Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

10 avril 2007

Scientisme et politique

En ce moment, je m'énerve beaucoup en lisant les journaux et en surfant sur le web. Est-ce dû à l'hystérie sondagière ? Toujours est-il que les billets, opinions, débats sur la science se multiplient en ce moment. C'est a priori très positif, sauf que la science est la plupart du temps totalement absente de ces débats, et qu'elle est utilisée soit comme outil rhétorique, soit comme argument d'autorité dans ces joutes oratoires.

Deux exemples récents. Via What's next, je suis tombé de ma chaise devant le graphique ci-contre, reproduisant la répartition idéologique des différents partis politiques suivant deux axes, tiré du site gauche liberale.org. Je suis pourtant plutôt fan d'habitude de ce genre de petit exercice tant qu'ils ne se prennent pas au sérieux. Mais là, ce diagramme n'est manifestement qu'un concentré d'a priori idéologiques.

Par exemple, pourquoi y a-t-il des zones d'exclusion théorique ? Qu'est-ce que cela signifie ? Si on en croit le site, on lit que :


La présence d'une zone d'exclusion théorique tient au fait qu'une société hautement libérale ne peut être "pilotée" ni vers la droite ni vers la gauche. Une société libérale d'extrême droite ou d'extrême gauche est donc par définition impossible.


Moi, quand je vois une zone d'exclusion de ce genre, je pense immédiatement aux diagrammes de Kruskal en relativité générale, à des horizons et des frontières. Bref, je pense "modèle théorique", testable et justifié. Or il n'y a pas de modèles théoriques ici : il n'y a qu'un a priori politique, à savoir qu'une société libérale ne peut être trop à gauche ou à droite. Cette frontière est une vaste fumisterie : comment la déterminer quantitativement ? Quelle est la définition derrière le "par définition" ? Comment détermine-t-on le degré de gauchitude, de droititude, de libéralisme d'une société ? Quel est le sens mathématique ? Le reste du diagramme est à l'avenant : ainsi les partis politiques sont-ils alignés le long d'une jolie courbe, suggérant que les partis français sont plus ou moins tous d'accord entre eux sur le dirigisme étatique. Mais sur la base de quels critères ces partis ont-ils été placés, alignés ainsi ? Comment les surfaces relatives sont-elles déterminées ? De la même façon, le placement du zéro dans un sens ou dans l'autre est un pur a priori idéologique. Des Américains décaleraient toutes les courbes vers la gauche, tandis que des chercheurs staliniens pourraient penser que toutes les courbes devraient être décalées vers le haut (à ce propos je ne connais personne ayant fait ce test n'étant pas dans le cadran en bas à gauche). Le but de ce graphe est uniquement politique : il s'agit de nous expliquer visuellement le manque de variété sur l'axe haut bas, et de nous expliquer que les partis français sont très dirigistes. Le problème c'est qu'il s'agit uniquement des a priori de l'auteur du graphe, qui se donne une apparence de sérieux et d'objectivité en utilisant des représentations scientifiques, mais il n'y a guère de science ici, c'est un pur discours politique. L'opinion est respectable en soi, là n'est pas le problème, ce que je n'aime pas beaucoup est cette habitude de plus en plus répandue de faire de la politique en s'abritant derrière un discours scientifique pour donner l'illusion d'objectivité.

L'autre affaire qui m'énerve est évidemment celle des gènes de la pédophilie. Les experts en génétique pulullent actuellement sur les blogs et autres fora. Des blogueurs commentent, ici ou nous donnent leur avis sur la question :

je dirais qu’il ne me parait pas absurde de penser qu’il puisse y avoir effectivement un terrain plus ou moins favorable à la pédophilie, au suicide, à la dépression.

Des choses totalement fausses qui ne paraissent pas absurdes, l'histoire des sciences en est remplie. Ce qui est vrai pour le cancer ou le suicide, peut être totalement faux pour la pédophilie. Donc débattre là-dessus en tant qu'opinion, déconnectée de la connaissance scientifique, n'a pas de sens. La science n'est pas une philosophie chargée d'équilibrer thèse et antithèse : la science n'est pas une opinion politique qui se suffit par elle-même, le débat scientifique doit être sous-tendu par des faits et n'avance qu'en choisissant et en tranchant. Il y a des théories absurdes et fausses, point barrre, comme celle du gène de la pédophilie ou de la bosse des Maths.
Par ailleurs, et là je parle en tant que citoyen, tout le monde glose sur la prédisposition, mais quasiment personne ne parle sérieusement des facteurs qui révèlent cette prédisposition, alors qu'en tant qu'homme d'action revendiqué, Sarkozy devrait plutôt s'intéresser aux causes environnementales du suicide qui sont les seules sur lesquelles il puisse agir. Moi, c'est surtout ce manque qui m'étonne, ce renoncement au nom d'une théorie génétique fausse. Car quand on regarde l'action politique, force est de constater que ce corpus de théories se traduit effectivement en actions concrètes, comme par exemple le dépistage des jeunes délinquants dès l'âge de trois ans, sans parler des gamins "hyperactifs " drogués aux Etats-Unis. Preuve que ces préjugés se traduisent dans les faits par des actions sociales, au nom de la science, ce qu'il faut à mon avis combattre.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Le coté consolant du test dont tu donnes le lien est que nous sommes tous dans le même cadrant que Ghandi, c'est beaucoup plus valorisant que Staline ou hitler

Matthieu a dit…

Tu as parfaitement raison sur l'aspect genetique.

pour le diagrame, je pense que le seul et unique but est de mettre "scientifiquement" sarkozy a cote de berlusconi. L'axe droite-gauche est particulierement risible, puisque le clivage droite-gauche porte sur un certain nombre de concepts (liberalisme/dirigisme en economie et sur les questions societales me paraissent les deux plus evident). Meme sans etre quantitatif, l'axe droite gauche n'est absolument pas orthogonal a l'axe dirgisme-liberalisme. c'etait le sujet d'un des premiers billets de mon blog, d'ailleurs.

Anonyme a dit…

Cela fait quelque billets dans lesquels vous montrez que certaines personnes ayant une présence médiatique (journalistes et autres) tiennent des propos pseudo-scientifiques, donc faux, et donc potentiellement dangereux.

J'en viens donc à me demander pourquoi les scientifiques sont si absents de la sphère médiatique... Sommes-nous incompréhensibles, ennuyeux ?

Même si nous ne pouvons ammener de réponses toutes faites, nous pourrions bien souvent clarifier le raisonnement, et en montrer ses lacunes. Qu'en pensez-vous ?

Anonyme a dit…

Walrus > Les scientifiques sont relativement présents (ou en tous cas pas totalement absents), les économistes et statisticiens s'étant pas mal exprimé dernièrement contre les sondages, Axel Kahn contre les dérapages "eugénistes" de Sarkozy etc. Après, je pose la question : est-il si naturel pour un scientifique d'intervenir dans le débat médiatique ? D'abord, au nom de quoi le ferait-il ? Si c'est au nom de ses diplômes et de sa chaire, on frôle l'argument d'autorité et ses dangers potentiels (cf. les prises de parole récentes de Claude Allègre), voire le conflit éthique. Si c'est pour expliquer et faire de la pédagogie, alors oui. Mais le scientifique prétend-il dire le vrai ? Sans doute le pense-t-il, alors que la réalité est bien plus subtile : le scientifique tient un discours qui n'est pas forcément plus vrai mais construit plus solidement (cf. la sociologie et philosophie des sciences, ou mon billet en commun avec le Doc'). Donc plus d'interventions de scientifiques, oui, sans doute. Mais comment et pourquoi, voilà la vraie question...

Tom Roud a dit…

@ t-w : oui tout à fait, être entre Gandhi et le Dalai-Lama, ça le fait ;)

@ matthieu : je n'avais pas relevé la proximité Sarkozy-Berlusconi, cela procède effectivement de la même intention. Sinon, je suis complètement d'accord sur le fait que les deux axes ne sont probablement pas orthogonaux, mais bon, je ne vais pas prendre le risque d'estimer l'angle ! Par ailleurs, on voit bien la différence en lisant ton billet sur le sujet : tu as l'honnêteté de dire que tu fais un peu les choses de manière approchée, dans un but de représentation et clairement ton graphe est beaucoup plus éclaté car plus "honnête". Sinon, c'est aussi amusant de relire aujourd'hui ton billet sur le sujet relatant la conférence de Tim Halpin-Healy : voilà une vraie démarche scientifique sur le sujet !

@ Walrus : je suis d'accord avec la réponse d'Enro. J'ajouterais que peut-être les scientifiques sont en général plus dans la nuance lorsqu'ils parlent de leur sujet de prédilection, c'est peut-être aussi pour cela qu'ils ne sont pas de "bons clients" pour les médias. Et puis, il faut bien le dire, mais en politique, on choisit son candidate et on dégaine d'abord, et après seulement on raisonne. Il suffit de voir les contorsions de certains blogueurs pour justifier les déclarations limites de leur candidat préféré ;)

Maintenant, plus généralement; c'est aussi assez symptomatique de voir que les scientifiques professionnels ne font déjà pas de vulgarisation sur leur propre travail, ce qui montre qu'il n'y a pas de réelle volonté d'investissement dans la communication vers le grand public. L'enseignement est déjà très dévalorisé, j'imagine que la communication auprès des médias, ce serait encore pire ...

Anonyme a dit…

"à ce propos je ne connais personne ayant fait ce test n'étant pas dans le cadran en bas à gauche" > faut que t'arrete de frequenter des gauchistes, c'est tout !
:-)