The Ultimate Boeing 747
Fred Hoyle était un astronome britannique du XXe siècle assez iconoclaste, qui semblait cultiver une certaine autonomie vis-à-vis de la pensée scientifique de son époque. Auteur de SF à ses heures perdues, il contestait aussi à la fois le big-bang et la théorie de l'évolution !
Selon Hoyle, l'apparition de la vie (telle qu'on la conçoit aujourd'hui) est statistiquement impossible. Son argument est le suivant : si l'on sait depuis les expériences de Miller que dans la soupe primitive, des acides aminés pouvaient exister, Hoyle prétend (calcul d'ordre de grandeur à l'appui) qu'il est extrêmement improbable que dans la soupe primitive on puisse trouver au même instant au même endroit l'ensemble des enzymes nécessaires à la reproduction d'une cellule. L'analogie qu'il utilise est celle du "Ultimate Boeing 747" (pour reprendre l'expression de Richard Dawkins). Imaginez qu'un ouragan passe sur une décharge publique est soulève tous les déchets et pièces mécaniques. Il est extrêmement improbable, une fois la tempête passée, que ces déchets s'assemblent spontanément pour former un Boeing 747 !
Dawkins répond que Hoyle commet ici une erreur commune concernant le caractère aléatoire de l'évolution. De l'évolution aléatoire peut en effet émerger naturellement un design; d'un processus désordonné et sans direction peut surgir finalement une organisation complexe. Le point important est que l'évolution est un processus cumulatif. Chaque petit pas est aléatoire et dû à la chance. Mais la sélection naturelle permet de "récompenser" les petits pas, et ainsi de conserver la mémoire des petits pas successifs. On a ici typiquement un problème de probabilité conditionnelle : la probabilité d'apparition spontanée ex-nihilo d'un organisme complexe est infinitésimale, mais la probabilité d'un petit pas partant d'un point de l'évolution déjà avancé est très faible, mais non nulle. Ensuite, le processus de sélection fixe le petit pas et l'espèce vivante gagne en complexité. Je rejoins donc le mouvement lancé par éconoclaste de vulgarisation des probabilités, mais l'exemple de Hoyle montre qu'évaluer des probabilités peut-être assez compliqué...
Le débat est pourtant loin d'être clos. Il me semble relativement concevable d'imaginer comment l'évolution peut créer des structures complexes, une fois qu'existent un support de l'information génétique et des protéines pour traiter cette information. Néanmoins, la question qui demeure ouverte est de savoir comment sont apparus ce support et cette machinerie, et dans ce sens, Hoyle soulève un lièvre. Quelques réponses émergent doucement. Par exemple, on pense que la première molécule de la vie n'était pas l'ADN, mais l'ARN. Celui-ci possède en effet la propriété remarquable en se repliant de pouvoir acquérir des fonctions catalytiques. Un organisme basé sur l'ARN pourrait alors se passer de protéines car l'ARN peut alors jouer le rôle dévolu aux enzymes, tout en codant de l'information génétique (détail amusant, on s'est également aperçu qu'un type précis d'argile catalysait l'assemblage des molécules d'ARN, ce qui suggère que la vie est peut-être apparue... dans la boue !). Un domaine très actif actuellement est donc d'essayer de voir comment des cellules primitives peuvent apparaître, comment par exemple des vésicules, précurseurs de futures cellules, peuvent se former et se diviser (voir par exemple les travaux de Jack Szostak à Harvard). C'est évidemment une très longue histoire...
PS: L'argument de Hoyle à l'encontre du big-bang ne manque pas de saveur quand on sait que sa métaphore du Boeing 747 est reprise par les partisans de l'Intelligent Design. Selon wikipédia, Hoyle, athée convaincu, n'acceptait pas le big-bang car il implique nécessairement un univers non éternel, et donc suggèrait selon lui l'existence d'une "cause première", donc d'un créateur d'une certaine manière. Hoyle préférait l'idée d'un univers où la création de matière était permanente, ce qui combiné à l'expansion, permet d'atteindre un état stable à densité constante.
Selon Hoyle, l'apparition de la vie (telle qu'on la conçoit aujourd'hui) est statistiquement impossible. Son argument est le suivant : si l'on sait depuis les expériences de Miller que dans la soupe primitive, des acides aminés pouvaient exister, Hoyle prétend (calcul d'ordre de grandeur à l'appui) qu'il est extrêmement improbable que dans la soupe primitive on puisse trouver au même instant au même endroit l'ensemble des enzymes nécessaires à la reproduction d'une cellule. L'analogie qu'il utilise est celle du "Ultimate Boeing 747" (pour reprendre l'expression de Richard Dawkins). Imaginez qu'un ouragan passe sur une décharge publique est soulève tous les déchets et pièces mécaniques. Il est extrêmement improbable, une fois la tempête passée, que ces déchets s'assemblent spontanément pour former un Boeing 747 !
Dawkins répond que Hoyle commet ici une erreur commune concernant le caractère aléatoire de l'évolution. De l'évolution aléatoire peut en effet émerger naturellement un design; d'un processus désordonné et sans direction peut surgir finalement une organisation complexe. Le point important est que l'évolution est un processus cumulatif. Chaque petit pas est aléatoire et dû à la chance. Mais la sélection naturelle permet de "récompenser" les petits pas, et ainsi de conserver la mémoire des petits pas successifs. On a ici typiquement un problème de probabilité conditionnelle : la probabilité d'apparition spontanée ex-nihilo d'un organisme complexe est infinitésimale, mais la probabilité d'un petit pas partant d'un point de l'évolution déjà avancé est très faible, mais non nulle. Ensuite, le processus de sélection fixe le petit pas et l'espèce vivante gagne en complexité. Je rejoins donc le mouvement lancé par éconoclaste de vulgarisation des probabilités, mais l'exemple de Hoyle montre qu'évaluer des probabilités peut-être assez compliqué...
Le débat est pourtant loin d'être clos. Il me semble relativement concevable d'imaginer comment l'évolution peut créer des structures complexes, une fois qu'existent un support de l'information génétique et des protéines pour traiter cette information. Néanmoins, la question qui demeure ouverte est de savoir comment sont apparus ce support et cette machinerie, et dans ce sens, Hoyle soulève un lièvre. Quelques réponses émergent doucement. Par exemple, on pense que la première molécule de la vie n'était pas l'ADN, mais l'ARN. Celui-ci possède en effet la propriété remarquable en se repliant de pouvoir acquérir des fonctions catalytiques. Un organisme basé sur l'ARN pourrait alors se passer de protéines car l'ARN peut alors jouer le rôle dévolu aux enzymes, tout en codant de l'information génétique (détail amusant, on s'est également aperçu qu'un type précis d'argile catalysait l'assemblage des molécules d'ARN, ce qui suggère que la vie est peut-être apparue... dans la boue !). Un domaine très actif actuellement est donc d'essayer de voir comment des cellules primitives peuvent apparaître, comment par exemple des vésicules, précurseurs de futures cellules, peuvent se former et se diviser (voir par exemple les travaux de Jack Szostak à Harvard). C'est évidemment une très longue histoire...
PS: L'argument de Hoyle à l'encontre du big-bang ne manque pas de saveur quand on sait que sa métaphore du Boeing 747 est reprise par les partisans de l'Intelligent Design. Selon wikipédia, Hoyle, athée convaincu, n'acceptait pas le big-bang car il implique nécessairement un univers non éternel, et donc suggèrait selon lui l'existence d'une "cause première", donc d'un créateur d'une certaine manière. Hoyle préférait l'idée d'un univers où la création de matière était permanente, ce qui combiné à l'expansion, permet d'atteindre un état stable à densité constante.
9 commentaires:
Je ne vois pas bien pourquoi la présence de cellules est capitale. On pourrait imaginer que dans un premier temps on ait une compétition entre arn. Les arns se répliquent, catalysent cette réplication et inhibent les arns voisins différents. On aurait un genre de sélection naturelle dans un milieu continu. Ca me semble en tout cas plus probable que de former spontanément des parois cellulaires, coordonner leurs divisions,etc.
Bonne question, je ne sais pas trop, je vais me renseigner. A priori, je vois deux avantages : d'abord conserver un milieu stable et constant (en dépit des variations du milieu extérieur). Par exemple, avoir des vésicules pourrait permettre de conserver cette fameuse argile à proximité, ou plus généralement d'avoir un milieu chmique favorable. Deuxième avantage, probablement plus décisif : conserver tous les ARN nécessaires à la reproduction ensembles. Il y a peu de chances qu'un seul ARN puisse tout faire tout seul, il en faut probablement plusieurs. Si tout le monde est libre dans ta soupe, les ARN coopérant vont mettre un temps infini à se retrouver au même endroit, tandis que s'ils sont dans une petite cellule, le temps de diffusion est très court, et donc les générations sont rapides et tu as un avantage évolutif décisif.
OK, la réponse est dans Szostak JW, Bartel, DP and Luisi, PL. Synthesizing Life. Nature. 2001; 409: 387-390., consultable à l'adresse suivante :
http://genetics.mgh.harvard.edu/szostakweb/publications/Szostak_pdfs/Szostak_Bartel_Luisi_Nature_01.pdf
Cela rejoint ma deuxième réponse ci-dessus : la réplication demande au moins deux ARN (c'est logique : un ARN ne peut catalyser sa propre réplication, il faut qu'il y ait deux "réplicases" qui se répliquent l'une l'autre) et il faut donc les garder ensemble. De plus, l'article donne un argument plus subtil de sélection : en solution libre, une meilleure "réplicase" répliquerait les autres ARN plus efficacement et donc ne verrait pas sa proportion relative augmenter (c'est même de "l'anti-sélection" dans ce cas-là), la solution est de compartimenter les réplicases (dans ce cas que les meilleures réplicases ne sélectionnent pas les autres ARN d'une part, et d'autre part après deux mutations avantageuses successives sur les deux réplicases de la cellule, la sélection peut se produire).
Merci pour ta réponse.
Je me disais pourtant qu'un seul arn suffisait. Prenons un arn avec un court motif palindromique. Il a une affinité plus grande pour les arn qui ont le meme motif palindromique. L'un des brins peut alors aider l'assemblage des nucléotides sur l'autre brin et améliorer le taux de réplication. On aurait une sorte de régulation génétique primitive. Bon, je te l'accorde c'est assez spéculatif...
Le problème est apparemment discuté dans un livre de Maynard-Smith. Il parle des transitions de l'évolution :
The Major Transitions in Evolution (Paperback)
by John Maynard Smith (Author), Eors Szathmary (Author) "Living organisms are highly complex, and are composed of parts that function to ensure the survival and reproduction of the whole..."
Ah John Maynard Smith...
Je n'ai pas lu grand chose de lui (à part un papier très malin liant l'évolution et la théorie de l'apprentissage). Il faudrait que je rattrappe ma culture biologique classique !
"Big Bang"... dont le nom même vient de Hoyle et était censé tourner en dérision cette théorie abracadabrante !! Il a eut le succès que l'on sait, peut-être au grand tort de la physique...
Tom > Tu as les références de l'article de Maynard Smith dont tu parles ? Ca rentrerait nickel dans mon cours sur information/communication/apprentissage !!
En fait c'est un new and views de Nature, vol 329, p 762, sur un article de Hinton et Nowlan, dans Complex systems 1 (1987) 495-502.
L'idée assez simple et assez jolie est d'explorer un paysage de fitness très plat avec un seul minimum global très localisé (un terrain de golf quoi) en permettant aux organismes d'apprendre au cours de leur vie. Tu crées alors un gradient autour du trou de golf.
Intéressante idée, qui me rappelle justement que plusieurs prix nobel ont justement été attribués pour la découverte des fonctions catalytiques des différents types d'ARN : cette année, celui la, et surtout celui -là.
une certaine portion d'ARN qui catalyse la réplication de l'ARN a proximité ne sera, à mon avis, favorisée qu'apres l'appartition de parois cellulaires type membrane lipidique. Sans cela il passerait plus son temps à catalyser les autres gènes que lui meme, comme le fait remarquer Tom. Par contre, si les brins d'ARN sont confinés dans cette cellule, l'ARN catalyseur peut à la fois catalyser la réplication d'autres exemplaires de lui-même, et du gène synthétisant les membranes. Cette co-évolution est peut-être une des premières symbiose :-)
Cette idée vient bien en complément, en tout cas, du tableau des premiers réplicateurs peint par Dawkins dont je parle dans ce billet. Mais je crois que j'ai tendance à être plus catégorique que toi ! :-)
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