Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

27 juin 2007

Sacerdoce







Je sais, j'ai écrit il y a trois heures que je tirais le rideau pour quelques jours, mais le dernier phD Comics colle tellement bien à mon sentiment actuel en cette période de réforme de la recherche... Peut-être suis-je juste blogaholic ;).

Vacances

Je pars bientôt en vacances pour dix jours. Je suis bien cramé, j'ai besoin de complètement déconnecter. Avant de partir, j'ai pas mal de boulot, donc probablement pas de billets trop constructifs avant ma reprise, mi-juillet au plus tôt. Cela ne m'empêchera pas de suivre l'actualité, et en particulier la réforme de l'université.
Merci à tous les lecteurs de ce blog, et bonnes vacances !

26 juin 2007

En passant...

Deux articles sur le recrutement à l'université française (merci Mawashi):

Recrutement, autonomie et clientélisme, par Olivier Godechot

Université : la foire à l'embauche, par François Clément


Où vous comprendrez à quel point l'autonomie des universités est déjà très grande pour les concours de recrutement, pour le meilleur et pour le pire...

Plus généralement, je crois qu'un point sur lequel tous les candidats s'accorderont est qu'il faut beaucoup plus de transparence et d'honnêteté dans les critères de choix. Il y a beaucoup de règles non écrites dans certaines commissions, dont les candidats n'ont pas conscience car elles ne sont pas explicitées. Ainsi, je suis personnellement tout à fait favorable à ce qu'on n'autorise pas les recrutements locaux, mais dans ce cas il faut le dire dès le début, pas pendant les délibérations du jury pour éliminer certains candidats qui ont fait le déplacement pour l'audition. Cette tendance est très générale et est à mon avis un véritable poison. Un ami me relatait récemment une aventure d'un chercheur qui avait déposé deux demandes de financement différentes dans deux endroits différents pour le même projet : les commissions avaient des membres en commun, qui avaient décidé de façon tacite qu'ils ne voulaient pas examiner deux fois la même demande et donc qu'une seule serait recevable. La recevabilité dans une commission équivalait dont au rejet par l'autre commission : n'est-ce pas totalement absurde ?

24 juin 2007

Réforme de l'université : quelques commentaires sur le projet

Quelques trucs (pas forcément très originaux) sortis du projet de réforme sur l'université :

L'hyper-président... d'université ?

Le premier truc qui frappe lorsqu'on lit ce projet est de voir comment les pouvoirs se retrouvent quasiment concentrés entre les mains du seul Président. Certes, il est élu à la majorité absolue par un conseil d'administration de 20 membres, mais 7 membres de ce conseil sont nommés par ce même président . De plus, sa voix est prépondérante en cas d'égalité. Autant dire que le Président plus ses 7 amis nommés représentant quasiment tout le conseil (il y aura toujours un ou deux enseignants chercheurs pour les accompagner), ils feront ce qu'ils veulent. Là encore, conception très française du pouvoir où il faut que les décisionnaires "aient les mains libres" car ils savent mieux que tous ce qui est bon pour la collectivité. Aux Etats-Unis, même si le Président a un pouvoir fort, les choses me semblent plus collégiales et surtout plus concertées : par exemple, la communauté des post-doc dans mon université est invitée à s'investir dans le choix de recrutement des tenure track, le Président lui-même soutenant très fortement la communauté des post-doc. Autrement dit, aux US, il me semble qu'un fort pouvoir est aussi synonyme d'un devoir d'ouverture et de recherche du consensus, les contre-pouvoirs sont organisés; je ne suis pas sûr que cela soit l'esprit de cette réforme dont l'objectif avoué est de mettre un "coup de pied" aux fesses de l'université. Il faudra voir à l'usage, mais ça dépendra très fortement de la personnalité du Président; le seul problème c'est qu'une fois élu, il est virtuellement indéboulonnable, peut très bien monter les uns contre les autres et mener l'université droit dans le mur.

Pour conclure ce passage et comme le dit Monthubert :

Les pouvoirs confiés aux présidences universitaires doivent être contre-balancés par une évaluation sérieuse et une politique nationale de développement de la recherche.


Les personnels

Sans préjudice des compétences qui lui sont attribuées par la loi ou le
règlement, le conseil d'administration détermine la politique de l'établissement et délibère :
– sur proposition du président de l'établissement et dans le respect des priorités nationales, sur la répartition des emplois qui lui sont alloués par les ministres compétents.

Art. L. 712-10. – Le président peut recruter, sur les ressources propres de l’établissement, des agents contractuels pour occuper des emplois, permanents ou non, de catégorie A, notamment des emplois techniques administratifs de recherche et de formation.
Par dérogation aux dispositions de l’article L. 952-6, le président peut également recruter des agents contractuels pour occuper des emplois d’enseignement et des emplois scientifiques après avis du comité de sélection prévu à l’article L. 952-6-1.

Art. L. 712-11. – Par dérogation aux dispositions de l’article L. 952-4, le conseil d’administration définit, dans le respect des dispositions statutaires applicables et des missions de formation initiale et continue de l’établissement, les principes généraux de répartition des obligations de service des personnels enseignants et de recherche entre les activités d’enseignement, de recherche et les autres missions qui peuvent être confiées à ces personnels.

Art. L. 712-12. – Le président est responsable de l’attribution des primes aux personnels qui sont affectés à l’établissement. En outre, le conseil d’administration peut créer des dispositifs d’intéressement permettant d’améliorer la rémunération des personnels. Les
modalités d’application de cet alinéa sont précisées par décret.



Pour le recrutement des enseignants chercheurs en lui-même, cela ne me paraît pas très différent de la situation actuelle. Cela ne me réjouit guère; je crois qu'il faudrait attribuer les postes aux labos et leur déléguer tout le processus (ça éviterait d'avoir ces commissions de spécialistes pléthoriques, protéiformes et bien souvent incompétentes sur les sujets des candidats).

Par ailleurs, je suis dubitatif :
  • sur le recrutement d'enseignants contractuels vacataires. J'imagine que cela correspondra aux moniteurs, mais pas seulement. A tous les coups on va voir la même chose que dans l'éducation nationale : des jeunes docteurs ne trouvant pas de débouchés dans la recherche à qui on va donner des bouts de charges d'enseignement par ci par là, avant d'être jetés quand on n'aura plus besoin d'eux.
  • sur la modulation libre entre l'enseignement et la recherche, qui risque de se transformer et d'être vécu par les personnels comme la carotte (recherche) et le bâton (enseignement)
  • sur la tarte à la crème des primes au mérite (on récompensera quoi au juste ? et surtout qui ? les moniteurs auront-ils droit à ces primes par exemple?)

En d'autres termes, la guerre au statut est annoncée. Il est de bon ton dans certaines instances dirigeantes en France de critiquer toute idée de statut. Or, aux Etats-Unis par exemple, les chercheurs ont effectivement un statut. Les règles et les contrats sont extrêmement clairs : vous êtes par exemple recrutés pour 5 ans avec une grant , devez obligatoirement trouver une grant, et après ces 5 ans, vous êtes recrutés par l'université si elle est d'accord. Les charges d'enseignement sont également claires et définies à l'avance. Un truc qu'il faut voir est que les universités se font la guerre sur ce statut de chercheur aux Etats-Unis : les universités essaient d'attirer les profs là-dessus. Un ami par exemple avait le choix récemment entre une université lui proposant une tenure track classique (5 ans, demandes de grant à faire, puis évaluation pour devenir permanent) et une autre lui proposant des grants conséquentes de 7 ans, renouvelables, mais ne lui proposant aucune titularisation à terme. Il a choisi la première solution, choix d'une certaine stabilité - y compris familiale.
Pour conclure, rien n'est moins attractif qu'un flou artistique complet, sur le mode du "on peut vous virer, vous couper les vivres, vous doubler votre charge d'enseignement quand on veut". Moi, cela ne m'attire pas du tout.

Inscription des étudiants :


[Pour le premier cycle] Tout candidat est libre de s'inscrire dans l'établissement de son choix, sous réserve d’avoir préalablement sollicité une préinscription de façon qu’il puisse bénéficier du dispositif d’information et d’orientation dudit établissement.

L'admission dans les formations du deuxième cycle est ouverte, dans les conditions définies par le conseil d’administration, aux titulaires des diplômes sanctionnant les études de premier cycle ainsi qu'à ceux qui peuvent bénéficier des dispositions de l'article L. 613-5 ou des dérogations prévues par les textes réglementaires.


L'UNEF considère qu'avec la préinscription "le gouvernement ouvre une brèche au mieux inefficace et au pire dangereuse". Je ne suis pas opposé au principe d'une discussion sur les orientations tant qu'on n'oblige personne et que ce n'est pas un mode de sélection larvée, comme souvent pour les orientations en France malheureusement.
Enfin, l'UNEF dénonce le second paragraphe comme un principe de sélection local. Je remarquerai juste qu'à ma connaissance, la sélection existe déjà au niveau Master dans les faits.

Pour conclure, réforme bien française : un chef décide, les principaux acteurs exécutent (subissent ?), il faut que le Président ait accès à toutes les manettes, et plus on descend dans la hiérarchie, plus on est soumis aux aléas du niveau supérieur. C'est probablement intéressant quand le Président tout en haut sait ce qu'il fait.

21 juin 2007

Lab chronicles II


Notre jeune professeur est aujourd'hui en visite à New York, au coeur de l'upper East Side. Tout le long de York Avenue s'alignent de célèbres insituts et hôpitaux : Rockefeller University, Cornell Medical School, et surtout le Memorial Sloan-Kettering spécialisé dans la recherche sur le cancer. Descendant la 68ième rue avec un bon ami, il voit un groupe de Dominicains rentrer dans une immense tour en verre, arborant fièrement le nom de la congrégation.
- Et bien, je croyais que seul l'opus Dei possédait des tours dans Manhattan !
- Tu te trompes, la tour n'appartient pas à l'Eglise. En fait, c'est la nouvelle tour du Memorial Sloan-Kettering (MSK).
- Mais c'est un institut de recherche non ? Comprends pas. En tous cas, mazette, ils ont des sous !
- Tu sais, ils se consacrent à la recherche sur le cancer. Beaucoup de riches californiens flippés donnent des fortunes. La tour a été entièrement financée par des dons. C'est sûr qu'on ne connaît pas ça en France ! Pasteur survit-il encore ?
- Difficilement je crois.... En tous cas, c'est impressionnant !
- Plutôt flippant je dirais. Certains l'appellent la tour de Sauron...
- Et pourquoi ces religieux ?
- C'est une longue histoire. Tu vois la petite Eglise à côté ? En fait, elle possédait une partie des terrains sur lesquels est construite la tour. Elle les a revendus au MSK pour qu'ils puissent construire le centre de recherche.
- Plutôt sympa...
- Attends, la suite est trop marrante. En 95, le MSK a donc pu acheter le terrain à prix d'ami. A deux conditions toutefois. La première, c'était que le MSK leur fasse de la place à l'intérieur en remplacement. C'est pour ça que tu peux lire le nom de la congrégation sur la tour.
- Et bien, ils ont le sens des affaires les Dominicains !
- La deuxième condition est hallucinante. Tu connais toute les polémiques sur les cellules souches ? Notamment le fait que comme l'embryon est sacré, c'est un pêché mortel d'utiliser les cellules souches.
- Ah oui, j'ai lu un truc là-dessus récemment. Mais c'est fini maintenant, ils ont réussi à faire des cellules souches que le Vatican approuve ?
- Ouh la, on verra... Mais toujours est-il qu'en 95 et encore aujourd'hui, on était obligé de détruire les embryons pour choper les cellules souches. Et bien les dominicains ont conditionné la vente au fait que le MSK ne fasse pas de recherche sur les cellules souches dans le nouveau bâtiment.
- Quoi ?
- Ouaip, sur les 23 étages de la tour, aucune équipe n'a le droit de travailler sur les cellules souches. L'Eglise te l'a interdit. C'est assez emmerdant, car ils ont transféré pas mal d'équipements dans le nouveau bâtiment. Les gens qui sont restés dans les anciens bâtiments et qui travaillaient sur les cellules souches n'ont plus le droit de se servir de ce matos qu'ils utilisaient quotidiennement. Et puis, rappelle-toi, c'est un centre de recherche contre le cancer. Et entre le cancer et les cellules souches, il y a plein de points communs...
Le plus hallucinant dans cette histoire est que la direction du MSK ait accepté le deal.



Source de l'histoire et de la photo : Natural selection (revue de Rockefeller University)
J'en profite pour mettre un sondage inspiré de celui-ci, dont les résultats sont bien flippants je trouve !

20 juin 2007

Alors comme ça, il faudrait relativiser le brain drain ?

Le Monde d'aujourd'hui publie un article tout à fait intéressant sur la fuite des cerveaux. S'appuyant sur l'étude deux X-Mines, l'article affirme, chiffres à l'appui, que la France reste attractive.
Premier extrait intéressant :


Seulement 3 % des chercheurs français s'expatrient, le taux le plus faible d'Europe. Et 80 % reviennent au bout de quelques années, riches de cette expérience. Alors, pourquoi s'alarmer ?


J'ai cherché la source du premier chiffre auquel je ne croyais absolument pas, et suis tombé notamment sur le site d'Egide :


En 1999, 26,2% des doctorants ayant soutenu leur thèse se trouvaient dans un laboratoire étranger 6 mois après l’obtention de leur diplôme contre 23,7% l’année précédente, selon le dernier rapport sur les études doctorales publié par le ministère de l’Education nationale. 18 mois après la thèse, 21,1% des diplômés de 1997 étaient encore hors de l’Hexagone, précise l’étude. Le nombre de post-doc à l’étranger 6 mois ou 18 mois après la thèse varie peu car les séjours post-doctoraux sont généralement d’une durée de deux ans et peuvent durer jusqu’à cinq ans. Ces chiffres cachent toutefois de fortes disparités. Le nombre de jeunes chercheurs français dans les laboratoires étrangers était supérieur à la moyenne dans trois domaines : la chimie (27%), les sciences de la terre et de l’univers (33%) et en biologie, médecine, santé (42%). Après 18 mois, le ministère ne suit plus ces 4 000 post-doc éparpillés à travers le monde dont il est difficile de savoir ce qu’ils sont devenus. Dans une étude publiée en 1999, le CEREQ (Centre d’études et de recherche sur l’emploi et les qualifications) estimait que 3 ans après la thèse, 3% des jeunes chercheurs étaient encore à l’étranger.

Plus du quart des doctorants partent en post-doc à l'étranger (ça me paraît réaliste), n'oublions pas non plus ceux qui partent aussi dans le privé à l'étranger. Donc l'article est faux, au moins 25% des jeunes chercheurs s'expatrient temporairement. Ensuite, 18 mois après la thèse, ils sont encore 21% à l'étranger. A ce stade, le ministère lui-même reconnaît qu'il ne suit plus les post-doc, mais les 3% semblent venir d'une estimation sur les chercheurs à l'étranger 3 ans après la thèse.

J'ai continué mes recherches et suis tombé sur un nom : Philippe Moguérou, qui a apparemment étudié cela avec soin. Quelques extraits de sa thèse (p 192-193):


Globalement, 59% des docteurs de l’échantillon Irédu 2001 ont effectué un post-doctorat à l’issue de leur thèse et 21% deux post-doctorats (Tableau 60). Le post-doc est très courant en sciences de la vie puisque quatre docteurs sur cinq ont réalisé un post-doc dans ces disciplines. Dans les autres champs scientifiques, le post-doc concerne entre un tiers et la moitié des docteurs.

(...)
Le premier post-doc est effectués à l’étranger à 62% contre 43% pour le second post-doc.

Ces chiffres me paraissaient plus raisonnables. Si vous compilez les données, vous en déduisez qu'environ 10% des jeunes docteurs font un deuxième post-doc à l'étranger (donc on peut affirmer sans trop se tromper qu'au moins 10% sont à l'étranger 3 ans après la thèse).

Quelques remarques à ce stade :
  • ceux qui sont rentrés n'ont pas nécessairement des postes permanents dans la recherche. Sur une autre présentation de Philippe Guérigou, on voit que 20 % des doctorants sont encore en contrat à durée limitée trois ans après leur soutenance. 40% des doctorants en science de la vie sont encore en post-doc. Pour ceux en CDI, 10% des doctorants ayant un emploi sont par exemple enseignant dans le secondaire. La présentation du Monde est ambigue et pourrait laisser à croire que 97% des chercheurs français ont tranquilement des postes permanents de recherche en France trois ans après la thèse, c'est tout à fait faux.
  • ensuite, un point complètement passé sous silence dans cette article est que la situation a probablement changé ces toutes dernières années. Par exemple en ce qui concerne les recrutements : la limite d'âge au concours d'entrée du CNRS a sauté. La conséquence est que les post-doc sont en train de s'allonger de façon drastique, et qu'à mon avis ces chiffres d'expatriés vont exploser. N'oublions pas non plus les coupes budgétaires depuis 2002, les changements structurels en cours...


Le milieu de l'article nous explique que quand même, la France n'arrive pas à retenir les tout meilleurs (cherchez la contradiction). La fin est assez hallucinante et montre à mon avis un biais hyper élitiste très français :

En biologie, "les dix Français expatriés les plus productifs publient autant que tous les chercheurs de l'Institut Pasteur", (...)

La population à cibler est donc faible. Il doit être envisageable de leur offrir des salaires, une équipe de travail, un budget comparables à ce qui leur est offert outre-Atlantique, avancent les deux auteurs, qui, en tout cas, ne feront pas mentir leurs statistiques.


Cela me rappelle quand Claudie Haigneré avait dit qu'il fallait moins de chercheurs, mais des chercheurs de qualité. En France, on croit que pour avoir de la bonne recherche, il faut cibler les dix meilleurs chercheurs du monde, leur donner plein de sous pour les faire venir en France, et le tour sera joué. Les autres chercheurs sont des pièces rapportées, des nullards qu'il ne faut pas cibler. Autrement dit, on a une vision fondamentalement pyramidale de la recherche, où seul celui qui est en haut de la pyramide compte et passe son temps à produire des idées géniales que ses petites mains vont utiliser. C'est à mon avis une vision de technocrate qui ne sait pas ce que c'est que la recherche.

Car, à l'exception de certaines disciplines (où nous excellons, telles les mathématiques), la recherche ne marche pas comme ça. Les bonnes idées peuvent surgir de n'importe où, et peut-être pas des pointures déjà établies (rappelons qu'un Nobel a sa carrière derrière lui). De plus, une idée ne suffit pas, il faut non seulement l'équipe, mais les post-doc, étudiants de thèse, stagiaires, qui sont les véritables moteurs du labo et doivent eux aussi être très bons, fournir leurs propres idées, construire leur propre démarche. Comment recruter des bons étudiants si ceux-ci n'ont pas de débouchés raisonnables et si on les fout ensuite dehors en leur préférant systématiquement la nouvelle pointure du pays voisin ?

Sans compter que les idées ne surgissent pas en claquant des doigts: il faut des séminaires, des discussions avec les collègues, des synergies, des fertilisations réciproques, un vrai tissu scientifique compétent et réactif. Nos dix super cracks chercheurs permanents en France vont-ils se réunir tous les mois pour partager leurs idées géniales ?

En conclusion, pour avoir une bonne recherche, il faut un système dynamique, en interaction forte, et surtout massif pour ne pas laisser partir la bonne idée, plutôt que le bon chercheur (car de toutes façons, un chercheur a tout au plus une ou deux idées géniales dans sa vie). Tout le contraire du malthusianisme scientifique qu'on nous prescrit dans cette article.

PS: je finis en souscrivant à 100% à ce commentaire, qui a le mérite de rappeler que les chercheurs ne sont pas seulement des ressources qu'il s'agit de s'accaparer:

Morgane G.
20.06.07 | 17h08
Mais bien sûr Annie Kahn, arrêtons de nous alarmer puisqu'ils finissent par revenir! Quelle importance alors que l'on leur impose un exil de plusieurs années, qu'on perde leur fougue, qu'on déstabilise ou retarde leur vie famille et qu'on en perde certains en route? Ils finissent par revenir, c'est donc la preuve irréfutable que le système est bon, et absolument pas un signe qu'ils auraient aimé rester et sont prêts à tout pour que ce soit notre (ingrat?) pays qui profite de leur matière grise.

19 juin 2007

De final fantasy jusqu'à Einstein, un peu de géométrie


L'un des jeux vidéos les plus marquants de la fin des années 90 était le cultissime Final Fantasy VII. Comme dans de nombreux RPG, la fine équipe de Cloud Strife fait assez tardivement l'acquisition d'aeronefs (ou, plus pratique, de chocobos dorés), lui permettant de voyager de part le monde. Peu de joueurs s'en sont probablement rendus compte, mais la géométrie du monde de Final Fantasy VII (comme de la plupart des Final Fantasy) est très étrange. Ci-contre, j'ai représenté la carte du monde de Final Fantasy VII avec trois chemins différents d'un point à un autre (vert, jaune et orange). Plusieurs aspects sont surprenants :
  • d'abord, le plus court chemin d'un point à un autre (géodésique en terme mathématique) est la ligne droite . Autrement dit, le monde de Final Fantasy VII est géométriquement tout plat. Exactement comme le disque-monde de Pratchett (ou comme la vision du monde d'avant Christophe Colomb)
  • seulement, il n'y a guère de Grande A-Tuin pour porter le monde de Final Fantasy. En effet, la plus grosse curiosité est que ce monde plat n'a pas de bord : sur la carte ci-dessus, les lignes bleues et rouges communiquent entre elles, comme indiqué par les chemins vert et jaune. Le monde de Final Fantasy VII est fermé et on peut revenir à son point de départ en allant tout droit.
Que se passerait-il si le monde de Final Fantasy était une sphère, comme notre bonne vieille Terre ? Sur la figure ci-contre, j'ai tenté de représenter (à peu près) les mêmes chemins :
  • D'abord, le pôle Nord et le pôle Sud sont séparés et distincts. On n'atteint pas le pôle Sud en remontant vers le pôle Nord.
  • sur la carte, les plus courts chemins ne sont pas des lignes droites, mais des lignes courbes. C'est dû au fait qu'on ne peut pas projeter une sphère sur un plan sans la déformer.
Concrètement, quand on projette la sphère sur un plan, plus on s'éloigne de l'équateur, plus les distances sont exagérées. Les cas extrêmes sont les pôles : un seul point, se retrouve "étalé" sur toute la longueur de la carte (bandes violettes et bleues). Sur une sphère, les géodésiques sont les arcs de grand cercle, c'est à dire les arcs des cercles à la surface de la sphère la divisant en deux hémisphères égaux. C'est pour cela que pour aller de Paris à New York, on ne reste pas à la même lattitude et on va vers le Nord, passant au large de l'Islande. Quand on projette la sphère sur un plan, ces arcs n'ont aucune raison d'être des lignes droites (sauf exception, comme les méridiens), d'où les lignes courbes ci-dessus. A ce stade, pour ceux que ces géométries non euclidiennes intéressent, je vous renvoie au blog d'eljj pour une petite présentation.

Revenons au monde de Final Fantasy VII. Si celui-ci n'est ni une sphère, ni une galette, qu'est-il donc ? On peut se livrer à l'exercice suivant : on sait que les lignes bleues et rouges de la carte doivent se recouvrir. Enroulons notre carte pour mettre les deux lignes bleues ensemble : on obtient un sympathique cylindre. Maintenant, recollons les deux lignes rouges : on obtient un espèce de beignet, ou encore une chambre à air, qu'on appelle tore en mathématiques. Oui, c'est le principal enseignement de ce billet : les mondes de Final Fantasy sont des beignets.

Un gros problème se pose alors : comme vous le savez sûrement, la force de gravitation exercée par une planète attire vers le centre (de gravité) de celle-ci. Or, pour un tore, le centre... est aussi le centre du trou. Les pauvres habitants de la face intérieure du tore n'ont d'autres choix que de s'accrocher comme des malades à la planète pour ne pas se retrouver flottant au milieu du beignet (voire pire, oscillant d'une paroi du tore à l'autre). On peut également penser que le tore lui-même étant soumis à cette gravité n'est guère stable, et que tôt ou tard, il s'effondrera sur lui-même vers son centre pour former une sympathique sphère.

En revanche, cette géométrie particulière a un avantage certain, surtout dans le contexte de Final Fantasy VII. En effet, l'infâme mais néanmoins classieux Séphiroth tente de précipiter un météore vers le centre de la planète, pensant la détruire. Or, la planète étant en fait un gigantesque anneau, il y a toutes les chances que le météore passe simplement à travers le centre de celui-ci, sans même effleurer la surface du tore. Aucun danger donc pour les habitants; Cloud Strife a probablement travaillé pour rien...

Géométrie, cartes, gravité... quel est le rapport avec Einstein ? On l'a vu plus haut, une même carte peut potentiellement représenter deux géométries fondamentalement différentes. On ne peut donc se contenter d'une simple carte (qui est bêtement un système de coordonnées) pour avoir des informations sur la surface qu'on explore. Il faut compléter en définissant sur la carte en chaque point une géométrie donnée (qui est en très grossier la donnée des géodésiques locales). Cette géométrie est encodée mathématiquement par un objet mathématique appelé tenseur métrique (ou métrique pour faire court). Si vous regardez la page wikipedia, vous verrez que ce tenseur métrique n'est en gros qu'une matrice permettant notamment de calculer les distances sur notre surface (ce qui permet par exemple à l'ordinateur de Cloud Strife de choisir le plus court chemin pour aller d'un point à un autre).

En fait, Einstein (et Hilbert) ont modélisé les interactions entre cette métrique, cette géométrie de l'espace, et ce qu'il contient, la matière. L'idée géniale est de dire :
  • que les objets physiques suivent toujours des géodésiques,
  • mais que la matière modifie la géométrie autour d'elle.
Imaginons un monde où la matière n'influe pas sur la géométrie : les objets suivent alors un mouvement rectiligne uniforme (géodésique de l'espace euclidien, comme dans le principe d'inertie de Galilée, bien connu des lycéens) et des objets "éloignés" ne se voient pas. En revanche, si la matière influence la géométrie, elle modifie les géodésiques localement. Si un objet suit une géodésique, il va alors se retrouver comme "attiré" par la matière locale. Cette attraction effective, qui est un effet purement géométrique, est ce qu'on appelle gravité.


L'équation d'Einstein, à la base de la relativité générale, contenant tout ce modèle, sépare de façon très claire les deux aspects :
Les termes à gauche du signe égal sont des termes purement géométriques (le grand lambda étant d'ailleurs la fameuse constante cosmologique), le terme à droite est le tenseur énergie impulsion, qui modélise la matière. Un simple signe égal couple matière et géométrie et invente la relativité générale...

17 juin 2007

Geekeries du dimanche V

Quelques trucs plus ou moins stupides glanés ici ou là :

  • D'après le Monde, les Etats-Unis ont leur merveille du Monde... J'ai téléchargé l'itinéraire pour y aller depuis New York ! (Apparemment, ils l'ont modifié entre temps ;) )












  • Spéciale dédicace au bacterioblog : il existe désormais des peluches de vos bactéries favorites ! Elles sont très mignonnes...
  • Aujourd'hui, les français votent. Un truc qui m'a beaucoup étonné dans les résultats du premier tour (comme pour les présidentielles) est le poids des particularismes locaux : certaines régions votent à 60% UMP dès le premier tour là où d'autres régions sont beaucoup plus dans la moyenne nationale, et d'autres encore plus biaisées à gauche. Cela peut paraître peu surprenant de prime abord, mais quand on voit qu'Hervé Gaymard a obtenu plus de 24000 voix au premier tour représentant 51% des voix,
    on peut légitimement se demander comment des sondages faits sur 900 électeurs "représentatifs" arrivent à être si fiables au niveau national. Cela signifie sans aucun doute qu'il y a en fait des déterminants extrêmement forts dans le vote (probablement la profession) car c'est la seule façon d'avoir des échantillons aussi petits fiables quand on voit à quel point des populations 25 fois plus grandes ne sont pas représentatives.
  • Cela vous a peut-être échappé, mais le football de sélection est peut-être mort vendredi. Si la FIFA décide de privilégier les clubs par rapport aux sélections, on peut dire adieu à la Coupe du Monde.
  • Dans un peu plus d'un mois sort l'ultime Harry Potter ! Moment historique ! J'aimerais bien faire quelque chose pour marquer le coup, mais je ne sais pas trop quoi... Peut-être du live blogging-reading ? En tous cas, la bande-annonce du nouveau film qui sort quelques jours plus tôt est bien flippante.
Voilà, c'est tout pour cette fois !

15 juin 2007

Lab chronicles I

(Après son post-doc aux Etats-Unis, un jeune français a obtenu un poste de prof -tenure track- et a décidé de s'installer en Amérique du Nord. Avec lui, découvrons les moeurs du labo et de l'Amérique dans laquelle il vit au quotidien. Toute ressemblance avec une situation vécue... n'a rien de fortuit !)

Un jeune doctorant frappe à la porte. Le prof lève le nez de ses demandes de grants et le fait entrer, un peu surpris. Il faut dire que c'est l'une des premières fois qu'il parle avec le doctorant en question, qui n'est pas sous sa responsabilité.
- Qu'est-ce qui vous amène très cher ?
- Et bien, Docteur, c'est un peu délicat. Je suis très gêné de vous parler de ça, mais ...
- Quoi donc ?
- C'est à propos de votre post-doc.
Le jeune professeur fronce les sourcils. Pas évident de s'installer. L'enveloppe de base d'un professeur débutant lui a permis de recruter un post-doc, P. , un doctorant, D., et d'acheter un peu de matériel. Mais il faudra compter sur les futures grants pour développer le labo. Seulement, les demandes de grant sont aux chercheurs américains ce que la candidature au CNRS est au post-doc français : une épreuve qu'il faudra repasser chaque année jusqu'au succès éventuel. A la différence que les chances de succès à moyen terme sont plus conséquentes : il y a de fait pas mal de grants allouées. Mais revenons à nos moutons.
- euh... qu'est-ce qui se passe ? Il y a un problème ?
- c'est-à-dire que... comment dire... parfois ce n'est pas évident de travailler près de lui...
- ???
- et bien, en fait... il ne sent pas très bon.
- ah
Le professeur commence à se faire du souci. P. vient d'un pays moins développé, avec sa propre culture. En particulier, P n'est pas du genre à venir en tongues et en short au labo, comme tout le monde ici, mais préfère venir bien habillé. Ce qui peut poser effectivement problème durant les grosses chaleurs, ce que le jeune professeur avait en fait déjà constaté en travaillant à ses côtés. Mais il s'en était alors très bien accomodé...
- vous comprenez, c'est parfois un peu difficile. Cela n'a rien de personnel, mais ce serait bien de faire quelque chose
- Bien, je comprends, je vais lui parler.
Le jeune professeur, avant de prendre quelque décision que ce soit, décide de consulter.
Un prof venant de la même culture que P. est formel : "Pas de problèmes, il n'y a pas d'interdit culturel chez moi qui empêche une telle discussion, soyez franc, ca ira très bien."
Un ami prof bien implanté :" Qu'est-ce qu'il faut pas faire quand on est prof ! Essaie d'y aller avec tact".
L'avis d'un ami américain... le surprend un peu :
- Ah oui, je vois de quoi tu parles. Cela nous est arrivé aussi dans notre labo. On a alors eu une super idée : comme on ne voulait vexer personne, on a organisé une grande fête de bienvenue pour les étudiants gradués. On a alors offert à chacun... une trousse de toilette ! Mais attention, hein, il y avait aussi des barres chocolatées, des trucs comme ça, pour que cela ne soit pas trop bizarre. Et bien, cela a clairement amélioré les choses !!!
- mais... je ne crois pas que cela soit le problème ! Je suis sûr qu'il se lave tous les matins, simplement, comme il fait chaud et tout... Indépendamment de cela, de toutes façons, tu ne peux pas obliger les gens à se laver.
- détrompe-toi !
- quoi ??
- et bien, ici, dans certaines entreprises, les employés ont l'obligation de se laver et de se brosser les dents avant de venir.
- ah bon ? Et qu'est-ce qu'il se passe s'ils oublient de se brosser les dents ? Ils sont virés ?
- non non. Mais l'entreprise dispose d'un coach "hygiène". Celui-ci peut-être sollicité par les employés "incommodés", et faire un diagnostic en cas de problème...
- sans blague
- c'est arrivé dans l'entreprise de ma cousine. Un employé ne sentait pas très bon. Et bien, le coach hygiène a trouvé que c'était parce que l'employé cuisinait du poisson chez lui ! Et lui a recommandé de changer de vêtement avant de revenir travailler.
- génial...
- n'est-ce pas ?

Finalement, le jeune professeur joue une carte plus fine, et peut-être plus proche de la réalité.
- Cher P, tu sais que la culture ici est un peu différente
- Oh oui, effectivement, je trouve que c'est un peu le bordel globalement
- c'est vrai. Quoi qu'il en soit, les Américains sont particuliers, moi aussi j'ai du mal parfois.
- oui, je comprends
- donc en fait, ils sont particulièrement sensibles à certains aspects personnels... par exemple la moindre odeur corporelle les dérange.
- ?
- et en fait... certains se sont plaints auprès de moi te concernant.
- oh... Mais vous savez, c'est vrai que je ne me mets pas de déodorant, mais c'est parce que je suis allergique.
- ah OK. Je suis sûr qu'on peut trouver une solution. Il y a des trucs en pharmacie ici... En tous cas, ne t'en fais pas, et s'ils t'embêtent ... dis-le moi, je suis là pour te défendre !
- merci. Je vais essayer de faire quelque chose...
P. s'en retourne, pas trop vexé (en tous cas, c'est ce que le professeur espère). Notre jeune prof se rappelle alors que le jeune doctorant incommodé, en partant, s'était aussi plaint de l'odeur de son bureau...

11 juin 2007

Le père de la biologie synthétique est mort

Je suis très en retard dans ma lecture de Time, j'apprends seulement aujourd'hui que deux jours après Pierre-Gilles de Gennes, une figure légendaire de la science s'est éteinte : il s'agit de Stanley Miller.

Vous avez probablement déjà entendu parler de Stanley Miller, très connu pour une expérience publiée en 1953, ouvrant, croyait-on alors, de belles perspectives pour l'étude des origines de la vie. Soumettant un mélange de gaz et d'eau à des décharges électriques, Miller observa l'apparition spontanée d'acides aminés, briques élémentaires des protéines. Son expérience montrait donc qu'il était possible de "créer" quasiment ex-nihilo des briques biochimiques, pouvant éventuellement se combiner en proto-organismes et être ensuite sélectionnés au cours de l'évolution pour (re)commencer l'histoire de la vie.

Comme l'explique bien l'article du New York Times, après ces débuts prometteurs, le domaine, probablement trop ardu, a malheureusement stagné. L'atmosphère primitive était probablement différente de ce que croyait Miller, et il semble impossible de produire spontanément de la même façon de l'ARN ou de l'ADN. Certains travaux théoriques et surtout expérimentaux -dont j'avais déjà parlé ici et - ont fait avancer les choses récemment, mais il est clair que la création de la vie "in vitro" reste encore un graal inaccessible.

10 juin 2007

Responsabilité des scientifiques et confusion des ordres ?

A la suite du dernier billet d'Enro, certains commentateurs s'interrogent sur la responsabilité des scientifiques. L'épouvantail préféré est encore une fois Axel Kahn, auquel on reproche d'avoir été payé par Rhône-Poulenc tout en défendant les cultures transgéniques [1].

La question est la suivante : quelle doit être alors l'attitude de la communauté scientifique en général et des scientifiques impliqués en particulier, face à des recherches dont l'utilisation peut-être contestable, moralement ou politiquement ?

Il se trouve que je suis en train de lire "Le capitalisme est-il moral ?" d'André Comte-Sponville dont Seven nous avait si bien parlé. Le billet de Seven résume la thèse centrale de l'oeuvre, qui divise la réalité en 4 ordres : ordre 1, technico-scientifique, ordre 2 politico-judiciaire, ordre 3 moral, ordre 4 éthique ou amour. Pour Comte-Sponville, chaque ordre doit être limité, complété par l'ordre suivant. Dans cette vision, le seul rôle du scientifique, c'est d'étudier ce qui est vrai ou faux, possible ou impossible. Il n'y a donc aucune dimension morale dans la science a priori. Voir aussi cet exemple donné par Benjamin à l'occasion de la polémique sur "le gène de la pédophilie" :



J'ai assisté à une conférence informelle par un professeur de génétique des populations, Pierre-Henri Gouyon, une sorte de Dawkins à la française, tout aussi provocateur mais se préoccupant d'éthique. Il rapportait les déclarations de généticiens quant au fondement génétique des races humaines, qui ressemblaient à: "de toutes façons, le racisme n'a aucune base scientifique, car on peut montrer que les races humaines n'existent pas, génétiquement parlant". C'est vrai, c'est un fait, on constate une importante diversité dans l'espèce humaine qui contredit tout regroupement par race. Mais, comme le dit mon conférencier: "et si on avait trouvé une base génétique? Il aurait fallu être raciste?".

S'ils existaient, faudrait-il que les scientifiques s'interdisent de travailler sur des gènes définissant "une race" pour prévenir l'exploitation que pourraient en faire certains racistes ?

L'histoire des sciences est constellée d'exemples de découvertes allant "à l'encontre" de la morale, en particulier en biologie. Rappelons que certains ne se sont toujours pas remis de l'énoncé de la théorie de l'évolution. Darwin aurait-il dû arrêter ces recherches au motif que celles-ci allaient à contre-courant de la morale dominante ?

Je pense également au Projet Manhattan. Les réactions après l'explosion de la première bombe atomique sont éloquentes :



Oppenheimer se rappela l'un de ses passages préférés d'un texte Sanskrit (le Bhagavad-Gita du dieu Shiva) :
Maintenant je suis Shiva, le destructeur de mondes...

Plus prosaïquement, son adjoint Kenneth Bainbridge, responsable des essais répondra :

À partir de maintenant, nous sommes tous des fils de pute

Cet exemple souligne un autre point : ce qui nous semble contestable ou limite éthiquement peut sembler après réflexion tout à fait valide et justifié aux scientifiques impliqués. Les chercheurs du projet Manhattan savaient très bien qu'ils créaient une arme terrifiante et avaient probablement conscience de leurs responsabilités, mais ils pensaient alors qu'une bombe atomique US valait mieux qu'une bombe atomique nazie. Je suis pour ma part tout à fait certain que les scientifiques pro-OGM, pro-nanotechnologies ou pro-nucléaire sont la plupart du temps totalement convaincus des thèses qu'ils défendent, quand bien même ils seraient financés par tel ou tel lobby. C'est bel et bien Einstein lui-même, grand scientifique et pacifiste notoire, qui a mis en branle le projet Manhattan. Pour reprendre la distinction de Comte-Sponville, quand on pense que l'ordre 1 va dans la même direction que l'ordre 2 ou l'ordre 3, pourquoi s'interdire quoi que ce soit ?

Ma conclusion, c'est qu'en général, toute autorégulation est à la fois néfaste (car dans ce cas on peut potentiellement "s'aveugler" pour des raisons morales) et a priori impossible (car la politique ou la morale sont avant tout affaire d'opinions personnelles). Comme Comte-Sponville, je pense qu'il faut compléter l'ordre 1 avec l'ordre 2 : c'est au pouvoir politique de limiter, c'est aux citoyens d'imposer des règles et des limites dans lesquelles les scientifiques doivent évoluer.

Corollaires :
  • les scientifiques étant eux-mêmes des citoyens, ils ont tout à fait normalement leur rôle dans ces débats, et c'est normal qu'ils prennent position publiquement pour certains
  • les citoyens doivent absolument être suffisamment informés, éduqués et impliqués dans la science pour prendre des décisions en toute connaissance de cause,
  • on ne peut en appeler à "l'autorité des scientifiques" pour justifier des décisions comme allant de soi; au final, il appartient bien aux citoyens (par l'intermédiaire du pouvoir politique) de réguler et de trancher.

[1] A ce propos, il serait intéressant de faire une liste des scientifiques célèbres et de leurs liens avec l'industrie. Pourquoi tombe-t-on toujours sur A. Kahn ? Par exemple, les problèmes de mouillage étudiés par De Gennes et ses collaborateurs ont des applications industrielles directes, notamment dans l'application de pesticides. Pour citer un autre Nobel, Charpak, notoirement pro-nucléaire, a des liens très fort avec la COGEMA par exemple.

05 juin 2007

Lassitude du post-doc après les concours

Le verdict est tombé, je suis rentré bredouille cette année et resterai en post-doc. Comme l'an dernier, j'ai été parfois classé, mais toujours du mauvais côté de la barrière.

J'ai déjà bien critiqué dans ces pages les concours de recrutement. Cette fois-ci, j'ai vraiment senti l'odeur des petites cuisines politiques, l'odeur d'un certain mépris pour les candidats (lapsus révélateur, j'avais écrit étudiants). Ah cette histoire terrible de la commission de "spécialistes" ayant convoqué un expérimentateur du bout du monde pour être auditionné sur un poste ... de théoricien ! Parfois le sentiment que nous ne sommes là que pour "faire du chiffre", que l'image des labos dépend du nombre de candidats et que donc ceux-ci sont parfois prêts à tout pour que vous candidatiez chez eux ... pour à la fin soutenir un autre candidat en vous disant le contraire.

Plus généralement, mes perspectives scientifiques en France me semblent troublées. Oui, je m'intéresse à l'interface physique-biologie, oui, la dernière fois que j'ai écrit un Lagrangien, j'étais en DEA, et oui, dans mon domaine, on publie très peu, moi le premier malheureusement. Mais ma dernière publication de thèse est typique "système dynamique", je m'intéresse à la morphogenèse en biologie, et j'essaie plus généralement de développer de vraies approches quantitatives dans un domaine quasiment vierge théoriquement. Alors, quand on me demande dans une audition "quel est l'intérêt de ce que je fais pour la physique ?", je tombe des nues. Je ne savais pas qu'il y avait un indice de pureté disciplinaire, que le corporatisme s'exerçait à l'intérieur des disciplines. Je ne peux m'empêcher de pester contre tous ces profils généraux, ouverts à tous, ce qui entraîne une masse de candidats, des commissions de spécialistes incompétentes dans tous les sujets "à la marge", et qui, par calcul ou par "sécurité", se retrouvent sur des critères un peu absurdes pour sélectionner. Ainsi, mieux vaut-il être troisième auteur d'un papier de Science que premier auteur d'un PNAS...

Sentiment d'absurdité. Des sacrifices personnels énormes (trois ans sans ma femme - et je ne suis pas le seul), après des études longues et difficiles, et des choix qui paraissent rétrospectivement un tantinet idéalistes - j'ai bien bradé mon parcours en école d'ingénieur. Un certain étonnement devant la légéreté de la plupart des chercheurs en place, qui mettent un petit mouchoir sur la masse des étudiants bien pratiques pendant leur thèse, mais qui se retrouvent dans la nature après des années consacrées à la recherche académique. Pas tous bien sûr; en ce qui me concerne, j'ai la chance d'avoir un directeur de thèse sympa qui me remonte le moral et m'encourage - mais c'est loin d'être la règle. Vous me direz peut-être que j'ai bien bénéficié du système méritocratique à la française jusque maintenant, et que je suis un peu hypocrite de m'en plaindre. Ce n'est pas entièrement faux, mais contrairement à la prépa ou à l'école d'ingé, c'est la première fois que j'ai le sentiment que l'échec serait dur à surmonter, qu'en dehors de la voie toute tracée, nous serions dans les limbes.

Maintenant que faire ? J'aime bien ce que je fais, j'y crois, et je ne crois pas être mauvais, donc l'option "tenure track" est à étudier. Mais ne devrais-je pas plutôt me recycler ? Dans ce cas, ne suis-je pas déjà hors course du fait de mes intérêts scientifiques un peu originaux ? Tant d'amis utilisant leurs compétences dans la finance ou ailleurs... Je rêve aussi d'écrire, de développer les sujets abordés sur ce blog, de vulgariser, d'enseigner. Mais se pose bien vite le problème de la localisation géographique : à bientôt 30 ans, aucune envie de passer des années loin de ma femme...

Je fais une dernière année en post-doc, j'ouvre grand les oreilles à toutes les possibilités, et l'an prochain probablement, je bouge.

04 juin 2007

Contre-arguments classiques contre le réchauffement climatique

J'avais promis dans un commentaire d'un billet précédent de détailler un peu certaines erreurs dans les discours anti-réchauffement climatique . Je vais tenter de m'y atteler dans ce billet en faisant une liste des arguments régulièrement employés contre les preuves du réchauffement climatique, et des pistes pour les contre-arguments, la plupart tirées du remarquable site web de Jean-Marc Jancovici, www.manicore.com.


Catégorie d'arguments 1, le déni : Il n'y a pas de réchauffement climatique.

Peu de gens aujourd'hui restent sur cette ligne. L'exemple le plus récent est Allègre dans sa tribune de l'Express :

Après le mois d'août qu'a connu la moitié nord de la France, les Cassandre du réchauffement auront du pain sur la planche pour faire avaler leurs certitudes à nos compatriotes.


Notez la subtilité de l'agument...

Allègre dans cette tribune joue sur les mots. Il reconnaît un changement climatique, avec brusques fluctuations, mais insiste en fait sur deux points :
  • cela n'a pas de sens de parler de réchauffement général, le système climatique est quelque chose de très compliqué ("le climat est un phénomène capricieux")
  • corollaire : tout cela est trop compliqué, on n'est pas capable de dire quoi que ce soit, donc ne paniquons pas et surtout ne nous embarquons pas dans des mesures qui risquent de nuire à notre économie


Contre-argument : la température moyenne monte, c'est un fait, il suffit de regarder les graphes. Et monte très violemment lorsqu'on met en perspective aves les décennies et siècles précédents (source image : site de Jean-Marc Jancovici).








Catégorie 2, le déni des causes anthropiques :


Imaginons maintenant que votre interlocuteur reconnaisse la réalité du réchauffement climatique (ou comme Allègre des "changements climatiques"). La deuxième stratégie employée par les détracteurs du réchauffement climatique est d'affirmer que l'homme n'est pas la cause du réchauffement observé. Parmi les causes fréquemment évoquées, il y a des effets "célestes" : activités solaires inhabituelles, rayons cosmiques... Exemple, ce billet de DaveScot sur uncommondescent :


In a nutshell - cosmic rays induce particle formation in the atmosphere. Water droplets coalesce around these particles producing clouds. Clouds reflect sunlight back into space. The more clouds the cooler it is and the fewer clouds the hotter it is.

Autre argument : s'il y a corrélation parfaite historiquement entre température moyenne et concentration de CO2 (source image, entre apparemment les concentrations de gaz à effet de serre, et un indicateur de la température qui semble être la concentration de deuterium dans la glace), impossible de savoir si c'est le CO2 qui cause l'augmentation de la température... ou le contraire. Voir par exemple ce billet d'un physicien.


Conclusion immédiate: le CO2 n'a rien à voir, ne faisons rien, nous n'y sommes pour rien, et nous risquons de brider l'économie.

Les contre-arguments sont relativement simples. C'est parfaitement vrai que les changements de température entraînent des modifications de la composition en CO2 de l'atmosphère, c'est aussi parfaitement vrai qu'il y a des modifications de climat d'origine non humaine (voir un exemple ici sur ce blog). Seulement :
  • il est clair que l'activité humaine a une influence massive sur la composition de l'atmosphère en CO2. Depuis le début de l'aire industrielle, les concentrations de CO2 dans l'atmosphère ont cru exponentiellement (voir une explication détaillée sur le site de Jean-Marc Jancovici). Personne ne niant que le CO2 soit un gaz à effet de serre, on peut s'attendre à un réchauffement.
  • quand on regarde les ordres de grandeur avec attention, on s'aperçoit que les concentrations de CO2 observées aujourd'hui ne sont pas compatibles avec des variations naturelles. Jamais les concentrations de CO2 dans l'atmosphère n'ont été si élevées, et de très loin (380 ppm aujourd'hui, contre au plus 280 dans les millénaires passés, toujours d'après www.manicore.com). Il y a très très longtemps (plusieurs centaines de millions d'années), la concentration de CO2 était plus élevée, mais la tendance globale était très clairement à la baisse depuis, en gros, l'apparition des animaux, et en quelques années nous l'avons totalement inversée.
  • Enfin, toujours sur les ordres de grandeur, on peut évaluer avec des modèles "l'origine" du réchauffement. Il est alors très clair (figure ci-contre, toujours tirée du même site) que ce sont les gaz à effet de serre qui contribuent aujourd'hui le plus significativement au "forçage" climatique. Comme le dit Jean-Marc Jancovici :

    C'est bien ce changement d'ordre de grandeur qui est la cause du problème
    Ordre de grandeur ? Malheureusement, une notion quasi inconnue de la plupart des électeurs comme des décideurs, que ce soit en climatologie ou en économie...

Catégorie 3, les mécanismes de compensation vont nous sauver

Bien, une fois le réchauffement établi, comment nous sauver sans toucher à nos rejets de CO2 pour ne pas plomber l'économie ? Les détracteurs sortent du chapeau les fameux mécanismes de compensation:
  • effet de l'albédo : une Terre plus chaude entraîne plus d'évaporation, plus de nuages et donc plus de rayonnement solaire se réfléchissant à l'extérieur
  • absorption du CO2 dans l'océan
  • augmentation du CO2 qui entraînerait un développement compensatoire de la végétation qui stocke à son tour du CO2
  • ...
Voir par exemple ce billet de DaveScot, toujours sur uncommondessent.
C'est beaucoup plus difficile de répondre à ce genre d'arguments qui deviennent très techniques (y compris pour ceux qui les mettent en avant). Cependant, l'étude des flux de carbone montre que si le changement de température change effectivement ces différents mécanismes, cela ne va pas nécessairement dans le bon sens. Il est possible qu'il y ait une "loi de Murphy" climatique, un effet d'emballement - à savoir que le réchauffement climatique soit suffisant pour déstabiliser le système et transformer les puits de carbone en source, menant alors à un effet "cocotte-minute". Par ailleurs, d'un simple point de vue de physicien "système-dynamique", si on considère le climat comme un équilibre, il n'y a aucune chance qu'en changeant un paramètre du système, on se retrouve à peu de choses près à la même position d'équilibre. Ce serait au contraire miraculeux si c'était le cas !


Catégorie 4, le réchauffement climatique, c'est bien.

Peu de gens sont assez gonflés pour oser ce genre de sortie. J'avais parlé récemment d'Eric Le Boucher qui, dans une tribune remarquée, suggérait que plus de soleil étant bon pour l'économie, il n'y avait rien à craindre du réchauffement. Mais l'exemple le plus extraordinaire est donné par mon homme de paille préféré, DaveScot :


More CO2 is a good thing. Every commercial greenhouse knows it and many of them artificially boost it by releasing CO2 from tanks. It’s important that everyone else knows it too.

For those friendly to intelligent design I’d ask if this relationship between fossil fuel, atmospheric CO2, increased plant growth, lengthening the growing season in higher latitude land masses, and better water efficiency is all just a happy coincidence that helps feed a growing human population or whether it’s not a coincidence at all but rather part of some larger plan for humanity.


Le largage de CO2 comme dessein divin pour rétablir le jardin d'Eden, il fallait oser...

Contre-argument : Difficile de savoir les conséquences exactes du réchauffement, qui pourraient être véritablement apocalyptiques. Outre les déplacements d'espèces animales et les épidémies qui peuvent s'en suivre, on peut s'inquiéter de futures guerres de l'eau, de déplacements massifs de populations, sources de tension et probablement de guerres. Par ailleurs, comme le dit très bien Jancovici dans son livre "Le plein, s'il vous plaît ?", il se trouve que la pénurie pétrolière risque de coïncider avec les premières conséquences sérieuses du réchauffement. Au moment où on aurait le plus besoin d'énergie pour résoudre les problèmes, le prix de celle-ci risque de flamber. Autant dire qu'on est très très mal barré, et que de mon côté, je suis converti à la seule solution qui me semble raisonnable à court terme, à savoir, payer l'énergie à son juste prix et taxer violemment les combustibles fossiles.