Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

20 mars 2007

Des couples en science...

Une fois n'est pas coutume, nous allons parler ici ... d'amour.
Mais bien sûr d'amour et de sciences !

Un article récent de Nature décrivait très bien le "problème à deux corps" posé en science : d'après l'article en question, la moitié des scientifiques sont avec d'autres scientifiques (1). Cela pose d'énormes problèmes logistiques : compte-tenu de la difficulté d'avoir un poste à un endroit donné, comment donc avoir deux postes dans des domaines différents au même endroit ?

En fait, la plupart du temps, c'est quasiment impossible, tout du moins au début :

A physicist friend of mine, Diandra Leslie-Pelecky, says: "If you both want to be high-powered researchers, you are limited in your choice of jobs, because there may not be many places with strong programmes in both areas."
La première solution est donc de faire des concessions "scientifiques". Le problème, c'est qu'il est impossible de faire trop de concessions : chacun sait que le choix de l'endroit où vous travaillez a au moins autant d'importance que votre travail lui-même. L'article cite l'exemple d'une scientifique qui a suivi son mari en prenant une position non permanente à ses côtés : après quelques années, n'étant pas dans un endroit idéal, qui n'avait par ailleurs pas forcément la volonté de développer plus avant sa discipline, elle s'est retrouvé au chômage. La solution s'impose alors d'elle-même : le célibat géographique
So when Ball State University in Muncie, Indiana, offered her a full-time position, she accepted, even though it meant living in different states while her children were quite young. "In those days, if you told people you were going to have a commuter marriage, they assumed you were getting a divorce," she says. "So we were a little ahead of the curve." But the Howeses made it work for 25 years by following two rules: "Talk every day, no matter what, and have a home for both partners on both ends. Both places should be home," says Howes, who now chairs the physics department of Marquette University in Milwaukee, Wisconsin.
Après quelques années de vie séparée, on peut espérer que les CV seront assez fournis pour pouvoir arriver à trouver des postes au même endroit. L'autre problème est qu'évidemment, les endroits concentrant le plus de variétés scientifiques (pour des couples dans des disciplines différentes) sont également les endroits les plus courus ! Evidemment, de telles situations sont assez difficiles à vivre. Une étude est en cours pour déterminer si les scientifiques vivant ainsi divorcent plus souvent que la population générale.

Ce que je peux dire en tous cas (avertissement aux jeunes couples se lançant dans la science), c'est que je ne connais pas de couples de scientifiques n'étant pas passés par cette étape de séparation forcée. Le problème majeur, c'est que le marché de l'emploi scientifique est maintenant mondial; il n'est donc pas rare de devoir alors traverser la frontière et de prendre l'avion pour aller voir son/sa chérie (2). Je peux vous dire que j'accumule en ce moment même beaucoup de miles sur mes diverses cartes, et que les douaniers commencent à me connaître ;). Exemple typique:

Douanier : Bonjour, que venez-vous faire dans notre beau pays ?
Moi : je viens voir ma femme qui travaille ici
Douanier : ah oui, elle fait quoi ?
Moi : elle est chercheuse à l'université !
Douanier : et vous, vous faites quoi ?
Moi : je suis chercheur
Douanier : et vous travaillez où ?
Moi : à New York !
Douanier : mais dites-moi, votre femme, elle est française aussi ?
Moi : oui oui
Douanier : et bien dites-donc, vous en voyez du pays !
(Le Douanier cherche alors de la place sur mon passeport pour me tamponner un visa temporaire).

Et on n'est pas à l'abri d'une mauvaise surprise : j'ai maudit la tempête de neige qui s'est abattue sur New York vendredi soir et qui m'a fait passer un triste week-end en célibataire... Le plus effrayant à vrai dire est que cette situation peut rapidement devenir permanente. Mon chef est marié, sa femme est professeure dans une autre université à 5 h de voiture. Evidemment, dans ces conditions, peu de couples de scientifiques ont des enfants (de ce côté-ci de l'Atlantique en tous cas). En fait, ce qui arrive très souvent est que l'un des deux laisse tomber la recherche...

Heureusement, les universités commencent à se décarcasser un peu (aux US en tous cas). Lors d'une job interview, le sujet du conjoint est -parfois- abordé. Dans certaines universités, il y a même une cellule spécialisée pour trouver un boulot au conjoint du scientifique presitigeux qu'on souhaite attirer , particulièrement dans les universités "qui montent" et qui essaient d'attirer des jeunes prometteurs pour monter encore plus haut. Mais c'est loin d'être la règle - pas la peine d'attendre quoi que ce soit d'Harvard ou de NYU qui n'ont aucun mal à recruter-, et encore une fois, compte-tenu du petit nombre de postes créés chaque année quel que soit l'endroit, cela reste très difficile et très aléatoire.

Je suis sûr que de nombreux lecteurs de ce blog (scientifiques ou non) ont beaucoup à dire sur ce sujet. Je vous invite donc à laisser quelques commentaires pour partager vos expériences. Même si le but n'est pas de m'apitoyer sur mon sort, tout ce que je peux dire est que je trouve assez malsain cette espèce de "fuite en avant", qui ne concerne pas seulement les boulots scientifiques, et qui consiste à considérer tout un chacun comme de purs individus, sans racine, sans famille, devant chercher à tout prix l'optimum professionnel individuel (comme gage de sérieux et de motivation) dans l'espoir de simplement pouvoir exercer son boulot - car c'est de cela dont on parle la plupart du temps en science. Même pour les couples solides, qui l'ont choisi et anticipé, travailler loin de sa femme dans un domaine hyper compétitif où votre avenir à court terme (un à deux ans) est incertain, c'est très très dur; je connais des gens qui sont allés jusqu'à la dépression. Et évidemment, dans ces conditions, le boulot s'en ressent aussi, ce qui peut bien vite vous faire rentrer dans un cercle vicieux... Comme partout, un bon chercheur est un chercheur heureux !

(1) détail amusant : l'auteur de l'article a rencontré son mari... via un blog scientifique !!
(2) Pour être un scientifique écologique, soyez célibataire ...



Référence


Scientists in love: When two worlds collide,Jennifer Ouellette, Nature 445, 700-702 (15 February 2007)


12 commentaires:

Anonyme a dit…

Et quand l'un des deux doit abandonner son métier de chercheur, c'est probablement le plus souvent la femme. Comme dans les autres branches, mais peut-être plus encore...

Timothée a dit…

"Pour être un scientifique écologique, soyez célibataire"

Euh, la même chose si vous voulez être écologiste (je dis ca comme ca, mais je pars de mon chez moi dans 4 jours, et je ne rentre jamais plus de 3 jours d'affilée avant fin septembre...

M'enfin ça va, je suis pas marié...

Tout ça pour dire que je n'avais jamais pensé au problème.

Les seuls exemples de couples scientifiques que je connais bossent dans le même labo, avec d'ailleurs un biais intéressant et statistiquement non-significatif : monsieur est directeur de labo / chef d'équipe et madame travaille pour lui.

Tiens, mais j'y pense... Si on transformait le c@fé en Meetic ou autre pour scientifiques? Hein? Non? Bon...

Tom Roud a dit…

@ Enro : malheureusement, cela va effectivement de soi. Dans les couples scientifiques que je connais ici, c'est bien souvent la femme qui abandonne la recherche.

@ Timothée : ça, c'est aussi typique de la science, marié ou pas, on voit du pays ;)

"monsieur est directeur de labo / chef d'équipe et madame travaille pour lui."

je ne crois pas que ce soit non significatif ! Il y a beaucoup d'exemples de vieux professeurs célibataires qui finissent pas épouser une de leur post-doc par exemple. Là aussi, je connais plusieurs exemples.


"Tiens, mais j'y pense... Si on transformait le c@fé en Meetic ou autre pour scientifiques? Hein? Non? Bon..."

Bonne idée, comme ça on pourra vivre de nos blogs et suivre nos femmes ! :D

Anonyme a dit…

Entendu de la part d'un "recruteur" potentiel pour un post-doc que j'ai rencontré au cours du diner d'une conférence, au moment ou il a apperçu mon alliance : "ah mais vous êtes mariée, donc vous ne pouvez pas venir trvailler chez nous ça vous obligerait à ne pas vivre à coté de votre mari" (jusque là il était près à vendre père et mère pour me convaincre de venir bosser dans son équipe).
Moralité, si vous êtes une femme et que vous hésitez à savoir quoi faire passer en premier de la famille ou du boulot, ne vous inquietez pas, on a déja choisi pour vous ...

Matthieu a dit…

est-ce tres different pour les autres metiers assez qualifies, mondialises, mobiles ? Les ingenieurs de toutes sortes, par exemple.

Alors, la specificite des couples "chercheurs" viendrait-elle du fait qu'ils sont beaucoup plus nombreux en proportion ? Et ceci viendrait-il du fait que les chercheurs ne sortent pas assez de leur labo ?

:-D

Anonyme a dit…

Le pire c'est quand on vous reproche de quitter le labo plus tot -genre au bout de 9h de taf/jour au lieu de 12h lol- pour rentrer voir votre moitiee...

"Voyons vous avez une vie monsieur en dehors de la science? Mais c'est une heresie! Vous n'arriverez jamais a rien!!"

J'en rajoute mais pas plus que ca...
Et si encore ca ne touchait que les chercheurs...

Anonyme a dit…

Matthieu > Je crois que oui, c'est différent pour les chercheurs (ou au moins poussé à l'extrême) vu que 1) un séjour à l'étranger est quasi-obligatoire dans un projet de recherche, 2) un chercheur est plus spécialisé et a une palette moindre de postes accessibles qu'un ingénieur et 3) la recherche est plus globalisée encore que l'ingénierie (cursus PhD -> post-doc reconnu partout, à l'inverse des multiples formations d'ingénieurs nationales). Et oui, sans doute y a t-il aussi plus d'endogamie dans la recherche... ;-)

Anonyme a dit…

à ce sujet, en plus léger http://www.phdcomics.com/comics.php?n=839

Anonyme a dit…

Alors

1. a propos de l'individu "deracine", archetype des modeles economiques liberaux (ben oui parce que c'est plus facile a modeliser quelqu'un qui ne prend que des decisions rationelles et non emotionelles...), il y a plein de choses a lire. Je pense notamment a certains travaux du MAUSS (alain caille et al.) ou au "mythe de l'individu" de Benasayag.

2. c'est trop con, j'ai aussi ete bloque a JFK et La Guardia pendant 24h vendredi/samedi. Si ca se trouve, je t'ai marche sur les pieds sans meme savoir...

Anonyme a dit…

est-on plus heureux en etant "attache" ?

http://economistes.blogs.liberation.fr/chiffrage/2007/03/et_si_la_propri.html

Tom Roud a dit…

@ T.W et Loredann : complètement d'accord avec vous, mais malheureusement, les petits chefs, ce n'est pas que dans la science. Ce qui est plus particulier dans la science et qui m'énerve le plus dans tous ses problèmes de recrutement, c'est que la plupart du temps, les "patrons" sont très avancés dans leur carrière, et ont eu, eux, leur poste extrêmement facilement (parfois même avant leur thèse). Rien n'est plus agaçant que quelqu'un qui glose sur votre "maturité de scientifique" sans avoir fait lui-même le quart des efforts au même âge...

@ Enro : complètement d'accord avec ta réponse à Matthieu, tu réponds bien mieux que je ne l'aurais dit ! J'ajoute que si je connais des couples "non chercheurs" qui vivent à quelques centaines de kilomètres l'un de l'autre, pour les chercheurs, c'est plutôt quelques milliers de km !!!


@ T.W. : dans le même genre, en beaucoup moins réjouissant - j'ai eu du mal à le trouver

http://www.phdcomics.com/comics/archive.php?comicid=724

@ blop : merci de ces références ! je vais jeter un coup d'oeil intéressé...
Sinon, as-tu profité de la St Patrick ;) du coup ou es-tu resté près de l'aéroport ?

Anonyme a dit…

@ tom: entierement d'accord sur les petits chefs. Il n'y a rien qui m'enerve plus.
La St Patrick (et le jour de Pi) je les ai fetes a Boston. Le vendredi soir, je me suis contente de dormir par terre a La Guardia... :-(