Autonomie des universités : qui connait l'Italie ?
L'autonomie des universités est LA grande réforme de la recherche proposée par N. Sarkozy. A n'en pas douter, s'il est élu, ce sera l'une des premières réformes appliquées : réformer l'université lui permettra de se donner une image d'homme d'action et de réformiste à peu de frais (pour lui). Cependant, à force de vouloir copier le système américain sans réfléchir aux spécificités françaises, ne risque-t-on pas d'aller droit dans le mur ? Car il suffit de traverser les Alpes pour voir un système d'universités autonomes, depuis 60 ans...
Le rêve n'est-ce pas ? Pas très loin de ce que propose le favori des sondages en tous cas. Le problème, c'est que vous pouvez demander son avis à n'importe quel chercheur, il vous dira que le système de recherche italien est un désastre.
Quelques explications peuvent être trouvées dans cet article :
Rapprochons ce dernier élément de l'article récent d'Hugues Serraf sur la désormais fameuse université de Nîmes :
Mais bien sûr, je suis sûrement mauvaise langue. Si les Français étaient des adeptes du mandarinat local, du népotisme, si les pouvoirs publics ne cédaient jamais au clientélisme, cela se saurait.
Car c'est bien le danger qui nous guette avec cette fameuse autonomie des universités. Les chercheurs italiens, comme de plus en plus de chercheurs français, s'expatrient en masse malgré cette autonomie tant vantée par nos réformateurs. La raison est assez simple : il est totalement impossible de trouver un poste de recherche viable en Italie, sans faire de basse politique ( sans "faire preuve de son potentiel" comme dirait Sarkozy ?). D'ailleurs, nombreux sont les Italiens qui dans les années récentes ont trouvé un poste en France ...
L'autonomie totale à l'échelle française aboutirait logiquement à creuser les différences entre les gros pôles existants (en gros Paris et al.) et les petites pôles universitaires. On imagine les cris d'orfraie des 70 et quelques autres universités françaises laissées sur la route, des élus et populations locales. Et on voit bien comment une logique protectionniste et clientéliste locale favorisée par le statut autonome (comme en Italie) se mettrait immédiatement en place, ayant pour effet de complètement plomber le système par la base.
Compte-tenu de la taille microscopique des universités française, de la France elle-même, un système efficace d'autonomie des universités tourné vers la recherche ne pourrait donc se faire qu'à coup de fusions à l'échelle européenne. Mais, un tel système est à mon avis aujourd'hui totalement utopique : l'Europe n'est pas l'Amérique, où la mobilité professionnelle est bien plus grande, pour des raisons plus culturelles que structurelles. Par ailleurs la nation a encore un sens : pourrait-il exister plus d'un pôle recherche au niveau du Bénélux ? Qui acceptera de deshabiller ses propres universités pour habiller le pôle du voisin ?
Enfin avant de modifier la structure des universités, peut-être serait-il aussi judicieux de réfléchir à ses missions. On demande aujourd'hui à toutes les universités françaises de produire à la fois une recherche et un enseignement de qualité. Est-ce raisonnable ? Ne faudrait-il pas mettre plutôt en place des universités spécifiquement destinées à l'enseignement, à l'image des multitudes de petites universités d'undergraduate américaines, à côté de vrais pôles de recherche ? Que je sache, personne ne se plaint de ce que les enseignants de classes préparatoires ne fassent pas de recherche, et la qualité de la formation n'en souffre pas.
Je suis également toujours étonné par le manque de recul critique sur le système de recherche et sur ses indicateurs (quantitatif, quand tu nous tiens). Passons sur l'évaluation de la qualité d'une université sur son nombre de Prix Nobel, qui n'a pas grand sens (l'article récent de Nature sur l'apparent "déclin français" remet quelques idées en place, je ne peux que vous le recommander). Le modèle "mondial" actuel a pour seul but de faire du chiffre, de produire des papiers, aboutissant au saucissonnage des résultats, à la multiplication des papiers sur le même sujet du même groupe, aux calculs théoriques "epsilonnesque" qui n'apportent rien, au brevetage de toutes les techniques et tous les gènes , au bullshitting voire à la fraude pure et simple. Ce modèle s'auto-entretient, puisqu'on juge son succès à l'aune des objectifs affichés (produire des papiers et des citations), et non pas au progrès de la connaissance plus difficile à mesurer. Le système français a ses défauts, mais au moins la liberté de recherche est-elle totale, et il est plus propice à des projets risqués sur le long terme (encore faut-il accepter de les financer). J'ai parfois l'impression qu'on oublie que la recherche est un domaine difficile, et que produire des résultats de qualité prend nécessairement du temps; à force de vouloir s'aligner sur le système américain, nous risquons juste de jeter le bébé avec l'eau du bain comme le disait très bien Nature.
Tout le dispositif d’enseignement supérieur italien repose sur le principe de l’autonomie des universités, inscrit dans la Constitution de la République Italienne de 1948, principe auquel les universités sont très attachées. L’autonomie s’exprime aux plans administratif, financier, comptable et, depuis 2000, didactique. Chaque université s’organise selon ses propres statuts et élabore ses propres projets de formation. Source : guide de l'étudiant français en Italie
Le rêve n'est-ce pas ? Pas très loin de ce que propose le favori des sondages en tous cas. Le problème, c'est que vous pouvez demander son avis à n'importe quel chercheur, il vous dira que le système de recherche italien est un désastre.
Quelques explications peuvent être trouvées dans cet article :
En Italie, l’autonomie des universités pour le recrutement a engendré un système selon lequel on est recruté seulement là où on a fait sa thèse, on est promu seulement là où on a déjà un poste. Quand à la mobilité des étudiants, moteur potentiel de la compétition inter-universitaire, je donne deux exemples paradigmatiques. La ville d’Ostie est à 20 Km de Rome et de sa principale Université : les mamans d’Ostie ont fait une manifestation (où un collègue doyen à Rome III était convié) pour réclamer une Université à Ostie, pour que leurs bébés n’aient pas à se déplacer. Pise, autrefois université au rôle national, ne recrute désormais qu’en Toscane (et à Florence il n’y a que des enseignants florentins, sic !). Où est la compétition des universités dans l’offre de qualification ?
Rapprochons ce dernier élément de l'article récent d'Hugues Serraf sur la désormais fameuse université de Nîmes :
Nîmes vient de se doter de « la plus petite université française ». Bel effort pour une ville dont les étudiants devaient, jusqu'à présent, parcourir plus de 50 kilomètres pour accéder aux lumières de l'enseignement supérieur.
Mais bien sûr, je suis sûrement mauvaise langue. Si les Français étaient des adeptes du mandarinat local, du népotisme, si les pouvoirs publics ne cédaient jamais au clientélisme, cela se saurait.
Car c'est bien le danger qui nous guette avec cette fameuse autonomie des universités. Les chercheurs italiens, comme de plus en plus de chercheurs français, s'expatrient en masse malgré cette autonomie tant vantée par nos réformateurs. La raison est assez simple : il est totalement impossible de trouver un poste de recherche viable en Italie, sans faire de basse politique ( sans "faire preuve de son potentiel" comme dirait Sarkozy ?). D'ailleurs, nombreux sont les Italiens qui dans les années récentes ont trouvé un poste en France ...
L'autonomie totale à l'échelle française aboutirait logiquement à creuser les différences entre les gros pôles existants (en gros Paris et al.) et les petites pôles universitaires. On imagine les cris d'orfraie des 70 et quelques autres universités françaises laissées sur la route, des élus et populations locales. Et on voit bien comment une logique protectionniste et clientéliste locale favorisée par le statut autonome (comme en Italie) se mettrait immédiatement en place, ayant pour effet de complètement plomber le système par la base.
Compte-tenu de la taille microscopique des universités française, de la France elle-même, un système efficace d'autonomie des universités tourné vers la recherche ne pourrait donc se faire qu'à coup de fusions à l'échelle européenne. Mais, un tel système est à mon avis aujourd'hui totalement utopique : l'Europe n'est pas l'Amérique, où la mobilité professionnelle est bien plus grande, pour des raisons plus culturelles que structurelles. Par ailleurs la nation a encore un sens : pourrait-il exister plus d'un pôle recherche au niveau du Bénélux ? Qui acceptera de deshabiller ses propres universités pour habiller le pôle du voisin ?
Enfin avant de modifier la structure des universités, peut-être serait-il aussi judicieux de réfléchir à ses missions. On demande aujourd'hui à toutes les universités françaises de produire à la fois une recherche et un enseignement de qualité. Est-ce raisonnable ? Ne faudrait-il pas mettre plutôt en place des universités spécifiquement destinées à l'enseignement, à l'image des multitudes de petites universités d'undergraduate américaines, à côté de vrais pôles de recherche ? Que je sache, personne ne se plaint de ce que les enseignants de classes préparatoires ne fassent pas de recherche, et la qualité de la formation n'en souffre pas.
Je suis également toujours étonné par le manque de recul critique sur le système de recherche et sur ses indicateurs (quantitatif, quand tu nous tiens). Passons sur l'évaluation de la qualité d'une université sur son nombre de Prix Nobel, qui n'a pas grand sens (l'article récent de Nature sur l'apparent "déclin français" remet quelques idées en place, je ne peux que vous le recommander). Le modèle "mondial" actuel a pour seul but de faire du chiffre, de produire des papiers, aboutissant au saucissonnage des résultats, à la multiplication des papiers sur le même sujet du même groupe, aux calculs théoriques "epsilonnesque" qui n'apportent rien, au brevetage de toutes les techniques et tous les gènes , au bullshitting voire à la fraude pure et simple. Ce modèle s'auto-entretient, puisqu'on juge son succès à l'aune des objectifs affichés (produire des papiers et des citations), et non pas au progrès de la connaissance plus difficile à mesurer. Le système français a ses défauts, mais au moins la liberté de recherche est-elle totale, et il est plus propice à des projets risqués sur le long terme (encore faut-il accepter de les financer). J'ai parfois l'impression qu'on oublie que la recherche est un domaine difficile, et que produire des résultats de qualité prend nécessairement du temps; à force de vouloir s'aligner sur le système américain, nous risquons juste de jeter le bébé avec l'eau du bain comme le disait très bien Nature.
9 commentaires:
merci !
une autre reforme facile a mettre en place est celle des recrutement dont tu as deja parle..
un expat n'ayant pas envie de rentrer mais n'ayant pas envie non plus de voir les universites francaises detruites.
Vraiment bien vu ce billet sur l'exemple italien. Je suis aussi d'accord sur la séparation entre enseignement et recherche qui sont deux choses différentes. De fait pour certains étudiants, il est important d'avoir des profs qui soient à la frontière de la recherche, mais cela n'est vrai que pour un certain type d'étudiants. D'autant plus que si on séparait la recherche de l'enseignement, on pourrait en profiter pour faire des progrès en pédagogie. Sur ce sujet, l'article de Robert Gary Bobo et Alain Trannoy posait assez bien le débat des incitations des profs.
Ca fait un petit moment que je me pose pas mal de questions sur le systeme de recherche de differents pays (mon experience perso aidant, vu que j'ai fait la quasi totalite de mes etudes orientee recherche a l'etranger); la problematique est evidemment interessante et complexe.
Comme toi, je me mefie beaucoup des "yaka", et du "faut faire comme les americains". Typiquement, je suis toujours etonne que meme dans la bouche de personnes un minimum censees, on nous rabache avec le classement de Shanghai, qui en gros donne des resultats qui correspondent exactement au biais auquel on pourrait s'attendre en voyant la methodologie (en gros, seul les US et les RU feraient de la recherche valable).
Au Japon, ou j'effectue actuellement ma these, les universites sont assez independantes, et les moyens sont la (frais d'inscription eleves, enormement de liens entreprises/universites). Une bonne partie des thesards font leur these dans le cadre d(une entreprise (du moins dans mon domaine, particulier il est vrai car tres applique par nature: traitement du signal); en fait, une bonne partie des profs ont ete dans des entreprises a un moment ou un autre (au Japon ou a l'etranger). Autre fait interessant, des que les eleves entrent en master, ils sont en contact avec la recherche (mon labo, c'est un prof, un prof assistant, 3 thesards et 7 master), sachant qu'en meme temps, les master savent deja dans quelle entreprise ils vont bosser (ca reste le Japon :) ). Maintenant, est-ce que la recherche y est de bon niveau ? Il y a des chercheurs reputes dans mon universite (kyoto, 2e universite du Japon apres Tokyo, toutes deux systemes de formation des elites du Japon), mais vis a vis de la taille, je sais pas.
Le probleme, on y revient toujours, c'est la valorisation des theses et de la recherche en France. C'est tres frustrant de me dire que chaque annee que je passe en these, c'est mon diplome de grande ecole qui est un peu plus devalorise, et qu'au lieu de gagner un salaire confortable en bosssant peu, j'ai un revenu de misere en bossant beaucoup. Sans un changement a ce niveau la, je ne vois pas comment on pourra avoir plus de gens venant de grandes ecoles s'interessant a la recherche.
Vu que le systeme des grandes ecoles capte une part non negligeable des bons eleves, et donc certainement des chercheurs potentiels, ca me parait essentiel. Sinon, on continue dans la situation actuelle, qui est que les grandes ecoles ont des labos, mais que les eleves n'ont absolument aucune idee de ce qui s'y passe.
@ tous : merci de vos commentaires
@ blop : complètement d'accord avec toi, il y a déjà des choses à faire sur les concours de recrutements...
@ PAC: effectivement, je pense qu'il serait bon de se poser la questions sur la complémentarité enseignement recherche. Mais si je pense qu'on peut imaginer des universités sans recherche, je crois en revanche qu'il faudrait que les chercheurs fassent tous de l'enseignement (pas de recherche sans enseignement).
@ David : merci de partager ton expérience. Je pense moi aussi que toute réforme doit s'appliquer et s'appuyer sur les particularités locales. D'où ma crainte quand on voit l'exemple de l'Italie d'une transposition d'un "modèle" au forceps.
Les particularites locales sont quelque chose de fondamental je pense, et sont assez souvent largement ignorees, en effet. Vivre au Japon est d'ailleurs a ce titre tres enrichissant: on peut faire les choses de maniere fondamentalement differente et pourtant avoir un pays qui "tient" la route selon la plupart des criteres que l'on veut. Le systeme americain est tres performant pour ce qui est de la recherche aux debouches a court terme (je prefere ce terme a recherche applique, qui ne veut pas dire grand chose pour moi): en informatique, en traitement du signal, etc... Il y a une forte "synergie" entre les entreprises et les labos, au Japon aussi. Mais il y a des pans entiers de recherche qui ne pourront jamais fonctionner comme cela je pense.
Sur l'independance des universites, il y a un article sur Telos qui explique assez bien ce qu'on entend par la (c'etait pas forcement tres clair pour moi quand je commencais a m'interesser au probleme, surtout que venant des prepa, je ne connais finalement pas du tout les universites en France, si ce n'est au travers de quelques labos), que tu connais surement, mais qui peut etre interessant pour d'autres (tres engage en faveur):
http://www.telos-eu.com/2007/01/liberer_luniversite.php
Je trouve un peu dommage que concernant le dossier de Nature que tu citais il y a quelques posts, les temoignages n'etaient pas plus fouilles. C'etait interessant de voir la difference fondamentale de ceux-ci en fonction des disciplines d'ailleurs.
Salut Tom,
Le probleme c'est que l'autonomie n'est pas suffisante en soi. Comme le soulignait PAC, il faut poser le probleme des incitations. C'est a mon avis tres clairement la raison des succes des systemes US et UK: l'alliance de l'autonomie et d'un systeme d'incitations. Aux USA, l'evaluation se fait par le marche si l'on peut dire. Au Royaume Uni ou je travaille il y a les Research Assessment Exercises (http://en.wikipedia.org/wiki/Research_Assessment_Exercise)
Par disciplines, des comites nationaux evaluent la qualite de la recherche de chaque departement en mesurant le nombre de papiers publies dans de bonnes revues. Les resultats servent a afficher la qualite de l'universite pour les etudiants potentiels (que l'universite a interet a attirer car elle est financee en grande par tie par les frais de scolarite) et a allouer une part des budgets de recherche public.
L'effet ici est tres net a mon avis. Les recruteurs font passer le copinage au second plan car ils sont incites a prendre les meilleurs candidats dans un systeme tres competitif ou ils perdraient progressivement leurs credits dans le cas contraire.
Cela produit un systeme ouvert ou chacun a sa chance et ou les mouvements sont possibles, en particulier les mouvements internationaux pour le plus grand avantage des universites britaniques (qui importent massivement d'Italie et de France notamment).
Les critiques existent comme la page de Wikipedia le montre. Mais apres avoir teste le systeme Francais et le systeme britanique il n'y a pour moi vraiment pas photo. J'echange volontier un peu de biais vers du productivisme (pas si inquietant que ta description) contre la rigidite, le copinage et le manque d'incitation a publier du systeme francais. Les chercheurs votent d'ailleurs avec leurs pieds. Les jeunes chercheurs francais sont nombreux a tenter leur chance ici, ou aux USA (comme toi).
C'est pourquoi je pense qu'une reforme de l'universite doit contenir les trois principes suivant pour produire un systeme efficace:
1) Des frais de scolarite refletant le cout reel des etudes avec des pret s pour les etudiants (a remboursement conditionnel a l'obtention d'un revenu eleve plus tard comme en UK pour ne pas demotiver les plus pauvres)
2) Une autonomie des universites qui choisissent leurs politiques et leur recrutement.
3) Un systeme d'evaluation qui sanctionne l'efficacite des universites et incite celle-ci a rechercher l'efficacite pour ne pas perdre pied dans la competition.
Vu de France je sais que ce que je viens de dire peut ressembler a un "cauchemar liberal". Vu d'ici on est loin du cauchemar. Les chercheurs sont mieux payes, ont plus de moyens de recherche, sont plus motives et plus heureux en general. Le "cauchemar liberal" ressort plutot de la fantasmagorie politique en France.
Lionel
@ Lionel,
merci pour ton commentaire.
Je suis complètement d'accord avec toi et PAC pour dire qu'effectivement, l'autonomie n'a de sens qu'accompagnées d'incitations bien définies et bien ciblées. Incitations à la fois pour les étudiants, les chercheurs, les professeurs. Je ne suis pas sûr que notre futur Président ait conscience de ce qui s'impose en la matière (en particulier sur les salaires et la masse de chercheurs, sur la nécessité d'avoir des étudiants et des docteurs), d'où mon inquiétude.
Après, comme tu le soulignes, l'un des facteurs essentiels pour ce système est d'inciter la mobilité des étudiants, pour "mettre en compétition" les universités. Or j'ai quelques doutes sur la volonté des étudiants français à "bouger". Anecdote personnelle : au moment de choisir ma prépa, j'aurais pu, compte-tenu de mes résultats, aller étudier dans les grandes prépas parisiennes. J'ai préféré rester dans ma petite ville de province, dont je savais pourtant qu'elle n'avait pas des résultats faramineux. Cela ne m'a pas empêché d'intégrer une très grande école; mais je connais beaucoup de gens qui ont raisonné comme moi. La mobilité des étudiants en France me semble être l'exception, pas la règle - dans la mesure du possible chacun reste chez soi; maintenant il y a sûrement des biais ( la raison majeure est que toutes les prépas sont égales devant le concours), mais cela me paraît assez typique de la "mentalité" française . Sans compter que pour attirer des étudiants, il faut de vrais campus, et que pour les universités parisiennes, de gros problèmes se posent ;).
Pour le "vote" avec ses pieds, je ne peux que constater que beaucoup s'expatrient. Mais dans mon cas comme dans beaucoup d'autres, ce n'est pas de gaîté de coeur, et essentiellement par manque de postes. Sarkozy va-t-il créer des postes ? Il me semble être sur une ligne beaucoup plus "malthusienne" assez française en fait (les meilleurs, rien que les meilleurs - une espèce de distillation fractionnée à toutes les étapes de sélection), je ne le pense donc pas et donc les jeunes chercheurs continueront à s'expatrier.
Enfin, pour les frais de scolarité, j'avoue que je ne sais quoi penser. J'entends bien l'argument qui dit que partout les frais de scolarité sont plus élevés pour financer la recherche. Mais l'exemple de réussite que sont les prépas montre que si on y met les moyens d'en haut, on peut avoir une formation de grande qualité virtuellement sans frais d'inscription. Rien n'empêche ensuite de financer la recherche indépendamment. C'est surtout un choix de société (financement par l'impôt), qui est donc basé sur la redistribution par l'impôt; choix de société "solidaire" en somme (mais il est vrai aussi qu'en France on a l'exil fiscal facile - les Américains ont beaucoup de défauts, mais eux au moins ont souvent la "reconnaissance" du ventre à l'égard de leur université). Alors bien sûr, ici, il y a des gens de milieux plus populaires qui font des études, mais quand je vois certains post-doc de ma génération qui sont plombés par un prêt étudiant contracté il y a dix ans alors que moi je suis libre comme l'air (soulignons d'ailleurs que c'est aussi cela qui permet de "voter avec ses pieds"), je m'interroge. La solution me semblerait d'être de faire des droits d'insciption pour les étudiants proportionnels aux revenus des parents, mais j'imagine que c'est impossible, voire inconstitutionnel.
Avoir des frais de scolarite eleves + une certaine autonomie des universites n'empeche pas le copinage, le Japon en est un parfait exemple. C'est un pays dont les universites fonctionnent assez selon le principe anglo saxon pour ce qui est des labos (un prof, des thesards et des post doc, au prof de trouver des thunes pour faire simple), avec des frais assez eleves, des universites a grand campus, au moins pour les prestigieuses.
Et pourtant, il n'y a pas vraiment de mobilite, la meilleure facon d'etre prof dans une universite prestigieuse, c'est d'y avoir fait tout son parcours, etc... Je pense qu'il est vraiment tres difficile d'appliquer un soit disant modele etranger a la France: les US et les RU ont deja un avantage vis a vis de la langue (s'y expatrier est facile, car tout le monde baraguine plus ou moins la langue), qui a mon avis est loin d'etre negligeable. Si l'on compare avec des pays plus "proches" de nous, comme l'Allemagne, la Hollande, je pense que ce serait plus fructueux.
Surtout, mettre en place une reforme des universites sans y inclure les GE, qui captent une partie tres consequente des bons elements post bac, ca me parait suicidaire (genre mettre des frais eleves dans les FAC sans rien changer aux GE, il y a quand meme de grandes chances de voir encore plus de bons elements aller vers les GE). Il y a la une reelle specificite francaise, quand meme, et ca m'etonne toujours qu'on en parle finalement si peu lorsque l'on parle reforme des universites.
J'espere effectivement que Sarkozy ne menera pas une politique elitiste-malthusienne.
Concernant les frais d'inscription il faut evidemment eviter certains ecueils. En particulier, il faut eviter de decourager les etudiants les plus pauvres qui pourraient hesiter a prendre un pret. Cette question a fait l'objet d'un grand debat en GB ou les opposants aux frais d'inscription ont souleve le risque de "debt aversion" de la part des etudiants. La solution qui a ete adoptee: prets a remboursement conditionel (les prets ne sont a rembourser que si le revenu apres les etudes est superieur a une limite donnee) offre une assurance pour les etudiants les plus pauvres. Du fait de ce design, il n'y a pas vraiment de raisons de craindre une augmentation des frais de scolarite. Par ailleurs, les frais de scolarite ont deux effets positifs (en plus de fournir des moyens a l'universite et de d'augmenter la competition):
- C'est une reforme equitable dans la mesure ou les etudes des etudiants leur beneficient a eux (revenus futurs). Il est donc normal qu'ils contribuent, d'autant plus qu'ils sont souvent d'origine favorisee. Dans les cas les plus caricaturaux, les contribuables payent des etudes gratuites pour des etudiant en finance qui vont gagner des sommes enorme par rapport au revenu moyen du contribuable (est-ce rationel/equitable?).
- Des frais de scolarite permettent de faire integrer la demande sociale dans les choix etudiants. La societe a besoin d'informaticiens, gestionnaires, techniciens, etc... Par contre, elle a moins besoin de sociologues, journalistes que le nombre d'etudiants dans ces filieres. Naturellement les etudiants peuvent trouver les filieres du deuxieme type plus interessantes sur le plan personnel, mais les debouches sont beaucoup trop rares. La gratuite revient donc a subventionner les preferences des etudiants pour les etudes "sympas". On peut penser que toute subvention n'est pas illegitime (on peut souhaiter que le pays produise plus de sociologues, historiens, etc que le marche ne le ferait) mais la gratuite c'est une subvention a 100%. Je doute que cela soit une solution optimale. En faisant payer au moins une part du cout de leur formation aux etudiants on favorise une meilleure allocation des etudiants entre les filieres.
Lionel
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