La recherche, c'est génial...
Parfois, je me dis que j'aurais mieux fait de faire autre chose... Exemples en vrac :
- J'apprends dans cet article du monde que le CNRS reste attractif pour les étrangers. Vous noterez que tous les exemples concernent des chercheurs qui sont venus faire leur post-doc en France (post-doc qui ne sont que d'un renouvelables une fois... je reste perplexe devant cette durée extrêmement réduite pour certains domaines). Cela confirme ma petite constatation personnelle comme quoi il est bien plus facile de trouver un poste près de votre post-doc, et donc le manque de cohérence à laisser partir les jeunes chercheurs français (si on espère qu'ils rentrent). Précision : quasiment aucun professeur américain de ma connaissance n'a fait de post-doc à l'étranger; pour certains collègues post-doc new yorkais, la mobilité scientifique consiste à passer de NYU à Columbia (voire Princeton ou Rutgers, mais bon, à ce stade, c'est quasiment le Mexique). A propos d'expatriation, je vous signale ce sondage effectué par Pascal Riché sur le blog de superfrenchie.
- Plus je lis des articles de bio, plus je discute avec des professeurs biologistes, plus je me dis que la recherche scientifique consiste de plus en plus en production pure et simple de papiers (sans nécessairement de contenu scientifique pertinent). Après tout, comme disent les économistes, "tout n'est qu'incitation". On nous demande de publier, on publie quel que soit le contenu. C'est particulièrement flagrant dans mon domaine. Le pire est que si vous ne jouez pas le jeu, on vous le reproche : pourquoi s'embêter alors ? Publions mes amis, et surtout citons-nous, citons les autres, c'est bon pour l'indice d'impact ! Même en biologie moléculaire, des revues très prestigieuses publient des articles sans réel contenu scientifique intéressant : j'entends par là que faire des manips techniquement très lourdes et irreproductibles, c'est bien, mais le but du jeu est quand même au bout du compte de faire avancer la science. Combien de fois me suis-je dit en lisant un papier de Nature : so what ? Fait-on vraiment avancer la biologie lorsqu'on regarde les expressions simultanées de 1000 gènes dans un organisme ? Quel est le plan général ? Où va la recherche ? Le pire, c'est que tout concourt à ce que les choses empirent : personne n'a d'intérêt réel à ne pas publier pendant quelques années pour s'accorder le temps de la réflexion, pour essayer de réfléchir à de grandes questions. Il sera toujours plus facile de dépenser des millions pour faire et étudier telle ou telle construction ou enzyme plutôt que d'essayer de comprendre réellement ce qui se passe. Les physiciens n'auraient jamais compris la physique statistique en étudiant les interactions entre molécules, ou en simulant la dynamique de 10000 molécules individuelles : c'est pourtant la tendance lourde en biologie moléculaire actuellement. La seule façon de faire des choses profondes à mon avis est d'essayer de prendre du recul, de comprendre qu'il ne sert à rien d'avoir trop de données, et de réfléchir cinq minutes aux problèmes posés et à la façon de les résoudre.
- Parfois, vous faites des modèles un peu compliqués. Vous vous embêtez à être pédagogique : surtout pas d'équations, pas de gros mots compliqués, pas de graphique abscons, pas d'insistance sur la difficulté théorique rencontrée. Et un biologiste lit votre modèle et vous dit : j'ai tout compris à ton modèle, c'est donc qu'il est vraiment trop simple. De toutes façons, ton approche est vraiment trop naze : tu ferais mieux de prendre en compte les 30 pathways connus et les 150 ligands, ainsi que leur évolution temporelle ! Là je comprendrais quelque chose ! (sourire ironique du physicien théoricien qui a déjà bien du mal à comprendre parfois les systèmes à trois variables et qui se fait la réflexion exposée au deuxième point ci-dessus)
Je termine par un mea culpa auprès des lecteurs de mon blog : pikipoki expliquait récemment qu'un blog permettait d'évacuer son stress; aujourd'hui j'ai écrit ce billet pour en finir avec la sale journée que je viens de passer... Je pars demain donner une conférence. Le blog restera donc probablement léthargique quelques jours.
10 commentaires:
Trouve un truc qui peut avoir une application médicale, fonde une startup, devient riche. Tu pourras payer des post-docs pour chercher tes prochains produits, tu aideras la science et tes shareholders.
Bonjour,
"La seule façon de faire des choses profondes à mon avis est d'essayer de prendre du recul, de comprendre qu'il ne sert à rien d'avoir trop de données, et de réfléchir cinq minutes aux problèmes posés et à la façon de les résoudre.".
Merci pour ce post. Le propre de la science est de prendre du temps, et la pression à la publication qu'on peut rencontrer dans certaines disciplines ne représente qu'un frein à cette réflexion scientifique longue et fastidieuse.
Si ça peut vous rassurer, dans mon domaine (la psychologie sociale expérimentale) les plus grandes revues pullulent également de recherches lourdes, mettant en jeu une méthodologie complexe, sans que les "fondements" théoriques ne soient réellement établis.
Bon courage pour cette conférence.
On critique souvent les incitations à la publications en disant qu'on est incité à publier tout et n'importe quoi du moment qu'on publie trois articles par an (je dis trois au hasard parce que je connais pas le rythme de publication moyen). On dit souvent aussi que ce système est contre-productif et qu'il serait bien plus efficace de laisser le temps aux chercheurs de trouver des trucs géniaux tout seul dans leur coin. Je comprends bien cette idée et je la partage en partie, mais je me demande si elle est si juste que ça.
D'une part, le système du facteur d'impact incite quand même à faire de bons articles. En économie en tout cas, on voit bien que la plupart des publications sont très peu citées. Les publications souvent citées sont en général des articles novateurs. Dans le système d'incitations actuel, on a quand même intérêt à faire peu de bons articles que beaucoup d'articles anecdotiques.
D'autre part, je ne crois pas que seuls les bons articles fassent avancer la science. Ce qui est aussi important, ce sont ces multitudes d'articles qui font des petites variations sur un modèle et qui permettent de confirmer les résultats des grands articles . Par exemple, il y a un article très connu en économie géographique de Krugman. Toutes les intuitions sont dans cet article. N'empêche que tout ceux qui ont examiné à la loupe chaque détail du raisonnement, refait tous les calculs, chercher l'erreur dans l'article ont également contribué à leur manière à la science. Ce sont eux au final qui ont fait de cet article un article solide et robuste sur lequel on peut s'appuyer. Je crois que la science, c'est pas seulement Archimède dans sa baignoire qui crie Eureka, c'est aussi et surtout des milliers de gens qui calculent en permanence, sans trop savoir ce qu'ils font, mais qui contribuent à leur manière à la science.
Enfin, d'un point de vue plus psychologique cette fois, on peut se demander comment naissent les idées. C'est aussi en écrivant des articles, même s'ils sont peu ambitieux, que naissent les idées. Je ne suis pas sûr que si on me donnait trois ans pour trouver une idée, je reviendrais dans trois ans avec une meilleure idée que si on me donnait deux mois. Je pense que les idées jaillissent dans la contrainte qui nous pousse à écrire et dans les discussions des séminaires. Il y a une chose qui me semble frappante, c'est que j'ai l'impression (ça demanderait une vérification plus systématique) que ce sont ceux qui ont publié les meilleurs articles qui ont aussi publié le plus grand nombre de papiers.
Je ne suis donc pas si sûr qu'il y ait un dilemme entre quantité et qualité. Il semble que les deux aillent de pair.
On peut certes critiquer certains articles à la méthodologie "lourde", mais il ne faut pas non plus tomber dans le travers inverse qui est de publier un modèle simple et séduisant, mais qui néglige malheureusement trop de la biologie du système...
Penser aux "fondements théoriques de la biologie" ne revient pas à poser simplement une équation, ce qui est parfois oublié. Cela pourrait expliquer des réactions abusives du type: "Et un biologiste lit votre modèle et vous dit : j'ai tout compris à ton modèle, c'est donc qu'il est vraiment trop simple"...
Merci de vos commentaires !
@ matthieu : vu mes compétences expérimentales à peu près nulles, c'est peine perdue. En fait, mon rêve est de me reconvertir en expérimentateur pour pouvoir avoir mon propre labo et faire
faire mes propres manips à terme...
@ fabrice : merci de votre soutien. Je pense effectivement qu'il y a une tendance à confondre complexité et complication
@ pac : c'est évidemment vrai que les bons articles sont souvent cités. Mais il y a aussi un effet pervers : si tout le monde est incité à faire le même type de science, les papiers seront tout autant cités, puisque personne n'a intérêt à faire autre chose (j'ai des exemples très précis en tête). Par ailleurs, du strict point de vue quantitatif, pour le post-doc que je suis, c'est faux de dire que j'ai plutôt intérêt à faire un gros bon papier que plein de petits papiers : en terme de visibilité, c'est mieux de publier beaucoup, quel que soit le contenu - cela montre que vous faites "quelque chose".
Pour les petits papiers, c'est vrai qu'il faut probablement voir les papiers comme des étapes dans un cheminement. Le problème est lorsque des gens publient depuis 20 ans la même idée : y a-t-il encore cheminement ?
@ walrus : bien sûr vous avez aussi raison. Mais qui dit qu'un modèle "simple" néglige la biologie du système ? Ce n'est pas parce qu'un objet est très compliqué que les modèles doivent l'être (par exemple, si deux protéines font exactement la même chose et sont régulées exactement de la même façon, pourquoi conserver deux variables ? ). La démarche de la physique, appliquée à la biologie, vise clairement à nettoyer les systèmes pour comprendre ce qui compte vraiment et faire des prédictions. Encore une fois, l'analogie est la physique statistique (voire l'économie) : la réalité est très compliquée, mais les modèles simplifiés doivent nous permettre déjà de faire des prédictions non triviales. Maintenant, c'est peut-être peine perdue et je devrais peut-être changer de métier...
@PAC
"Enfin, d'un point de vue plus psychologique cette fois, on peut se demander comment naissent les idées. C'est aussi en écrivant des articles, même s'ils sont peu ambitieux, que naissent les idées. Je ne suis pas sûr que si on me donnait trois ans pour trouver une idée, je reviendrais dans trois ans avec une meilleure idée que si on me donnait deux mois. Je pense que les idées jaillissent dans la contrainte qui nous pousse à écrire et dans les discussions des séminaires. Il y a une chose qui me semble frappante, c'est que j'ai l'impression (ça demanderait une vérification plus systématique) que ce sont ceux qui ont publié les meilleurs articles qui ont aussi publié le plus grand nombre de papiers."
Bonjour,
Je suis en partie d'accord avec vous. J'aimerais cependant ajouter 2 ou 3 petites choses.
1) quand on a publié vite une idée baclée, il est assez difficile (psychologiquement parlant) de revenir en arrière pour affiner voire modifier cette première idée. Si bien que quelques semaines de maturation en plus, ajoutées à quelques données supplémentaires, permettraient à un auteur de publier une idée originale plus forte que si il publiait sous la contrainte, "à la va vite".
2) Dans un monde parfait, l'innovation serait simple, consensuellement reconnue, et facilement publiée. Cependant, pour plusieurs raisons, le peer reviewing met un frein important à cette innovation. D'une part, parce que les articles supportant les idées innovantes sont plus souvent rejetées que ceux étayant des idées déjà bien établies (1), et que de façon générale, les articles allant à l'encontre des idées des referees sont plus probablement rejetés que ceux allant dans le sens de ces derniers (2). Ces "biais" dans le système de publication amenant à de la "prostitution académique" (3), limitant gravement l'innovation et favorisant la prolifération d'articles "so what ?", comme le déplore Tom.
Les revues de psychologie sont bourrées d'articles de ce type. De plus, une idée innovante est rarement reprise, répliquée, etc. telle quelle. Chaque chercheur y va de sa petite entorse à la formulation théorique d'origine. Tant et si bien, que le nième article publié sur cette première idée originale, plutôt que d'être une amélioration et un approfondissement de la compréhension du phénomène étudié, s'avère être un appauvrissement de la formulation originale.
En bref, je suis parfaitement d'accord avec le contenu de la note de Tom
(1) Crandall, C. L., & Schaller, M. (2004). Scientist and Science: How individual goals shape collective norms. In M. Schaller & C. L. Crandall (Eds.), The psychological foundations of culture (pp. 201-224). Mahwah, NJ: Lawrence Erlbaum Associates.
(2) Mahoney, M. J. (1977). Publication prejudices: An experimental study of confirmatory bias in the peer review system. Cognitive therapy and research, 1(2), 161-175.
http://pages.stern.nyu.edu/~wstarbuc/Writing/Prejud.htm
(3) Frey, B. S. (2003). Publishing as prostitution? - Choosing between one’s own ideas and academic success. Public Choice, 116, 205-223.
http://tastyresearch.wordpress.com/2006/10/15/academic-prostitution-publishing-what-the-referees-want/
Bien d'accord avec toi, en particulier sur la question de la "direction" de la recherche.Je me cite (dans un précédent commentaire: je milite pour le recyclage, je suis écolo, moi) : "plus je lis de papiers en biologie fondamentale, plus j'ai l'impression qu'on court après la compréhension de systèmes dont notre évaluation de la complexité n'est limitée que par nos moyens d'exploration". Mais est-ce toujours nécessaire et utile? Je ne sais pas, mais je m'interroge, parfois.
Amuses-toi bien pendant ta conférence! Et tiens bon, parce que tu le vaux bien (t'as pas oublié les bases publicitaires françaises quand même?)
@ fabrice : en ce qui concerne le peer-review, j'ai évoqué un "effet pervers" possible sur le long terme du peer review, une tendance dangereuse actuellement... Je pense qu'il y a consensus pour dire que le peer-review n'est pas la panacée comme le montrent justement les différents essais de grandes revues - dont Nature- pour le réformer. Cependant, l'un des mérites du peer-review est tout de même de faire une première sélection, permettant d'éliminer vraiment ce qui est trop mauvais ou relève du crackpot. J'ajoute que mon petit coup de gueule est peut-être dû au fait que je travaille dans un domaine jeune, assez interdisciplinaire (donc n'ayant pas encore de standards ou de spécialités très identifiées), ce qui n'aide pas. Je pense aussi que si un article vraiment génial est écrit, il sera publié; simplement je ne suis pas sûr qu'on soit toujours incité à chercher des idées vraiment novatrices; le mode de recrutement favorise plutôt la production successive de "petits" papiers. Il faut faire cependant attention lorsqu'on parle d'évaluation et que l'on critique le peer-review de ne pas tomber dans l'excès inverse, les postures du genre "je suis un génie incompris" qui sont encore plus néfastes. Modifier un article n'est quand même pas de la prostitution (pas dans mon domaine en tous cas), car les faits scientifiques de base doivent rendre l'argumentation incontestable (sinon, c'est que le contenu de l'article est de toute façon trop pauvre). On arrive aussi à publier en renvoyant un referee dans les cordes (les referees peu compétents, cela existe, et on peut les contrer sur le terrain purement scientifique; je pense que cela arrive assez souvent et à la limite c'est une chance : si votre referee ne maîtrise pas très bien le domaine, il devra bien s'incliner à un moment ou à un autre). Au bout du compte c'est aussi important de se confronter aux autres pour faire passer ses idées, pour ne pas être prisonnier de sa tour d'ivoire. Je suis ainsi persuadé que j'arriverai à convaincre les gens à propos du modèle dont je parle plus haut.
Pour finir, je me permets de citer cette anecdote connue :
EINSTEIN était allé rendre visite à VALÉRY, ou VALÉRY l'avait invité et là, évidemment, toujours très curieux de comprendre les mécanismes de la relativité, VALÉRY a posé des tas de questions à EINSTEIN et, en particulier, il lui a demandé; mais enfin, maître, est-ce que vous vous relevez la nuit pour noter vos idées sur un petit carnet ? Et EINSTEIN a laissé tomber: oh! vous savez des idées, on en a deux ou trois dans sa vie!
( source )
Donc au bout du compte, peut-être que multiplier les petits papiers, ce n'est pas plus mal : il faut bien justifier de son salaire... Simplement il ne faut pas perdre de vue que le but ultime de tout chercheur est de comprendre le monde et de trouver ces deux ou trois idées d'une vie; vouloir publier à tout prix ne va peut-être pas dans ce sens.
Interessante discussion.
Je suis assez d'accord avec pac. Parce qu'on ne publie pas des idees mais des resultats. Obtenus a partir d'idees, confirmant ou infirmant ces idees, certes mais pouvant survivre a ces idees.
Si je publie un papier disant "j'ai mesure ca avec telle precision et c'est en accord avec la theorie X" et que deux ans plus tard j'ameliore les mesures, je n'ai aucun probleme a invalider la theorie X si ces mesures plus precises l'invalident. Et ca ne remet pas en cause mon premier papier.
Je ne crois pas que les grands papier naissent apres des annees de travail impubliables. Il est toujours possible d'en publier les premieres etapes. D'autant que ces etapes peuvent etre importantes pour le reste de la communaute scientifique. Si je veux demontrer que A->D et que j'arrive a demontrer que A->B (meme si B->C->D n'est pas encore verifie mais seulement "admis") ca peut faire un tres bel article.
Quand aux auto-citations, elles creent un bruit qui est important pour les papiers peu cites, mais qui devient negligeable pour les papier fortement cites.
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