Platon, l'apprentissage et l'évolution
Extrait d'un ouvrage résumant l'héritage de Kolmogorov en physique :
Pour être plus concret, considérons la suite suivante : 01010101010101010. Si je vous demande quel est le prochain chiffre de la suite, tout être humain normalement constitué devrait en toute logique répondre 1. Le problème, c'est que cela n'a en fait rien de logique : il y a une infinité de suites différentes commençant par cette séquence, et la connaissance du début de cette séquence ne nous dit absolument rien sur ce qui suivra. Simplement, nous imaginons une règle : un 0 est suivi d'un 1, un 1 d'un zero. Nous testons ensuite cette règle sur l'exemple donné : elle marche à tous les coups. Donc cette règle nous paraît valable, et nous décidons (un peu) arbitrairement de la tenir pour acquise.
Cette méthode de pensée a l'air assez mécanique, voire un peu stupide quand on y réfléchit. Cependant, c'est un problème redoutable que de faire réaliser cet exercice simple à un ordinateur. A dire vrai, la seule méthode qui me paraît réellement efficace dans l'absolu est d'utiliser l'idée de Platon : générons des règles aléatoirement, puis testons-les sur nos exemples, et on devrait pouvoir arriver à trouver une (la?) véritable règle sous-tendant l'exemple. L'idée de "tabula rasa", si elle paraît au début plus élégante et moins arbitraire, apparaît dans la pratique bien peu réaliste : il paraît trop difficile d'un point de vue purement computationnel de créer quelque chose à partir de rien ...
Il est assez étonnant pour moi de constater les ponts entre ce débat Platon/Aristote, qui est en fait un débat inné/acquis, l'informatique et bien sûr la biologie. Luria et Delbruck ont en fait posé exactement la même question dans leur fameuse expérience : les bactéries sont-elles des "tabulae rasae", apprenant à resister à un stimulus, ou au contraire seules les bactéries ayant déjà la potentialité de resistance sont-elles effectivement sélectionnées ? Cette reformulation de l'idée de Platon est incroyablement proche du principe même de la sélection darwinienne : une règle admissible serait une mutation aléatoire, toutes deux étant sélectionnées par confrontation au réel. La théorie aristotélicienne serait au contraire une version lamarckienne de l'apprentissage. D'où une question qui se pose naturellement : le processus d'évolution ne serait-il pas d'avantage un processus d'apprentissage qu'un processus d'optimisation ?
La conséquence obervable de cette vision de l'évolution est l'existence d'étrangetés assez frappantes pour ceux qui considèrent la nature comme modèle de perfection : par exemple, ils est bien connu que l'oeil des mammifères est conçu en dépit du bon sens. Simplement, l'évolution de l'oeil a été longue et laborieuse, et des chemins de traverses ont été empruntés aboutissant à un instrument efficace sans être optimal. Qui n'a jamais utilisé des moyens détournés pour apprendre et retenir quelque chose ? En quelque sorte, la phrase mnémotechnique est à l'apprentissage ce que les organes vestigiels sont à l'évolution...
Maintenant, j'imagine qu'on peut généraliser cette idée à des processus plus actifs, comme par exemple la pensée même. Après tout, peut-on vraiment prétendre que nous sommes capables de concevoir une pensée originale par nous mêmes ? L'exercice de la pensée elle-même n'est-il pas plutôt un processus de mutation aléatoire/recombinaison/sélection ? Et si notre cerveau n'était qu'un bon gros générateur aléatoire couplé à un filtre éliminant les pensées les plus stupides ;) ?
Nous sommes capables d'apprendre par l'exemple et de classifier une multitude d'objets extérieurs en des catégories distinctes. (...) En deux mots, la difficulté qui se présente est la suivante : si une règle ne peut être logiquement déduite des exemples, comment se fait-il que nous puissions la trouver ? La solution mise en avant par Platon était que la règle est déjà contenue par le cerveau humain et que les exemples n'ont d'autre effet que de sélectionner la bonne règle parmi toutes celles qui sont admissibles.Le point de vue opposé (Aristote) soutient que cette question est mal posée et que le cerveau humain est vide (tabula rasa) avant toute expérience sensible du monde extérieur.
Pour être plus concret, considérons la suite suivante : 01010101010101010. Si je vous demande quel est le prochain chiffre de la suite, tout être humain normalement constitué devrait en toute logique répondre 1. Le problème, c'est que cela n'a en fait rien de logique : il y a une infinité de suites différentes commençant par cette séquence, et la connaissance du début de cette séquence ne nous dit absolument rien sur ce qui suivra. Simplement, nous imaginons une règle : un 0 est suivi d'un 1, un 1 d'un zero. Nous testons ensuite cette règle sur l'exemple donné : elle marche à tous les coups. Donc cette règle nous paraît valable, et nous décidons (un peu) arbitrairement de la tenir pour acquise.
Cette méthode de pensée a l'air assez mécanique, voire un peu stupide quand on y réfléchit. Cependant, c'est un problème redoutable que de faire réaliser cet exercice simple à un ordinateur. A dire vrai, la seule méthode qui me paraît réellement efficace dans l'absolu est d'utiliser l'idée de Platon : générons des règles aléatoirement, puis testons-les sur nos exemples, et on devrait pouvoir arriver à trouver une (la?) véritable règle sous-tendant l'exemple. L'idée de "tabula rasa", si elle paraît au début plus élégante et moins arbitraire, apparaît dans la pratique bien peu réaliste : il paraît trop difficile d'un point de vue purement computationnel de créer quelque chose à partir de rien ...
Il est assez étonnant pour moi de constater les ponts entre ce débat Platon/Aristote, qui est en fait un débat inné/acquis, l'informatique et bien sûr la biologie. Luria et Delbruck ont en fait posé exactement la même question dans leur fameuse expérience : les bactéries sont-elles des "tabulae rasae", apprenant à resister à un stimulus, ou au contraire seules les bactéries ayant déjà la potentialité de resistance sont-elles effectivement sélectionnées ? Cette reformulation de l'idée de Platon est incroyablement proche du principe même de la sélection darwinienne : une règle admissible serait une mutation aléatoire, toutes deux étant sélectionnées par confrontation au réel. La théorie aristotélicienne serait au contraire une version lamarckienne de l'apprentissage. D'où une question qui se pose naturellement : le processus d'évolution ne serait-il pas d'avantage un processus d'apprentissage qu'un processus d'optimisation ?
La conséquence obervable de cette vision de l'évolution est l'existence d'étrangetés assez frappantes pour ceux qui considèrent la nature comme modèle de perfection : par exemple, ils est bien connu que l'oeil des mammifères est conçu en dépit du bon sens. Simplement, l'évolution de l'oeil a été longue et laborieuse, et des chemins de traverses ont été empruntés aboutissant à un instrument efficace sans être optimal. Qui n'a jamais utilisé des moyens détournés pour apprendre et retenir quelque chose ? En quelque sorte, la phrase mnémotechnique est à l'apprentissage ce que les organes vestigiels sont à l'évolution...
Maintenant, j'imagine qu'on peut généraliser cette idée à des processus plus actifs, comme par exemple la pensée même. Après tout, peut-on vraiment prétendre que nous sommes capables de concevoir une pensée originale par nous mêmes ? L'exercice de la pensée elle-même n'est-il pas plutôt un processus de mutation aléatoire/recombinaison/sélection ? Et si notre cerveau n'était qu'un bon gros générateur aléatoire couplé à un filtre éliminant les pensées les plus stupides ;) ?
3 commentaires:
Cela me paraît difficile de comparer un individu essayant de trouver la bonne règle au regard de la suite de chiffres, à une population de bactéries.
Au sein de la population, bien que la reproduction soit clonale, une certaine variabilité génétique existe. Donc, même si chaque bactérie est a priori "tabula rasa" au moment du stimulus, la population, elle, ne l'est pas.
Sinon la réflexion sur l'apprentissage est très intéressante !
"Au sein de la population, bien que la reproduction soit clonale, une certaine variabilité génétique existe. Donc, même si chaque bactérie est a priori "tabula rasa" au moment du stimulus, la population, elle, ne l'est pas."
Je me suis peut-être mal exprimé, mais c'est justement ce qu'a montré l'expérience de Luria-Dellbruck. Donc cela n'avait rien d'évident a priori, et c'est en fait tout à fait mon point : que la population n'est pas une "tabula rasa".
Je parle ici effectivement d'évolution au niveau de la population, donc pas au niveau des individus. Les individus sont pour l'espèce ce que les essais de règles aléatoires sont pour l'algorithme d'apprentissage : un moyen de générer de la variabilité.
En fait, je ne comprends pas sur quel point vous êtes en desaccord !
Très intéressant ton billet!
"Et si notre cerveau n'était qu'un bon gros générateur aléatoire couplé à un filtre éliminant les pensées les plus stupides?".L'amoureuse du cerveau que je suis ne peut que s'insurger, de principe, contre une allégation si réductrice. Cependant, pas mal de gens tentent de modéliser le fonctionnement cérébral, ie de "computationner" et parfois c'est surprenant. Un exemple qui va dans ce sens: le système de récompense, qui compare le résultat obtenu avec le résultat attendu, et permet ainsi d'ajuster l'action au prochain acte.
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