Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

09 février 2007

Organismes modèles et au-delà ...

Devant la multitude d'espèces vivantes et la complexité des divers mécanismes impliqués, les biologistes ont dû faire des choix drastiques : afin de concentrer la force de frappe scientifique, il est apparu plus raisonnable de limiter l'étude des phénomènes biologiques à certaines espèces particulières. Ces organismes sont appelés "organismes modèles". Citons quelques un de ces petits noms latins qui agrémentent gaiement les pages des articles scientifiques :
  • Escherichia coli est le petit nom de la bactérie modèle. Il s'agit d'une bactérie qui peuple nos intestins,
  • Saccharomyces cerevisiae est le nom de la levure du boulanger. Nombreux sont ceux qui préfèrent l'odeur des labos travaillant sur la levure à celle des labos des fans de bactérie,
  • Caenorhabditis elegans est l'organisme modèle pour les nématodes (les vers). Sydney Brenner, prix nobel de physiologie et de médecine, a proposé d'étudier ce ver transparent qu'il avait recueilli dans son jardin.
  • Drosophila melanogaster est le roi des organismes modèles. Cette petite mouche est probablement l'un des organismes les mieux connus...
  • Citons enfin la souris domestique, Mus musculus, l'organisme modèle utilisé pour étudier les mammifères.
La première question qui se pose (enfin, je me la suis posée en tous cas) est de savoir pourquoi ces organismes ont été choisis et pas d'autres. La levure a un intérêt économique certain, vu toutes les applications agroalimentaires potentielles. Plus surprenant, E. Coli est, paraît-il, aussi utilisée dans l'agro-alimentaire. Un avantage commun à toutes ces espèces est aussi leur temps de génération assez court, qui permet de faire de la génétique assez facilement. De 20 minutes pour Coli à une dizaine de jours pour la drosophile et quelques semaines pour la souris...

Des progrès extraordinaires ont été faits en étudiant ces organismes modèles. Par exemple, les adultes C. elegans ont tous le même nombre de cellules, et on connaît cellule par cellule tout le procédé de formation du corps depuis l'embryon jusqu'à l'animal adulte ! De la même façon, toutes les études sur le développement ont commencé chez la drosophile. Les souris, quant à elles, sont extraordinairement resistantes à la cosanguinité. Il existe ainsi des lignées congéniques de souris partageant exactement le même génome (ce qui constitue un business assez lucratif pour les sociétés fournissant de telles souris). L'intérêt expérimental est énorme : cela signifie qu'on peut étudier avec précision l'effet d'une mutation dans un background génétique très bien contrôlé.

Cependant, il me semble que les organismes modèles ont en quelque sorte les inconvénients de leurs avantages. Par exemple, souris, drosophile et C. elegans sont en fait des espèces hautement singulières, avec en particulier des taux de mutations très élevés par rapport aux autres espèces. Les rongeurs en général ont un "rythme" de mutation trois fois plus élevé que les autres mammifères. On s'aperçoit aussi que les nématodes, après avoir été considérés comme des animaux très primitifs, sont en fait des animaux très évolués, ayant eux aussi muté très rapidement. La drosophile fait partie, à ma connaissance, des animaux les plus singuliers : certaines protéines, certains modes de développement, sont hautement dérivés et représentent des inventions très récentes dans l'évolution (les diptères en général sont par exemple beaucoup plus évolués que les abeilles ou les guêpes). Ce qui est particulièrement flagrant dans le cas de la mouche est que cet organisme a été en partie sélectionné pour son temps de développement rapide (pour l'anecdote, certains mille-pattes par exemple ont des temps de génération de plusieurs années) : or on s'aperçoit que ce développement rapide est évidemment hautement singulier d'un point de vue des mécanismes globaux de développement, et donc que ce critère de sélection des "organismes modèles" nous a en fait amenés à étudier des espèces très évoluées et donc pas forcément typiques. D'où le besoin aujourd'hui de s'intéreser à d'autres organismes que les organismes modèles, pour essayer de vraiment découvrir ce qui est général dans le vivant...

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Est-ce que tu connais des projets en cours qui vont dans ce sens (exception faite des espèces proches des modèles)?

Tom Roud a dit…

Salut
Il me semble qu'il y a de plus en plus de projets allant dans ce sens affectivement. Je sais qu'il y a des gens qui étudient par exemple les différences entre nématodes pour la formation de la vulve (et ils s'aperçoivent effectivement que les mécanismes sont assez différents). Pour le développement des insectes, il y a eu plein de papiers récents sur le développement de la guêpe, du moustique, des insectes à courte bande germinative et des myriapodes (mais évidemment les manips sont assez dures car les temps de développement sont plus longs; ou encore pour les moustiques, l'oeuf est incroyablement resistant et c'est donc très difficile de faire des manips). En général, quand on se penche sur d'autres espèces, on retrouve les ennuis qui ont fait qu'on avait choisi une espèce plutôt qu'une autre au début... Donc oui, il y a des projets, mais c'est assez difficile de sortir des sentiers battus (sans compter que tous les protocoles sont alors à refaire).

Tom Roud a dit…

Bon, évidemment, tout dépend ensuite de ce que tu appelles "espèces proches des modèles", je réalise que ma réponse était peut-être un peu trop rapide...
Sinon, il y a toutes les analyses bio informatiques des espèces pré et post genome duplication, où les espèces restent assez proches pour être comparées, mais où elle sont fatalement assez différentes...

Anonyme a dit…

Tiens, et le fana de biologie du développement a oublié Gallus gallus et Danio rerio? Chez les plantes, on a Arabidopsis thaliana, Populus tricocharpa depuis peu, et quelques autres...

Dans les séquençages très intéressants qui sont en cours en ce moment, il y a celui de la lamproie (sortie annoncée bientôt par un de nos profs, j'ai MyNCBI sur le coup :p) et de Schistosoma mansoni

Tom Roud a dit…

Hello Timothée,
je ne prétendais pas à l'exhaustivité ;) ! Mais c'est vrai que le poulet et le poisson-zèbre sont les deux organismes où la somitogenèse par exemple est la mieux connue. Dans le même genre, chez les insectes à courte bande germinative, on a aussi Tribolium castaneum ...
Sinon, au niveau phylogénétique, où est la lamproie ?

Anonyme a dit…

Dans les agnathes.

Les apports au niveau de l'évolution des systèmes immunitaires risquent d'être assez conséquents.

Béné a dit…

Messieurs, je me permets de rebondir sur le commentaire de Timothée. Il est indispensable de ne pas oublier les espèces modèles végétales ! Autant Arabidopsis est une mauvaise herbe qui a été choisie pour la capacité de transformation, et son cycle court, autant la recherche s'oriente désormais sur d'autres plantes modèles qui vont prendre une place équivalente à la levure, Physcomitrella patens est actuellement le seul végétal connu à pouvoir recombiner de façon spontanée. C'est l'organisme modèle végétal qui pointe son nez (depuis un certain temps déjà) en recherche. Et contrairement aux animaux, les mécanismes sont très conservés d'une plante à l'autre, ce qui rend l'idée d'organisme modèle très robuste.

Tom Roud a dit…

@ Béné
Merci pour cette précision, je ne savais pas que les mécanismes entre plantes étaient très conservés. J'en profite pour poser une petite question (suite à une conférence que j'ai vue cet été) : où en est-on de l'étude de la transition gymnospermes/angiospermes ?

Benjamin a dit…

Bon allez, je me fends d'un commentaire-anecdote:

J'assistais récemment à une conférence aux côtés de mon chef; en bons microbiologistes, nous travaillons bien sûr sur Escherichia coli. J'apprends alors par l'orateur que coli est la première cause de maladies nosocomiales (principalement vie les infections urinaires). Je me tourne vers mon chef et lui dis: "quelle chance on a!"

En effet, le choix d'un organisme modèle est souvent anecdotique et biaisé par le côté pratique... Les maladies nosocomiales justifient a posteriori nos choix et notre travail pour des décennies! La réponse spontanée de mon boss me fait encore rire :

"oui, c'est beaucoup de chance, mais c'est aussi beaucoup de travail de s'introduire la nuit dans les hopitaux pour contaminer les malades!"

Tara-George dit Nicole a dit…

Mon Dieu, je débarque dans un débat d'expert! Excusez ma blondeur, mais est-ce que vous savez pourquoi E Coli, qui se trouve pourtant dans nos intestins, a posé tant de problèmes à nos cousins d'Outre Atlantique qui en ont retrouvé dans leurs épinards l'état dernier ? Que risquaient-ils ? Par ailleurs, à quoi E Coli sert-il dans l'insdustrie ? Merci pour vos réponses !

La Blonde Nicole

Anonyme a dit…

Je verrais plutôt la blondeur comme un qualité...

Une espèce de bactérie, c'est un (grand) ensemble de clones aux caractéristiques variées. La coli qui fait si peur aux USA est la souche O157:H7, qui possède tout un tas de facteurs (ou gènes) de virulence, comme des gènes codant pour des toxines, etc.

Souvent, ces gènes de virulence voyagent d'un clone à l'autre par le moyen des bactériophages ou des plasmides, ce qui fonde une nouvelle lignée avec des propriétés de virulence différentes mais qui ne justifie pas la création d'une nouvelle espèce (d'une part les changement sont mineurs, d'autre part il y aurait trop d'espèces).

Je connais mal l'utilisation de E coli dans l'industrie, mais à mon humble avis il s'agit surtout de lui faire produire des protéines recombinantes d'intérêt (c'est la bactérie que l'on peut manipuler génétiquement avec le plus de facilité). Je n'ai pas connaissance de fermentation spécifique a E coli que l'on pourrait exploiter.