Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

30 juillet 2006

L'univers évolué

Lee Smolin dans son essai revient sur cette propriété surprenante -dont j'avais déjà parlé dans un billet précédent- que les paramètres physiques de l'univers (par exemple la charge et la masse des particules) sont "ajustés" de telle façon qu'ils expliquent des propriétés cruciales pour la vie dans notre univers. Autrement dit, un univers "typique" avec des paramètres "typiques" n'aurait jamais pu voir l'apparition de la vie (et serait une espèce de masse homogène d'atomes hydrogènes). Smolin appelle cela "the improbable biofrendliness of the universe and its laws". D'où des interrogations légitimes :
- Comment se fait-il que nous observions un univers avec des paramètres physiques aussi improbables ?
- Comment se fait-il que ces paramètres particuliers ont été choisis ?
La réponse à la première question est immédiate : nous observons un univers improbable car la condition nécessaire pour voir l'apparition d'observateurs est de se trouver dans un univers avec de tels paramètres. C'est ce qu'on appelle le principe anthropique. La réponse à la seconde question est bien plus intéressante et d'après Smolin, quatre réponses sont possibles. La première est que Dieu a créé l'univers ainsi pour y placer l'homme. C'est ce qu'on appelle le principe anthropique fort. L'homme de science ne peut évidemment se satisfaire de cette réponse a priori (sinon nous en serions toujours à l'animisme primitif invoquant un Dieu pour chaque phénomène naturel). La seconde hypothèse est qu'il y aurait une contrainte théorique ou mathématique profonde obligeant les paramètres physiques à prendre certaines valeurs. Hypothèse peu plausible si l'on en croit les théories physiques actuelles ayant en fait pléthore de paramètres libres. La troisième hypothèse est qu'en fait notre univers n'est qu'un élément très très singulier d'une population très très nombreuse de multi-univers. Autrement dit, notre univers ne serait en quelque sorte qu'un atome très atypique dans un espèce de méta-univers, composé de tous les univers possibles et imaginables. La vie ne serait due qu'à un très improbable concours de circonstances, rendu possible uniquement par le fait qu'il y a énormément d'univers existant et que si petite que soit la probabilité d'un univers "biofrendly", la population des univers existants est tellement grande qu'au bout du compte la vie est apparue dans l'un deux. Cette hypothèse est appelée le "principe anthropique faible".
Le gros problème scientifique posé par les principes anthropiques fort et faible est qu'aucune de ces hypothèses n'est ni falsifiable, ni vérifiable car ces principes anthropiques font appel à des éléments extérieurs à notre univers pour expliquer son existence. Autrement dit, les principes anthropiques ne sont pas des principes scientifiques. L'origine de l'univers n'est pas l'objet de la science dans ce cadre...
Alors, la science est-elle battue sur ce coup-là ? Rien n'est moins sûr. Smolin propose une quatrième hypothèse, qui elle, est scientifique car falsifiable. Il propose d'étendre le principe de sélection naturelle aux lois de la physique même. La sélection naturelle repose sur :
- un procédé de reproduction,
- un procédé de mutation,
- un procédé de sélection qui fait que des espaces de paramètres très improbables peuvent être atteints.
Alors quid pour l'univers ? La relativité générale a montré l'existence d'objets singuliers (au sens mathématique du terme), les trous noirs. Si l'on branche maintenant la mécanique quantique, on s'aperçoit que ces singularités ne sont pas absolues, et que des trous noirs peuvent "rebondir" et donner de nouveaux Big-Bang. Ceci nous donne le procédé de reproduction : la théorie nous dit qu'un trou noir peut donner naissance à un nouvel univers, et l'existence de nombreux univers "génétiquement" reliés par des trous noirs est en fait possible.
La physique rend également possible le fait que dans ces nouveaux univers issus de trous noirs, les paramètres soient légèrement modifiés. Nous avons notre procédé de mutation.
Qu'en est-il du procédé de sélection ? Là aussi, la théorie nous apprend beaucoup. En fait, le nombre de trous noirs d'un univers dépend grandement des paramètres physiques de cet univers. Un trou noir typique naît de l'effondrement gravitationnel d'une étoile, et les univers "fertiles" en trous noirs sont les univers où la gravité est ajustée pour que les étoiles se forment et s'effondrent. Or, il se trouve que les univers typiques fertiles en trous noirs sont des univers très particuliers, où par exemple carbone et oxygène peuvent se former (je pense que cela vient du fait que la nucléosynthèse primordiale a lieu effectivement au coeur des étoiles, et que les éléments ne sont justement libérés que lors des explosions des supernovae). Autrement dit, un univers riche en trous noirs sera typiquement un univers où la vie a de plus grandes chances d'apparaître. Comme la "fertilité" d'un univers est directement liée au nombre de ses trous noirs, on voit donc que les univers évoluent naturellement par ce processus de sélection vers des univers "biofrendly". L'apparition de la vie devient alors beaucoup plus probable.
Alors, cette hypothèse est-elle falsifiable ? Smolin prétend que oui. Par exemple, il y a une masse critique pour laquelle les supernovae donnent des trous noirs. Ce seuil doit être aussi bas que possible pour donner le maximum de trous noirs, mais s'il descend trop bas, la nucléosynthèse primordiale devient impossible et les supernovae ne peuvent apparaître. Autrement dit, cette théorie de l'évolution des univers prédit la valeur optimale de certains paramètres, et est donc falsifiable. Le problème de l'origine de l'univers revient dans le giron de la science.
J'ai trouvé cet essai assez intéressant, à la fois pour les idées et la démarche. Je trouve très sain d'essayer de trouver de véritables explications scientifiques pour l'origine de l'Univers. Quant aux idées, impossible pour moi de juger...

5 commentaires:

Anonyme a dit…

L'analyse est très intéressante notament les concepts de 'principes anthropiques' cependant je tique un peu sur l'aspect très séduisant, et même 'sexy' de la 4ème réponse. Etendre des théories, les universaliser est généralement un exercice périlleux même pour la sacro-sainte théorie de l'évolution.
Sinon je suis séduit (forcément comme la théorie est sexy...)

Tom Roud a dit…

Oui la théorie est assez sexy, et bien qu'un peu audacieuse, paraît à première vue plausible (en particulier la corrélation entre trous noirs et nucléosynthèse par exemple), d'autant qu'elle ne me semble pas trop dépendante de modèles exotiques. Maintenant, c'est sûr, d'expérience, il faut se méfier des physiciens théoriciens ! :)

dvanw a dit…

Oui, c'est très intéressant, quoique je ne saisisse pas du tout comment Lee Smolin explique que sa théorie est falsifiable...

J'ai un projet de faire un billet qui traîne sur la "cosmologie évolutionniste", mais moi c'était pas Lee Smolin mais Charles S. Peirce(1839-1914) !!

Tom Roud a dit…

Merci dvanw pour ce commentaire !(ce billet est probablement mon préféré, je suis toujours content quand on m'en parle ;) ...)

Pour la falsifiabilité, il faudrait que je regarde de nouveau l'article original que je n'ai pas sous la main, mais dans mon souvenir, certains paramètres doivent être maximisés pour favoriser l'ensemencement des trous noirs. Or ces paramètres pourraient être plus bas par exemple sans être nécessairement incompatible avec la vie. Donc il y a une prédiction : si ce processus de sélection est vrai, on peut prédire la valeur de certains paramètres. Cela rend la théorie falsifiable.
Sinon, j'ai grand hâte de lire ton billet !

dvanw a dit…

Olà !
J'ai fait ce billet sur la « cosmologie évolutionniste », avec des citations de Charles S. Peirece, John Gribbin et... Tom Roud soi-même !

Trouvé aussi ce texte, dont je ne sais quoi penser, qui remet en cause l'improbable biofrendliness of the universe.

Qu'en penses-tu ?