Carnet du petit Tom : Physique, biologie et évolution...

19 janvier 2007

Présidentielle et recherche

On parle beaucoup de la recherche scientifique en ce moment. Nos deux candidats "principaux " aussi :
Propositions de Sarkozy : ici et
Propositions (?) de Royal : ici
Voir aussi ce petit résumé du nouvel obs'.
Voir enfin ce billet de matthieu.
Ce matin, très bonne intervention sur France Inter de Bertrand Monthubert (que j'approuve à 100%), le débat qui suivait était aussi instructif.

Je vais essayer de rester le plus objectif possible même si comme tout le monde j'ai mes préférences politiques. Je vais essentiellement me concentrer sur Sarkozy car il propose en gros de complètement changer le système, et je vais tenter d'expliquer pourquoi je pense qu'il faut faire très attention, d'autant qu'au fond le système ne marche pas si mal (voir ici sur ce blog) et qu'un simple rattrapage de moyens pourrait peut-être aussi bien faire l'affaire.


Il y a à la fois beaucoup et peu à dire sur ces différents discours. Sarkozy aligne les constats réalistes, mais propose des recettes toute faites et à mon avis inadaptées. Royal reste très générale, ne propose pour l'instant rien de très concret contrairement à Sarkozy, mais trouve le moyen en quelques lignes d'insister sur certains points qui me tiennent à coeur.

Commençons par les points communs: les deux candidats font le constat du manque de moyen de la recherche, de la nécessité d'augmenter le budget. L'autre constat que tout le monde fait, c'est la nécessité de renforcer considérablement les universités. C'est bien, mais cela ne mange pas de pain, être pour la recherche et renforcer les universités, c'est comme être favorable à l'écologie, tout le monde parle de "prise de conscience" mais cela ne se traduit pas forcément dans les actes.

Le discours de Sarkozy est long et intéressant car il fait des constats assez vrais (notamment sur le problème du trop petit nombre d'étudiants dans les cycles supérieurs), je vous en recommande la lecture. Ses propositions tiennent en un mot : autonomie. La référence sous-jacente, c'est l'université américaine où "on [peut] faire du sport et [où] les bibliothèques sont ouvertes le dimanche".

Je vais essayer de donner mon avis sur la question, en fonction de ce que je vois ici. Encore une fois, c'est éminemment subjectif, et je peux me tromper, n'étant pas un "spécialiste" de l'université américaine. Parlons donc de l'université américaine que Sarkozy souhaite transposer en France: celle-ci a effectivement la "liberté de recruter ses étudiants" (1). Ce qui se passe aux Etats-Unis est que les universités sont du coup, il me semble, très hiérarchisées. Le système américain ne cherche pas à "élever" le niveau des élèves : il envoie au contraire les élèves dans des universités en fonction de leur niveau. Les universités ne sont pas égales : on parle souvent d'Harvard ou de Yale, mais derrière les meilleures universités, il y a une foule de petites universités qui quadrillent le territoire avec des niveaux très différents. Le corollaire de cette liberté de recruter, c'est que chaque étudiant peut en quelque sorte trouver une université qui convient à son niveau. Or, en France, la logique est très différente : l'université doit être un lieu de prestige par définition, et peut servir à l'aménagement du territoire; on voit bien comment les élus locaux essaient d'avoir des formations universitaires de qualité dans leur ville. Donner la liberté de choisir ses étudiants se traduirait mécaniquement par plus de sélection à l'entrée dans un premier temps, et donc probablement moins d'étudiants étant donné toutes les difficultés actuelles. Donner la "liberté de recruter" sans réformer la façon de penser le réseau entier des universités serait donc à mon avis catastrophique.

L'autonomie pour Sarkozy, c'est aussi "la liberté de recruter les meilleurs professeurs à travers le monde. [Il] veut que les chercheurs du monde entier viennent enseigner à nos étudiants dans nos universités". Pourquoi les chercheurs vont-ils dans les universités américaines ? Les raisons majeures sont à mon avis que les US sont très bien pour :
  • avoir une masse critique de recherche scientifique autour de soi pour interagir
  • avoir des moyens pour fonctionner, des bons salaires
  • avoir des étudiants de thèse pour travailler pour soi
  • être simplement reconnu socialement
Premier point : la masse critique existe aux Etats-Unis, en particulier parce qu'il y a beaucoup de petites universités derrière les grosses universités, beaucoup d'interactions, et de gros centres élitistes. En France, on voudrait souvent sélectionner, garder le haut de la pyramide et jeter le reste. Or, je pense que si on veut une élite qui marche bien, il faut les deux, à la fois une concentration de moyens, mais aussi une base nombreuse, fournie à proximité de ces centres élitistes; l'élite doit faire des aller-retour avec la base. Attention donc à ces grands projets de concentration de moyens ayant pour corollaire la diminution du "mammouth": Claudie Haigneré avait dit en son temps qu'elle voulait "moins de chercheurs, mais plus efficaces". Aux Etats-Unis, il y a toutes sortes de débouchés dans le monde académique : certes il y a les "meilleurs professeurs", mais il y a aussi les "research assistant", les professeurs dans des universités d'undergraduates plus spécialisées dans l'enseignement et faisant peu de recherche; par ailleurs et contrairement à ce qu'on veut faire croire, il y a bien emplois permanents et recherche sur le long terme de ce côté de l'Atlantique. On ressent une vraie sécurité dans la recherche ici; la conviction qu'on trouvera quelque chose quelque part, même si on veut rester dans l'académique...

En ce qui concerne les moyens, Sarkozy préconise plus "les fondations, des donateurs, des entreprises qui doivent pouvoir financer des universités comme dans toutes les grandes démocraties du monde". Incontestablement, nous sommes encore dans le modèle américain. J'ai déjà expliqué sur ces pages mon opposition drastique au financement de la recherche par la charité. J'ajoute qu'il y a un grave problème culturel en France : je pense que personne ne donnerait pour son université ou pour une fondation scientifique en quantité suffisante (on parle de Fondation type Fondation Gates ici). Le niveau de philanthropie est un marqueur social aux US : il suffit de lire les dernières pages des livrets de l'opéra pour se rendre compte que le don à des oeuvres ou à des universités est un rite indispensable pour les hautes classes sociales. Je ne crois pas du tout à cela en France où les personnes aisées préfèrent s'expatrier pour payer moins d'impôts (vous pensez que Johnny va financer une fondation ?).
Toujours dans la rubrique "moyens", Sarkozy parle de "la liberté de définir des programmes de recherche et de passer des partenariats avec les entreprises pour que ces programmes soient en partie financés par elles". On est pile dans la thématique actuelle (voir le billet de Benjamin sur le sujet). Cependant, la dichotomie entre université et entreprises est en grande partie le fait des entreprises aujourd'hui. Bertrand Monthubert soulignait par exemple dans son intervention d'aujourd'hui comment les entreprises françaises se sont fait piquer la technologie des magnéto résistances par les boîtes américains. L'une des raisons est qu'il n'y a pas assez de docteurs dans les entreprises, que celles-ci ne sont donc pas à même de faire de la veille technologique par exemple. Peu de débouchés implique un doctorat peu attractif; la recherche est un sacerdoce et peu s'engagent sur cette voie. Cela rejoint en fait le troisième point : avoir des étudiants. J'ai déjà expliqué ici pourquoi je pensais que c'est illusoire sur le court terme en France, où le doctorat n'est absolument pas reconnu. Je ne reviendrai pas dessus dans ce billet d'ores et déjà très long. C'est à mon avis le noeud gordien du problème, tant qu'on n'aura pas résolu celui-ci, toute tentative de réforme dans le sens du système américain sera contre-productif. La solution sur ce plan-là est à mon avis claire : pour avoir plus d'étudiants, il faut plus de débouchés, et pour avoir plus de débouchés, il faut que les entreprises embauchent les docteurs. Pour convaincre les entreprises d'embaucher les docteurs (plutôt que des ingénieurs), il faut qu'elles soient convaincues qu'un docteur est plus utile, et pour cela il faut que la recherche marche mieux d'abord et avant tout, et cela passe nécessairement par plus de moyens pour atteindre enfin les fameux 3% du PIB. Je pense donc que c'est à l'Etat ici d'assumer son rôle, d'amorcer la pompe en finançant des projets applicables, et de se substituer dans un premier temps aux entreprises trop frileuses tout en incitant celles-ci à investir dans la recherche. Je ne souscris donc évidemment pas aux conclusions du rapport récent qui affirme que l'Etat finance bien assez la recherche : cela me paraît être une conclusion à courte vue, faisant abstraction des difficultés de l'application des découvertes en entreprise en France, et cela sent la conclusion "sur commande". En somme, je pense que c'est à l'Etat d'avancer l'argent non donné aux organismes de recherche, en attendant que les entreprises jouent leur rôle.

Quatrième point : la reconnaissance sociale. Un point en fait crucial : combien de jeunes chercheurs français se sont expatriés car ils se sont sentis rejetés du système français ? Cette reconnaissance passe par le salaire, mais pas seulement. Si Sarkozy nous parle brièvement des expatriés français dans son long discours (au milieu des traders à Londres, et en compagnie des rock-stars dans sa récente sortie sur Johnny), j'avoue que ma première réaction en lisant sa proposition d'attirer les meilleurs étrangers a été :"et si on retenait déjà les meilleurs français ?". "Les chercheurs américains ont des prix Nobel pendant que les nôtres manifestent dans la rue" : je garde en mémoire la réaction de son porte-flingue Devedjian (futur premier ministre ?) lorsque les chercheurs manifestaient pour protester contre les coupes drastiques dans le budget du CNRS opérées sous son gouvernement UMP, sachant que Sarkozy a été ministre des finances durant cette période et a donc nécessairement arbitré financièrement sur les moyens de la recherche. Combien de fois entend-on en France l'équation "chercheur=fégnasse" ? Comment qualifier cette espèce de défiance systématique de certains à l'égard des chercheurs (y compris dans les entreprises et y compris dans le milieu même de la recherche à l'égard des jeunes) alors que ces mêmes chercheurs réussissent très bien une fois partis ?

Sur ce point, je ne peux m'empêcher de lire dès le début du non-projet de Ségolène Royal

Nombre de jeunes chercheurs ne trouvent qu’à l’étranger les moyens de travailler qu’on leur refuse ici. Exil forcé plutôt que mobilité choisie et temporaire. Perte sèche pour le pays. Les chercheurs sont las des incantations sur la recherche moteur de la croissance et du rayonnement français car les actes les démentent. Ils s’inquiètent d’une gestion technocratique et comptable qui érige le court-terme et la précarité en dogme.


Même si elle ne propose rien, cela résume parfaitement ma position personnelle sur la question. Je ne sais pas si ses "désirs d'avenir" vont déboucher sur quelque chose de concret, mais ce dont je suis sûr c'est qu'ayant commencé mon parcours scientifique en 2001, j'ai clairement vu en quelques années une dégradation très forte des conditions de travail, des budgets. Je n'ai donc que moyennement confiance dans le parti au pouvoir actuellement pour réformer une recherche qu'ils ont sciemment dégradée.

Voilà, je m'arrête là après ce billet bien trop long en espérant ne pas avoir dit trop de bêtises et en espérant susciter le débat et la réflexion. Pour conclure, le problème de Royal, c'est qu'elle ne propose rien de très concret pour l'instant; espérons qu'elle se montrera plus participative qu'elle ne l'a été avec SLR. Mon problème avec Sarkozy, c'est que je pense qu'il veut appliquer une recette toute faite pour des raisons un peu idéologiques, sans avoir vraiment suffisamment compris et analysé le problème.


(1) Liberté toute relative toutefois quand on sait que les établissements américains ont ce qu'on appelle une "clause des héritiers", afin de recruter préférentiellement les enfants des anciens élèves.

6 commentaires:

Matthieu a dit…

Hmm, c'est interessant. c'est tout de meme bizarre de parler d'une tendance a la hierarchisation des universites US, venant d'un pays ou les grandes ecoles sont soigneusement rangees par classement decroissant a un concours, et ou les universites, si elles etaient classees aux USA, occuperaient a peu pres toutes la derniere place. dans la meme veine, je crois que la comparaison "US qui classe, France qui cherche a elever" tient plus du prejuge que d'autre chose (d'autant que le prejuge inverse serait presque plus pertinent).

Bon, a part ca, je suis assez d'accord avec le reste. le gros point qui semble faire consensus, c'est l'autonomie des universites. cependant je ne sais pas si cela sera mis en oeuvre : cela signifie la liberte de recruter les profs et les eleve librement, et de fixer tout aussi librement les salaires des premiers et les frais de scolarite et les bourses des seconds. Le but est d'avoir des meilleures universites, au prix d'en avoir d'autres moins bonnes. je pense que le gouvernement elu cherchera une solution plus "soft", a la francaise, mais malgre tout devra etre tres tres prudent pour ne pas mettre toute la population entre 12 et 30 ans dans la rue.

Tom Roud a dit…

Merci de ton commentaire,
c'est clair que de toutes façons, le système qui marche le mieux en France est le système des Grandes Ecoles, hyper élitiste et hyper hiérarchique. Le problème est que j'ai le sentiment que contrairement à ce qu'on dit aussi, l'université écrème assez violemment aussi : comme je le dis plus haut, encore plus de sélection aboutirait à l'heure actuelle à un effet pervers qui serait à mon avis la diminution du nombre des étudiants, ce qu'il faut je pense absolument éviter vu qu'on est déjà à la traîne sur ce plan-là. De la même façon, tout le monde se passerait très bien de l'autonomie s'il y avait plus de moyens, tout simplement. Je penche aussi donc vers une solution soft.
Oui, un dernier moint concernant le motto "autonomie" : j'ai la crainte que cela renforce le côté "petites baronnies locales", il suffit de voir ce qui se passe avec les communautés de communes en France.

Par ailleurs, il ne faut pas non plus oublier que les US sont un pays gigantesque, qu'il y a des effets d'échelle très forts (par exemple il y a mécaniquement beaucoup plus d'universités, et donc la "concurrence" est peut-être plus douce car plus noyée dans la masse; l'offre naturellement plus riche et plus diverse; en France, ce ne serait pas le cas).
Ma conclusion, c'est que tout cela est bien compliqué, et que je pense qu'il faut de toutes façons demander leur avis aux chercheurs car ils savent bien ce dont ils ont besoin pour faire de la bonne recherche.

Matthieu a dit…

un truc qui revient assez souvent chez toi, chez Benjamin, chez SLR, et finalement chez pas mal de chercheurs francais, c'est le "plus de moyens". mais dans le contexte de problèmes budgétaires (dette, tout ca) ces moyens ne doivent pas forcement etre espérés de l'Etat. Je ne serais pas contre, cela dit, augmenter le budget de la recherche&innovation y compris dans un contexte de restrictions bugétaires, car c'est de la que peut venir la croissance future, mais cela demandera(it) des sacrifices importants. en tout état de cause, tout ou partie de ce "plus de moyens" doit venir d'autres part, privé bien sur, mais surtout étudiants et frais d'inscription. Cela ne se fera pas sans une réforme marquée qui mettra du monde dans la rue.

Il y a un moment ou on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre.

Tom Roud a dit…

Salut

D'abord, je pense que cet effort doit être surtout fait pour "amorcer" l'investissement des entreprises. Au final, ce sera au privé de prendre en charge une partie des dépenses de la recherche, ce qu'il ne fait pas actuellement.

Ensuite, je ne suis juste pas d'accord avec toi. Comme je le disais chez Benjamin, la puissance publique (France, Europe) n'hésite pas à maintenir sous perfusion des entreprises françaises, est parfois le client unique d'entreprises pour des raisons stratégiques (comme Dassault) ou des pans entiers de l'économie (par exemple l'agriculture via la PAC). Je pense pour ma part que la recherche est aussi importante que Dassault ou l'agriculture.

De toutes façons, c'est comme les salaires des fonctionnaires ou les retraites : il faut bien que la population paie à un moment ou un autre, directement (frais d'inscription) ou indirectement (clients des entreprises, impots). Vaut-il mieux payer des impôts comme maintenant pour mutualiser les dépenses ou laisser les mécanismes du marché répercuter la hausse globale des prix (et, normalement des salaires, on peut rêver...) pour financer des pans de l'économie privatisée ? Pour les universités, vu que les entreprises préfèrent ne pas faire de R&D (sauf Microsoft apparemment, entreprise gauchiste et militante dévolue aux 35 h comme chacun le sait), la question qui se pose est donc : doit-on attendre que l'Etat redistribue au nom de la solidarité nationale ? ou bien est-ce que les étudiants doivent directement payer ? Encore une fois, vue la structure de la société française, ce genre de dépenses est "classiquement" prise en charge par l'Etat. Les salaires sont très bas en France en général : la raison est que l'école, la santé.... sont virtuellement gratuites car financées directement par un mécanisme redistributif.

Donc, quant à faire payer les étudiants (d'ailleurs ils paient une partie au CNRS ?), je suis contre. La plupart des étudiants sont déjà très ric-rac financièrement : une bonne partie de mes étudiants en DEUG travaillaient en parallèle de leurs études, à faire des boulots vraiment merdiques (caissières à Mammouth, serveurs à McDo, vigiles...), avaient déjà du mal à joindre les deux bouts, et avaient encore plus de mal à suivre le rythme des cours à cause de cela (le niveau exigé était relativement élevé, surtout comparé au niveau équivalent aux US). Surtout, c'est fondamentalement injuste : c'est peut-être un biais de mon entourage, mais les gens que je connais qui ont fait de brillantes études ont en général pu se concentrer pleinement sur celles-ci uniquement grâce à papa-maman, voire ont été payés pour faire ces mêmes études... Peut-être vaudrait-il mieux arrêter de baisser l'impôt sur le revenu par exemple ?

Comme toujours pour la recherche, j'ai l'impression que ce sont surtout des choix cruciaux de société plus qu'autre chose. Pour finir, on glose beaucoup sur l'état de la recherche en France, mais
- celle-ci ne se porte pas si mal
- ses difficultés sont corrélées de façon évidente avec une baisse des investissements de la part de l'Etat.
Tout est une question de volonté politique : sous De Gaulle, cette volonté existait, et on était très bien, malgré notre système un peu différent.

Tom Roud a dit…

J'ajoute pour finir, que LA formation d'élite (prépa+grandes écoles), qui marche très bien en France est virtuellement gratuite... et parfois même, les étudiants sont payés (X, ENS ). Donc on peut avoir gratuité et qualité.

Anonyme a dit…

mille
fois
d'accord
avec
tom
!