Alors comme ça, il faudrait relativiser le brain drain ?
Le Monde d'aujourd'hui publie un article tout à fait intéressant sur la fuite des cerveaux. S'appuyant sur l'étude deux X-Mines, l'article affirme, chiffres à l'appui, que la France reste attractive.
Premier extrait intéressant :
Seulement 3 % des chercheurs français s'expatrient, le taux le plus faible d'Europe. Et 80 % reviennent au bout de quelques années, riches de cette expérience. Alors, pourquoi s'alarmer ?
J'ai cherché la source du premier chiffre auquel je ne croyais absolument pas, et suis tombé notamment sur le site d'Egide :
En 1999, 26,2% des doctorants ayant soutenu leur thèse se trouvaient dans un laboratoire étranger 6 mois après l’obtention de leur diplôme contre 23,7% l’année précédente, selon le dernier rapport sur les études doctorales publié par le ministère de l’Education nationale. 18 mois après la thèse, 21,1% des diplômés de 1997 étaient encore hors de l’Hexagone, précise l’étude. Le nombre de post-doc à l’étranger 6 mois ou 18 mois après la thèse varie peu car les séjours post-doctoraux sont généralement d’une durée de deux ans et peuvent durer jusqu’à cinq ans. Ces chiffres cachent toutefois de fortes disparités. Le nombre de jeunes chercheurs français dans les laboratoires étrangers était supérieur à la moyenne dans trois domaines : la chimie (27%), les sciences de la terre et de l’univers (33%) et en biologie, médecine, santé (42%). Après 18 mois, le ministère ne suit plus ces 4 000 post-doc éparpillés à travers le monde dont il est difficile de savoir ce qu’ils sont devenus. Dans une étude publiée en 1999, le CEREQ (Centre d’études et de recherche sur l’emploi et les qualifications) estimait que 3 ans après la thèse, 3% des jeunes chercheurs étaient encore à l’étranger.
Plus du quart des doctorants partent en post-doc à l'étranger (ça me paraît réaliste), n'oublions pas non plus ceux qui partent aussi dans le privé à l'étranger. Donc l'article est faux, au moins 25% des jeunes chercheurs s'expatrient temporairement. Ensuite, 18 mois après la thèse, ils sont encore 21% à l'étranger. A ce stade, le ministère lui-même reconnaît qu'il ne suit plus les post-doc, mais les 3% semblent venir d'une estimation sur les chercheurs à l'étranger 3 ans après la thèse.
J'ai continué mes recherches et suis tombé sur un nom : Philippe Moguérou, qui a apparemment étudié cela avec soin. Quelques extraits de sa thèse (p 192-193):
Globalement, 59% des docteurs de l’échantillon Irédu 2001 ont effectué un post-doctorat à l’issue de leur thèse et 21% deux post-doctorats (Tableau 60). Le post-doc est très courant en sciences de la vie puisque quatre docteurs sur cinq ont réalisé un post-doc dans ces disciplines. Dans les autres champs scientifiques, le post-doc concerne entre un tiers et la moitié des docteurs.
(...)
Le premier post-doc est effectués à l’étranger à 62% contre 43% pour le second post-doc.
Ces chiffres me paraissaient plus raisonnables. Si vous compilez les données, vous en déduisez qu'environ 10% des jeunes docteurs font un deuxième post-doc à l'étranger (donc on peut affirmer sans trop se tromper qu'au moins 10% sont à l'étranger 3 ans après la thèse).
Quelques remarques à ce stade :
- ceux qui sont rentrés n'ont pas nécessairement des postes permanents dans la recherche. Sur une autre présentation de Philippe Guérigou, on voit que 20 % des doctorants sont encore en contrat à durée limitée trois ans après leur soutenance. 40% des doctorants en science de la vie sont encore en post-doc. Pour ceux en CDI, 10% des doctorants ayant un emploi sont par exemple enseignant dans le secondaire. La présentation du Monde est ambigue et pourrait laisser à croire que 97% des chercheurs français ont tranquilement des postes permanents de recherche en France trois ans après la thèse, c'est tout à fait faux.
- ensuite, un point complètement passé sous silence dans cette article est que la situation a probablement changé ces toutes dernières années. Par exemple en ce qui concerne les recrutements : la limite d'âge au concours d'entrée du CNRS a sauté. La conséquence est que les post-doc sont en train de s'allonger de façon drastique, et qu'à mon avis ces chiffres d'expatriés vont exploser. N'oublions pas non plus les coupes budgétaires depuis 2002, les changements structurels en cours...
Le milieu de l'article nous explique que quand même, la France n'arrive pas à retenir les tout meilleurs (cherchez la contradiction). La fin est assez hallucinante et montre à mon avis un biais hyper élitiste très français :
En biologie, "les dix Français expatriés les plus productifs publient autant que tous les chercheurs de l'Institut Pasteur", (...)
La population à cibler est donc faible. Il doit être envisageable de leur offrir des salaires, une équipe de travail, un budget comparables à ce qui leur est offert outre-Atlantique, avancent les deux auteurs, qui, en tout cas, ne feront pas mentir leurs statistiques.
Cela me rappelle quand Claudie Haigneré avait dit qu'il fallait moins de chercheurs, mais des chercheurs de qualité. En France, on croit que pour avoir de la bonne recherche, il faut cibler les dix meilleurs chercheurs du monde, leur donner plein de sous pour les faire venir en France, et le tour sera joué. Les autres chercheurs sont des pièces rapportées, des nullards qu'il ne faut pas cibler. Autrement dit, on a une vision fondamentalement pyramidale de la recherche, où seul celui qui est en haut de la pyramide compte et passe son temps à produire des idées géniales que ses petites mains vont utiliser. C'est à mon avis une vision de technocrate qui ne sait pas ce que c'est que la recherche.
Car, à l'exception de certaines disciplines (où nous excellons, telles les mathématiques), la recherche ne marche pas comme ça. Les bonnes idées peuvent surgir de n'importe où, et peut-être pas des pointures déjà établies (rappelons qu'un Nobel a sa carrière derrière lui). De plus, une idée ne suffit pas, il faut non seulement l'équipe, mais les post-doc, étudiants de thèse, stagiaires, qui sont les véritables moteurs du labo et doivent eux aussi être très bons, fournir leurs propres idées, construire leur propre démarche. Comment recruter des bons étudiants si ceux-ci n'ont pas de débouchés raisonnables et si on les fout ensuite dehors en leur préférant systématiquement la nouvelle pointure du pays voisin ?
Sans compter que les idées ne surgissent pas en claquant des doigts: il faut des séminaires, des discussions avec les collègues, des synergies, des fertilisations réciproques, un vrai tissu scientifique compétent et réactif. Nos dix super cracks chercheurs permanents en France vont-ils se réunir tous les mois pour partager leurs idées géniales ?
En conclusion, pour avoir une bonne recherche, il faut un système dynamique, en interaction forte, et surtout massif pour ne pas laisser partir la bonne idée, plutôt que le bon chercheur (car de toutes façons, un chercheur a tout au plus une ou deux idées géniales dans sa vie). Tout le contraire du malthusianisme scientifique qu'on nous prescrit dans cette article.
PS: je finis en souscrivant à 100% à ce commentaire, qui a le mérite de rappeler que les chercheurs ne sont pas seulement des ressources qu'il s'agit de s'accaparer:
Morgane G.
20.06.07 | 17h08
Mais bien sûr Annie Kahn, arrêtons de nous alarmer puisqu'ils finissent par revenir! Quelle importance alors que l'on leur impose un exil de plusieurs années, qu'on perde leur fougue, qu'on déstabilise ou retarde leur vie famille et qu'on en perde certains en route? Ils finissent par revenir, c'est donc la preuve irréfutable que le système est bon, et absolument pas un signe qu'ils auraient aimé rester et sont prêts à tout pour que ce soit notre (ingrat?) pays qui profite de leur matière grise.
3 commentaires:
ce papier a aussi provoqué des remous sur la liste SLR JC.
ceci dit la "journaliste" en question avait deja fait un papier a la ramasse en janvier. elle doit aimer ca...
Salut Tom,
Je suis outrée par cet article, moi aussi. C'est proprement scadaleux de 1. donner des chiffres faux pour arriver à ses fins. 2. donner son avis sur un domaine où l'on ne connait rien, sous prétexte qu'on est X-mine. D'autant qu'il y a un vrai problème à la base, dans la culture même des auteurs, et dont ils n'ont sans doute pas totalement conscience... Un X mine, c'est qq'un qui a fait l'X (par définition) et qui était dans les 10 meilleurs de sa promo (dans le top 3%). Ce type il a aucune idée de ce que c'est la recherche, c'est pas de sa faute il n'en a jamais fait. Mais en plus, s'il connait des chercheurs, c'est par construction des gens bien plus 'nuls' que lui, puisqu'ils étaient, en moyenne, plus de cent places derrière. Certains courageux de l'X font de la recherche alors qu'ils ont un classement qualifiant pour les corps, mais ce sont des exceptions, des gens qui par ailleurs subissent des pression pour choisir la fonction publique et qui en plus cinq ans après la sortie de l'X, voient leurs amis corpsards à la tête d'une petite famille, avec un salaire double ou triple au leur, un appart dans Paris à leur nom et surtout un boulot à vie. Le chercheur, lui, il est loin de sa famille, il est déprimé et il sait rarement où il sera dans les deux années à venir. Conclusion: par construction, un X mine va avoir tendance à dévalorise run chercheur, parce que toute sa vie, on lui a envoyer des signes allant dans ce sens: 'un chercheur c'est moins fort que moi'. Si le chercheur vient de l'étranger, alors il a été reconnu par un système diférent et là, l'X mine peut dire: 'oui, il doit être fort, car il a été reconnu par un système différent'. Il pourra toujours s'en sortir en se disant que c'est une exception. Mais ce qui est stupéfiant c'est que les chercheurs formés en France sont très apprécié sà l'étranger. Et on continue à déléguer à l'étranger le soin de sélectionner NOS bons, sans se demander si en réformant notre regard on ne pourrait pas les empêcher de partir.
Nicole en colère
Merci Tom, tu as réssuciété mon vieux blog... Voici le lien vers un billet ou je détaille mon commentaire: http://nicoletheblondone.blogspot.com/2007/06/la-confirmation-des-hypothses-et-le.html
Bisous
Nicole
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