Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

29 janvier 2007

Mais pourquoi tant de haine ?

Avertissement : ce billet est plein de préjugés honteux d'un physicien qui pense que toutes les sciences sont des sous-domaines de la physique. Comme vous le lirez plus bas, il est totalement inutile d'essayer de me convaincre que j'ai tort (mais enfin vous pouvez toujours essayer, cela peut marcher d'ici quelques mois).


Je peux comprendre qu'on soit critique à l'égard de certains domaines scientifiques, habituellement qualifés de "durs"... Ainsi dans l'ordre de "dureté" croissante,
  • l'économie "mathématisée" me paraît trop peu expérimentale, et les applications réelles de l'économie me semblent parfois à peine juste qualitativement, peut-être parce que beaucoup de postulats sont faux (voir par exemple ce billet ), ou parce qu'on a tendance à oublier que les hypothèses très commodes posées par les matheux sont irréalistes (une technique classique de théoricien pour résoudre un problème est de se placer dans les hypothèses où ce problème devient soluble trivialement ;) ). J'ai parfois l'impression (en lisant polys, blogs, oeuvres diverses) que les économistes sont soit des sociologues statisticiens - donc plutôt du côté des sciences humaines en fait-, soit des matheux déguisés spécialistes des problèmes d'optimisation hyper spécifiques (1). Et je comprends que certaines personnes puissent contester l'application de préceptes économiques pour leur bien à long terme, mais leur apparaissant assez néfastes à court terme.
  • La biologie a le mérite d'être, à la base, une science expérimentale. La plupart des manips sont reproductibles; on peut faire de vraies prédictions en biologie et les tester. Maintenant, il est vrai qu'il y a encore beaucoup de choses qu'on ne connaît pas en biologie. L'autre problème est que la biologie traite par définition du vivant, et donc qu'elle suscite l'opposition de toutes les théories non scientifiques dissertant sur la place de l'homme dans l'univers (du vitalisme au créationnisme, en passant par le teilhardisme ou dans un domaine très différent, la "théorie" à la base de l'homéopathie). Je peux donc comprendre que certaines personnes, profondément choquées par les implications morales et religieuses de théories comme la théorie de l'évolution, rejettent tout en bloc au motif d'une morale supérieure fondant leur vie, et d'après eux inaccessible à la pure la raison.

Mais s'il y a bien un domaine scientifique pour lequel je ne comprends pas les attaques des "non-spécialistes", c'est bien la physique théorique, et en particulier la relativité et la physique quantique. Après tout, le choix d'une théorie physique n'a aucun impact sur notre vie quotidienne, et ne remet pas en cause l'existence de Dieu ou des extra-terrestres. Le contenu "polémique" intrinsèque me paraît à peu près nul. Par ailleurs, nous utilisons au quotidien des appareils dont le principe même repose sur ces deux théories scientifiques, des lecteurs de DVD au GPS, en passant par les puces des ordinateurs. Je ne parle pas du fait que sans le principe d'incertitude de Heisenberg, la matière serait instable et donc nous ne serions même pas là pour en discuter !

Pourtant, il ne faut pas aller très loin pour voir des oppositions farouches à ces deux théories. Les forums de discussion physique sont remplis de "crackpots" affirmant qu'Einstein était un loser ayant fait perdre un siècle à la science (quand il n'a pas volé la théorie de Poincaré) ; Etienne Klein cite souvent l'exemple d'un de ses étudiants à Centrale qui lui affirmait que la relativité restreinte ne pouvait être possible car il ne le "sentait" pas au quotidien autour de lui. J'ai moi-même récemment entendu un professeur d'une grande université étrangère m'affirmer que la physique quantique était nécessairement fausse et qu'il fallait mettre le principe d'incertitude d'Heisenberg à la poubelle (heureusement, il n'enseignait pas la physique)...

D'où vient ce décalage totalement incroyable ? Pourquoi des gens - y compris très sérieux, malgré de preuves irréfutables, continuent à croire qu'il existe une physique différente ? Etienne Klein (encore lui, je ne suis pas forcément fan, mais bon) l'explique très bien ici : "nous préférons le bien-être à la vérité" . Lorsqu'une vérité heurte une de nos croyances profondes, il n'y a rien à faire, il nous est quasi-impossible de renier ce dont nous sommes convaincus. Inutile d'en appeler à une quelconque raison, nous restons campés sur nos positions.

Peut-on alors dépasser les frontières de nos croyances ? C'est très difficile, et cela peut poser des problèmes graves aux scientifiques qui doivent essayer d'être le plus "ouvert" possible a priori. Einstein lui-même ne croyait pas à la mécanique quantique ("Dieu ne joue pas aux dés"); plus exactement, il pensait que c'était une théorie essentiellement phénoménologique. Seulement à la différence de nos crackpots amateurs et autres intelligent designer, Einstein a agi en scientifique : La mécanique quantique ne lui convient-elle pas ? Pas de problème, il propose un paradoxe qui va la mettre en défaut. L'univers doit-il être éternel ? Pas de problème, il ajoute une constante cosmologique (à ses successeurs de l'observer et de trouver sa signification - Einstein, évoluant, dira plus tard que c'était la plus grosse erreur de sa vie). Pourtant, dans le premier cas, Einstein a été pris en défaut, dans le second cas, on s'aperçoit qu'il pourrait bien avoir raison !

La conclusion de tous ces exemples scientifiques, c'est que même si c'est un exercice vivifiant et agréable, il est (malheureusement) probablement inutile de débattre sur le court terme; seul un travail de fond, une expérience approfondie permet de tester et de changer ses croyances et ses positions, et dans tous les cas, les arguments doivent être en chêne massif pour commencer à nous faire bouger... Gardons cela à l'esprit en ces temps de campagne présidentielle !


(1) j'en profite pour passer un message personnel : si quelqu'un sait où je peux trouver une démonstration mathématique du mécanisme de la main invisible du marché, je suis intéressé !

6 commentaires:

Anonyme a dit…

D'accord avec toi, relativite et quantique exitent l'amateur de science au-dela du raisonnable. J'ai aussi des anecdotes a la pelle.
Je vois une explication a ca : l'image (historiquement fausse mais tellement mythique) d'un Albert Einstein revolutionnant la physique tout seul dans son coin (au bureau des brevets), sans experiences et avec de simples exercices de pensee ("un rayon lumineux dans un train etc."). Bref, le genie a portee de bourse.
Comme en plus on va repetant que relativite et quantique ne font pas bon menage, qu'il faudra bien trouver une theorie qui les unifie, ca ouvre plus d'un appetit....

Anonyme a dit…

exCitent

Anonyme a dit…

Je me suis bien amusée en lisant ce billet agrémenté d'anecdotes. Euh...je suis d'accord avec toi. (c'est ça qu'il fallait dire, hein?)

Matthieu a dit…

J'aime beaucoup la crackpot page. J'ai deja tellement vu ca sur des forums "paralleles" ...

precise ta question sur la main invisible du marché : que veux-tu montrer exactement ? C'est a priori assez facile de montrer les ajustements optimaux sur la plupart des produits de consommation courante - plus difficile à généraliser, par contre.

Tom Roud a dit…

Merci pour vos commentaires
@ Blop : oui, tu as probablement raison, le côté "dévouverte au coin de la rue" joue sûrement, ainsi que le caractère mythique des expériences de pensée
@ seven : tu as le droit de ne pas être d'accord avec moi, mais bon, je ne serai sûrement pas convaincu, mes croyances sont trop fortes ;)
@ Matthieu : moi aussi j'aime beaucoup les crackpot. J'ai essayé de chercher l'équivalent français (pas trouvé), on a de beaux spécimens; le plus beau est qu' on a même une gradation entre les purs fous et les (quasi) scientifiques.
Sinon, pour la main du marché, parles-tu de l'argument microéconomiqe (en gros équilibre de l'offre et de la demande qui maximise la "fonction d'utilité" - j'essaie de me souvenir des termes exacts derrière le raisonnement tout bête) ? Je connais cet exemple simple mais typique de l'économie, dans le sens où il y a de fortes hypothèses pas forcément justes suivant les marchés (par exemple information partagée et disponible pour tous, accès égal pour tous au marché). Effectivement, je recherchais plutôt une généralisation. En fait, ce qui m'intéresse vraiment sont les limites de l'argument et leurs solutions: par exemple, comment tu gères un marché où l'information n'est pas partagée par tous et où les acteurs ont intérêt à conserver cette information (typiquement le "marché" scolaire). Comment tu quantifies le "prix" de l'information ? Ce genre de problèmes me semble passionnant, et je me demandais qi des gens avaient étudié cela plus en détail (d'un point de vue théorique).

Matthieu a dit…

On peut mettre le nom de "main invisible" derriere tout comportement collectif herite de regles individuelles. en economie le terme est utilise pour designer l'equilibre atteint sur un marche. En terme microeconomique, Walras/Pareto, equilibre offre/demande, il y a de plus le sens que cet equilibre est optimal, au sens ou il maximise la richesse totale. la demonstration est simple dans les cas ideaux, les consommateurs achetent le produit le moins cher, et les vendeurs doivent descendre leur prix jusqu'au cout marginal.

Evidement, dans les cas reels, a peu pres chaque deviation avec le cas ideal (nombre fini d'acteurs, manque d'information, irrationalite des comportements, redistribution des richesses par l'etat, etc, etc) conduit a des differences de resultats. Beaucoup de cas on ete etudies, apres tout, ils faut bien faire bosser les thesards en eco et math app, non ?

Par contre dans d'autres cas, comme le dilemme du prisonnier, l'equilibre est sous-optimal.