements archaïques qui séparent en France chercheurs et enseignants-chercheurs. Chacun au cours de sa carrière doit comme dans la plupart des autres pays développés pouvoir se consacrer librement et à des degrés variables aux missions de recherche et d'enseignement.
Ce passage a suscité des sentiments tout à fait contradictoires chez moi. Je ne peux encore une fois qu'applaudir à une politique post-doctorale en France (même si je ne sais pas très bien ce que cela veut dire). Je suis personnellement assez favorable à ce que tout le monde fasse de l'enseignement (à dose modérée; cela permettrait de diminuer la charge des MdC et de revaloriser les carrières à l'université).
Mais ce qui m'a un peu gêné est ce petit passage de 5 mots, que j'ai grassés. Qu'est-ce que cela veut dire exactement "
après confirmation de leur potentiel ?". C'est le genre de petites phrases vaches pleines de sous-entendus, qui sous prétexte d'objectivité, cache peut-être des intentions purement politiques. On entend très souvent des choses de ce genre lors des concours de recrutement. Quand vous avez fait une grande école d'ingénieurs, réussi des concours très difficiles, fait une thèse, un post-doc, que vous arrivez à la trentaine et qu'on vous dit encore que vous n'avez pas atteint votre maturité scientifique ou qu'il vous faut "confirmer votre potentiel", vous vous posez de vraies quesions sur vous d'abord, puis en vous comparant aux autres, rapidement sur le système de recrutement. D'autant plus que la plupart du temps, ceux qui posent ces questions ont eux-mêmes eu des postes très tôt, à une époque bénie et reculée pour la recherche française
où on faisait confiance aux jeunes; d'autant plus lorsque vos camarades français ayant choisi d'autres études ont du boulot et des confortables revenus en France; d'autant plus lorsque vos amis chercheurs français avec des parcours similaires au vôtre décrochent très facilement des tenure track ailleurs.
Le potentiel ne se révèle que dans un environnement favorable, lorsque les commanditaires de la recherche font confiance aux jeunes chercheurs; lorsque l'on fait face à de la défiance systématique (pour les chercheurs, pour les jeunes), on n'a effectivement qu'une envie : aller voir ailleurs.
A propos de la dualité université/grandes écoles :
Nicolas Sarkozy : Les grandes écoles et les universités sont complémentaires et nous devrons valoriser davantage demain ces complémentarités. Des salaires décents pour les doctorants devraient inciter plus d'élèves de grandes écoles à choisir la formation par la recherche. Il est important que la recherche pénètre davantage dans les grandes écoles et que les meilleurs étudiants des universités puissent accéder à celles-ci. Il faut associer étroitement universités et grandes écoles géographiquement proches dans des campus avec des services partagés. Les grandes écoles pourront faire bénéficier les universités de leur savoir-faire en matière de relations avec les entreprises et d'accès de leurs élèves aux emplois de responsabilités qu'elles proposent.
Amusant passage : Sarkozy veut revaloriser les universités en envoyant leurs meilleurs étudiants dans les grandes écoles. Plus sérieusement, l'idée de rapprocher Université et Grandes Ecoles semble raisonnable a priori, mais il y a un gros problème : la masse d'étudiants n'est pas comparable. Les Grandes Ecoles sont véritablement microscopiques (en termes internationaux) : ce rapprochement demande une vraie réflexion, qui ne peut se passer d'une injection massive d'argent dans l'université pour "rattraper" les moyens donnés aux Grandes Ecoles. Sur ce sujet, Sarkozy propose d'augmenter de moitié le budget des universités (cela paraît beaucoup, mais est-ce suffisant ? question ouverte, je ferai des recherches là-dessus) et propose la désormais classique "autonomie". Pour Royal et Bayrou :
Royal : Je prône une logique d'utilisation optimale des moyens, fondée sur l'évaluation, ce qui nécessite de donner des conditions de travail favorables à tous les enseignants-chercheurs qui sont engagés dans la recherche. Se limiter à soutenir une petite partie d'entre eux voudrait dire qu'on paie les autres sans profiter de leur potentiel de recherche : ce serait absurde.
Bayrou : Il faudra atteindre une dépense par étudiant égale à la moyenne de celle des pays de l'OCDE, continuer le rapprochement amorcé avec les grandes écoles et décider un changement de gouvernance. Et les initiatives comme la fusion des Universités à Strasbourg, prévue pour 2009, seront saluées et encouragées. Elles ne peuvent conduire qu'à la visibilité de la France et à l'amélioration de sa recherche.
Pour conclure ce billet déjà trop long et un peu subjectif, ce qui m'a frappé dans cette interview est le contraste entre la méthode Bayrou/Royal d'un côté, et Sarkozy de l'autre. On dit souvent que Sarkozy fait plus de propositions : en fait, quand on regarde dans le détail, Sarkozy propose de grosses réformes de structure, mais reste très vague sur tout ce qui concerne le financement, la reconnaissance des carrières scientifiques, du doctorat. Il est très clairement dans une logique de système auto-régulé, qui va produire de la bonne science de lui-même :
Sarkozy : Plus que les incitations financières de tous ordres, c'est avant tout la qualité de la recherche et le dynamisme de ses canaux de diffusion qui sont déterminants pour notre potentiel d'innovation.
Par ailleurs, phénomène étrange dans cette campagne, c'est la première fois à ma connaissance que Sarkozy s'attribue de manière insistante une politique gouvernementale :
Sarkozy : N'oubliez pas, outre l'ANR et le Haut Conseil, la création des pôles de compétitivité que j'ai initiée (...)
Les pôles de compétitivité que j'ai mis en place dans mes différentes responsabilités gouvernementales sont encore très jeunes....
C'est d'autant plus inquiétant quand on regarde la pratique des

gouvernements de droite au pouvoir ces dernières années, reproduite dans ce graphique dans un article complémentaire de Nature qui met (enfin !) l'accent sur le problème essentiel derrière les difficultés de la recherche française :
le manque de financement. Notez d'ailleurs qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis puisque lorsque Bayrou était ministre de l'Education Nationale, le budget de la Recherche a été sabré.
Bayrou et Royal sont certainement moins en parole dans la réforme structurelle, mais plus dans la régulation et l'augmentation des flux d'argents existants, avec quelques propositions réellement concrètes, intégrant plus la recherche dans la société civile:
Royal: Il faut arrêter de changer sans arrêt de cadre de référence et simplifier. Les mesures comme le crédit d'impôt-recherche doivent être mieux évaluées, l'accès au marché des capitaux pour le développement des 2ème ou 3ème tour de financement amélioré par le recours à une fraction de l'épargne défiscalisée (assurance-vie). Aujourd'hui, l'essentiel des aides profite aux grands groupes, il faut mieux aider les PME.
En fait, on a un sentiment de volonté de "tabula rasa" avec Sarkozy, sentiment probablement partagé par Nature qui livre une conclusion intéressante dans son editorial - en forme de Scud à l'intention de Sarkozy d'ailleurs (je reprends la traduction de l'article du Monde sur le sujet) :
"La France a besoin de changements pragmatiques, bien ciblés et durables dans des domaines comme la politique de recrutement et les grilles de rémunération, conclut Nature. La science française a de grandes forces, quoi qu'il en soit : les réformateurs potentiels doivent faire attention de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain."
[1] Peut-être Matthieu pourrait nous en dire plus, mais ma perception est qu'il n'y a pas beaucoup de jeunes français qui partent à l'étranger pour faire une thèse, je connais beaucoup plus de post-doc ou de professeurs français que de thésards
[1] un jour j'écrirai un billet récapitulatif édifiant de mes aventures au cours des concours de recrutement